jeudi 10 mai 2012

La rougeole : Etat de l'Art sous forme de questionnement par Claudina Michal-Teitelbaum


EST-IL SOUHAITABLE D’ELIMINER LA ROUGEOLE EN FRANCE ?

Ou le mieux est souvent l’ennemi du bien

Alors que lors de la récente flambée épidémique française des discours alarmants et stéréotypés ont été tenus, il s’agit de replacer les événements dans un contexte historique international mais aussi dans une perspective scientifique et de long terme.

« L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique toute connaissance est une réponse a une question. S'il n'y a pas eu de question il ne peut pas avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit »
                                                                                                                                                 Gaston Bachelard

Non seulement aucune question pertinente n’a été posée quant à la vaccination contre la rougeole mais bien plus encore des réponses stéréotypées ont été apportées avant que nous n’ayons eu le temps de poser des questions. Ces réponses stéréotypées répétées à l’identique et amplifiées par les organismes de santé publique nationaux et internationaux, sont devenues des vérités établies qui ont empêché l’émergence de tout questionnement ou débat.
Or, la réalité n’est pas ainsi faite que face à des maladies contagieuses nous disposerions d’armes absolues qui nous permettraient, sans inconvénients ni questionnements, de passer d’une situation A problématique, présence d’une maladie « non bénigne » sur le territoire, à une situation B supposée idéale, élimination de la maladie » non bénigne » du territoire. Et cela par le seul truchement d’une réponse quantitative : l’augmentation de la couverture vaccinale.
L’illusion de la simplicité ne naît que de la capacité à éviter que les bonnes questions soient posées. Et  les mouvements anti-vaccinalistes contribuent au consensus en occupant les esprits avec de mauvaises questions, donnant ainsi des arguments à ceux qui prétendent qu’il n’y a aucune question à se poser.

PREMIERE PARTIE : LE VACCIN ET LA MALADIE

Le vaccin contre la rougeole

Le vaccin contre la rougeole est un vaccin dont le composant actif est un virus vivant atténué, la souche vaccinale pouvant différer selon les fabricants. Le virus vivant atténué est, de fait, un virus rougeoleux sauvage rendu moins virulent par des passages successifs sur des cultures cellulaires. Pour obtenir cette atténuation du pouvoir pathogène du virus, celui-ci est habituellement cultivé sur des cultures de fibroblastes d’embryon de poulet.
Le vaccin ainsi produit se rapproche des vaccins pasteuriens des origines. Le virus garde, en effet, sa capacité à infecter le sujet, mais sa virulence, c'est-à-dire sa capacité à se multiplier dans l’organisme infecté, est moindre que celle des virus sauvages.
Un article de synthèse du CDC ( Center for Disease Control and Prevention) des Etats Unis (ICI) décrit le vaccin contre la rougeole comme produisant « une infection inapparente [sans symptômes cliniques] et non transmissible.  
Le vaccin contre la rougeole se différencie donc de la plupart des vaccins commercialisés plus récemment (comme le vaccin contre le pneumocoque par exemple) qui contiennent des fragments viraux ou des virus tués, car il contient un virus vivant, bien qu’atténué.

Historiquement, le premier vaccin vivant  contre la rougeole a été introduit aux Etats Unis en 1963, il s’agissait du Rubeovax de Merck (LA). Son utilisation était complexe car, insuffisamment atténué, le vaccin nécessitait l’injection simultanée d’immunoglobulines (anticorps) pour éviter des rougeoles sévères. La même année, d’autres vaccins, inactivés ceux-là, autrement dit tués, ont été commercialisés par plusieurs laboratoires. Ils ont été  retirés du marché américain en 1967 car, d’une part, leur pouvoir protecteur était de courte durée, d’autre part, ils provoquaient des cas graves de rougeole atypique accompagnés de pneumopathies sévères (ICI). 
A partir de 1968 Merck a commercialisé un autre vaccin, l’Attenuvax, plus atténué que le Rubéovax, qui autorisait l’administration du vaccin seul, sans provoquer les mêmes effets indésirables que le précédent.

Le virus de la rougeole n’a pas de réservoir autre que l’homme malade. Le virus pourrait donc être éradiqué en théorie s’il n’y avait plus de foyer infectieux humain sur la planète. C’est un virus particulier car il se propage dans l’organisme en infectant les leucocytes ou globules blancs, les cellules impliquées dans la défense contre les infections, dont il se sert pour se multiplier. Il génère ainsi donc une immunodépression transitoire d’une durée de 2 à 6 semaines, plus prolongée chez les très jeunes nourrissons et chez l’adulte. L’aspect paradoxal des mécanismes infectieux et immunitaires concernant le virus de la rougeole réside en ce qu’il semble bien que l’infection et donc l’immunodépression soient indispensables pour provoquer une réaction immunitaire durable, qui ne peut être obtenue avec des virus inactivés ni avec des fragments viraux (ICI). 

Quel est le problème posé ?
Nous voyons donc, à ce stade, que le problème s’est posé en des termes très différents de celui qui nous est expliqué actuellement de manière plutôt simpliste. Il ne s’agit pas en réalité, de supprimer l’infection rougeoleuse mais de remplacer l’infection par les souches  sauvages du virus de la rougeole par une infection par une souche vaccinale atténuée. Il s’agit donc de la recherche d’un compromis entre  le degré d’atténuation de la souche vaccinale, la quantité de virus  dans le vaccin d’une part,  et les capacités de défense de l’organisme ciblé par la vaccination d’autre part, afin de produire un vaccin qui provoque une infection suffisamment atténuée pour être moins dangereuse pour la plupart des individus que l’infection naturelle et non transmissible dans la majorité des cas, tout en permettant une réponse immunitaire durable.

Le fait que le virus vaccinal soit vivant comporte au moins un avantage, à savoir que les adjuvants ne sont pas nécessaires pour accroître la réponse immunitaire.
En France les vaccins les plus utilisés sont le PRIORIX, de GlaxoSmithKline, qui contient la souche Schwartz (ICI et LA),  et le MMR vaxpro de Sanofi Pasteur MSD, qui contient la souche Edmonston Enders (ICI). Ces deux vaccins font partie de  ce qu’on appelle des vaccins pédiatriques améliorés parce qu’ils sont composés d’une combinaison de trois virus différents, les virus contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. On les appelle aussi vaccins trivalents.
On trouve aussi un vaccin plus ancien, contenant uniquement la valence rougeole (vaccin monovalent) le ROUVAX, qui a obtenu une AMM  en 1966 et était fabriqué par l’institut Mérieux. Il est désormais commercialisé par Sanofi-Pasteur-MSD. Ce vaccin, qui contient la souche Schwartz du virus de la rougeole à la même concentration que les vaccins trivalents, est préconisé  pour la vaccination des nourrissons de 6 à 8  mois dans des situations épidémiques (dans les 72 h après un contact avec un cas de rougeole).
Le succès de la vaccination au niveau individuel, c'est-à-dire l’obtention d’une immunité protectrice et durable sans produire d’infection grave, résulte donc, comme avec l’infection par le virus sauvage de la rougeole, d’un équilibre entre la virulence du virus vaccinal et le terrain du sujet vacciné.

Contre-indications, précautions d’emploi

Compte tenu du risque de maladie rougeoleuse sévère, le vaccin contre la rougeole est donc contre-indiqué chez les personnes ayant un déficit immunitaire grave, congénital ou acquis (SIDA déclaré avec immunodépression sévère par exemple, ou traitement immunosuppresseur), mais également chez la femme enceinte, et en cas d’allergie à la néomycine contenue dans le vaccin ou à tout autre composant de celui-ci. De plus, en France, on évite d’administrer des vaccins vivants à des nourrissons nés de mères séropositives tant qu’on n’est pas certain de leur statut HIV.
L’intolérance au fructose, maladie rare due à un déficit enzymatique, contre-indique également le vaccin qui contient du sorbitol.
Les antécédents d’allergie sévère à l’œuf avec des manifestations de type œdème, urticaire généralisé, ou choc anaphylactique constituent une précaution d’emploi. Il est certainement préférable d’éviter de faire le vaccin dans ce cas. En revanche, l’allergie à l’œuf sans manifestations sévères n’est pas considérée comme une contre-indication (LA .
L’administration du vaccin en même temps que de nombreux autres vaccins est autorisée. Mais on dispose de peu de données sur les conséquences de ces associations, en particulier avec les vaccins récents. Il est donc certainement préférable d’éviter d’administrer le vaccin en même temps que d’autres vaccins, en particulier avec des vaccins récents (Prevenar).
Par précaution, on devrait éviter de vacciner au cours des infections aiguës fébriles, qui en outre, diminuent l’efficacité du vaccin.
Le vaccin peut induire une négativation des tests tuberculiniques pendant 6 semaines.
L’intervalle minimum entre deux vaccins trivalents ou rougeoleux est de 28 jours.  Entre le vaccin trivalent et un autre vaccin, elle est de un mois.
Il faut attendre trois mois pour vacciner après une transfusion ou si le patient a reçu des gammaglobulines.

Efficacité du vaccin : importance de l’âge de la vaccination et du statut vaccinal de la mère

L’efficacité du vaccin est jugée importante, même si elle est variable en fonction de facteurs tels que l’âge du nourrisson, le statut vaccinal de la mère, ou des pathologies intercurrentes.
 Elle peut être appréciée au niveau de la population par les résultats épidémiologiques sur la diminution du nombre de cas de rougeole, diminution imputable à la vaccination, à condition de disposer de systèmes de surveillance fiables.  Et, au niveau individuel, par la séroconversion, apparition d’anticorps spécifiques de la rougeole  lors du deuxième prélèvement de sang, effectué 10 à 21 jours après le premier. Est considérée comme l’équivalent d’une séroconversion lors des études cliniques, une augmentation d’un facteur quatre de la concentration dans le sang de ces anticorps spécifiques pour atteindre  un taux généralement admis comme protecteur de 120 UI/ml  ou au-delà avec le test ELISA, utilisé par la plupart des laboratoires.
Néanmoins l’efficacité du vaccin varie pour des raisons qui ne sont pas toujours clairement expliquées, ou, en tous cas, qui ne font pas consensus.
Ce qui est généralement admis c’est que l’efficacité du vaccin en termes de séroconversion est d’autant plus faible pour un groupe de nourrissons que ceux-ci sont vaccinés tôt. A savoir que si l’on considère un groupe de nourrissons vaccinés au même âge, plus cet âge est précoce, plus la proportion de nourrissons qui seront considérés comme protégés après vaccination, selon les critères individuels évoqués plus haut, sera faible.
Il peut y avoir deux types d’explications à ce phénomène.

La neutralisation du vaccin par les anticorps d’origine maternelle

L’explication citée le plus souvent est le phénomène de neutralisation du vaccin par les anticorps d’origine maternelle. Ces anticorps, transmis passivement par la mère, persistent plus longtemps chez le nourrisson lorsque les mères ont contracté la rougeole naturellement que lorsqu’elles ont été vaccinées. Ceci s’explique parce que les mères ayant contracté la rougeole naturellement ont des concentrations plus élevées d’anticorps spécifiques que les mères qui ont été vaccinées. Cette diminution du taux d’anticorps chez les mères vaccinées a été montrée par une étude publiée aux Etas Unis en 1996. Les auteurs ont montré que la moyenne géométrique des titres des anticorps des mères qui étaient nées après le début de la campagne de vaccination était 4,85 fois inférieure à celle des mères qui étaient nées avant 1957 et n’avaient donc pas été vaccinées (ICI.
Si les mères sont vaccinées le taux de séroconversion, c'est-à-dire la proportion de nourrissons vaccinés qui présentent une séroconversion et qui, donc, seront protégés contre la rougeole par le vaccin, sera plus important chez des nourrissons de 9 mois. Ceci s’explique parce que les anticorps des mères vaccinées, qui sont à des concentrations plus faibles dans le plasma que ceux des mères ayant contracté la rougeole-maladie, sont plus rapidement éliminés de l’organisme des nourrissons. Ainsi, le taux de séroconversion, c'est-à-dire la proportion de nourrissons que l’on peut considérer comme protégés, pour des nourrissons vaccinés à 9 mois est inférieur à 80% dans une population dont les mères n’ont pas été vaccinées et qui ont contracté la rougeole naturellement et de 90% quand les mères ont été vaccinées. Et, respectivement, de 90 et de 98% à 15 mois (LA)
La signification de ce constat est, à contrario, que les nourrissons qui sont nés de mères ayant contracté la rougeole naturellement sont protégés par les anticorps transmis par la mère plus durablement en moyenne que les nourrissons de mères vaccinées.

L’immaturité du système immunitaire

Mais cette approche, qui est la version évoquée généralement,  ne tient pas compte d’un autre aspect : il existe une limite inférieur à l’âge de vaccination indépendamment de la concentration en anticorps d’origine maternelle chez le nourrisson. Une étude montre que la majorité des nourrissons de 6 mois ne séroconvertissent pas,  probablement en raison de l’immaturité de leur système immunitaire. Dans cette étude seulement 10/23 (36%) des nourrissons vaccinés à 6 mois et n’ayant pas d’anticorps d’origine maternelle ont atteint un titre d’anticorps protecteur (ICI).
Sur recommandation de l’OMS en 1989, des essais pour surmonter cette limite naturelle à la vaccination dans les pays pauvres en augmentant la quantité de virus dans le vaccin (vaccins à haut titre)  se sont soldés par une augmentation anormale de la mortalité des enfants vaccinés (LA). 
Une méta-analyse des études menées en Afrique avec des vaccins à haut titre a confirmé une surmortalité féminine chez les nourrissons des pays en développement lorsqu’ils étaient vaccinés avant 6 mois par ces vaccins par rapport à ceux vaccinés par la dose standard et ont motivé le retrait de ces vaccins par l’OMS (ICI). 
D’autre part, une étude canadienne, à propos d’une épidémie de rougeole en milieu scolaire en 1989, a démontré, qu’en cas d’épidémie, les enfants sont d’autant mieux protégés qu’ils ont été vaccinés plus tard entre 12 et 18 mois, avec une différence de l’ordre de 10% pour le risque de contracter la rougeole selon l’âge de vaccination. Et cela dans un pays où la quasi-totalité des femmes étaient vaccinées. Cela serait en faveur d’une meilleure qualité de la réponse du système immunitaire au vaccin à un âge plus tardif chez les nourrissons. On estime que le système immunitaire du nourrisson  atteint une certaine maturité vers deux ans.
D’autres facteurs comme la malnutrition, en particulier la carence en vitamine A, peuvent affecter fortement l’efficacité du vaccin. Il en est de même en cas d’immunodéficience, qui, comme on l’a vu, constitue une contre-indication au vaccin.

