jeudi 18 septembre 2014

Billet ouvert destiné à l'urgentiste de l'hôpital Lariboisière (Paris) entendu sur Europe 1 le 17 septembre 2014 vers 8 heures et qui a parlé de désorganisation de la médecine de ville.


(Ce billet n'est pas exhaustif, plus d'humeur qu'autre chose)
Je zappais ce matin dans ma voiture en roulant vers Mantes (1) et je tombe sur les informations d'Europe 1 (2) et un reportage sur les urgences de l'Hôpital Lariboisière (Paris). Bla bla de la journaliste sur l'encombrement des urgences, pas sur le temps d'attente, non, sur l'augmentation considérable du trafic (pardon, j'ai oublié les chiffres), des témoignages de patients, pourquoi mon copain est allé aux urgences, bla bla bla, et la journaliste de commenter les propos d'un urgentiste (j'ai oublié son nom), donc, on n'est pas certain qu'il ait vraiment dit cela, on connaît les journalistes, des propos rapportés, coupés ou déformés, qui raconte pourquoi rien ne va aux urgences. En substance, l'urgentiste (vous savez le type qui dit du bien des médecins généralistes en public et de l'extrême mal en privé et... aux urgences -- et, parfois, je ne saurais trop le contredire) n'a pas besoin de conférences, de commissions d'enquêtes, de réunions de consensus, de rapport Steg, non, il sait d'où viennent tous les maux des urgences, oui oui, c'est un génie absolu, attention les amis, accrochez-vous à vos sthétoscopes, vos tiroirs-caisses ou à vos logiciels métiers qui font de la publicité, La profonde désorganisation de la médecine de ville.
Le mek docteur des urgences, y se la raconte pas, y nous la fait mesuré, dans le genre, l'hôpital, ce hâvre d'organisation, cette pépinière de jeunes pousses, ce nid d'économies, ce paradis du travail bien fait dont tous les personnels épanouis redemandent, va donner la leçon à la médecine de ville désorganisée...
Le mek, y manque pas d'air.
Reprenons quelques uns de ses arguments, pas piqués des hannetons : y a trop de monde aux urgences (le Josep Prudhomme de la médecine d'urgence a pris des cours avec le Pelloux de Koh-Lanta) ; y a des gens qui n'ont rien à y faire (pour l'instant, on suit et on ne dit rien, nous les désorganisés de la cervelle et du libéral associés) ; le délai est tel pour avoir des IRM que les gens préfèrent aller aux urgences pour en avoir une (là, le mek docteur organisé dans sa tête, y commence à déraper grave du ciboulot) ; donc, il faut créer des maisons de garde avec du matériel pour que les médecins généralistes puissent faire (enfin) de la (vraie) médecine.
Docteur Lariboisière du Service Public, y connaît qu'un modèle, celui de l'hôpital organisé et qui marche, celui où tout le monde a envie d'aller même en n'étant pas malade, et donc y propose aux médecins de ville, ces khonnards inorganisés du cerveau, de faire des urgences en petit... avec des petites IRM, sans doute...
Ce qu'il n'a pas compris c'est que la majorité (je fais cela à la louche mais mon oreillette me dit que je ne suis pas loin de la vérité) des citoyens qui vont aux urgences n'ont rien à y faire, non parce qu'ils mériteraient des soins ambulatoires (une consultation en Maison Médicale de Garde par exemple), mais parce qu'ils ne sont pas malades... ou qu'ils pourraient attendre. Mais aussi : que la majorité des patients consultant en médecine ambulatoire ne sont pas malades du tout ou pourraient bénéficier clairement de l'utilisation de kleenex ou de paracetamol ou d'un régime approprié pour combattre une diarrhée aiguë. Et je ne parle pas d'automédication, je parle d'abstention pure et simple. Mais les malades, me dit un copain pharmacien, quand ils ont un rhume, ne pourraient-ils pas aller "consulter" en officine ? Ben, ça pose problème : quand un citoyen sort d'une pharmacie après qu'il a consulté over the counter (OTC) pour un rhume, il n'est pas rare qu'il ait eu droit d'acheter des saloperies dans le genre Actifed, Dolirhume, qui contiennent des saloperies comme la pseudo éphédrine... Quand il ira chez Leclerc, cela ne s'arrangera pas : "50 % sur la pseudoéphédrine et des points sur la carte du même nom !" qu'elle dira la pub dans les télévisions et les radios... Mais ne me faites pas dire qu'il n'existe pas des médecins généralistes dans le même métal qui prescrivent rhinadvil et derinox à tours de bras dans la même indication...
Donc, Monsieur l'organisé des urgences de l'hôpital Lariboisière (Paris), si je peux me permettre une incise de médecin de ville désorganisé, si les non malades n'encombraient pas les consultations de médecine générale (et y compris, comme disent les énarques de gauche, les certificats de merdre pour le sport, la pétanque, l'école, la crèche, la prise de paracetamol à la crèche, les certificats de bonne santé, les arrêts de travail non faits aux urgences, passez voir votre médecin traitant, les effets indésirables des médicaments prescrits aux urgences -- je veux dire, ouvrez vos oreilles l'organisé de Larib, le tramadol, le tramadol et encore le tramadol, les allez voir votre médecin traitant pour qu'il vous prescrive un écho-doppler veineux parce que je ne sais pas le faire aux urgences et que votre malade il a peut-être une phlébite), si les non malades n'encombraient pas les consultations de la médecine de ville désorganisée, eh bien nous aurions plus de temps (ah, j'oubliais, enlevez de votre tête organisée que nous sommes des feignants, des flemmards, des planqués libéraux qui faisons les 35 heures et pour qui un sou gagné est un sou net...) de voir des (vrais) patients qui n'iraient pas aux urgences parce que cela ne serait pas urgent...
N'oubliez pas non plus, Monsieur l'organisé des urgences de l'hôpital Lariboisière, que, dans la majorité des cas, ce ne sont pas d'examens complémentaires dont nous avons besoin, en soins ambulatoires, mais d'une capacité (les meks modernes, y disent compétence) que vous avez sans doute perdue dans vos locaux organisés, algorithmés, normativés, avec des protocoles (et nul doute que la protocolisation des urgences pour certaines pathologies a rendu les nuls moins nuls mais les bons moins bons) de plus en plus longs et qui ne sont plus que des croix sur des formulaires, qui est de gérer l'incertitude. J'ai écrit un billet qui s'appelait, par provocation, "Ne pas être curieux", où je développais l'idée que l'expérience, l'intuition et la mesure devaient être les qualités primordiales du médecin généraliste afin de rassurer le patient sur sa maladie et ne pas le rendre malade (ICI). Des Spence, médecin généraliste écossais éditorialiste au BMJ, actuellement en année sabbatique, a écrit des choses merveilleuses sur le sujet.
Voici par exemple et, d'une certaine façon, cela va dans votre sens, mais pas dans celui des centres médicaux avec possibilité de faire des examens complémentaires (LA) : Spence commence par ceci : un aspect économique négligé est celui de la fonction primordiale de la médecine de premier recours qui est de faire barrière (gatekeeper). Les coûts de la santé publique sont liés aux coûts hospitaliers, poursuit-il. L'efficience de la médecine générale doit être jugée ainsi : une analyse de sang coûte quelques dizaines d'euros, une consultation externe quelques centaines, une admission en urgence quelques milliers. La valeur de la médecine générale ne tient pas à ce qu'elle fait mais à ce qu'elle ne fait pas.
Pour cela il faut avoir du temps. Mais on pourrait appliquer cette dernière phrase aux urgences : La valeur des services d'urgence tient à ce qu'ils font en cas de maladies urgentes graves et à ce qu'ils ne font pas en cas de maladies "urgentes" bénignes.
Pour cela il faut avoir du temps.
Nous en convenons. Les protocoles des urgences prennent du temps et de l'argent (n'oublions pas, on omet souvent de le dire, du poids économique que représente le service des urgences dans un hôpital, je veux dire du poids économique bénéficiaire pour les finances de l'hôpital malgré la montagne des impayés dont le recouvrement, parlez-moi du Tiers Payant Généralisé délocalisé en médecine de ville désorganisée, est fait aussi par le Trésor Public) et il serait utile que les urgentistes seniors ou non connussent des notions banales en médecine comme les couples spécificité / sensibilité et Valeur prédictive positive / valeur prédictive négative, ce qui permettrait de résoudre quelques impatiences dans les laboratoires et les services de radiologie attenants.
Trop d'IRM aux urgences tue l'IRM.
Plus le médecin urgentiste est expérimenté et moins on fait d'IRM.
Je n'ai pas encore parlé des Services d'Urgences Non programmés dans les cliniques privées pour lesquelles un billet entier serait nécessaire.

