Madame A, 29 ans, a pris rendez-vous à 9 heures 30, est arrivée avant l'heure et a été reçue à l'heure.
Elle a accouché il y a six semaines d'un enfant que j'ai vu au huitième jour, au premier mois et que je reverrai au deuxième.
Tout va bien, c'est la routine habituelle de la médecine générale, de la bobologie classique selon Bernard Kouchner et Patrick Pelloux, c'est le chemin vicinal de cette médecine générale si banale, si ras des paquerettes, qui devrait s'estimer heureuse d'exister (on s'occupe à la détruire), c'est la route départementale de cette médecine générale qui devrait s'incliner devant les experts, dire amen aux anticholinestérasiques, aux Diane fussent-elles non chasseresses, aux "nouveaux" anti diabétiques, aux indicateurs et autres critères intermédiaires et / ou de substitution, aux listes nominatives de malades hypertendus communiqués à la CNAM, aux mammographies sur diagnostiquantes, aux dosages du PSA dont seuls les urologues en voient l'intérêt, aux "nouveaux" anticoagulnts prescrits comme des bonbons et hors AMM, le quotidien de la bobologie si éloigné des autoroutes hospitalières, si éloigné des avenues majestueuses des cliniques de chirurgie esthétique, si éloigné des boulevards de la cancérologie médiatique encensée par Brigitte Fanny-Cohen sur le service public, si éloigné des prodiges de la PMA, mais nous y reviendrons... et je prie le lecteur de ne pas s'offusquer du fait que je parle des patients qui arrivent à l'heure, qui ne vont pas mourir dans la minute ou pour lesquels un problème majeur de consultation incluant la morale, l'éthique, la (bonne) lecture de Prescrire, le cercle des amis, l'expérience interne toujours étonnante (i.e. le sens clinique), les demi aveux de ses erreurs, la mise en avant de ses qualités intrinsèques et réticulées (les amis, les copains, les emmerdes, les ennemis je m'en charge), toutes ces circonstances qui font que le bon médecin généraliste, le bon blogueur généraliste cela va sans dire, est celui qui se montre, celui qui hystérise sa pratique (et son corps parfois) au point de briser son propre secret médical (ma grippe, mes maux de ventre), le bon médecin généraliste blogueur est celui qui, toujours menacé du burn out (l'épuisement moral et physique en français) en raison de la malveillance (voir ICI) des patients (qui sont en retard, qui posent des lapins, qui ne comprennent rien, qui déforment les mots, qui ne connaissent même pas le vocabulaire médical, qui sont exigeants, ne prennent pas leurs traitements, ou mal, qui se font des idées sur tout, qui sont sales, impolis, mal aimables, revendicateurs, qui, au bout du compte, ne "respectent" pas les x années d'études des grands docteurs spécialistes en médecine générale), menacé du burn out parce que son empathie n'est pas empathiquement perçue, menacé du burn out parce que, tout simplement, adversaire ou ami de l'analyse freudienne, mais, dans les deux cas y étant peu ou pas formé, le médecin généraliste spécialiste n'arrive pas à gérer (personne ne dira que c'est facile) les problèmes inhérents à l'entretien singulier (sur lequel je reviendrai un jour) qui s'appellent tout simplement les phénomènes transférentiels et contre transférentiels (on a dit : pas les gros mots !), et donc, le bon médecin généraliste blogueur (le blogueur se présentant comme le truchement du pauvre médecin généraliste non blogueur, celui qui n'arrive pas à exprimer sa douleur, celui qui, ne montant pas sur l'estrade médiatique, caché dans son coin et, par surcroit, non geek, ne peut s'en sortir puisqu'il ne peut parler, écrire, tutoyer ses malades, dire des gros mots, sauver des petites vies et... le faire savoir) est victime également de la méchante administration (l'Assurance maladie), de la vicieuse société civile (ah, les certificats...), eh bien, pour en finir, le bon médecin généraliste blogueur est au final celui qui s'en sort et qui évite si intelligemment le burn out grâce à ses capacités de copying (en anglais ça fait chic), d'adaptation au terrain, de capacités personnelles à éviter tous les écueils de la solitude, et qui, finalement, l'as des as, passe de la situation de victime isolée à celle de docteur conquérant et écrivain. Le médecin blogueur, volontiers jeune, celui dont les trains arrivent toujours en retard, ne supporte pas les "anciens" qui ont fait de la médecine à la papa et qui sont contents de leur boulot, contents mais fatigués, les modèles types de l'aliéné qui se contentent (le verbe est à double sens) de leurs pratiques, qui n'ont pas besoin de travailler en équipe pour être crevés, qui, donc, s'ils n'ont pas le blues (le blues de la blouse blanche) sont forcément mauvais et devraient consulter un confrère avant l'issue fatale... Mais revenons à Madame A...
Madame A : "Je voudrais que vous me prescriviez la pilule... - Mais je croyais que vous aviez vu le docteur B... - Oui, il a refusé de me la prescrire. - Comment ?"
Retour en arrière.
Madame A a été suivie par le docteur B pour infertilité. Cela a duré 7 ans avant que l'enfant, dont je vous ai parlé au début, ne naisse. Naissance par ICSI (voir ICI pour les détails sur l'Injection intra cytoplasmiques de spermatozoïdes), c'est à dire que je vous passe sur les détails (que j'ai connus incidemment, pas de courriers, pas d'informations, le médecin traitant n'est pas dans l'éprouvette) de ce long parcours du combattant (il vaudrait mieux dire de la combattante), d'examens complémentaires multiples et variés, de souffrances, de faux espoirs, d'angoisses, d'insomnies, de désespérance et de lassitude, jusqu'à la naissance sans encombre d'un beau bébé.
Il est à noter que cette jeune femme a subi une IVG à l'âge de 18 ans alors qu'elle prenait la pilule (elle avait oublié...), qu'elle a eu plusieurs fausses couches spontanées au cours des années...
Madame A, que je n'ai pas quittée des yeux en tentant de garder mon calme, est donc assise en face de moi.
"Il n'a pas voulu me prescrire la pilule car il m'a dit qu'après tous les efforts que j'ai faits, s'il y en avait un deuxième, je serais contente..." Son non verbal et éloquent. " Mais j'ai insisté et lui ai dit que je n'étais pas d'accord, que je ne voulais plus d'enfant... Pour le moment."
Le gynéco-obstétricien ne l'a pas écoutée, il a décidé pour elle (c'est le moins nisand culturel).
Nous avons parlé ensemble et nous sommes convenus que je lui prescrirai la pilule.
Ah, j'oubliais, le couple dispose de 9 embryons congelés.
(Crédit photographique : Baby Blog)
(Crédit graphique : ICI)