Recommandations générales en France

En France, les recommandations officielles telles qu’elles sont présentées dans le calendrier vaccinal 2012 (N° 14-15 du BEH d’avril 2012, p 170), sont de faire une première dose à 12 mois et une deuxième entre 13 et 24 mois. Il est recommandé d’administrer le vaccin trivalent  à 9 mois pour les nourrissons gardés en collectivité avec une deuxième dose entre 12 et 15 mois.
A partir du calendrier vaccinal 2011 on a préconisé deux doses de vaccin trivalent, à au moins un mois d’intervalle,  pour les personnes nées depuis 1980.

Effets indésirables

Le vaccin provoque une rougeole, souvent inapparente, selon la définition du Center for Disease Control and Prevention américain, comme on l’a vu plus haut.
Les effets indésirables du vaccin seront surtout en relation avec cet aspect et avec des phénomènes allergiques induits par les composants du vaccin.
Outre les effets indésirables locaux, très fréquents (15 à 25% des cas selon la voie d’administration avec le vaccin MMR-vax pro) mais généralement bénins, on va observer de fréquentes réactions fébriles (fièvre supérieure à 38°C dans plus de 10% des cas, fièvre supérieure à 39,5°C dans 1 à 10% des cas ) des rhinites, des conjonctivites, des éruptions transitoires, survenant dans les 5 à 12 jours après la vaccination. Les éruptions peuvent survenir pour un nourrisson sur 20 à un sur 30 environ.
Les réactions allergiques, ou réactions d’hypersensibilité immédiate qui peuvent se traduire par une éruption de type urticaire, un œdème de Quincke, des sifflements respiratoires dont la fréquence est évaluée à moins de 3% des cas. Les éruptions pouvant aussi bien évoquer une rougeole post-vaccinale qu’une réaction allergique seraient présentes dans 1 à 10% des cas.
Les fréquences respectives de l’ensemble des réactions allergiques, dont certaines peuvent être très graves, ne sont pas explicitées dans les résumés des caractéristiques du produit. Une étude anglaise estimait que la fréquence des réactions allergiques sévères, pouvant avoir une issue fatale,  pour les vaccins ne comportant que la valence rougeoleuse, était probablement supérieure à 18,9 pour 100 000 (LA). 
Les autres effets secondaires, graves mais rares, rapportés étaient la diminution des plaquettes sanguines (thrombopénie), l’encéphalopathie, les convulsions fébriles. Les deux derniers sont évalués à un pour plusieurs millions d’enfants vaccinés.
Mais ces estimations, fondées sur les effets indésirables déclarés, sont probablement minorées en raison de la sous notification des effets secondaires.
La sévérité des effets indésirables est souvent liée à un terrain, notamment en cas d’immunodépression congénitale ou acquise. La prévention des réactions de type allergique nécessite la recherche d’antécédents dans ce domaine, de même que la prévention des convulsions.
Il existe aussi des effets indésirables spécifiquement  liés aux autres valences ou virus présents dans le vaccin trivalent, notamment l’arthrite, généralement transitoire, habituellement présente lors des infections par le virus de la rubéole, se voit aussi avec le vaccin, avec une fréquence qui augmente très nettement en fonction de l’âge de vaccination. De 0 à 3% chez les enfants elle est de 12 à 20% chez les femmes. C’est donc une réaction au vaccin qui a tendance à augmenter en fréquence et en durée avec l’âge. Ces douleurs articulaires peuvent rarement devenir chroniques. [source Vidal]

Donc la vaccination contre la rougeole n’est pas un sujet simple. Nous évoquerons d’autres aspects polémiques plus loin.
Mais qu’en était-il avant ?

Avant la vaccination

Forme classique de la rougeole

Pour pouvoir apprécier le chemin parcouru, il est préférable de savoir d’où l’on vient
Nous avons un peu oublié ce qu’est la rougeole, très fréquente chez l’enfant jusque dans les années quatre-vingt.
La rougeole est donc une maladie virale survenant habituellement pendant l’enfance due à un virus de la famille des paramyxoviridae, et du genre morbilllivirus. C’est le seul morbillivirus pathogène pour l’homme et il est antigéniquement stable dans le temps. C’est un virus dit à ARN (son matériel génétique est contenu dans des molécules d’ARN et non d’ADN comme d’autres virus) enveloppé. Cette dernière caractéristique, son enveloppe, le rend fragile, et ce virus ne résiste ni à la chaleur ni aux détergents. Il ne survit pas plus de 36 h dans l’environnement à température ambiante.
La contagiosité de la rougeole, mesurée par le taux de reproduction (nombre de transmissions/ nombre de sources) est très élevée, plus que celle de la grippe.

Le réservoir exclusif du virus de la rougeole est l'homme infecté.  Le virus ne  subsiste pas dans l'organisme à l'état dormant après l'infection comme le fait le virus de la varicelle par exemple et il n'existe pas non plus de porteur sain comme pour le méningocoque qui provoque des cas de méningite.
L'éruption survient 7 à 18 jours après la contamination par les gouttelettes de salive émises par un sujet infecté. Dans la forme classique ou cliniquement apparente la maladie débute par d ela fièvre supérieure ou égale à 38,5 °C et un rhume accompagné ou non de conjonctivite ou coryza, plus ou moins de la toux. A ce moment l'individu est déjà contagieux. Ces symptômes durent 2 à 4 jours avant que ne survienne l'éruption, sous forme de taches rougeâtres légèrement surélevées qui apparaissent d'abord derrière les oreilles et s'étendent ensuite au visage et au reste du corps de manière descendante. Juste avant l'éruption on peut trouver des petits points blancs sur la face interne des joues très spécifiques de la maladie : c'est le signe de Köplick.



La prise en compte des cas de rougeole par l’INVS peut se faire d’après les symptômes observés à l’examen, c’est le diagnostic clinique. Ou alors quand les symptômes les plus typiques, comme l’éruption,  sont couplés à un contact avec un sujet malade dans les 7 à 18 jours avant leur début, c’est le diagnostic épidémiologique. Mais seuls les cas confirmés par des examens de laboratoire c'est-à-dire par un diagnostic biologique sont certains (ICI).
Il faut aussi savoir que, lorsque la rougeole devient rare dans un pays, la capacité des médecins à  la diagnostiquer correctement d’après les seuls symptômes observés, appelée aussi Valeur Prédictive Positive (VPP) du diagnostic clinique, diminue beaucoup, car la rougeole peut être confondue avec de nombreuses maladies éruptives. Les diagnostics cliniques portés dans ces conditions ont plus de neuf chances sur dix d’être faux  (LA).
En période de résurgence de la rougeole dans un pays où elle est devenue rare, seuls les diagnostics confirmés par la biologie sont totalement fiables.

Epidémiologie

Mais quelle était donc la situation avant la vaccination, au début des années soixante ?
Nous allons nous intéresser au cas de la Grande Bretagne.

En Grande-Bretagne
Pour donner une idée claire de la gravité d’une épidémie de rougeole au début des années soixante en Grande Bretagne, je vais me référer à une enquête menée par les services publics anglais pour évaluer les complications de l’épidémie de rougeole survenue il y a un demi siècle pendant l’hiver 1963 en Angleterre et au Pays de Galles. Celle-ci est rapportée dans un article intitulé : « Fréquence des complications de la rougeole, 1963 » et publiée dans le British Medical Journal en 1964 (LA). 
Nous apprenons, dans cet article, que la population, déjà à l’époque, manifestait des doutes quant à l’utilité d’une vaccination généralisée, en raison de la « croyance parmi de nombreux parents et médecins, que la rougeole est une maladie bénigne pour laquelle les complications graves sont rares et presque jamais fatales, pour les enfants normaux ». 
Les cas de rougeole devaient être déclarés par les médecins. On estimait que 80% des cas étaient alors déclarés. Le taux de létalité (nombre de décès par rapport aux malades dans une population donnée)  était estimé à deux pour 10 000 cas de rougeole, c'est-à-dire moindre que le taux de létalité admis pour la grippe actuellement, de un pour 1000 (c'est-à-dire 1000 décès pour un million de malades, probablement surestimée), et on estimait que la moitié de ces décès survenaient chez des patients ayant des pathologies chroniques graves ou des handicaps les rendant plus fragiles.
L’enquête publiée par le British Medical Journal portait sur quelques 53 000 cas, c'est-à-dire un sixième des 340 000 cas déclarés en 1963 pour une population de 45 millions d’habitants
97% des cas avaient moins de 10 ans et 3,8% des cas avaient moins de un an. Au total 93% des cas avaient entre 1 et 9 ans.
Les complications étaient présentes pour 6,8% des cas, dont 2,5% d’otites, 3,8% de complications respiratoires dont les deux tiers étaient des bronchites et 0,4% de complication neurologiques dont 0,1% c'est-à-dire le quart (un pour 1000 des malades) étaient des encéphalites. Un total de 610 sujets ont été hospitalisés mais seulement 496 pour des complications soit 81 % des personnes hospitalisées. Donc un peu moins de 1 % des cas (496 / 52 992) ont été hospitalisés pour des complications.
Au total parmi les patients présentant des encéphalites 39% ont été hospitalisés et 18% des patients présentant des complications respiratoires.
Les encéphalites étaient peu fréquentes (de l’ordre de 1 pour 1000) entre 0 et 9 ans mais de cinq à six fois plus fréquentes au delà de 20 ans. Tandis que les complications pulmonaires étaient environ 1,5 fois plus fréquentes avant un an par rapport à l’âge où le risque était le plus faible, entre 3 et 4 ans (risque de complications pulmonaires augmenté de 50% avant un an).
12 enfants sont décédés, 6 pour des complications pulmonaires, 4 pour des complications neurologiques. 5  des enfants avaient des pathologies chroniques ou des handicaps graves  tels que tétraplégie, trisomie 21 avec malformation cardiaque, encéphalite chronique. Dans ce cas les auteurs considéraient que la rougeole était une cause fortuite de décès.
Ainsi, cela correspond aux estimations d’environ 2 décès pour 10 000 cas dont la moitié préalablement fragilisés par le handicap ou la maladie. N’oublions pas que cette enquête a été menée il y a un demi siècle et que la mortalité infantile c'est-à-dire avant un an a, depuis lors, a été divisée par sept en France, tandis que la mortalité globale pour une population équivalente, a été divisée par deux.

 En France
Nous ne disposons pas de chiffres fiables car il semble bien que l’ordre intuitif des choses ait été inversé. En effet, on est en droit de supposer qu’on vaccine contre une maladie lorsqu’on a la notion claire, confirmée par un suivi épidémiologique spécifique, que celle-ci représente un réel problème de santé publique. Or, dans le cas de la rougeole il semble que ce soit  le fait d’avoir introduit la vaccination qui ait motivé le suivi épidémiologique des cas, car il n’y avait pas de suivi épidémiologique spécifique avant l’introduction de la vaccination à part une veille assurée par un réseau de laboratoires d’analyses, le réseau Rénaroug, travaillant avec des services de pédiatrie. La rougeole était néanmoins sujette à déclaration obligatoire depuis 1946. Mais les médecins se pliaient de moins en moins à cette obligation qui a été abrogée en 1986 pour être à nouveau mise à l’ordre du jour en 2005 lors de la campagne mondiale d’éradication (LA).  .
Le vaccin a été introduit dans le calendrier vaccinal français en 1983, et le réseau Sentinelles de l’INSERM, formé de médecins libéraux volontaires, n’a exercé une surveillance des cas de rougeole vus en ville que depuis 1985.
Les chiffres avancés par l’INVS pour la période avant la vaccination sont de 300 000 à 500 000 cas de rougeole annuels en France,  dont 4000 à 6000 hospitalisations. Soit environ 1% d’hospitalisations. Comme pour la Grande Bretagne, ces cas touchaient une très grande majorité d’enfants entre 1 et 9 ans.
Pour les décès une surveillance était exercée par le CépiDc, laboratoire de l’INSERM, depuis 1979. Elle montre un nombre de décès variant de 15 à 35 chaque année. Donc de un décès pour 10 000 à un pour 20 000 cas de rougeole cliniquement apparente et un décès pour 2 à 4 millions d’habitants chaque année. La cause des décès n’était pas déterminée pour la plus grande partie d’entre eux. Dans les autres cas la cause était l’encéphalite ou des complications pulmonaires.