Ainsi, l'afflux aux urgences est aussi lié, vous n'y êtes pour rien, au Droit Imprescriptible des Citoyens à être en Bonne Santé et Tout de Suite !

J'ajoute, pour faire bonne mesure, que si des critiques sont émises sur la façon dont certains médecins généralistes "adressent" leurs patients aux urgences, je les prends en compte.
Mais il serait également utile que les patients adressés par leur médecin traitant aux urgences (avec une lettre tapuscrite éclairée) soient pris en charge avec plus de soin, si j'ose dire, que le patient tout venant qui vient pour un arrêt de travail.

Donc, si les urgences de l'Hôpital Lariboisière (Paris) sont débordées c'est à cause de la désorganisation de la médecine de ville. 
Circulez, y a rien à voir.

Amen.


Notes
(1) Je n'ai jamais compris, mais on va m'expliquer, que sur France-Culture les informations de 8 heures soient à la même heure que celles de France-Musique, certainement une exigence syndicale pour qu'il y ait deux rédactions distinctes et qu'ils disent la même chose, ou presque, au même moment, et moi, quand j'écoute l'une ou l'autre des radios, je veux écouter de la culture et de la musique, pas des infos générales avec des resucées des différentes chaînes de radio-France... je passe, c'est pas le sujet...
(2) J'aimais écouter Philippe Meyer à 7 heures 56 et on me l'a enlevé, le Meyer, et les émissions de Marc Voinchet devenant d'un gnan gnan terrible, je tente d'écouter la chronique de Dany le rouge sur Europe 1 à 7 heures 55... d'où...

Crédit photographique : Bali-Sanglah Public hospital. ICI pour illustrer l'hôpital Baliboisière (Paris) 

dimanche 14 septembre 2014

La génétique individuelle n'est pas l'outil d'une médecine prédictive et individualisée.


Gunther Anders a écrit (1) : "Ce qui est faisable est obligatoire et rien ne pourra être empêché."

L'éthique médicale risque d'être ensevelie par les demandes techniques sociétales. Si un médecin refuse de prescrire ou de pratiquer un geste technique (une échographie, un scanner ou une IRM) le citoyen ira en voir un autre et il en trouvera bien un autre qui acceptera ; si un médecin refuse de prescrire un médicament qu'il considère comme dangereux, inapproprié ou simplement inutile, le citoyen trouvera un autre médecin pour le lui prescrire ; si un médecin refuse de faire le diagnostic d'une maladie qui n'existe pas (la fibromyalgie ou le TDAH - trouble déficit de l'attention / hyperactivité) le citoyen ira consulter un autre médecin qui se fera un plaisir non seulement de diagnostiquer mais de prescrire des médicaments ; si un médecin considère qu'une pratique lui paraît contraire à l'éthique le citoyen ira voir ailleurs ou à l'étranger (l'exemple de la grossesse pour autrui en est emblématique) pour assouvir son désir.
Puisque les choses existent, réalisons les et les médecins qui s'y opposent seront considérés comme des réactionnaires, des passéistes, des empêcheurs du progrès ininterrompu, voire des bourreaux ou des autoritaires, des individus nuisibles s'opposant au désir, et, sans nul doute, c'est ce qui se profile,  le processus est déjà entamé : les médecins déviants seront remplacés par des non médecins, dont l'éthique est tout aussi forte, n'en doutons pas, mais qui commenceront par être éblouis par la promotion sociale qu'on leur octroiera avant de réfléchir au cadeau empoisonné qu'on leur aura offert, voire par des robots pilotés par des techniciens (le rêve de Guy Vallancien). Mais, dans l'intervalle ou de façon concomitante, des médecins accepteront pour être dans le vent, pour participer à l'aventure de la science, pour, tout simplement, gagner de l'argent, ce qui, on l'avouera, n'est pas une perspective condamnable, de prescrire de la ritaline chez des enfants turbulents, des stimulateurs de l'ovulation chez des femmes pressées, des mastectomies bilatérales chez des femmes anxieuses, des traitements de troisième ligne pour des malades condamnés, et cetera.

Il est donc désormais possible pour environ 1000 dollars US de séquencer son génome personnel et  les marchands du temple et les apprentis-sorciers (qui ne sont pas toujours les mêmes) ont depuis longtemps martelé l'idée que c'était la voie royale qui s'ouvrait pour une médecine personnalisée et prédictive

Qu'en est-il en réalité ?

Le fantasme induit par la génétique individuelle (le séquençage) est celui de penser qu'il existerait un destin immanent non lié à une croyance religieuse (mais ce n'est pas incompatible) mais à une inscription dans les gènes qui définirait a priori l'avenir de chaque homme, de lui-même, de sa famille et de sa société. Cette terrible perspective, les exemples anciens de la tragédie grecque font froid dans le dos, se situe bien entendu dans l'éternel débat entre l'inné et l'acquis (on notera que les partisans acharnés de la génétique toute puissante ont accaparé l'environnement qu'ils ne reconnaissaient pas  comme déterminant par le biais de l'épigénétique) mais aussi dans le débat perdu d'avance entre hygiène et médecine.
Le discours sur la génétique individuelle est peu ou prou une resucée de la stratégie de Knock (disease mongering)  (voir ICI), faire de toute personne en bonne santé quelqu'un de potentiellement malade, ou, comme le disait le docteur du Boulbon (voir LA dans la section Une note littéraire) faire une nouvelle inoculation de l'idée d'être malade dans des organismes sains.
On ne s'étonne pas alors que le capitalisme néo-libéral se soit emparé du sujet : c'est un marché porteur et rentable pour la bio-économie. Céline Lafontaine en a parlé très bien dans un livre remarquable (voir ICI). Comme je l'ai dit mille fois nous sommes au carrefour de l'hédonisme, du culte de la santé parfaite, du consumérisme, du néo-libéralisme, du libéralisme, du self, du libertarianisme, de la négation de la mort, et, plus généralement, pour parler trivial, du je m'en foutisme généralisé : je fais ce que je veux et quand je veux et j'emmerde tout le monde au nom de mon ego.
Mais les citoyens non malades ou futurs malades ont été instrumentalisés ou se sont auto-intoxiqués par le fantasme de la médecine triomphante qui fait croire à tous que l'allongement de l'espérance de vie serait liée à la médecine et non à l'hygiène (une notion sale) ou au statut socio-économique des citoyens (voir en particulier un entretien récent avec Nortin Hadler qui souligne que 20 % de l'allongement de l'espérance de vie seulement peut être attribué aux effets de la médecine : ICI).

Mais passons aux éléments de cette discussion.