Extrait de : Surveillance des maladies infectieuses en France, D Antona, INVS 2009. Source Cepidc

Sévérité de la rougeole : variable selon l’état nutritionnel, la localisation géographique, les pathologies et le handicap, et l’âge

La sévérité de la rougeole et sa létalité sont globalement faibles, de l’ordre de 1 pour 10 000 dans des pays semblables à la France, et  dépendent donc avant tout du « terrain » du sujet infecté, c'est-à-dire de son état de santé et de la capacité à réagir de son système immunitaire.
La rougeole est potentiellement plus grave :
  1. Chez les enfants de moins de un an à cause de l’immaturité du système immunitaire entraînant un risque relativement accru de pneumopathie en particulier
  2. Chez les adultes, surtout après 20 ans. Ceux-ci ont en moyenne quelques cinq fois plus de risques de présenter une encéphalopathie
  3. Surtout en cas de fragilité préalable due à une pathologie chronique ou à un handicap graves
  4. Ou en cas de malnutrition et notamment de carence en vitamine A, qui sont les principaux facteurs expliquant une mortalité élevée dans les pays pauvres. Dans certains groupes de populations pauvres n’ayant pas accès à la nourriture et aux soins, l’OMS affirme que la létalité due à une épidémie de rougeole peut atteindre 10%  , soit une létalité 1000 fois supérieure à celle retrouvée chez des enfants en bonne santé des pays occidentaux (ICI)     
 
Dans les pays occidentaux la létalité varie donc avec l’âge. Elle est plus faible aux âges habituels de survenue de la rougeole hors vaccination, d’environ 10 pour 100 000 cas entre 5 et 9 ans, mais quatre fois plus fréquente avant un an (43 pour 100 000) et plus de huit fois plus fréquente après 20 ans (85 pour 100 000) (LA). 
Cette augmentation de la sévérité de l’infection avec l’âge pourrait s’expliquer aussi par la fréquence plus importante du handicap et de pathologies chroniques parmi les adultes. En effet, la proportion de personnes souffrant de pathologies chroniques et de handicaps graves préalables parmi les décès dus à la  rougeole augmente avec l’âge comme l’a déterminé Barkin dans une étude portant sur les 454 décès consécutifs à la rougeole survenus aux Etats Unis entre 1964 et 1971 (ICI).
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Extrait de Surveillance des maladies infectieuses en France, D Antona, INVS, 2009
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Source : Ramsay M. et al. The epidemiology of measles in England and Wales : rationale for the 1994 national vaccination campaign. Communicable Disease Report 1994;4:R141-6.
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Cela revient à dire que la raison pour laquelle on relève une plus grande létalité chez les adultes, serait que la proportion de personnes fragiles parmi les adultes (maladies chronique ou traitements immmunosupresseurs) est plus grande que parmi les enfants. La létalité de la rougeole chez les adultes en général devrait donc être pondérée par rapport à la proportion des adultes  présentant une pathologie préalable.

DEUXIEME PARTIE : LE ROLE DE L’OMS ET DES FONDATIONS PRIVEES

Vers l’éradication de la rougeole ? Des bons sentiments… et du business

Le contexte des programmes mondiaux de vaccination soutenus par l’OMS

La Conférence Internationale sur les Soins Primaires de Alma Alta en 1978, a constitué un tournant dans l’approche des politiques de santé de l’OMS.
Les politiques de soins primaires orientées vers la prise en charge globale des problématiques de santé, et donc prenant en compte les aspects sociaux et environnementaux, ont été critiquées par des experts, des donateurs de l’OMS et des sociétés privées ayant des intérêts dans le secteur car « trop coûteuses » et peu efficaces. (Collado Rodriguez L. La marchandisation du Droit a la santé : brevets pharmaceutiques ; Annuaire des actions humanitaires et des Droits de l’Homme, 2009)
Derrière un vocable lénifiant la Déclaration de Alma Alta (ICI)   réaffirme la définition de la santé comme étant un « état de complet bien-être… » et réoriente les politiques de santé dans un sens plus conforme aux intérêts du secteur marchand .
L’OMS accepte donc, en cette occasion, sous la pression du secteur privé, d’introduire dans ses principes la notion de coût/efficacité et d’adopter une approche sélective de la santé, par pathologie, et non plus globale. On va donc moins se soucier d’élever le niveau sanitaire des populations mais on va en revanche essayer de combattre des maladies.
C’est de cette vision fragmentaire et parcellaire de la santé que sont nés les programmes mondiaux de vaccination entrant dans le cadre des programmes spéciaux de l’OMS largement voulus et financés par des sociétés privées, souvent des laboratoires pharmaceutiques, et des fondations.
L’évolution de cette forme élaborée de partenariat public-privé qu’est l’OMS ne cesse de se faire vers une part croissante des financements d’origine privée.
Les Etats financent en fait la part fixe du budget de l’OMS, celle qui concerne les frais de fonctionnement et les infrastructures ainsi que ceux des programmes de base (par opposition aux programmes spéciaux), dont la part dans l’activité de l’OMS ne cesse de diminuer, qui abordent la santé de manière globale.
Les sociétés et fondations privés fournissent désormais 80% du budget global de l’OMS. Les apports de ces acteurs privés ont lieu sous forme de contributions volontaires à objet désigné, à savoir que ces acteurs  ne financent que ce qui les intéresse pour leurs objectifs propres, comme, par exemple, les programmes de vaccination (LA).

Un exemple paradigmatique de l’influence des fondations privées dans les orientations sanitaires en matière de vaccination et de santé publique : la fondation Bill Gates

La seule Fondation Bill Gates,  bien que privée et gérée par trois administrateurs Bill et Melinda Gates ainsi que Warren Buffet, dispose, pour l’ensemble de ses multiples activités, d’un budget de 37 milliards d’euros, quelques huit fois supérieur à celui de l’OMS . Cette fondation, très liée aux laboratoires pharmaceutiques, est le deuxième contributeur volontaire (contributions à objet désigné) de l’OMS après les Etats Unis. Pour l’exercice 2010-2011, la Fondation Bill Gates a contribué pour 220 millions de dollars, soit environ 5% du budget total de l’OMS. Bill Gates se montre un allié fidèle des firmes pharmaceutiques en prônant la protection de leurs brevets contre l’intérêt des populations des pays pauvres. Une part importante des financements de cette fondation, est destinée à soutenir des programmes de vaccination, que Bill Gates considère comme une priorité (ICI).  
Mais certaines personnalités issues des pays en voie de développement sont très citriques envers les programmes de vaccination de l’OMS  qui ne tiennent pas compte des problématiques de santé particulières à chaque pays. Ces personnalités déplorent que de tels programmes s’imposent aux pays pauvres. Elles les jugent très coûteux, absorbant l’essentiel des maigres ressources, en particulier personnel médical et para-médical, dont ces pays disposent pour la santé, et désorganisant en outre le système de soins au profit de programmes qui s’avèrent parfois être des échecs,  justement en raison de l’approche par pathologie et de l’absence de vision globale des problématiques de santé, comme dans le cas de la poliomyélite (ICI, LA et encore ICI).
Ces analyses sont corroborées par une enquête très approfondie, menée par une équipe de journalistes du Los Angeles Times dirigée par l’un d’entre eux, Charles Piller, en 2007. Cette enquête journalisitique, sans doute l’une des plus sérieuses et approfondie jamais menées, intitulée « Des nuages sombres planent au-dessus des bonnes œuvres de la fondation Bill Gates » mettait en avant un certain nombre de points  noirs dans le financement de la fondation et dans son influence dans les pays en développement (LA). 

Pas d’éthique sur l’étiquette de la fondation Bill Gates

Les fondations sont des personnes morales ayant des objectifs d’intérêt général. Aux Etats Unis, contrairement à la France, les fondations peuvent investir dans des sociétés privées et sont taxées. Aux Etats Unis on peut donc très bien conjuguer bienfaisance, affaires et enrichissement personnel  en s’impliquant dans des œuvres réputées servir l’intérêt général.
Un premier point noté par les journalistes du LA Times est que la fondation Gates ne fait de donations que à hauteur de 5% de ses actifs, c'est-à-dire, au niveau précis qui lui permet de réduire ses impôts au minimum. Les autres 95% étant investis dans des secteurs à forte rentabilité. De fait, on ne peut que constater que si investir dans des œuvres caritatives a valu à Bill Gates d’étendre son pouvoir personnel en détenant la fondation la plus riche et la plus influente au monde, cela n’a pas nui à sa fortune propre qui est passée de 45 milliards en 1998, lorsqu’il a commencé à s’adonner aux œuvres de bienfaisance, à 61 milliards en 2012 .
Mais ce n’est pas là le point central soulevé par l’enquête. Le problème est ailleurs. Il est d’essayer de savoir si, par son action, la fondation Bill et Melinda Gates favorise d’avantage l’intérêt des populations des pays pauvres pour lesquels elle offre des dons, notamment pour des programmes de vaccination, ou nuit à ces populations tout en favorisant les intérêts de certaines  multinationales, pharmaceutiques entre autres.
Les journalistes du LA Times ayant enquêté en Afrique, ont découvert que, la fondation investit dans des compagnies pétrolières, telles Total, Eni, Exxon, Royal Dutch Shell, etc qui polluent l’air, avec des torchères dont les émanations sont chargées en composés toxiques comme le mercure, le benzène ou le chrome, bien au-delà des normes autorisées en occident, par simple souci de maximisation des gains. C’est le cas, par exemple, dans une métropole nigérienne de plus de 200 000 habitants, Ebocha. Les pathologies respiratoires, deuxième cause de mortalité infantile dans les pays à faible revenu, rendant compte d’environ un décès sur 7 parmi les enfants, y sont légion. Mais grâce à la fondation Bill Gates, la plupart d’entre eux seront bien vaccinés.
D’autre part ces mêmes compagnies creusent des fosses qui constitueront des réservoirs d’eau stagnante et feront le lit de toutes sortes de maladies infectieuses, comme la polio, le paludisme la dysenterie, le choléra…
D’après l’enquête du LA Times 41% des investissements de la fondation, équivalents à 8,7 milliards de dollars, sont faits dans des entreprises qui n’ont pas réussi les test d’évaluation par les organismes de notation évaluant les sociétés selon qu’elles adoptent ou non des comportements socialement responsables. Les sociétés mal notées, comme celles où la fondation Bill Gates investit 41% de ses actifs, sont celles qui violent les droits de l’Homme en général dans un objectif de maximisation des bénéfices (atteintes à l’environnement, discrimination, non respect du droit du travail comme, par exemple, travail des enfants, comportement non éthique comme la pratique de la corruption, etc.).
Ainsi, l’enquête du LA Times a établi que dans le même temps où la fondation Bill Gates versait 218 millions de dollars pour lutter contre la rougeole et la polio dans les pays pauvres, elle en investissait 423 dans des firmes pétrolières épinglées pour leur absence d’éthique
Il est permis de penser que c’est même probablement cette absence totale de souci de l’éthique dans les investissements qui a permis à la fondation Bill Gates de devenir la plus puissante des fondations américaines, très loin devant les autres, puisque pour 10 dollars dépensés par les fondations privées américaines, 1 dollar proviendrait de celle de Bill Gates (LA).   Les autres fondations, dans un souci de cohérence et d’éthique, font en sorte d’investir dans des sociétés dont le comportement ne va pas à l’encontre de leurs objectifs affichés et s’efforcent à travers leur participation, d’infléchir le comportement des firmes dans un sens plus conforme aux droits de l’Homme.
Interrogés sur ces aspects problématiques, les époux Gates se contentaient de répondre qu’ils ne connaissent pas en détail les investissements de leur fondation et qu’ils faisaient bien attention à ne pas investir dans l’industrie du tabac (ICI). 
Malgré l’opinion d’administrateurs d’autres fondations, qui pensaient que si la fondation Bill Gates, avec son immense pouvoir, montrait l’exemple en refusant d’investir dans des sociétés non éthiques, cela aurait un impact très important sur ces sociétés, une porte-parole de la fondation Bill Gates expliquait, peu de temps après ces faits, qu’aucun changement ne surviendrait dans la politique d’investissement de la fondation.
Bill Gates avait néanmoins promis, en 2007, suite aux révélations des journalistes, de s’amender et d’être plus circonspect à l’avenir, concernant ses investissements. En dépit de quoi il a encore été épinglé en 2010 pour sa prise de participation dans la multinationale Monsanto (LA)  .

Un bilan « globalement positif » ?
Un autre aspect non moins important, est l’évaluation des conséquences de l’influence de la fondation Bill Gates sur les politiques de santé dans les pays pauvres.
Ainsi, les efforts pour diminuer la mortalité par des programmes de vaccination sont contrebalancés, outre les effets néfastes des investissements privés de la fondation Bill Gates, par la capacité de ces programmes à attirer le personnel médical et paramédical formé par des salaires alléchants (trois à quatre fois les salaires payés par les administrations). Dans ces pays où la densité médicale est très faible et les besoins sanitaires très importants, le fait de laisser ainsi dépourvues les institutions prenant en charge les soins primaires de manière globale, induit immédiatement une augmentation de la mortalité pour les maladies non couvertes par la vaccination, qui peut contrebalancer, voire surpasser, les bénéfices de celle-ci. C’est ce qui explique l’incapacité de plusieurs de ces programmes à réduire la mortalité globale des enfants, malgré des investissements importants.
Un aperçu des conséquences de ces politiques sélectives à courte vue est donné par l’exemple de cette femme, incitée à faire plusieurs heures de route, pour se rendre au centre mobile assurant la campagne de vaccination contre la rougeole avec son nourrisson chétif. Beaucoup de personnes des régions isolées d’Afrique subsaharienne peuvent ne pas voir de médecin pendant plusieurs années.
Elle aurait aimé poser des questions sur l’état de son enfant et le faire tester pour le SIDA. Mais, arrivée sur place, il lui est demandé de ne poser aucune question autre que concernant la vaccination, comme à tous les autres. Il n’est pas possible non plus d’effectuer des tests. Cela ralentirait le rythme de la campagne de vaccination et empêcherait d’atteindre les objectifs en matière de couverture vaccinale.
L’influence de cette politique sanitaire sélective est donc loin d’être univoque malgré les chiffres triomphalement affichés sur la réduction de la mortalité par la vaccination contre la rougeole qui ne sont que des estimations, calculant le nombre de vie sauvées en fonction du nombre de vaccins distribués. Une telle démarche prêterait à sourire en Occident. Mais on verra plus loin qu’il est très difficile, même pour un pays développé, de se faire une idée précise du nombre de cas de rougeole sur son territoire.
La majeure partie des dons de la fondation concernant les programmes de vaccination vont au GAVI. Le GAVI étant l’organisme, issu d’un partenariat public-privé et soutenu par la fondation Bill Gates, qui achète et distribue les vaccins pour les programmes de vaccination dans les pays en développement. En 2007, sur 1,8 milliards de dollars de dons destinés aux programmes de vaccination par la fondation Bill Gates, 1,5 avaient été octroyés au GAVI (LA). 
Pourtant, selon l’enquête du LA Times, la mortalité globale des enfants s’est plus souvent améliorée dans les pays qui ont reçu moins d’aides que la moyenne du GAVI .
Un professeur d’études urbaines de l’université de la ville de New York, disait qu’on ne peut pas affirmer que des vies ont été sauvées avant que les enfants grandissent. En effet, les causes de mortalité sont multiples en Afrique. Avec, en tête, particulièrement pour les enfants, la diarrhée et les infections respiratoires basses.
Les résultats globaux en matière de mortalité sont loin d’être à la hauteur des espérances et des investissements, en particulier en Afrique subsaharienne, où sur un territoire avec une population de 425 millions d’habitants, représentant un habitant sur sept de la planète, sont rassemblés le quart des naissances mais aussi la moitié des décès mondiaux des enfants de moins de cinq ans. Dans sept des pays qui ont reçu plus de fonds que la moyenne de la part du GAVI la mortalité des enfants a progressé.
Certains auteurs, comme ceux de cet institut nigérien, ont voulu évaluer l’impact des facteurs environnementaux, non infectieux comme ceux affectés par les sociétés financées par la fondation de Bill Gates, dans cette mortalité. Ils sont arrivés à la conclusion que l’on pouvait obtenir 70% de réduction de la mortalité en corrigeant ces facteurs. [Environmental Determinants of Child Mortality in Nigeria Mesike, Chukwunwike Godson, 2011 ICI]
Bien sûr cela ne peut pas se faire de manière magique, et d’autres ont, depuis longtemps, mesuré la part de la pauvreté et, notamment, de la malnutrition, dans la mortalité des enfants et l’évaluaient à plus de 50% sur l’ensemble des pays à faible revenu. Avec un rôle prépondérant de la malnutrition, y compris quand celle-ci était légère a modérée (LA). 
On comprend mieux dès lors pourquoi une maladie bénigne comme la rougeole peut provoquer un décès sur 10 000 dans des pays où les enfants sont bien nourris et où il existe des systèmes sanitaires accessibles et bien dotés et 100 voire jusqu’à 1000 fois plus de décès parmi les enfants des pays pauvres.
La carence en vitamine A jouant un rôle majeur dans la sévérité de l’infection due à  la rougeole et dans le développement d’une immunité suite au vaccin, lors des campagnes de vaccination, on distribue de la vitamine A aux enfants.

Bill Gates, une personne influente
L’influence de Bill Gates au sein de l’OMS est aussi patente.
Il y a quelques années, un mémorandum du directeur de projet de l’OMS sur le paludisme avait été rendu public et avait fait sensation dans la presse anglo-saxonne. Ce directeur avait fait une note interne à Margaret Chan, directrice de l’OMS, qui ne lui avait pas répondu pour lui faire part de sa préoccupation concernant l’influence croissante et néfaste de la fondation Bill Gates dans les plans de lutte contre les maladies les plus meurtrières dans les pays pauvres. Selon cet expert l’influence de la fondation faussait les priorités en matière de lutte contre ces maladies et empêchait le débat au sein de l’OMS et la compétition intellectuelle entre chercheurs attirés par l’argent proposé pour financer leurs recherches dans une sorte de cartel sous le contrôle de la fondation où celle-ci les maintenait enfermés (LA). 
Car tandis que les Etats se montrent de moins en moins exigeants sur l’allocation de leurs contributions, les contributeurs privés, avec, en tête, Bill Gates et sa fondation, dont le rôle croît de facto dans la détermination des priorités à travers les contributions volontaires à objet désigné, prétendent de plus en plus réduire le rôle organisateur et de coordination de l’OMS, et le ramener à un simple rôle normatif des politiques de santé mondiales dans une vision parcellaire de la santé. De fait, ces contributions privées, de par leur rigidité, tendent à empêcher toute révision des orientations des politiques sanitaires afin de les mettre en adéquation avec les besoins réels des pays en développement, comme cela a été noté lors d’une consultation préalable au vote du budget de l’OMS en 2010.
Cela aboutit à la diminution des crédits pour ce qui concerne les maladies non transmissibles, qui dominent pourtant de plus en plus les problématiques de santé mondiales, et pour les programmes ayant pour objet la santé maternelle et infantile (ICI .
Selon Paul Eisenberg, attaché de recherche à l’institut des politiques publiques de l’université de Georgestown, il risque d’y avoir d’autres milliardaires qui vont vouloir créer leur fondation. « Le danger pour notre démocratie-dit-il- c’est que nous allons avoir de plus en plus de ces méga-fondations dirigées par deux ou trois familles et qui vont dicter la manière dont les fonds doivent être dépensés… ».
Lorsqu’on observe le développement fulgurant de la fondation de Bill Gates, la manière dont le milliardaire essaye d’inciter les plus riches à donner pour ses « bonnes œuvres », on peut se demander si le risque ne serait pas plutôt de voir émerger sous peu une fondation en situation de monopole dans le domaine de la bienfaisance. Domaine  qui, comme nous l’avons vu, tend à empiéter sur les politiques mondiales en matière de santé (LA). 
Mais il n’y a pas de loi anti-trust dans le domaine de la bienfaisance.  Est-ce un hasard si Bill Gates a décidé de quitter la direction de Microsoft et de s’investir dans les œuvres caritatives lorsque plusieurs de ses partenaires en affaires l’ont assigné en justice  pour abus de position dominante ? (ICI
Le problème, en ce qui concerne Bill Gates, c’est que s’il croit, peut-être, en la possibilité de réduire les effets de la pauvreté par des moyens techniques sophistiqués et grâce à l’innovation, Il croit sans doute encore plus à l’ultra-libéralisme économique,  au rôle des multinationales et à la nécessité de leur laisser le champ libre pour engranger un maximum de bénéfices, même au détriment de l’éthique et des populations les plus pauvres.
Le problème c’est aussi que d’avoir le talent de s’enrichir à grande vitesse en investissant dans des secteurs à forte rentabilité au mépris du respect des droits de l’Homme ne le rend en rien légitime pour jouer un rôle majeur dans l’orientation des politiques sanitaires mondiales en s’asseyant sur la démocratie et en réduisant au silence ceux qui ne partagent pas son avis.
Interrogé sur ces sujets Bill Gates estimait que le rôle des philanthropes, même s’ils peuvent faire des erreurs, c’est de prendre des risques en matière de bienfaisance que les pouvoirs publics n’osent pas prendre.
Nous aurions envie de lui dire : «Très bien. Mais il y a un hic. C’est que les risques de vos idées « philanthropiques » et » innovantes » ce n’est pas vous qui les prenez. C’est aux populations que vous les faites prendre. Et surtout aux populations des pays pauvres ».
Poussé par les idées philanthropiques de Bill Gates, le GAVI   (LAest en train d’essayer de diffuser à grande échelle dans les pays pauvres les vaccins contre le pneumocoque et le HPV, des vaccins qui, contrairement aux vaccins pédiatriques de base distribués jusqu’à maintenant à ces pays, sont encore sous brevet exclusif des grandes multinationales pharmaceutiques. Ils sont donc beaucoup plus chers que les vaccins utilisés jusqu’à maintenant, car, par exemple, le vaccin contre la rougeole fabriqué par des petits laboratoires de pays en développement et des laboratoires publics ne coûtait en 2011 que quelques 0,24 euros par dose au GAVI.
Pour le vaccin contre le papillomavirus humain, le coût de la mise en oeuvre pour les pays pauvres et de sa généralisation resterait totalement prohibitif en relation avec les budgets  de santé de ces pays  même si on  divisait le prix du vaccin par plus de 20, comme le démontre une modélisation faite au Brésil avec un vaccin contre le papillomavirus à 5 dollars (au lieu d’environ 130 dollars). Cette modélisation était construite avec des hypothèses d’efficacité prenant pour argent comptant les allégations des firmes fabriquant le vaccin, donc excessivement favorables (LA). L’intérêt du vaccin contre le HPV dans les pays les plus pauvres, en Afrique subsaharienne, serait de toutes manières très limité, car bien que dans ces pays la prévalence du papillomavirus parmi les femmes soit importante, l’espérance de vie est faible, souvent inférieure à 50 ans. Les femmes ont de grandes chances de mourir des conséquences de la pauvreté avant d’avoir le temps de développer un cancer du col.
Pour le vaccin contre le pneumocoque, il s’agit du Synflorix, un vaccin fabriqué par GSK que celui-ci compte vendre à raison de 300 millions de doses au GAVI. GSK se vante d’avoir accepté de réduire le prix de 90% pour les pays en développement. Mais le prix étant d’environ 45 dollars dans les pays développés, cela veut dire qu’il serait de 4,5 dollars pour le GAVI soit 18 fois plus cher que le vaccin contre la rougeole.
Et ce n’est pas là le plus important. Ce vaccin contre le pneumocoque ne contient que 10 sérotypes. Il a été testé cliniquement à partir du milieu des années 2000. Il ne comporte donc pas le sérotype 19 A, qui a été la cause d’une augmentation des cas d’infection grave à pneumocoque en France, par exemple. Les effets délétères étant démultipliés dans les pays pauvres, le Synflorix pourrait y provoquer une catastrophe sanitaire sans précédent.
Les pays pauvres sont ils la poubelle des laboratoires pharmaceutiques ?
Dans quelle mesure tout ceci nous concerne-t-il, pourriez vous dire ?
Dans la mesure où les politiques vaccinales de notre pays sont aussi très largement déterminées par l’OMS. Et que c’est derrière son autorité que nos institutions sanitaires se sont abritées pour appeler à la vaccination généralisée contre le virus grippal H1N1 pandémique. Comme c’est derrière son autorité qu’elles s’abritent pour appeler à la vaccination généralisée contre la rougeole dans une perspective d’élimination.


TROISIEME PARTIE : PROBLEMATIQUE ET PERSPECTIVES

De l’éradication à l’élimination, un choix discutable

Après que le PAHO (Agence Panaméricaine pour la Santé,  agence régionale de l’OMS pour le continent américain) eut officiellement annoncé avoir atteint sur le continent américain l’objectif d’élimination de la rougeole, en 2002,  le Groupe spécial International pour l’éradication des maladies s’est réuni au Centre Carter (une fondation privée du nom de l’ancien président américain) et a déclaré la faisabilité de l’éradication mondiale de la rougeole (ICI .
Dès lors, sous l’égide de l’OMS,  divers plans nationaux d’élimination ont été lancés, l’OMS fixant dans le même temps des échéances pour l’éradication mondiale de la rougeole, sans cesse reportées. Ces échéances ont été fixées successivement à 2007, à 2010, puis 2015 (LA
Mais en 2009, l’OMS a semblé prendre acte du caractère illusoire du projet d’éradication de la rougeole, alors que  la moitié des pays d’Afrique subsaharienne ont des taux de couverture vaccinale oscillant entre 40 et 80% malgré des programmes de vaccination récurrents depuis une trentaine d’années. En même temps l’institution prend acte des effets néfastes des programmes de vaccination sur les systèmes de santé locaux (ICI). 
Il semblerait qu’entre 2009 et 2010 il  y ait eu une période de flottement à l’OMS, où l’on a envisagé d’abandonner les tentatives d’éradication pour se borner à un contrôle de la maladie, moins contraignant et laissant plus de latitude pour aborder les problématiques de santé publique des pays pauvres de manière globale. Finalement, il a été décidé de poursuivre les politiques d’élimination dans les grandes régions de l’OMS.
L’élimination de la rougeole constitue un objectif à la fois ambitieux et contraignant, mobilisant de gros moyens, car elle nécessite, d’après l’OMS, à la fois d’atteindre puis de maintenir la couverture vaccinale à des niveaux très élevés, 95% pour la première dose à 24 mois, et 80% pour la deuxième, et de mettre en place un système élaboré de surveillance des cas (LA)

Pour que l’objectif d’élimination de la rougeole soit atteint dans une aire géographique il faut :

1)  Atteindre un taux d’incidence de la rougeole inférieur à un cas confirmé par million d'habitants par an en excluant les cas confirmés importés
2 ) Atteindre un pourcentage de personnes réceptives au virus de la rougeole inférieur à
15% chez les 1-4 ans, inférieur à 10% chez les 5-9 ans, inférieur à 5% entre 10 et 14 ans
et inférieur à 5% dans chaque cohorte annuelle d’âge au-delà de 15 ans

Pour évaluer si de tels objectifs sont atteints, il faut organiser et entretenir des systèmes de surveillance performants et consommateurs de moyens.

Et nous voyons déjà que pour que ces objectifs soient atteints et maintenus de manière pérenne, il ne faut pas seulement une couverture vaccinale très élevée, mais qu’il faut aussi que le vaccin, dont les deux doses sont majoritairement administrées en France entre 9 et 24 mois, assure une protection contre la maladie à vie.

Vaccination  et résurgence de la rougeole en France, mais pas seulement en France

En France la vaccination contre la rougeole a été introduite dans le calendrier vaccinal en 1983, vingt ans après l’apparition des premiers vaccins aux Etats Unis.
En 1987, le vaccin monovalent contre la rougeole a été remplacé par le vaccin trivalent contre la rougeole, les oreillons et la rubéole. Puis en 1996 a été introduite une deuxième dose du vaccin trivalent à 11-13 ans, qui a été rapidement rapprochée de la première dose entre 3 et 6 ans. En 2005, à la faveur de la campagne mondiale d’éradication de la rougeole promue par l’OMS,  traduite en Europe par le Plan stratégique d’élimination de la rougeole et de la rubéole 2005-2010 (ICI)   (tableau en annexe 3 p 26) , cette deuxième dose était désormais recommandée entre 13 et 24 mois, donc très proche de la première dose, ce qui constitue une quasi exclusivité française, les seuls autres pays européens, sur 52 états membres,  qui recommandent la deuxième dose avant deux ans sont Monaco, la Suisse  l’Allemagne, l’Autriche et la République Tchèque.
Les campagnes de vaccination ont permis une réduction rapide du nombre de cas estimés de rougeole en France, comme cela avait été le cas dans d’autres pays auparavant.