Un numéro de la revue Esprit (2) rappelle quelques faits et je me permets ici d'en résumer la teneur non sans vous conseiller de vous abonner à cette revue qui aborde nombre de sujets "modernes" avec un éclairage oblique et, pour le coup, prospectif, non sans parfois et malheureusement donner dans l'air du temps (les bons sentiments).

Arnold Munnich (du département de génétique de l'hôpital Necker à Paris) précise d'abord que l'expression médecine prédictive n'est pas utilisée dans son activité professionnelle (page 66) alors que d'autres auteurs dans le même numéro de la revue ne se privent pas de manier le concept (pages 33, 35 ou 39) et que les assureurs et les législateurs ne se font pas faute de l'instrumentaliser (pages 44-51). Il ne s'en sert pas, dit-il, et il ajoute même, tout comme Paul-Loup Weill-Dubuc, on le verra plus loin, qu'il s'agit d'une imposture : pour plusieurs raisons. D'abord, prédire c'est médire, c'est à dire que la prédiction est une sorte de malédiction (alors que les médecins ne savent ni si la maladie se déclarera, ni quand elle se déclarera et pas plus quelle sera son intensité), ensuite, ce qui est important c'est de nommer alors que sur les 20 000 petits patients (malades) qui consultent chaque année à Necker pour maladie génétique, un diagnostic de maladie n'est porté que chez un quart d'entre eux ! Comme on l'a vu le diagnostic ne dicte pas le pronostic, c'est à dire que les jeux ne sont pas faits (3). Arnold Munnich dit même ceci : "Je vois tant de couples brisés par des paroles meurtrières, prononcées à la sauvette dans un couloir..."
Arnold Munnich répète que la médecine prédictive est une imposture, voire une escroquerie.
D'abord parce que a médecine dite prédictive n'a en fait de valeur que collective et n'informe que d'un sur-risque possible quand par exemple, dans une population, on détecte qu'un variant de l'ADN est associé à un accroissement du risque relatif d'obésité, de diabète ou d'infarctus. Mais ce risque relatif est marginal, de l'ordre de 1,1 à 1,2 !
Ensuite, le fantasme de la médecine prédictive pourrait faire oublier la prévention qui est de rechercher une prédisposition chez un apparenté à risque et de lui proposer, si elle existe, des mesures préventives et / ou curatives (maladies cardiovasculaires, cancers...).

Dans le cas des maladies neurogénétiques entraînant un handicap non présent à la naissance (3) le paradoxe vient de ce que les tests génétiques présymptomatiques"prédisent" quelque chose pour laquelle il n'existe ni mesures préventives ni mesures curatives à proposer après la réalisation du test.  Comme l'écrivent Marcela Gargiulo et Alexandra Durr (4) dans le style ampoulé de la psychologie freudo post freudienne : "L'annonce du résultat du test conduit le sujet à réaliser un travail de deuil anticipé d'une normalité avec laquelle il se construit." (page 53) Cet article rapporte de nombreux faits qui soulignent la difficulté de la pratique de ces tests présymptomatiques et les implications psychologiques et existentielles de ces séquençages font froid dans le dos. Dans le cas de la maladie de Huntington la transmission (autosomique dominante) peut toucher un enfant sur deux et à chaque grossesse. Les statistiques des auteurs indiquent qu'après entretien pluridisciplinaire 46 % des personnes n'ont pas souhaité pratiquer le test ; que les personnes dont le test est négatif n'explosent pas de joie mais se sentent parfois coupables par rapport à leurs frères et soeurs ou se sentent mises à nu par le fait qu'elles ne sont pas malades ; que les demande de test prénatal après test présymptomatique défavorable restent faibles (n'oublions pas que des femmes non malades mais qui peuvent l'être ensuite peuvent transmettre la maladie à un enfant sur deux) : voici une phrase des deux auteurs qui mériterait une thèse de doctorat : "Le faible taux des demandes de diagnostic prénatal dans la maladie de Huttington chez les porteurs du gène pourrait révéler que le désir d'enfant répond à d'autres lois que celles du risque génétique."

Ce séquençage individuel a des implications sociétales fortes et notamment dans le domaine des assurances. Article très clair (5) sur les différentes régulations existantes avec leurs avantages et leurs inconvénients : a) laissez faire où les assureurs sont en droit d'exiger un test génétique (Canada, Australie, Chine, Japon, Corée du Sud, Russie), c'est à dire que l'antisélection (le fait de cacher ses maladies à son assureur, ce qui entraîne l'assureur à augmenter ses primes pour tout le monde) n'existe pas (en théorie) et les assurés sont discriminés ; b) obligation de régulation (disclosure duty) c'est à dire qu'on ne peut exiger de tests génétiues mais ceux qui l'ont fait doivent le fournir : l'antisélection existe mais la discrimination est plus faible (Royaume Uni, Allemagne, Nouvelle-Zélande) ; c) règle du consentement (consent law) : les assurés ont le choix de faire un test, de garder le résultat pour eux ou de le montrer : les assurés ne sont discriminés que lorsque c'est à leur avantage (Pays-Bas, Suisse) ; d) interdiction stricte (strict prohibition) : les assureurs ne peuvent exiger de tests et ne peuvent prendre en compte les tests produits par les assurés (France, Belgique, Autriche, Italie, Israël, Norvège). Les deux derniers systèmes semblent plus favorables aux assurés mais on peut se dire qu'en ce cas les assureurs proposent des contrats moyens plus chers pour se couvrir.

Mais je voulais en venir à l'essentiel. Puisque le séquençage existe, que de plus en plus de citoyens vont le faire, il est bon de savoir comment appréhender le problème et notamment savoir comment l'interpréter et l'utiliser. Paul-Loup Weil-Dubuc a écrit un article brillant (6) qui prend comme présupposé que l'expression médecine prédictive est un abus de langage car elle n'est ni prédictive ni une nouvelle médecine et il s'intéresse au fait que la médecine prédictive exprimerait un désir, celui du dépassement de l'incertitude. 
Il s'agit donc, selon  l'auteur ni plus ni moins que d'un pari face à l'incertitude.
Il est possible d'envisager que nos gènes contiennent l'avenir de nos maladies futures et qu'il existerait un déterminisme, certes relatif, lié à un pangénomisme individuel, à une expressivité hypothétique des gènes et à un environnement favorable / défavorable auquel ces gènes (alias l'individu) sont soumis...

L'auteur propose alors deux paris concurrents pour dépasser l'incertitude :
  1. L'incertitude proviendrait de l'incompétence (provisoire) de la science : ainsi, ce pari épistémique, leibnizien, dit que le futur est contenu tout entier dans le présent et dépend seulement du développement des sciences. On pourrait aussi l'appeler le pari du dépassement de l'incertitude.
  2. L'incertitude serait ontologique : il demeurera toujours dans la réalité une incertitude irréductible. On peut appeler cela le pari de la tolérance de l'incertitude : notre incertitude est définitive en raison de l'imprévisibilité irréductible de la réalité.
L'auteur propose alors 4 raisons en faveur du pari de la tolérance de l'incertitude :
  1. Prévention : le deuxième pari est avantageux car il n'exclut pas la prévention et ses éventuels bénéfices mais n'en fait pas une garantie de succès pas plus que son absence n'est censé exposer à la maladie de façon certaine.
  2. Responsabilité médicale : selon le deuxième pari les médecins sont davantage jugés sur la qualité des interventions qu'ils mettent en oeuvre pour faire face à l'incertitude que sur leurs seules capacités à empêcher la maladie ou la mort.
  3. Le corps : selon le deuxième pari il est possible de faire confiance au vécu du corps dans sa capacité à surmonter les événements qui le menacent.
  4. La solidarité collective : le deuxième pari suppose que les individus sont égaux face aux accidents qui peuvent leur arriver, ce qui leur permet de s'assurer collectivement.
Conclusion : Un collègue américain d'Arnold Munnich a eu l'imprudence de séquencer son propre génome et il a appris qu'il était porteur d'une maladie génétique rare et mortelle, la leucodystrophie, et qu'il ne devrait plus être en vie. Ainsi, nombre de citoyens "séquencés" deviennent des malades imaginaires parce que les données dont on dispose sont difficiles à filtrer et à décoder. La médecine prédictive est donc inhumaine.