Extrait de : Surveillance des maladies infectieuses en France, D Antona, INVS, 2009 (source réseau Sentinelle)

Une augmentation progressive  mais continue de la couverture vaccinale a eu lieu.
Ainsi, la couverture pour une dose à deux ans était de 87,5% en 2004 et de 90,1%  en 2007.
La couverture pour deux doses des élèves de  CM2 est passée de 56,8% en 2001-2002 à 74,2% en 2004-2005
Malgré l’augmentation de la couverture vaccinale, n’atteignant pas, toutefois le fameux seuil de 95% de couverture pour la première dose fixé par l’OMS, une flambée de rougeole a été observée en France.

Des flambées épidémiques qui n’ont rien d’exceptionnel, même dans des pays à forte couverture vaccinale
Ce type de flambée avait été déjà observé dans de nombreux pays ayant débuté la vaccination plus tôt que la France comme le Canada en 1985, ou les Etats Unis en 1989-1990, années pendant lesquelles plus de 50 000 cas avaient été notifiés. Mais il était aussi courant que surviennent des petites épidémies et, aux Etats Unis, entre 1985 et 1986,  plus de 20 ans après l’introduction du vaccin, l’épidémiologiste L. Markowitz avait recensé 152 épidémies ou cas groupés concernant de 5 à 954 individus chacune [Patterns of Transmission in Measles Outbreaks in the United States, 1985–1986 NEJ 1989]
En Europe, la récente résurgence n’est pas particulière à la France. Elle est retrouvée dans 40 pays européens sur 52 y compris des pays comme l’Espagne, la Roumanie,  la Finlande qui ont une couverture vaccinale élevée de l’ordre de 95% ou au-delà pour la première dose (ICI) .
Cette flambée épidémique succédait à une autre en Europe, entre 2006 et 2007, concernant 32 pays et pour laquelle plus de 12 000 cas biologiquement confirmés de rougeole avaient été comptabilisés dans le cadre d’une étude danoise, principalement en Allemagne, Grande Bretagne, Roumanie, Suisse et Italie (LA). 
En France, cette flambée  a commencé en 2008 et à cette période il y avait des cas plus nombreux en Allemagne , en Italie, au Royaume Uni et en Suisse, qu’en France qui en déclarait 604 cette année là sur un total de 7822.  La Suisse, avec un nombre 8 fois inférieur  d’habitants par rapport à la France, représentait alors 27% des cas (2062 cas répertoriés) (ICI (tableau p 437)
En septembre 2011, toutefois, la France déclarait quelques 17 900 cas à savoir plus de la moitié des 26 000 cas européens (LA) .

Surestimation de la sévérité de l’épidémie de rougeole en France
Il est nécessaire de préciser, que, parmi les cas déclarés pris en compte et étudiés en tant que cas de rougeole, c'est-à-dire 17 960 cas,  seulement 3835 ont été confirmés biologiquement.  Ceux-ci correspondaient à 53% des cas pour lesquels on disposait d’informations complètes, .
Il était en même temps admis qu’il y avait une sous-déclaration de l’ordre de 50%, mais cette estimation était assez imprécise.
Tandis que le pourcentage des personnes hospitalisées (3956 soit 22% du total des cas déclarés)  était présenté comme particulièrement représentatif de la supposée sévérité de la rougeole, en réalité seulement 30,8% de ces personnes avaient été hospitalisées pour des complications dues à la rougeole. Les autres avaient été hospitalisées pour leur jeune âge ou en raison de leur mauvais état de santé. Dans le cas de l’épidémie observée en Grande Bretagne en 1963, avant l’introduction du vaccin, 81% des personnes hospitalisées l’avaient été en raison de complications. Cette hospitalisation de précaution peut expliquer en partie le taux important d’hospitalisation par rapport aux cas déclarés.
Contrairement à ce qui survient dans une épidémie classique, l’âge était plutôt élevé, 50% des cas ayant plus de 15 ans. On se souvient que lors de l’épidémie décrite plus haut en Grande Bretagne, pendant l’ère pré-vaccinale, seulement 3% des cas avaient plus de 10 ans.  
Parmi les 10 décès répertoriés, tous avaient plus de 10 ans. Sept des personnes décédées présentaient un déficit immunitaire soit congénital, pour une personne, soit acquis pour six autres.
L’évaluation du statut vaccinal a été faite sur une petite fraction des cas, c'est-à-dire sur 2655 alors que les nourrissons de moins de un an, ne devant à priori pas être vaccinés à cet âge, représentaient 1251 cas.
L’INVS note aussi que, dans les groupes plus âgés, la proportion des cas vaccinés atteint 30%, alors qu’ elle est estimée pour l’ensemble des cas à 15%. Mais elle n’en tire pas la conclusion que la vaccination devient inefficace avec le temps.
Aucune tentative d’évaluation du nombre de cas de rougeole inapparente n’a été faite.
On peut tirer la conclusion que, malgré les efforts fournis par l’INVS pour préciser les chiffres, l’estimation du nombre de cas reste extraordinairement imprécise, même s’il est probable qu’il s’agit de plusieurs dizaines de milliers de cas, en particulier si l’on tient compte des cas de rougeole inapparente. La proportion des personnes hospitalisées, mise sans cesse en avant, ne peut certainement pas être considérée comme un indicateur de sévérité, dès lors qu’on ne connaît pas le nombre total des cas, et que la plupart des personnes ont été hospitalisées à titre de précaution, en raison de leur fragilité propre, et non en raison de la gravité de la rougeole (ICI).
Un total de 146 cas étaient des cas importés. Ce qui montre qu’avoir un taux de couverture vaccinale élevée et interrompre la circulation virale ne serait pas suffisant, dans le pays le plus touristique au monde, pour garantir l’absence d’épidémies.
Il faudrait aussi que la proportion de la population ayant des concentrations protectrices en anticorps, reste à un niveau très élevé.
Hors vaccination, la proportion des adultes protégés par des anticorps dans des pays où le virus circule est de l’ordre de 99%.


IDEES FAUSSES SUR LA VACCINATION CONTRE LA ROUGEOLE

Un certain nombre d’idées sont ressassées par les institutions nationales et internationales de santé, retrouvées à l’identique dans tous les documents officiels. Certaines de ces idées ne reposent néanmoins sur aucune étude solide, voire sont démenties par de nombreuses études.

Idée reçue : le phénomène de la lune de miel comme unique explication aux épidémies de rougeole dans les populations vaccinées

Le phénomène de résurgence s’expliquerait uniquement par une insuffisance de couverture vaccinale. On nous explique que lorsqu’une population n’atteint pas les valeurs seuils de couverture vaccinale définies par l’OMS d’après une modélisation  mathématique en tenant compte de la contagiosité de la rougeole (un individu présentant la maladie en contamine 15 à 20 en moyenne), 95% pour la première dose et 80% pour la deuxième, il se produit un phénomène appelé lune de miel. Celui-ci consiste en ce qu’une couverture vaccinale élevée mais insuffisante occulte, pendant quelques années, le fait qu’il existe des individus susceptibles, c'est-à-dire non protégés par des anticorps, qui peuvent contracter la rougeole. Le nombre global de ces personnes n’est initialement pas assez important pour provoquer des épidémies importantes.  Pendant la période de lune de miel on assiste à une diminution progressive du nombre de cas de rougeole, et on a donc l’impression que la rougeole est en passe d’être éliminée du territoire.
 Mais lorsque, avec le temps, et l’arrivée de nouvelles cohortes de nourrissons qui ne sont pas suffisamment vaccinés, le nombre d’individus non protégés par des anticorps ou susceptibles (non vaccinés et qui n’ont pas eu la rougeole) s’accroît et atteint un seuil critique, on assiste alors à la résurgence de la rougeole sous forme d’épidémies plus ou moins importantes.
Il nous est expliqué qu’une première dose de vaccin confère une protection immunitaire à la plupart des sujets vaccinés. Une moyenne de 90 à 95% de nourrissons protégés par une première dose dans les pays développés est évoquée, mais nous avons vu que ce pourcentage présente une grande variabilité selon l’âge du nourrisson et le statut vaccinal de la mère.
Bien que cette protection soit présentée dans tous les sites officiels  comme se prolongeant indéfiniment (ICI), la proportion d’individus protégés par une première dose serait insuffisante car 5 à 10% des nourrissons n’ayant pas « pris » le vaccin, s’ajoutant aux 5% (en cas de couverture à 95%) de nourrissons non vaccinés, constitueraient, leur nombre  augmentant au cours des années, une proportion suffisante de sujets susceptibles pour provoquer de nouvelles flambées épidémiques.
Ce serait la raison pour laquelle une deuxième dose de vaccin a été introduite. Celle-ci n’est pas présentée comme un rappel (il n’y a pas d’effet rappel possible en présence d’anticorps contre la rougeole) mais comme une deuxième chance d’immunisations pour les 5 à 10% de sujets qui n’ont pas été immunisés par une première dose.
Cette deuxième dose a été introduite en 1990 aux Etats Unis et en 1996 en France.

…mais que nous disent les études ?

Peut-être la plus probante de ces études à nos yeux, la plus complète en tous cas, est une étude chinoise menée par Daï et coll  dans la province de Zhejiang, une province isolée de la Chine pendant 15 ans entre 1973 et 1988 (ICI)
Un aparté pour remarquer que des études de la qualité de celle que nous allons présenter n’existent simplement plus dans le paysage éditorial de l’édition scientifique. Les études publiées sont de plus en plus courtes, d’une durée qui ne dépasse souvent pas quelques semaines, comportent un nombre limité de sujets, quelques dizaines voire moins,  rendant toute interprétation statistique aventureuse, sont souvent grevées par des défauts méthodologiques et par une interprétation tendancieuse des résultats obtenus  qu’on peut fréquemment  attribuer à l’existence de conflits d’intérêts chez les auteurs, de plus en plus souvent financés par des fonds privés. Ces études n’apportent simplement rien à nos connaissances sur les sujets qu’elles abordent, mais noient les quelques études de bonne qualité et génèrent la confusion sur des sujets d’intérêt pour la mise en œuvre des politiques sanitaires.
L’étude de Daï et coll a suivi quelques 3233 enfants, dont 2882 ont pu être suivis pendant la totalité de la durée de l’étude, c'est-à-dire pendant 15 ans. Seuls les résultats obtenus pour ces 2882 enfants ont été pris en considération dans les conclusions
Le vaccin contre la rougeole a été introduit en Chine dès 1965. La motivation de l’étude était de comprendre les raisons de la recrudescence des cas de rougeole en Chine  survenue après une baisse rapide des cas dans un premier temps par suite des grandes campagnes de vaccination. Des cas de rougeole étaient de plus en plus souvent observés, même chez des enfants vaccinés.
Pour s’assurer que la rougeole était contrôlée dans la province, 300 000 enfants de moins de 15 ans ont d’abord été vaccinés en 1 mois en 1973 contre la rougeole, sans tenir compte de leur statut vaccinal. Le taux de couverture et de séroconversion parmi ces enfants était alors supérieur à 95%. Cela a permis de maintenir une incidence très faible de la rougeole dans la province, de l’ordre de 1 pour 100 000, pendant les douze premières années de l’étude.
Quatre souches vaccinales étaient utilisées, dont deux chinoises et deux étrangères. Elles étaient administrées sous forme d’aérosol ou par voie sous-cutanée. Parmi les deux souches étrangères se trouvait la souche Schwartz, originaire des Etats Unis, et utilisée dans le vaccin Priorix de GSK et dans le vaccin Rouvax de Sanofi-Pasteur MSD.
Un examen sérologique des enfants participant à l’étude a été effectué  à un rythme annuel, utilisant la méthode d’inhibition de l’hémagglutination. Bien que peu précise pour les faibles concentrations en anticorps, cette mesure permettait de savoir comment évoluaient les anticorps dans les situations suivantes :
·       une seule dose de vaccin et absence de contact avec le virus de la rougeole,
·        évolution des anticorps après une deuxième dose de vaccin et en fonction de l’âge où on administrait cette deuxième dose,
·       infection par le virus sauvage de la rougeole chez des enfants vaccinés
·       relation entre le taux d’anticorps et le risque d’infection apparente par le virus de la rougeole
Les résultats de cette étude sont très intéressants, et ont été corroborés par de nombreuses études, moins importantes, effectuées ultérieurement.

Premièrement, il a été montré que quel que soit le mode du premier contact avec le virus de la rougeole, vaccin ou infection,  la concentration des anticorps (GMT ou moyenne géométrique) dans le sérum, après s’être élevée très rapidement le premier mois, va décroître, très rapidement aussi, pendant la première année, puis un peu plus lentement pendant quatre ans, et puis va décroître très progressivement. La proportion d’enfants devenant séronégatifs, c'est-à-dire n’ayant plus d’anticorps détectables croissant au cours du temps. Par exemple la proportion d’enfants séronégatifs au bout de 15 ans était de 15,4% chez 39 enfants vaccinés entre 8 et 12 mois par 0,5 ml de vaccin contenant la souche Schwartz (contre 9,7% des 62 enfants vaccinés  entre 13 et 16 mois). Pour 27 enfants ayant contracté la rougeole naturellement à différents âges, 14,8% d’entre eux seront devenus séronégatifs au bout de 15 ans.
Cette constatation est confirmée par plusieurs autres études, notamment celle de Davidkin et coll en Finlande, publiée en 2008 dans le « Journal of infectious diseases ». La Finlande est le premier pays à avoir documenté l’élimination de la rougeole sur son territoire en 1997 et cela a permis d’effectuer des études sur l’évolution du taux d’anticorps en l’absence de circulation virale. Davidkin, dosant les anticorps d’enfants vaccinés 8 ans et 15 ans après la vaccination, arrive donc à la conclusion que la concentration des anticorps décroît rapidement pendant les 8 premières années, puis plus lentement pendant les années suivantes. Au bout de 20 ans la concentration est en moyenne le tiers du titre initial. Et 13% des individus ont un titre d’anticorps contre la rougeole « équivoque », donc pas forcément protecteur (LA). 
Mossong, en 1999, a estimé qu’en l’absence de circulation du virus la durée de l’immunité induite par le vaccin était en moyenne de 25 ans (ICI)

Deuxièmement :  il n’y a pas d’effet de rappel d’une deuxième dose de vaccin, quel que soit le temps écoulé après une première dose (2-3 ans, 5-7 ans, 10-11 ans). Le taux d’anticorps atteint après une deuxième dose est environ 10 fois inférieur, en moyenne,  à celui obtenu après une première dose. La proportion d’individus qui deviennent séronégatifs quelques années après la deuxième dose est d’autant plus importante que les taux initiaux d’anticorps étaient faibles. Par exemple, 76% des 25 enfants revaccinés 2 à 3 ans après une première dose et qui avaient des titres d’anticorps inférieurs à 2 sont devenus séronégatifs 8 ans plus tard.
En revanche, pour des taux d’anticorps équivalents, le risque de devenir séronégatif est d’autant plus grand que la deuxième dose est proche de la première. Par exemple, 46,7% (28) des 60 enfants revaccinés 2-3 ans après la première dose ayant une moyenne géométrique d’anticorps à 2, sont devenus séronégatifs huit ans plus tard,  mais seulement 14,7% (4) des 27 enfants ayant la même moyenne géométrique mais vaccinés 5-7 ans après la première dose. D’où l’on peut conclure que plus on rapproche les doses, plus la concentration en anticorps diminue rapidement.
Au total, l’auteur conclut que la deuxième dose ne prolonge pas la durée de l’immunisation.

Troisièmement :  l’infection naturelle par le virus sauvage, qu’elle soit cliniquement apparente (symptômes visibles) ou cliniquement inapparente (sans symptômes visibles) provoque une élévation plus importante et plus durable des anticorps qu’une deuxième dose de vaccin, et la réduction du taux d’anticorps se fait alors plus progressivement dans le temps. Autrement dit la personne vaccinée puis infectée par le virus sauvage  est immunisée plus durablement que celle qui reçoit une deuxième dose de vaccin. Un article publié par Erdman dans le Journal of Medical Virology en 1993 va même plus loin et affirme que chez des enfants vaccinés, une deuxième dose n’a aucune efficacité pour augmenter la concentration des anticorps de type IgM, alors qu’une infection rougeoleuse a une forte efficacité (96%), signant la relance de l’immunité spécifique (LA). 

Quatrièmement : le risque de contracter une infection et la sévérité de l’infection sont inversement proportionnels au titre d’anticorps. Ainsi sur 333 enfants ayant été exposés au virus sauvage pendant la durée de l’étude, en particulier en 1985, 78 d’entre eux, qui n’avaient pas d’anticorps détectables, ont présenté une infection attestée par une séroconversion. Parmi ces 78, 74 on présenté une infection cliniquement inapparente et 4 ont présenté une rougeole.
D’autres études établissent une corrélation entre le taux d’anticorps et le risque d’une infection cliniquement apparente. Une étude effectuée par Chen et coll aux Etats Unis et publiée en 1990 dans une collectivité où un don de sang avait eu lieu avant une flambée épidémique, avait montré que 8 sur 9 individus ayant un taux d’anticorps inférieur à 120 ont contracté une rougeole cliniquement apparente, cliniquement ou  biologiquement (7/8) confirmée.  Mais aucun des 71 sujets qui avaient un titre d’anticorps supérieur. Pour des titres d’anticorps intermédiaires 7 sur 11 donneurs de sang ont présenté une séroconversion sans symptômes cliniques. Pour les titres d’anticorps les plus élevés il n’y pas eu de séroconvesion. Cette étude montre que les personnes présentant un titre d’anticorps inférieur à 120 ont bien un risque de rougeole cliniquement apparente, et éventuellement de complications (ICI). 

Importance de la non élimination du virus et des rougeoles inapparentes pour le maintien d’un taux élevé de protection dans la population.

On remarque, dans l’étude de DaÎ en Chine, qu’un grand nombre d’enfants, parmi les enfants ayant été en contact avec des cas de rougeole et ayant des titres d’anticorps très bas, ont pu contracter une infection qui serait passée inaperçue si l’on n’avait pas réalisé une sérologie. De fait, plusieurs études sont en faveur de l’hypothèse selon laquelle les infections inapparentes permettent de maintenir une protection chez une très grande proportion de la population tant que  le virus de la rougeole circule (LA et encore LA)
L’hypothèse a même été évoquée que les formes inapparentes de la rougeole, en maintenant un taux élevé d’immunisation dans une population vaccinée, pouvaient entraîner une surestimation de l’efficacité du vaccin (on attribue  au vaccin une séroprotection qui est en réalité due aux infection inapparentes dues à une persistance de al circulation du virus) (ICI).   Une étude effectuée au début des années 90 dans un hôpital parisien montrait que sur 117 enfants parisiens non vaccinés 102 avaient des anticorps alors que seulement 42 avaient présenté une histoire clinique de rougeole diagnostiquée (contre deux dans le groupe des 133 enfants vaccinés) (LA). 

Le paradoxe de la vaccination contre la rougeole

La diminution progressive des anticorps peut donc expliquer le paradoxe de la vaccination de masse contre la rougeole. C’est à dire le fait que plus on vaccine massivement et plus il existe d’individus susceptibles dans une population comme l’ont montré les enquêtes séroépidémiologiques réalisées par le réseau Sentinelle de l’INSERM en 1998 et en 2009-10 chez plus de 2000 sujets âgés de 6 à 49 ans. Cette enquête a montré que la proportion des individus susceptibles, c'est-à-dire non protégés par des anticorps, augmentait à 10 années d’intervalle de 1 à 2% dans toutes les tranches d’âge, sauf chez les enfants de 6 à 9 ans (ICIdiapositive 6)  
D’autres études de séroprévalence faites dans différents pays européens grâce à des banques de sérum, montrent que une très haute  couverture vaccinale ne signifie pas nécessairement que la population est protégée. Un pays comme la Lettonie  qui a débuté la vaccination contre la rougeole très tôt, fin des années 60 et qui a un taux de couverture vaccinale élevée, de 97%,  a aussi la plus importante proportion de sa population (jusqu’à 40% selon les tranches d’âge)  qui n’est pas protégée par des anticorps (LA). 

L’idée qui se dessine, compte tenu de ces différentes études, est que la circulation naturelle du virus n’a pas que des inconvénients. Car contrairement à ce qui est soutenu dans les documents et discours officiels ni la rougeole, et encore moins le vaccin, ne procurent une protection définitive contre de futures infections.
De ce point de vue, les épidémies chez les enfants auraient l’intérêt de relancer l’immunité dans les autres groupes d’âge, en provoquant  des infections légères ou inapparentes chez des adolescents ou adultes ayant déjà contracté la rougeole, et d’éviter ainsi que des cas sévères apparaissent chez des individus plus âgés. D’autre part, cette circulation permet d’assurer la transmission de concentrations élevées d’anticorps maternels aux nourrissons. Ces concentrations élevées d’anticorps leur permettent d’atteindre sans danger, des âges où la rougeole devient bénigne pour l’écrasante majorité des enfants en bonne santé.

C’est pourquoi certains auteurs, notamment nordiques, s’inquiètent du risque  que l’interruption durable de la circulation du virus puisse laisser sans protection une proportion croissante de la population adulte et de très jeunes nourrissons qui ne peuvent pas être vaccinés (LA et ICI). 

Ce problème est particulièrement flagrant en Afrique, où, pour des multiples raisons, les anticorps transmis par les mères vaccinées sont à des concentrations plus  faibles que dans les pays occidentaux. Les nourrissons se retrouvent donc très tôt sans aucune protection.
D’autre part, dans une étude datant de 2008, l’auteur, Davidkin,  constate : «  Actuellement, 40% des Finlandais ne peuvent compter que sur la protection induite par le vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole » (LA). 
Le problème est également que la partie de la population que le vaccin laisse sans protection est la partie la plus à risque, à savoir, les jeunes nourrissons, les personnes immunodéprimées, mais aussi les adultes, chez qui les anticorps tendent à décliner et pour qui il n’y a pas de rappel possible. Et que, parmi ces adultes, il y a plus de personnes à risque de complication de la rougeole.

Le problème du coût des programmes de vaccination visant à l’élimination

Ce coût est très loin de se limiter à celui des doses de vaccin. Car pour évaluer l’efficacité du programme de vaccination, il faut mettre en place un système de surveillance complexe. Avant la vaccination la maladie était très peu suivie.
Il faut également financer les campagnes en faveur de la vaccination.
Pour les pays pauvres, il existe un coût sanitaire indirect important, dü à la désorganisation des services sanitaires.
Mais concernant le coût du vaccin en lui-même, le précédent de ce qui s’est passé et se passe encore pour les pays pauvres est plein d’enseignements. Entre le début des années 2000 et 2010 le prix du vaccin rougeoleux a doublé pour les organismes chargés de les acheter pour les programmes de vaccination dans les pays pauvres. Le prix de la dose de vaccin est passé  de 0,12 dollars à 0,24. Ce phénomène était dû à la diminution du nombre de fabricants et au défaut de concurrence.
En France, nous avons déjà le privilège en tant que pays producteur de vaccins, d’être parmi ceux qui les payent le plus cher au monde, l’Etat limitant volontairement la concurrence en autorisant peu de vaccins de chaque type à accéder au marché.
L’évaluation des coûts devrait donc prendre en compte les risques afférents à une totale dépendance vis-à-vis du vaccin et donc des laboratoires fabricants.

Autres idées fausses concernant les effets indésirables : lien entre vaccin trivalent et autisme

Nous devons évoquer ici les allégations d’association entre autisme et vaccin contre la rougeole soutenues par le  Dr Wakefield en Grande Bretagne. Il s’agit d’un chirurgien anglais, spécialisé en chirurgie gastro-intestinale.
En 1998, avec un certain nombre de ses collègues, ce chirurgien a publié une étude dans « The Lancet » une fameuse revue médicale anglaise, portant sur 12 enfants. Cette étude a été présentée comme ayant établi un lien entre autisme et vaccin trivalent (LA). 
Mais l’objet lui-même de cette étude, est déjà un sujet de controverse.
Initialement, un ensemble de médecins anglais appartenant au groupe de recherche sur les maladies intestinales inflammatoires au Royal Free Hospital à Londres, avaient soumis un protocole de recherche au Comité d’Ethique anglais portant sur la recherche d’un lien entre les vaccins monovalents contre la rougeole et contre la rubéole et le trouble désintégratif de l’enfance, un syndrome très rare, évalué à deux cas pour 100 000 naissances par Orphanet,   pouvant être associé à une maladie inflammatoire intestinale spécifique.
Le Comité d’éthique n’avait pas donné son accord pour cette étude. La collecte des cas s’était néanmoins poursuivie sans que l’on sache bien si cela entrait tout de même dans le cadre d’une recherche ou bien dans le cadre du suivi hospitalier courant de certains patients. Il n’a pas été demandé aux parents de signer un consentement éclairé. Les enfants présentés dans le cadre de l’article du Lancet ont été soumis à des explorations très nombreuses et lourdes incluant coloscopie et ponction lombaire.
Ces 12 enfants avaient généralement été vaccinés plusieurs années auparavant. La relation temporelle avec les troubles du comportement pouvant être évocateurs d’autisme, point central des conclusions et des interprétations faites ultérieurement par A Wakefield, était établie sur la seule foi des déclarations des parents.
La totalité des enfants n’étaient pas diagnostiqués autistes d’après l’article du Lancet. Neuf auraient été autistes, un aurait présenté une « psychose désintégrative », et deux une encéphalite qualifiée de post virale ou post vaccinale.
Les critiques factuelles de l’approche ont été résumées par Brian Deer, journaliste, dans un article publié dans le British Medical Journal intitulé « how the case aigainst the MMR was fixed », publié en janvier 2011 (ICI). 


Brian Deer arrive à la conclusion, après enquête détaillée et analyse de nombreux documents que :
·       Neuf seulement sur 12 des enfants étaient autistes
·       Cinq des enfants présentaient des anomalies développementales, signalées par les parents ou les médecins, avant la vaccination
·       Certains enfants, pour lesquels l’étude rapporte une apparition des symptômes quelques jours après la vaccination, avaient en réalité présenté les premier symptômes plusieurs mois après la vaccination
·       Dans neuf cas, des anomalies histologiques minimes constatées sur les prélèvements effectués au niveau du tube digestif, ont été requalifiées pour la publication finale en colite non spécifique
·       11 parents accusaient ouvertement le vaccin rougeole oreillons rubéole d’être responsable des troubles de leur enfant.
De plus, les parents de l’étude avaient souvent été orientés vers les membres du groupe de recherche par des adhérents d’associations anti-vaccinalistes.
En outre, fait jetant une suspicion majeure sur l’ensemble de la recherche, A Wakefield avait été,   contacté , embauché en 1996 et grassement rémunéré, (plusieurs centaines de milliers de livres) par un avocat spécialisé dans les affaires concernant les victimes de préjudices d’ actes médicaux, Richard Barr, également président d’une société d’homéopathie. Celui-ci avait enclenché une action en justice pour le compte de certains parents, mettant en cause le vaccin trivalent dans la survenue des troubles autistiques de leur enfant.
Les troubles autistiques sont à la fois beaucoup plus fréquents et vagues que les troubles désintégratifs puisque ce qu’on appelle les troubles du spectre autistique ont une fréquence estimée à 1 cas sur 150 naissances, et ont des étiologies (causes) et des présentations extrêmement variables, leur principale caractéristique commune étant les troubles de la communication. Ils sont également très difficiles à diagnostiquer et on utilise en général des évaluations fondées sur des scores à des échelles d’évaluation spécifiques. Le diagnostic est donc probabiliste et il est souvent très difficile d’établir le moment où les symptômes ont débuté.
Donc d’un côté un projet de recherche présenté au comité d’éthique comme ayant pour but de comprendre la relation entre certains vaccins monovalents (rougeole, rubéole) et un trouble rare, le syndrome désintégratif, sans lien d’intérêt déclaré. De l’autre des conclusions d’une étude sur une petite série d’enfants dans laquelle pratiquement tous les points menant aux conclusions (diagnostic d’autisme, moment des premiers troubles du développement)  sont entachés  de fraude ou pour le moins sujets à interprétation et où l’investigateur principal a des conflits d’intérêts majeurs car il est impliqué dans un litige en cours devant la justice.
Tous les éléments de la recherche eussent-ils été limpides qu’une aussi petite série d’enfants, sélectionnés, qui plus est, sur des critères  discutables, n’eut en aucun cas permis d’établir un lien statistique entre vaccin et une quelconque maladie. Cela aurait pu être une première étape, mais cela aurait nécessité des études suffisamment importantes et rigoureuses pour établir une relation entre vaccin et une augmentation des cas d’autisme (clairement définis).
Toutes les études épidémiologiques effectuées, y compris dans les pays nordiques, ont démenti ce lien. En particulier une étude danoise publiée en 2002 dans le New England Medical Journal portant sur plus de 500 000 enfants nés entre 1991 et 1998 dont 82% avaient été vaccinés. Compte tenu des 738 enfants  ayant un diagnostic d’autisme ou de troubles du spectre autistique le risque d’être diagnostiqué autistes, pour ceux vaccinés, semblait-être statistiquement légèrement moindre que pour ceux non vaccinés (LA). 
Car c’est là question, en somme, et ce qui était sous-jacent à tout le débat : savoir si le vaccin augmente le risque de devenir autistes pour les enfants.
Rappelons, à ce sujet, que les systèmes nordiques, finlandais et suédois, ont permis de faire émerger un lien statistique entre une maladie et un vaccin, pour une affection autrement plus rare que les troubles du spectre autistique. Je parle du lien entre Pandemrix et narcolepsie.
Cette affaire a pourtant donné lieu à la plus longue procédure disciplinaire jamais vue en Grande Bretagne et au plus important débat concernant la vaccination dans le monde anglo-saxon.
Cela a surtout provoqué une polarisation des opinions et des débats et empêché toute autre position, plus constructive et plus étayée, d’émerger.