Références.
(1) Günther Anders. L'obsolescence de l'homme. Tome 2. Sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle. Paris, Fario, coll. Ivrea, 2011, 428 p
(2) Revue Esprit. Médecine : prédictions à risques. 2014, 406 : 17-74
(3) Par exemple : maladie de Huntington, ataxies cérébelleuses, myopathie fascio-scapulo-humérale...
Un exemple récent rapporté aux Etats-Unis est anecdotique (ICI) sur la découverte de parents ignorés mais, après tout, cela existait déjà lors des réunions chez le notaire après un décès.
(4) Anticiper le handicap. Les risques psychologiques des tests génétiques. Revue Esprit. 2014, 406 : 52-65
(5) Bardey David, De Donder Philippe. Quelles assurances face aux nouveaux risques ? Revue Esprit. 2014, 406 : 44 - 51

Crédit photographique. Wikipedia. Inclusions nucléaires liées à la Huntingtine mutée (en jaune orangé) dans le cadre de la maladie de Huntington.

dimanche 7 septembre 2014

Ma gynécologue est partie à la retraite : un problème ? Histoire de consultation 176.


Madame A, 37 ans, accompagne son père, hypertendu diabétique qui a du mal à se déplacer. Ce n'est pas "ma" patiente. Ou plutôt elle vient de loin en loin car "elle n'est jamais malade". D'un point de vue formel, je ne suis pas son médecin traitant alors que je "vois" ses enfants quand le pédiatre est indisponible mais je suis administrativement le médecin traitant de son mari que je connais depuis des lustres (35 ans).
Une fois que la consultation de son père est, presque, terminée...
"Docteurdu16, comment je vais faire parce que ma gynécologue est partie à la retraite ?
- C'est effectivement un problème, les gynécologues partent à la retraite et ceux et celles qui restent sont également proches de la retraite.
- C'est vraiment un problème. 
- Eh bien, vous avez... 37 ans (j'ai affiché son dossier à l'écran qui ne contient pas grand chose sinon un petit rhume et un gros rhume)... quel est votre intérêt d'aller voir une gynécologue ? Faire des frottis. C'est tout. J'ai vaguement vu qu'elle prenait une pilule estro-progestative de deuxième génération...
- Et ma pilule...
- Oui. Donc, on se résume, un frottis tous les trois ans et une prescription de pilule tous les ans. Si vous n'êtes pas malade entre deux, je crois que c'est faisable pour un cabinet de médecine générale."
Je repère un grand sentiment de solitude dans le regard de la patiente de 37 ans.
"Mais, Madame B, me faisait faire un frottis tous les ans et me donnait la pilule pour trois mois."
Oups.
Je tente avec difficulté de ne pas prendre mon air vindicatif, arrogant, excédé, donneur de leçon, défenseur des médecins généralistes, enfin, je prends mon air "naturel".
"Eh bien, je comprends pourquoi les gynécologues se disent débordées... Vous avez besoin, selon ce qui se dit en France et à l'étranger, d'un frottis tous les trois ans, d'ailleurs, j'aimerais que vous me rapportiez le dernier compte rendu de frottis, pour que je voie ce qu'il en est. Le frottis, vous pouvez le faire ici, au cabinet ou dans un laboratoire d'analyses médicales, vous avez le choix, mais aussi celui de trouver une ou un gynécologue. Quant à la prescription de pilule, ici, dans ce cabinet, c'est une fois par an.
- Ah... Et pour les mammographies ?
- Pardon ?
- Ben oui, la gynécologue m'a dit que je devrais bientôt faire une mammographie...
- Heu, y a-t-il des antécédents de cancer du sein dans votre famille ?...
- ... Non, je ne crois pas...
- Donc, en théorie, et sauf exceptions, le dépistage du cancer du sein par mammographie ne commence qu'à la cinquantaine... Et nous en reparlerons... lors d'un autre rendez-vous"

Bon, l'histoire est trop belle pour être vraie mais elle est vraie.
La disparition des gynécologues médicaux est une catastrophe car les frottis ne pourront plus être faits tous les ans, les pilules prescrites tous les trois mois et les mammographies hors procédures organisées tous les je ne sais combien...
Ainsi, le pourcentage de patientes chez qui un frottis n'est pas pratiqué dans les délais normaux est insuffisant, et la faute en incombe autant aux médecins traitants qu'aux gynécologues débordés, mais n'oublions pas non plus les patientes qui subissent des frottis en excès... de zèle. J'en avais déjà parlé ICI et avais développé de nombreux points.

Mais les partisans de gardasil / cervarix ont de bonnes nouvelles à annoncer : le taux de frottis a significativement diminué chez les patientes vaccinées vs non vaccinées en Australie (LA), ce qui signifie que les gynécologues seront moins débordés. C'était donc une plaisanterie sinistre à moins de croire par avance que gardasil / cervarix sont efficaces à 100 % contre le cancer du col.

Vous avez sans doute remarqué que je n'ai pas parlé des déserts médicaux...

PS. Mes chiffres de frottis ne sont pas bons selon les relevés de la CPAM (souvent fantaisistes). Je ne fais plus de frottis depuis longtemps en raison du fait, je l'ai déjà expliqué, que je suis un homme installé dans un "quartier" où les examens gynécologiques faits par des hommes non spécialistes sont très souvent refusés. Et cela m'ennuie d'essuyer des refus au petit bonheur...

(Image : Dubaï : ville et désert depuis presque le haut de la Burj Khalifa, 828 mètres. Photographie docteurdu16)

PS. Par une sorte de coïncidence, de corrélation ou de causalité (je laisse le débat ouvert) un certain nombre de blogs, dont celui du docteur Gécé (LA), de Dix Lunes (LA), de Farfadoc (ICI) et Sous La Blouse (LA) ont diffusé des textes et une affiche (faite par Sous La Blouse) que je reproduis ici qui parlent de la même chose ou presque que cette histoire de consultation 176.



mardi 2 septembre 2014

Pratique de l'autonomie illichienne en médecine générale. Histoire de consultation 175.


Il y a toujours un moment où l'on se pose des questions sur la théorie dans sa pratique quotidienne mais il est aussi nécessaire de mettre sa théorie à l'épreuve de sa pratique pour savoir ce qu'il en reste et, surtout, pour se remettre en question.

A mon retour de vacances je revois Madame A, 37 ans, que, pour des raisons pratiques tenant à l'exposé des faits (vous avez sans doute remarqué qu'il est rare en ce blog que je fournisse des indications ethniques sur les cas cliniques rapportés pour des raisons de confidentialité, certes, mais aussi pour ne pas faire de ces cas cliniques des cas d'école ou des démonstrations qui seraient fondées sur des données seulement sociologiques, culturelles ou... idéologiques et, on me le demande souvent, il est fréquent dans ces cas cliniques qu'un homme soit une femme et vice versa, je fais fi des genres avec mon esprit à la mode que tout le monde m'envie, ce qui fait que j'atteins facilement le point bobo) je vais présenter à la fois comme femme de ménage et comme d'origine malienne (pour les coupeurs de cheveux - crépus- en quatre, elle est née au Mali). Elle consulte avec son mari, manutentionnaire et Malien, et ils arborent (comme on dit dans les romans à deux sous) un beau sourire.