Les points importants :

Nous avons ainsi appris que :
  1. La rougeole est une maladie bénigne pour l’écrasante majorité des personnes bien nourries et en bonne santé
  2. L’efficacité du vaccin varie, selon l’âge, le terrain (pathologies ou traitements, état nutritionnel), la situation géographique
  3. L’immunité vaccinale, mesurée par les anticorps de type IgG spécifiques est limitée dans le temps, même si elle est prolongée. Certaines estimations (Mossong) basées sur une modélisation mathématique l’évaluent à 25 ans en moyenne.
  4. L’interruption de la circulation du virus de la rougeole, en cas de poursuite du plan d’élimination, laisserait une part de plus en plus importante de la population sans protection
  5. La vaccination a fortement diminué les cas de rougeole en France, mais a déplacé l’âge de survenue de la rougeole en cas d’épidémie vers des âges où celle-ci peut être plus sévère et où le vaccin est ou devient inefficace
  6.  Il n’y a pas de possibilité de faire de rappel, l’efficacité du vaccin étant alors très limitée et transitoire
  7. L’infection par la rougeole peut, en revanche, procurer une protection prolongée chez un individu vacciné et dans le cas d’un individu vacciné cette infection se manifeste généralement par une rougeole inapparente, donc asymptomatique, tant que les anticorps dépassent le seuil de 120 ui/ml
  8.  Atteindre et maintenir un niveau très élevé de couverture vaccinale pour obtenir l’interruption de la circulation du virus est difficile et coûteux, mais ne met pas la population à l’abri d’épidémies tant que l’ensemble des autres pays, en particulier les pays pauvres, n’auront pas atteint le même niveau de protection
  9.  L’efficacité de cette politique est très difficile à évaluer car les données épidémiologiques sont peu fiables
  10. L’élimination de la rougeole dans les pays développés n’est pas un facteur de protection pour les pays pauvres
  11. Le vaccin  a des effets indésirables, ainsi que des contre-indications et précautions d’emploi qu’il est important de respecter pour éviter ces effets indésirables

·        
Pour conclure,
La conférence de Alma Alta a donc initié une réorientation des politiques sanitaires mondiales impulsées par l’OMS. D’une vision globale de la santé, ayant pour  point de départ les besoins sanitaires évalués dans chaque pays, nous sommes passés à une vision fragmentaire où l’on segmente la santé par pathologies, celles-ci étant présentées comme des entités abstraites et indépendantes de l’environnement.
Les réponses aux problèmes de santé vus ainsi sont donc forcément médicamenteuses ou vaccinales et sont censées avoir une valeur universelle. D’où la promotion des programmes mondiaux de vaccination.
Le programme d’éradication de la rougeole entre dans ce cadre. En France cette politique a permis de réduire le nombre de décès par rougeole qui était de 15 à 35 par an, sans effet significatif sur la mortalité globale.
En 2009, des débats sont apparus au sein de l’OMS, devant l’évidence de la difficulté de l’éradication de la rougeole, surtout dans les pays les plus pauvres où la couverture vaccinale reste faible malgré les programmes de vaccination, et devant la question des effets délétères des programmes de vaccination pour le systèmes de santé de ces pays.
Ces débats ont été bien vite étouffés et, sous la pression croissante d’intérêts privés, ont abouti à préconiser la poursuite à tout prix des politiques d’élimination régionale.
Pour autant, doit-on poursuivre en France cette logique du tout ou rien qui aurait pour principal effet, en cas d’élimination de la rougeole et donc d’interruption de la circulation du virus, de rendre la population de plus en plus dépendante du vaccin sans pouvoir garantir sa protection ?
Est-ce qu’une politique de contrôle, centrée sur la protection des personnes fragiles, ne serait pas plus raisonnable ?
La question est posée.

Claudina Michal-Teitelbaum





jeudi 3 mai 2012

INR : pourquoi les pharmaciens ?

Beaucoup de bruit dans la profession à la suite de la possibilité que pourraient avoir les pharmaciens d'adapter l'INR et de toucher 40 euro par patient.
Par quel bout commencé-je ?
D'abord, mais ce ne fut pas mon premier geste, jeter un oeil sur la Nouvelle Convention Pharmaceutique (NCP) (ICI).
Mais, auparavant, vous voulez vraiment savoir ce que fut ma première réaction ? Un dédain profond, un haussement d'épaules et, c'est une des particularités de la profession, l'auto-dérision, de la jalousie à l'égard de ces pharmaciens qui doivent coucher avec la DGS et le Ministère pour toujours obtenir toujours plus et toujours mieux par rapport aux médecins dont les divisions syndicales et politiques sont désespérantes (vous voulez un exemple qui va me fâcher définitivement avec les potards (français) ? Le droit de substitution pour les génériques, i.e. changer de produits au gré des marchés, et avoir les génériques les plus chers du monde).
Donc, s'il reste encore un pharmacien pour lire ce post, voici la suite.
La lecture de la NCP est instructive : il s'agit d'un cadre général qui élargit le champ des compétences des pharmaciens. Sous certaines conditions. Je remarque que c'est un texte à la fois volontariste et technocratique, c'est à dire le monde tel qu'il pourrait être et tel qu'il ne sera jamais.

Quelle est la situation de la surveillance de l'INR en France dans la communauté ?
Ce sont les médecins traitants qui sont à la manoeuvre. "Mon" patient est traité par AVK et je suis les variations de son INR. "Mon" patient sort de l'hôpital ou de la clinique avec un traitement conjoint HBPM et AVK et je suis l'INR pour arrêter l'HBPM.

Que se passe-t-il dans "ma" pratique ?
Je travaille en étroite collaboration avec le patient (que j'ai essayé d'informer après qu'il est sorti de l'hôpital, il est rare que cela soit fait avant la sortie) ; je travaille en étroite collaboration avec les laboratoires d'analyse ; je travaille en étroite collaboration avec les infirmières libérales lorsqu'il s'agit de patients suivis à domicile pour autre chose (insulinothérapie par exemple) ; je ne travaille jamais avec les cardiologues hospitaliers et / ou libéraux pour la surveillance de l'INR qui, dans mon coin, ne prescrivent JAMAIS de coumadine mais nous discutons et du niveau de l'anticoagulation et de sa durée et de ses modalités pratiques ; je ne travaille jamais avec les pharmaciens sauf en cas d'erreur de prescription ou de délivrance anticipée.

Je demande que les AVK soient prescrits le soir.
Je demande que, le jour de l'INR, le patient m'appelle dans l'après-midi pour contrôler et pour éventuellement modifier la posologie de l'AVK.
Quand le résultat est "exotique", le laboratoire m'appelle toujours pour m'informer.
Où est le problème ?
Le problème, c'est le saignement intempestif, c'est l'hémorragie, c'est l'urgence.

Je n'ai donc pas besoin des pharmaciens.

Pourquoi les avoir impliqués ? 
La baisse de chiffre d'affaires des pharmacies et le besoin de le freiner fait partie des raisons.
Je n'oserais pas dire que le prix "exagérément" faible des médicaments (coumadine, fluindione, acenocoumarol) utilisés est aussi une raison, la prime annuelle de 40 € multipliant par deux les coûts pharmaceutiques avec, cette fois, une marge de 100 %...
L'argumentaire (Page 24, Article 28 et 28.1.) part sur de bonnes bases (la iatrogénie) mais propose des solutions irréalistes.
Mais, avouons-le, je m'étais trompé : les pharmaciens pourront être impliqués (en accord avec le médecin traitant -- et je me vois mal en train de refuser 40 € par an à un pauvre pharmacien) pour s'assurer de la réalisation de l'INR pas de son contrôle ! Ouaf, ouaf, ouaf !
Tout ça pour ça ? 
M'enfin, comme dirait Gaston, cela s'appelle mettre le pied dans la porte...
Encore une fois il s'agit d'une proposition technocratique, prise sans concertation, ni avec les médecins, ni avec les laboratoires d'analyse, ni avec les infirmiers, et cetera.

Il est intéressant de lire ce qui a été écrit sur le blog de Grangeblanche (LA) et notamment les avis de la présidente d'une association de patients (AVK control) (ICI) qui rappelle le problème de santé publique, le retard de la France et la nécessité de pouvoir disposer d'un numéro permanent (cela ne s'appelle pas le 15 ?).

Pour conclure : c'est le médecin traitant qui est responsable de "son" malade.
La dilution des responsabilités est une mauvaise idée.
La coopération renforcée entre les divers professionnels de santé en est une bonne.
Beaucoup de bruit pou rien en apparence mais encore une preuve du déni dont sont victimes les médecins généralistes.
Mais il semble que les appareils d'auto-mesure se popularisent. Les pharmaciens pourront ainsi les vendre... et empocher les 40 € !



mardi 1 mai 2012

Des arrêts de travail peu recommandables. Histoire de consultation 116.


Monsieur A, 46 ans, est chauffeur livreur dans une grande entreprise. Il y a bien un an que je ne l'ai pas vu alors qu'il était un habitué, pendant des années, des arrêts de travail à répétition, un jour par ci, un jour par là, parfois un peu plus... Nous avons parlé longuement pendant cette période et il me racontait d'une part ses conditions de travail, d'autre part ses mauvais rapports avec son chef, et encore le fait qu'il soit brimé, qu'il existe des injustices dans l'entreprise, que ses horaires fussent toujours pourris, que d'autres s'en tiraient mieux que lui, soit parce qu'ils étaient délégués (les délégués qui s'entendent avec le patron pour avoir la paix sociale et des avantages personnels), soit parce qu'ils étaient des chouchous, soit parce qu'ils "fermaient leur gueule", soit parce qu'ils étaient des hypocrites, soit parce qu'ils étaient effectivement mieux traités... A un certain moment j'ai cru qu'il allait, vraiment, "péter les plombs", c'est un solide gaillard qui a fait des conneries dans sa jeunesse, nerveux, une musculature d'athlète, mettre un pain à son chef, démissionner, mais nous sommes toujours parvenus à un compromis, il y avait sa famille, ses trois enfants, le fait qu'il s'en était sorti, une famille de huit enfants, et qu'il n'allait pas tout gâcher à cause d'une saloperie de chef.
Et ainsi, au cours des années, je lui ai prescrit des arrêts de travail, jamais très longs, qui auraient pu paraître, vus de l'extérieur, comme franchement injustifiés, sans médicaments associés (n'oublions pas que l'Assurance maladie, par le truchement de ses médecins conseils, conseille d'une part de peu prescrire et, d'autre part, qualifie souvent l'authenticité et la gravité de la pathologie selon qu'il y ait prescription ou non et, si prescription il y a, selon les molécules utilisées, voire, plus intéressant, si un spécialiste a été consulté), sans suivi psychothérapeutique extériorisé, et, pire que tout, n'entrant pas dans le cadre des recommandations édictées ex nihilo par la CNAM, sur la longueur souhaitable et souhaitée du nombre de jours d'arrêts de travail à prescrire en fonction des pathologies (et non des patients, ce qui est un contre sens absolu en situation de médecine générale, sans compter l'aspect moral de ces "recommandations", les bons médecins en donnant peu, les méchants malades en demandant beaucoup, l'enfer c'est les autres, sans parler de l'équilibre des comptes de l'Assurance Maladie et autres considérations générales sur la fraude des travailleurs, la fraude des médecins, sur les phrases dans le genre "Moi, je m'arrête jamais..." ou "Moi, je coûte rien à la sécu..."...) et ainsi, au cours des années j'ai fini, infiltré bien malgré moi par les flux pervers et incontrôlables de la bien-pensance généralisée (de droite comme de gauche), par a) me sentir coupable de lui prescrire des arrêts de travail à répétition, de ces petits arrêts de travail, soit dit en passant, qui coûtent très cher au patient en raison de la règle des trois jours et de l'absence de convention collective la corrigeant, et par b) finir par penser que, finalement, ce brave garçon, c'était quand même, au bout du compte, un tire-au-flanc...
Monsieur A consulte aujourd'hui pour des douleurs de la hanche gauche qui le gênent quand il débraye et quand il sort de sa camionnette. Je passe sur les détails : banale tendinite du moyen fessier qui va, selon mon expérience interne, céder avec une infiltration de corticoïdes loco dolenti.
Il a besoin aujourd'hui d'un arrêt de travail d'une journée.
Et, au décours de la conversation, je lui ai demandé des nouvelles de sa femme et de ses trois enfants (l'aîné vient d'être embauché en CDI à la BNP comme informaticien réseau), il me tient ces propos proprement stupéfiants : "Vous savez, docteurdu16, je voulais vous remercier, vous m'avez soutenu au cours de ces années, quand j'allais mal, vous m'avez empêché d'exploser en vol, vous m'avez compris, et maintenant que mon chef a changé, mon nouveau chef est un type bien, il me donne des horaires qui me conviennent, je peux m'occuper de mes deux derniers à la sortie du collège, je ne viens plus vous voir, si j'avais démissionné, je serais où, dans la rue, au chômage, mes enfants et ma femme se plaindraient de moi, à mon âge c'est difficile de retrouver du travail... Je vous remercie, tous les arrêts que vous m'avez faits, je sentais bien que vous n'étiez pas d'accord, mais vous les faisiez quand même, cela m'a beaucoup aidé, je vous en suis reconnaissant... nous en savons souvent parlé avec ma femme... c'était vraiment bien..."
Je ne crois pas qu'un jour les recommandations de la CNAM intègreront ce genre d'arrêts de travail.
Et tant mieux.

(Alekseï Grigorievitch Stakhanov (en russe : Алексей Григорьевич Стаханов ; 1905-1977) est un célèbre mineur soviétique né à Lougovaïa près d'Orel.)

dimanche 29 avril 2012

Antibiothérapie et Promotion de la Santé : que valent les bonnes intentions ?


La célébrissime campagne "Les antibiotiques, c'est pas automatique" a marqué les esprits des médecins et des patients. Je n'ai pas de chiffres d'impact mais ils doivent être forts dans les deux groupes : c'est une phrase que j'entends souvent en patientèle et de la part de collègues.
Truisme : l'antibiothérapie, comme l'utilisation de toute thérapeutique, doit se faire à bon escient et en cet escient il est nécessaire de choisir la molécule juste.
Parfait.
La bonne conscience indique le chemin : prescrire moins et prescrire mieux.
Nous connaissons tous, les uns et les autres, ce qui nous fait prescrire plus et mal : l'habitude, le manque de temps, la pression des patients, la publicité pharmaceutique, les croyances, la lassitude, l'incompétence... On le voit, il n'est pas difficile de choisir les items qui pourront nous rendre meilleurs.
En médecine comme en d'autres domaines le volontarisme moral ne suffit pas même s'il arrive qu'il produise, rarement, des effets. Il faut savoir en effet d'où l'on part (faire un état des lieux précis), définir ce qu'il est souhaitable d'améliorer, fixer des objectifs, choisir des moyens en tentant de chiffrer les améliorations atteignables et les efforts qu'il faudra consentir pour les obtenir, se donner les moyens d'y parvenir, et pouvoir en constater les effets.
Prescrire moins et prescrire mieux des antibiotiques a au moins deux intérêts : ne pas exposer des individus à la prescription d'un médicament inutile, prescrire le bon antibiotique pour guérir l'affection et préserver l'écologie générale bactérienne en évitant les résistances.
Une équipe anglaise s'est attelée à la tâche de savoir quel pouvait être l'impact d'une campagne volontariste sur la diminution de la prescription d'antibiotiques en médecine générale (ICI).
L'étude menée en médecine générale de façon randomisée auprès de cabinets de médecine générale (68 cabinets, 480 000 patients), intervention multifaceted (sic) sur les MG comprenant séminaires, informations par le net et consultations assistées versus soins "normaux", a montré que sur un an 1) la diminution de la prescription des antibiotiques avait diminué de 4,2 % dans le groupe multifaceted (p = 0,02) ((docteurdu16 : tout ça pour ça !)) ; 2) que cela touchait plus la pénicilline V et les macrolides mais pas les autres antibiotiques ; 3) que les taux d'hospitalisations et le taux de reconsultation dans les sept jours après la consultation initiale n'avaient pas changé... Pas plus que les coûts : quant au coût de l'étude clinique, une moyenne de 3491 euro par cabinet, il a généré une diminution du coût de remboursement de 920 euro par cabinet !
Un éditorial pose, lui, des questions pertinentes sur la signification attendue d'une telle diminution en termes de diminution des résistances, c'est à dire : le jeu en vaut-il la chandelle (LA) ?
Cet éditorial est très provocateur. Il dit d'abord qu'une étude pareille décourage définitivement d'en faire d'autres. Ensuite, il rapporte des chiffres d'autres essais qui sont plus démonstratifs :  In a country-wide programme in Finland, reducing the use of erythromycin by 50% reduced the resistance of group A streptococcal isolates from 17% to 9%.4 Another study found that a decrease of 50 amoxicillin items per 1000 patients per year reduced resistance by 1%.5 Others have found that a 20% reduction in the prescription of ampicillin and amoxicillin resulted in 1% fewer resistant isolates.6 Enfin, il dit que la classique phrase, il faut continuer son traitement antibiotique jusqu'au bout n'est pas scientifiquement fondée. Il vaut mieux même arrêter les antibiotiques, donnés à bonnes doses, dès qu'il n'y a plus de fièvre. Décoiffant ?
Pour certains lever de tels lièvres pourrait être dangereux car il est possible que de tels propos puissent encourager le laisser faire ou le rien faire ce qui, dans le cadre d'une éthique individuelle volontariste, pourrait signifier le renoncement... et se plier à la loi du plus grand nombre.
Dans la même veine, mon éditorialiste favori, Desmond Spence, dénonce ICI une autre vache sacrée : La Promotion de la Santé en disant d'une part qu'elle coûte une fortune et d'autre part qu'elle ne sert à rien. Qu'entend-il par promotion de la santé ? Les campagnes de prévention, par exemple, et, plus particulièrement en ces temps de crise, une campagne gouvernementale qui s'appelle "Chaque contact compte", et qui signifie qu'à chaque contact (médical ou para médical) il faut parler de régime et de tabac car, selon le gouvernement, les brèves interventions "marchent". Le coût ? Une paille : 4,5 milliards d'euro par an. L'efficacité ? Nulle : une étude menée en médecine générale, sensibilisation par les infirmières, a montré une infime diminution du taux de cholestérol (0,1 mmol/L) et de la pression artérielle (3 à 7 mm Hg). Mais aussi, insiste Spence, il faut surtout se méfier des enquêtes où sont rapportées des données auto rapportées : une étude rapportant le nombre de femmes enceintes fumeuses sur la foi d'auto questionnaires s'est trompée de 25 % (prévalence) ! La promotion de la Santé n'a pas abouti à grand chose au Royaume-Uni : le poids a augmenté, l'activité physique a diminué, la restauration rapide progresse, les maladies alcooliques du foie ont augmenté. Seul le tabagisme a diminué mais au prix de mesures drastiques sans commune mesure avec les résultats escomptés et alors qu'un fumeur doit dépenser 3000 livres par an...
Non, la Promotion de la Santé (et nous avions ICI souligné le découragement des médecins généralistes français et LA les effets de vitrine de l'administration sur la prévention) a constitué un écran de fumée (smokescreen) pour masquer l'incapacité des politiques publiques à contrer les intérêts des marchands de nourriture et de boissons pourries (Big Junk Food) et ceux des partisans des inégalités de richesse (sic)...

(Photographie : Georges Bernard-Shaw : 1856 -  1950)


jeudi 26 avril 2012

Retour du Kenya : les soins palliatifs, le berger Masaï et le patient de Mantes.


Il y a quelque temps je suis allé visiter une patiente dans un établissement parisien de gériatrie dépendant de l'Assistance Publique où sont regroupés plusieurs types de services : rééducation fonctionnelle post chirurgie orthopédique, soins de suite post hospitalisation aiguë et soins palliatifs.
La patiente va bien, on discute de tout et de rien et de son retour à domicile (qui s'est fait depuis), et elle me dit ceci : "Vous avez vu, je ne vais pas trop mal, je vais m'en sortir, mais ces pauvres personnes qui sont en phase terminale... comme je les plains..." Elle voulait parler des malades du service des soins palliatifs qu'elle avait repéré en arrivant.
Le fait est que dans tout le bâtiment des flèches de couleur indiquent la direction des divers services. Je ne me rappelle plus les couleurs de la mort. J'ai oublié. Mais j'y ai pensé avant même que la patiente ne m'en parle.
Les soins palliatifs sont certainement une invention formidable. Nul n'en doute. La façon dont, jadis (là, je suis optimiste), on traitait la douleur et les mourants dans les établissements hospitaliers, n'était manifestement pas parfaite (voir LA et ICI). Et les médecins qui ont choisi de s'intéresser à ces problèmes, les douleurs, la mort, ont permis à la société d'évoluer et à tout le monde d'y réfléchir.
Je jette un oeil sur Google. Je repère le site de la SFAP (Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs) qui, entre autres, soutient la campagne de publicité de la JALMALV qui signifie Jusqu'à la Mort Accompagner la Vie (je n'invente rien). La SFAP a de nombreux partenaires institutionnels et big pharmiens (Voir ICI). Les soins palliatifs, selon ce site, ne sont pas loin de l'euthanasie. Mais, surtout, quel esprit "humaniste" pourrait s'en formaliser, la SFAP dit Soulager la douleur est une obligation. "La loi dit le devoir et l’obligation pour les médecins à tout mettre en œuvre pour soulager au mieux les malades en fin de vie."  Qui pourrait s'y opposer ?

Je me rappelle pourtant avoir lu un article de Marc Cohen dans Causeur (22 décembre 2008) que vous pouvez lire en intégralité ICI et dont j'extrais deux passages. Le titre me plaît assez : "Mourir dans la dignité ? Et pourquoi donc ?"

Voici le premier qui rapporte un propos de Houellebecq : Ce qui me dégoûte, c’est qu’on veuille mourir dans la dignité. Et il me dégoûte encore plus que des parlementaires s’apprêtent à faire une loi pour m’y obliger : je ne veux pas mourir dans la dignité…

Voici le second et qui me donne beaucoup de force dans la perspective de MA fin de vie :


"J’imagine que personnellement, si j’étais atteint d’une maladie incurable et furieusement douloureuse, je saurais me débrouiller pour trouver les pilules qu’il faut, ça ne peut pas être beaucoup plus dur que de trouver un exemplaire en bon état des Cadets d’Ernst von Salomon, et ça, je sais faire, ben oui.

Ce que je sais aussi, c’est que si je n’avais plus les moyens physiques de me tirer seul d’affaire et si j’étais tombé par malheur entre les pattes d’un médecin fou et furieusement pro-life, ma foi, je ne doute pas qu’il se trouvera forcément un ami ou une amie pour me rendre un petit service, quitte à risquer six mois avec sursis.
Et là, j’entends déjà les pro-death m’objecter de leurs voix de faux-derches : “Mais que préconisez vous si on n’a pas la volonté, ou bien si on n’a pas d’amis, ou encore si l’on veut faire les choses dans les règles ?” A ceux-là, je répondrai simplement : pas de volonté, pas d’amis prêts à donner une livre de leur chair, et l’obsession de respecter la loi à tout prix, même une fois mort et enterré ? Eh bien, la conjonction de ces trois symptômes signale sans erreur possible une vie de merde. Alors, dans le simple souci d’éviter les solutions de continuité, je pense que ces gens-là méritent aussi une mort de merde."
Mais qu'on me laisse, à mon tour, décliner mon petit discours tout fait sur les soins palliatifs :
Les soins palliatifs pourraient bien être l'aboutissement d'un rêve post moderniste confinant à un cauchemar aseptisé, commencerais-je par provocation, mais, au bout du compte, pour finir, il est possible, ajouterais-je, que nous n'en soyons pas loin. Une vie parfaite, sans douleurs (jamais les sociétés occidentales n'ont consommé autant d'antalgiques), sans déceptions (merci les antidépresseurs), sans chagrins (merci les anxiolytiques), sans délires (grâce aux psychotropes), une existence anhédonique en quelque sorte, voilà ce dont Big Brother a rêvé pour nous. Et nous en redemandons. C'est devenu la norme.
En cette époque de sécularisation de la société, les soins palliatifs sont une réponse laïque au problème de l'au-delà : les prêtres et autres rabbins, pasteurs ou imams sont remplacés par des saints laïques, des médecins accoucheurs de l'âme et du corps, étrangement réunis, qui n'auraient plus le droit de souffrir. Pour quoi souffrir ? Pour qui souffrir ? La loi interdit la souffrance et autorise la dignité de la mort.
Un ami médecin m'a raconté avoir téléphoné dans un service de soins palliatifs pour obtenir une place pour l'un de ses patients et que le ton de son interlocuteur médecin était tellement doux, tellement suave, tellement onctueux, qu'au bout d'un moment il avait été obligé de lui rappeler qu'il était le médecin, pas le malade.
Les soins palliatifs, indispensables, ne me faites pas écrire ce que je n'ai pas écrit, parachèvent l'entreprise sans cesse recommencée et inachevée de la médicalisation de la maladie, de la médicalisation de la vie et de la médicalisation de la société, avec respectivement les trois abus qui s'y rattachent que sont l'extension du domaine de la maladie (disease mongering), l'extension de la définition de la Santé (voir l'OMS) et l'extension de la main-mise de la société sur nos vie (l'obligation d'être dans la norme hygiéniste et l'idéologie de la prévention). Nous retrouvons bien entendu Illich en cette occasion.

Deux petits faits pour conclure :
1) Chez les Masaï du Kenya, quand un vieux va mourir, on l'emmène dans le bush, les Masaï n'aiment pas voir la souffrance conduisant à la mort, on attache une corde à son pied et, une fois par jour, depuis le village, on tire sur la corde. Si la corde "répond" on apporte eau et nourriture au mourant. Si la corde ne bouge plus, on cesse de le faire. Drôle de soins palliatifs traditionnels...
2) Pendant mes vacances, un de mes patients est mort à domicile. Il avait 88 ans. Dès mon retour, et la veille de l'enterrement, j'appelle sa femme qui me parle de lui avec enthousiasme et amour. Elle me dit ceci : "Nous l'avons gardé à la maison. Et chaque fois que j'entre dans la chambre, j'ai l'impression qu'il va me parler. Il est tellement beau, mon homme..."

(Photographie : enfants de Subukia. Docteur du 16)