Je rappelle quelques éléments de la théorie illichienne qui ont inspiré depuis de nombreuses années  ma réflexion (je réserve pour plus tard la critique d'Ivan Illich par Thomas McKeown dans 'The role of medicine', courte mais passionnante, et ce que cela m'inspire) : la société s'est à tort médicalisée (on peut discuter sur le degré de médicalisation / sur médicalisation comme l'a fait Marc Girard, par exemple à propos du corps des femmes) et on peut s'interroger sur qui a commencé, c'est à dire si la médecine a forcé la société à se médicaliser ou si la société a exigé de la médecine qu'elle règle des problèmes qui, de tout temps, n'étaient pas médicaux ; les adversaires d'Illich prétendent que c'est le progrès qui a rendu des pans de la vie "médicaux" (soigner des infections, surveiller les grossesses ou remplacer des coeurs), Illich a lui tendance à dire que c'est la technique qui a fait miroiter à la société des solutions médicales à des problèmes anthropologiquement non médicaux ; à l'échelle historique et de façon globale l'hygiène est plus déterminante que la médecine pour diminuer la morbi-mortalité (Illich et McKeown sont d'accord sur ce point) mais il faut cependant moduler en fonction des pathologies, des époques et des lieux (j'y reviendrai ailleurs) ; les grandes institutions de la société industrielle (santé, école, transports, énergie) sont contre-productives (rappelons cette statistique effrayante et que nous avons du mal à imaginer : 30 % des patients traités pour une infection à l'hôpital l'ont attrapée durant leur hospitalisation) ; mais venons-on au fait central : Illich préconise l'autonomie de l'individu et de son entourage contre l'hétéronomie de la technique (voir ICI) et il donne des exemples convaincants, d'autant plus convaincants que le corps médical et les industriels ont intérêt à élargir leur champs d'intervention (et de vente) : le deuil de son conjoint est, par exemple, devenu une maladie alors qu'auparavant c'était une situation existentielle qui se traitait en famille ou dans un cercle d'amis ; il faudrait développer à l'infini ce dernier point car le concept d'autonomie est d'une complexité inouïe et peut autant renvoyer à la common decency orwellienne qu'au libertarianisme  états-unien... Fin de la parenthèse. 

La première fois que Madame A est venue me voir, seule, elle va très mal. Elle est effrayée, elle n'arrive pas à dormir, mais pas du tout, elle a des crampes dans le ventre, le coeur qui bat vite, et cetera. En gros elle fait une énorme crise d'angoisse généralisée. Elle a peur de mourir. Elle a peur de dormir et de ne pas se réveiller. Elle pleure et elle se tient la poitrine. Et comme souvent en ces circonstances elle pense que c'est organique et cette accumulation de symptômes angoissants lui fait craindre le pire, une maladie grave, un cancer. Elle veut, bien entendu, une prise de sang et un scanner corps entier (regarder Dr House est mauvais pour la santé) pour savoir. Mon refus ne la rassure pas. Bien au contraire.
Je suis incapable de l'interroger sereinement et elle est incapable de me parler sereinement mais l'angoisse de mourir l'empêche de se comporter "normalement" avec son mari, ses enfants et elle arrivait jusqu'à présent à travailler.
Je lui prescris une benzodiazépine et un hypnotique (que la police du goût me pardonne...) : double hétéronomie : elle consulte un médecin et le médecin lui prescrit des médicaments pour une "pathologie" qui, en Afrique, aurait nécessité de l'autonomie communautaire (ce qui tend là-bas aussi à disparaître). Je lui prescris également un court arrêt de travail bien qu'elle semble aller mieux quand elle travaille. Mais elle est épuisée.
Dans notre entretien confus et incompréhensible et en raison du fait qu'obtenir un rendez-vous dans une structure psychaitrique demande entre une décennie et unsiècle, je réussis à lui glisser le conseil  de parler autour d'elle pour se faire aider, son mari, quelqu'un de sa famille, une amie. Début de la rupture d'hétéronomie ?

La deuxième fois qu'elle consulte, trois jours après, elle ne va pas mieux, mais elle est accompagnée d'une cousine. Symptomatologie identique, angoisse dans le même métal, mais elle a parlé à son mari et à sa cousine. La cousine intervient : "Nous avons perdu récemment notre grande soeur au Mali qui est morte brutalement et sans cause apparente et c'est la raison pour laquelle elle est mal, elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle a peur de mourir et d'aller la rejoindre. Et elle ajoute : "Une de nos cousines qui vit à Dakar, loin du village où est décédée notre grande soeur, est dans le même état, enfin elle a peur de mourir..." (Ma réaction en direct : ainsi, nous entrons en plein, non, je plaisante, en pleine théorie mimétique (voir René Girard) avec deux protagonistes qui ont les mêmes symptômes à des milliers de kilomètres de distance.)
La patiente sourit vaguement. J'ai également oublié de dire qu'elle n'a pas pris le traitement que je lui ais prescrit : elle ne voulait pas prendre de médicaments.
Nous avançons un peu.
La patiente commence à parler de sa grande soeur mais les manifestations d'angoisse sont encore au premier plan et elle s'inquiète encore plus : elle est certaine d'avoir un problème au ventre et veut une radio. Je tente de lui expliquer que... La cousine ajoute que son mari pense qu'elle a une maladie et qu'il la pousse à faire des examens.
Je conseille à nouveau les discussions familiales. J'apprends alors que la cousine qui présente  exactement les mêmes symptômes a commencé quelques heures avant que ma patiente n'exprime la même chose, ce qui beaucoup impressionné la famille des deux continents quand elle l'a appris.
Je demande : "Avez-vous parlé à votre soeur ? - Non. Elle ne veut pas."

La troisème fois qu'elle consulte, son mari est avec elle. Elle a fini par prendre les médicaments et elle se sent (un peu) mieux mais "ce n'est pas tout à fait cela". Le mari est inquiet et convient que c'est la mort de la soeur qui a tout déclenché. Il a beaucoup réfléchi et se demande comment il ferait s'il avait peur de mourir. "Au village", me dit-il, "il y a un marabout qui fait des prières mais il n'y croit pas beaucoup... Ma femme ne pourrait-elle pas aller voir un psychiatre ?" Je me tourne vers sa femme qui sourit et qui dit qu'elle veut bien tout essayer. Cela va être difficile en cette mi juillet de trouver un rendez-vous au CMPA (dispensaire de secteur où les effectifs ne cessent d'être réduits) mais je fais un courrier en expliquant qu'elle verra d'abord un infirmier ou une infirmière puis un psychiatre. C'est OK.

A mon retour de vacances je revois donc Madame A qui a repris son travail : elle se sent mieux. Elle continue de parler avec sa cousine de France et maintenant elle parle aussi avec sa cousine qui vit au Sénégal. Elle a vu une infirmière au CMPA et elle verra un psy mi septembre. Nous n'avons rien réglé. Nous n'avons pas encore pu parler au fond pour des raisons conceptuelles (même si cette femme parle parfaitement le français) mais elle va mieux. Elle prend actuellement comme traitement un zolpidem au coucher et un alprazolam 0,25 dans la matinée. C'est tout.
J'ajoute que Madame A a appris une expression au CMPA : faire son deuil. Je ne sais pas si faire son travail de deuil va l'aider mais une nouvelle notion est entrée dans son esprit : elle est de plus en plus imprégnée de la culture toubab.


L'histoire n'est pas terminée.
Madame A n'est pas guérie mais a commencé à aller mieux grâce à son entourage et dans sa culture familiale. On peut dire aussi qu'avec le temps, va, tout s'en va. Que les benzodiazépines l'ont aussi aidée (à dormir).
Je ne suis pas assez sot pour dire qu'Illich a raison, je dis simplement que j'ai pensé à Illich en recevant plusieurs fois la malade et deux membres de sa famille, que j'ai pensé à l'autonomie illichienne versus le tout médecine ou le tout psychiatrique.
Je suis un toubab qui, au cours de ces consultations, a pensé à Freud, à René Girard, à Georges Devereux, à Ivan Illich et aussi aux benzodiazépines.

Medical nemesis. 1975. Vous pouvez en lire le premier chapitre en anglais  ICI.

jeudi 28 août 2014

Brèves (médicales) de vacances


Pour ceux qui auraient vraiment déconnecté pendant les vacances, ce qui semble être une solution élégante pour prévenir le burn-out, voici quelques idées glanées ici et là que je tenterai de développer plus tard (mais je suis certain que je n'en aurai pas le temps).

Mes amis les oncologues...
Je tenterai d'éclaircir le cas Nicole Delépine que j'avais encensée ICI pour les questions qu'elle posait sur la protocolisation extensive des patients. Il semble, d'après des sources dignes de foi, qu'il faudrait se méfier. Se méfier de la personnalité elle-même de la professeure et se méfier de ses soutiens (anti vaccinalistes et extrême-droite). Mais il est évident que les constatations que je fais constamment sur la façon dont les patients porteurs d'un cancer sont pris en charge ne peuvent que me rendre attentif à quelqu'un du sérail qui ose dire ce que personne ne dit.
Si quelqu'un veut bien s'y mettre...
Je suggère également à la personne qui aurait le temps de se pencher sur le sujet d'une enquête sur les financements, les pratiques, les médecins de l'Institut Gustave Roussy qui fait la pluie et le beau temps sur les prises en charge et les traitements dans le cancer : une fondation privée implantée au centre de l'Etat et profitant des décisions de l'Etat. A suivre.
Toujours est-il que je découvre un article estomaquant dans le JAMA (ICI pour l'abstract et LA pour l'article) : les 71 molécules anti cancéreuses (tumeurs solides réfractaires et / ou métastasées et / ou avancées) approuvées par la FDA entre 2002 et 2014 ont augmenté l'espérance de vie de 2,1 mois en moyenne et au prix moyen de 10 000 dollars par traitement sans compter de sévères effets indésirables (voir LA un commentaire Minerva). Merveilleux !

La pilule estro-progestative pourrait entraîner un sur risque de cancer du sein. L'article publié dans le journal américain Cancer Research est lisible in extenso LA. Il pose de réelles questions même s'il concerne les forts dosages en estrogènes. J'avais abordé ce sujet lors d'une réunion Prescrire en 2012 où intervenait Peter Götzsche (voir LA). Il m'avait dit ne pas avoir d'informations sur le sujet et un chercheur français, Philippe Autier (ICI), m'avait renvoyé dans les cordes avec autorité. Nul doute que les données japonaises (pays où il y avait peu de cancers du seins et peu de contraception estro-progestative, ce qui achangé désormais) sur les liens entre cancer du sein et contraception devront être envisagés dans les années qui viennent... à moins que l'augmentation considérable du nombre des cancers du sein au Japon ne soit liée, comme le suggère Götzsche, qu'à l'augmentation du nombre des mammographes...
Il est évident que nous avons besoin de confirmations et d'autres travaux mais, pour le moment, cette information doit être cachée, les femmes ne doivent pas le savoir, car, selon les socio-historico-anti hygiénistes (voir LA), l'avancée majeure scientifico-sociétale de la contraception ne saurait se satisfaire de propos contraires au progrès.


Formidable offensive pro vaccin anti HPV dans le British Medical Journal.
Dans le même numéro un éditorial (ICI) et un point de vue (LA) insistent sur l'impérieuse nécessité de vacciner les garçons contre le HPV. Je suis choqué. Non par seulement par le contenu de ces articles mais par le fait qu'il s'agit de publi-reportages :
L'éditorial est écrit par trois auteurs (Margaret Stanley, Colm O'Mahony et Simon Barton). MS signale comme liens d'intérêts : "member of scientific advisory boards for GSK Biologicals, MSD Merck, and Sanofi Pasteur MSD and has received consultancy fees from these companies)" ; CO : has received lecture fees from GlaxoSmithKline and Sanofi Pasteur MSD) ; SB : no competing interests. Ils s'autocitent (première référence) avec un éditorial de 2013 où CO et SB have received lecture fees from GSK and SPMSD. On comprend mal que SB, entre 2013 et 2014, soit passé du statut de liens d'intérêts à indépendant de big vaccine.
Quant au point de vue personnel de Gillian Prue (affiliée au HPVAction.org dont il n'est pas possible de savoir s'il y a ou non des sponsors, il ne cesse de citer des articles sponsorisés par GSK, Sanofi Pasteur MSD...
Que fait le BMJ ?


Les médicaments pour traiter l'hépatite C sont trop chers.
Nous avons assisté à un feuilleton politico-médiatique concernant cette affaire et c'est un repenti, JF Bergmann, lui qui fut au centre d'un système qui se tut pour le Mediator, qui a écrit un article lumineux  sur le sujet : big pharma met le paquet sur le prix des médicaments anti hépatite C car la maladie est en train de disparaître ! Lire LA.

La génétique au service de la médecine "prédictive" est une imposture.
Un numéro de la Revue Esprit est consacré à ce sujet (ICI). Je retiendrai essentiellement ceci : il n'existe pas d'un point de vue génétique de médecine "individualisée" (pour 1000 dollars il est possible d'obtenir de décryptage de son génome) car la génétique est avant tout, et sauf exceptions, une science des populations. J'essaierai d'expliquer les deux versants du pari génétique : épistémique et ontologique. C'est fait ! ICI

Une note littéraire.
Je lis le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust écrit par les Enthoven père et fils et je tombe sur une entrée consacrée au docteur du Boulbon ou plutôt à l'albumine mentale. Je ne me rappelais pas que ce médecin était l'ancêtre de Knock de Jules Romains (et du disease mongering anglo-saxon, voir LA) et je vérifie que Proust a bien écrit avant Jules Romains : avant, mais de peu (1922). Les Enthoven m'apprennent que le docteur du Boulbon faisait parfois attendre ses patients jusqu'à ce qu'il ait terminé la lecture d'un livre...
Passage savoureux dans Proust (La Recherche Tome II, p 303 - La Pléiade 1952). La grand mère du narrateur, malade, s'adresse au docteur :
"Mais j'ai aussi un peu d'albumine.
- Vous ne devriez pas le savoir. Vous avez ce que j'ai décrit sous le nom de l'albumine mentale. Nous avons tous eu, au cours d'une indisposition, notre petite crise d'albumine que notre médecin s'est empressé de rendre durable en nous la signalant. Pour une affection que les médecins guérissent avec des médicaments (on assure, du moins, que cela est déjà arrivé quelquefois), ils en produisent dix chez des sujets bien portants en leur inoculant cet agent pathogène, plus virulent mille fois que tous les microbes, l'idée qu'on est malade..."
Je propose donc que la stratégie de Knock soit remplacée par la stratégie de du Boulbon (voir LA) et que l'on rende à Marcel (dont le père et le frère étaient médecins) ce que l'on attribue à tort à Jules.
(PS du 25/08/19 : Luc Perino a "pompé" mon billet en date du 15/01/19)

Un article de blog utile.
J'étais passé à côté d'un billet remarquable (un peu trop enthousiaste à mon goût sur les vertus de l'administration) du docteur Milie (ICI) qui concerne le travail de nos patients et ce qui peut leur arriver (arrêts, invalidité). On y trouve des conseils pertinents.

(Chicago : photographie du docteur du 16)

samedi 16 août 2014

Simon Leys est mort.


Simon Leys est mort le 11 août dernier à l'âge de 78 ans.

Cet homme courageux est le chaînon manquant.

Courageux : continuateur des whistleblowers il a été le premier à dénoncer, non d'un point de vue idéologique mais de manière factuelle, l'imposture formidable de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne et de la voie chinoise du communisme. C'était en 1971 "Les habits neufs du Président Mao".

Chaînon manquant : il a permis aux hommes et aux femmes de gauche (pas tous, malheureusement) de mettre une distance définitive entre eux et le communisme moscovite ou pékinois et d'en finir avec le négationnisme des crimes du communisme (et pas seulement du stalinisme et du maoïsme) défendu encore au nom, pour les uns, de la lutte contre le nazisme, et, pour les autres, de la lutte contre l'impérialisme américain. C'est le chaînon manquant qui permet de faire comprendre aux hommes et aux femmes de gauche qu'il n'y a pas de honte à ne pas être communiste, qu'il n'y a pas de honte à ne pas parler aux communistes négationnistes, qu'il n'y a pas de honte à ne pas les frayer tant qu'ils n'ont pas reconnu les crimes dont ils sont ou dont ils ont été complices. 

Mais son courage, celui d'avoir résisté aux "chiens", celui de ne pas avoir cédé devant les prophètes de l'Homme Nouveau, celui d'avoir résisté aux dénonciations, celui d'avoir continué de dire ce qui se passait contre les psychopathes de la gauche prolétarienne (je ne dirais pas les noms de Serge July, Olivier Rolin, André Glucksman, Gérard Miller, Jean-Claude Milner ou Marin Karmitz), contre les psychotiques de Tel Quel et apparentés (dont je tairais encore les noms comme ceux de Philippe Sollers, Julia Kristeva, Marcelin Pleynet, Roland Barthes, sans oublier Michel Foucauld - qui, égal à lui-même, soutint plus tard un autre autoritarisme, celui de l'Ayatollah Khomeini, ou Jean-Paul Sartre, l'homme qui se trompa sur tout...), son courage fut de continuer à écrire, à décrire... Mais il y a encore l'inénarrable Alain Badiou qui continue de "tout" justifier "pour ne pas céder à la réaction"... 

Le plus étonnant, finalement, ce sont les justifications actuelles des maoïstes de l'époque, ces hommes qui ont toujours eu raison, c'est leur obscurantisme, c'est leurs maigres justifications qui permettent de douter du moindre mot qu'ils peuvent prononcer sur n'importe quel sujet, en dépit, sans doute, de la common decency.

C'est le chaînon manquant qui permet, à distance, de relier Georges Orwell, Arthur Koestler, Albert Camus à la "grande" littérature, celle de Conrad, Michaux, Borges, Kafka ou Kundera. 
Mais il est aussi le chaînon manquant nous permettant de "comprendre" le génocide cambodgien et comment, de façon anecdotique, un diplomate français à Phnom Penh refusa qu'un journaliste français se mariât à une Cambodgienne pour lui sauver la vie parce qu'il savait qu'il était déjà marié... Et lire Leys renvoie à Rithy Pahn, homme admirable dont j'ai déjà parlé deux fois en ce blog. Un article de ce jour lu dans le journal Le Monde parle encore LA de la folie de la période. 

Simon Leys, dont la lecture devrait faire partie de l'hygiène de l'homme du vingt-et-unième siècle, a écrit de nombreux livres dont en 2012 "Le Studio de l'inutilité", recueil de textes dont chacun des paragraphes, ou presque, pourrait alimenter la réflexion d'humains curieux de leur monde. Mais le reste de ses écrits mérite de l'attention, de la relecture, de la culture, de la documentation et, comme dirait Kundera, de la lenteur. Son admiration pour Georges Orwell mérite également toute notre attention de la part d'un écrivain que je qualifierais "à l'ancienne" de réactionnaire, mais c'est une autre histoire.

Vous pouvez lire une courte biographie de lui dans La Libre Belgique : LA.
Vous pouvez le voir à Apostrophes montrer son calme, son intelligence, et faire de MA Macciochi, ex communiste moscovite, au début pleine de suffisance, une vulgaire crétine ICI.
Pierre Assouline en dresse un portrait flatteur : ICI.

(Vous pourrez lire ici ou là des polémiques concernant Simon Leys. Ne vous en épargnez pas. Personne n'est parfait.)
(Vous remarquerez que Wikipedia est peu loquace à son sujet... ou peu disert... ou très étique...)

Je ne résiste pas, dans la série psychiatrie pratique, catégorie les psychopathes alzheimériens, à vous communiquer un texte laudateur, avec de nombreux extraits, sur le "Studio de l'inutilité" publié par des amis de Philippe Sollers. Le monde est fou. LA


jeudi 17 juillet 2014

Un quart d'heure bien rempli. Histoire de consultation 174


Madame A, 56 ans, est diabétique non id, hypertendue, et elle est "en invalidité" deuxième catégorie au décours d'un accident domestique (fracture grave de la cheville droite opérée, compliquée, neuro algodystrophie, douleurs, oedème, impotence fonctionnelle avec périmètre de marche très réduit) qui a entraîné une boiterie...

Madame A est charmante.
"Aujourd'hui", me dit-elle, "je viens vous embêter".
Elle a pris rendez-vous, elle est arrivée à l'heure, je suis à l'heure, et je grimace.
Elle est en effet coutumière du fait (je le lis dans le dossier et mon caractère s'en ressent déjà), et je ne sais pas encore qu'elle a quatre motifs de consultation que je vais les découvrir au fur et à mesure car c'est une maligne.
  1. Remplir le dossier MDPH pour "son" invalidité.
  2. Prolonger son ALD pour diabète non id.
  3. Lui represcrire ses médicaments.
  4. Lui fournir le matériel et la paperasse pour le test hemoccult.
N'oublions pas non plus que Madame A est avant tout un patiente et non un dossier administratif, il est donc nécessaire de l'interroger, de mesurer sa PA...

Le remplissage du dossier MDPH a été brillamment abordé par une collègue en son blog (LA). Elle a raison, la collègue, de nous expliquer tout cela, cela m'a gravement culpabilisé mais cela n'a pas rassuré mon cerveau rationnel. 
Nous ne sommes pas des assistantes sociales ! Ce n'est pas une déclaration de haine ou de dédain pour les AS, non, c'est tout le contraire : la complexité de l'affaire mériterait que les AS, au lieu de dire, dans 97,32 % des cas (plus les chiffres sont "précis" plus ils sont faux), "Voyez avec votre médecin, c'est lui le manitou, y sait, y va vous remplir ça en moins de deux..." (et ne me dites pas, je vous vois venir, ce sont des propos de patients, il ne faut pas les croire, ils inventent, ils travestissent ce qu'ils ont entendu, parce que les patients racontent toujours la même chose et rapportent toujours les mêmes dires des AS quand ils déposent le dossier MDPH sur mon bureau -- quand ils ne le déposent pas sur le bureau de la secrétaire en lui demandant que je le remplisse, il me connaît, et fissa--, à moins bien entendu qu'il n'y ait un site Internet qui explique au patient, quand ils vont voir leur médecin traitant avec le dossier MDPH sous le bras, quels sont les éléments de langage pour  raconter ce que racontent les AS et rendre le médecin furibard...), les AS au lieu de nous "balancer" le patient et son dossier, elles devraient nous écrire un mot d'explication pour que l'on sache exactement pourquoi on est censé faire les choses. 
Donc, le dossier MDPH, c'est dans l'immense majorité des cas, d'un casse-pied absolu. Cela prend du temps, on ne sait pas par qui ce sera lu, dans quel contexte, quels sont les critères d'attribution, et cetera, malgré les explications du docteur Millie que je remercie encore pour ce billet éclairant. Dernier point : Madame A n'a pas rapporté les photocopies du dossier précédent effectué il y a 5 ans, document qui permet de se resituer par rapport à l'état antérieur de la patiente. Donc : médecin de mauvais poil.

Madame A est arrivée à un moment de l'après-midi où le remplissage en ligne des ALD n'est pas possible pour cause de je ne sais quoi. Il y a donc un imprimé CERFA à remplir... Ce qui va vite quand le dossier de la patiente est à jour. 

Represcrire les médicaments : nous entrons dans le sublime. 
Madame A refuse les génériques. 
Enfin, c'est plus compliqué que cela. 
Je dis en passant que les génériques sont une des plus grosses arnaques de la pharmacie et du néo libéralisme que je connaisse. Mais ce serait long à expliquer. Je m'y attellerai un jour. 
Pourquoi c'est complexe : Madame A refuse les génériques d'Hemi Daonil, ils lui donnent mal à la tête, les génériques du Renitec, ma tension monte, et... les génériques de la metformine... 
On s'explique ? C'est moi qui ai initié les traitements il y a longtemps. Pour l'Hemi Daonil, la dci (glibenclamide) a toujours été confusante pour moi avec celle du Diamicron (gliclazide), médicament Servier, qui a investi le champ de prescription des spécialistes de Mantes pour des raisons que la décence m'interdit d'expliquer ici, c'est pourquoi je continue de prescrire en nom de marque (et, promis, je ne me rappelle pas le ou la visiteuse médicale qui me l'avait présenté). Pour le Renitec, je ne sais même pas la dci par coeur (enalapril) et c'est un médicament que je prescris depuis plusieurs siècles... Le sublime pour la fin : le trio infernal glucophage / stagid / metformine est peut-être un problème médical mais c'est sans nul doute un problème sociétal complexe. Je résume le cas de Madame A : j'ai prescrit d'emblée de la metformine et elle la supporte bien tant est si bien qu'elle pense que le princeps, c'est la metformine et pas le Glucophage... qu'un médecin lui a prescrit ensuite un jour où je n'étais pas là et cela lui avait déclenché une diarrhée... Ainsi, contre toute logique, mais la logique des médecins est tout aussi mystérieuse, elle a un traitement composé de princeps et de génériques et elle ne veut pas changer. D'ailleurs, comme elle dit, "Je veux bien payer un supplément pour avoir 'mon' médicament." Le sous-entendu que j'ai entendu de nombreuses fois étant : les génériques c'est pour les pauvres, les "vrais" médicaments c'est pour les riches. Ne me demandez pas pourquoi cette patiente diabétique n'a pas de statine dans sa collection. Elle est intolérante complète aux statines quelles qu'elles soient. Bon, le LDL se ballade mais des petits malins m'ont dit que le LDL allait disparaître des esprits.

Fournir le matériel pour le dépistage du cancer du colon par test hemoccult. C'est un geste de prévention. Discuté : voir ICI et plus récemment LA dans le NEJM où l'on voit que le dépistage n'influe pas sur la mortalité globale. Cela prend un peu de temps pour les gens qui l'ont déjà fait et beaucoup, surtout les analphabètes de ma patientèle, quand c'est la première fois. Et c'est pas rémunéré ou très peu (je ne me rappelle même pas combien).

Que croyez-vous qu'il arriva ? 

J'ai rempli le dossier MDPH en râlant parce qu'elle ne m'avait pas rapporté le dossier précédent "resté sur la table du salon" ...
Pour l'ALD, j'ai mis quelques instants à remplir l'imprimé (mes dossiers sont à peu près tenus mais j'ai peur que la non mention de la statine et un taux de LDL supérieur à 1 ne collent des boutons au médecin conseil... on verra...).
Pour le reste : elle avait encore quinze jours de médicaments. Elle ira donc voir ma remplaçante, "Oui mais docteur je l'aime pas...", et moi : "D'abord elle est super sympa, ensuite, c'est toujours bien d'avoit un oeil neuf sur un dossier." On voit que je suis également un malin. "Mais, j'y pense, vous avez rapporté les résultats de votre prise de sang ? - Non, je les ai oubliés... - Sans doute sur la table du salon... - Mais je croyais que le laboratoire vous les adressait... - C'était avant..." Elle prendra donc rendez-vous avec ma remplaçante.
Pour l'hemoccult, je lui demande de repasser à la rentrée.
Elle a fait semblant de comprendre la situation.
Elle n'a pas payé car j'ai fait tiers-payant sur l'ALD.

Commentaire de mon voisin : De quoi vous plaignez-vous ? C'est quand même votre boulot de répondre aux besoins des patients pendant une consultation. Cette malade croyait bien faire et voulait vous éviter du travail. Les médecins ne sont pas pauvres. Arrêter de vous plaindre.

Enfin : On comprend ici que la médecine générale est compliquée et demande deux ou trois neurones, ce qui n'est pas donné à tout le monde et entraîne des complications relationnelles avec les patients qui n'ont qu'un rapport très lointain avec la médecine qui a été enseignée sur les bancs de la Faculté. 
(J'avais pensé dédier cette consultation et ce quart d'heure de célébrité à Arnaud Montebourg qui parle, qui parle, contre les professions réglementées, mais, en bon Français, je ne me suis pas senti concerné, quant aux notaires et aux greffeiers de justice, j'en suis moins certain et, quand même, ce Montebourg, c'est un type de gauche qui a quand même une tête de mec de droite.)


Notes
(1) J'ai déjà rapporté, ICI, que l'économie du cabinet de médecine générale (libéral) dans lequel j'exerce avec une associée et dont le personnel comporte une secrétaire et une femme de ménage est fondé sur une réalité incontournable : les consultations durent en moyenne 15 minutes et sont rémunérées 23 euro. 
On sait également que des rémunérations annexes s'ajoutent à ces 23 euro. Visites à domicile par exemple (dans 99 % des cas, j'exerce en ville, 33 euro) ; consultations pour les nourrissons (23 + 5 = 28 euro), pour les enfant entre 2 et 5 ans (23 + 3 = 26 euro) ; consultations et visites à domicile chez les patients de plus de 85 ans (et maintenant au premier juillet de plus de 80 ans) (soit respectivement 23 + 5 = 28 euro et 33 + 5 = 38 euro) (280 euro par trimestre ) ; forfait annuel médecin traitant (1640 euro) et j'en oublie.
Une rémunération pour les patients dont je suis le médecin traitant et qui disposent de l'ALD (les affections de longue durée) : 40 euro par patient et par an.
La sécurité sociale a ajouté le ROSP ou rémunération à la performance dont j'ai déjà parlé LA et qui rémunèrent un certain nombre d'items tenant à la fois à l'organisation du cabinet et à des critères de santé publique (sic) : j'ai touché 3400 euro en 2013 (je n'avais pas atteint mon seuil de télétransmission en raison de pannes itératives de mon logiciel Hellodoc et de l'incapacité d'Hellodoc à calibrer les cartes santé des remplaçants). Donc, en gros j'ai touché à peine un euro de plus par C. Et la Cour des Comptes pond un rapport ce jour pour critiquer cet euro (LA). 

Ilustration : Molière : Le Médecin Malgré Lui. 1666.