A la suite des commentaires que j'avais écrits lors de la publication du billet de Jean-Claude (
ICI) voici un texte qui me permet d’expliquer de façon plus précise ma position au sujet du manifeste-pétition des 30
Je ne prendrai pas de précautions oratoires excessives mais j’espère montrer
que ma position n’est pas sous-tendue par un souci de me démarquer ou par une volonté de critiquer tous azimuts mais par un souci de cohérence à la fois
éthique et pratique.
Le fond de mon argumentaire tient en une phrase : quand
on se pose en moralisateur, la moindre des choses c’est de s’astreindre à
respecter les règles qu’on voudrait imposer aux autres.
Cela n’est pas uniquement une
critique à valeur « morale » car présenter des médecins
assumant leurs nombreux conflits d’intérêts comme des références
sur le plan moral aura nécessairement un impact en pratique sur la
banalisation des conflits d’intérêts parmi les médecins.
Puisque cela implique qu’on pourrait être d’une grande exigence
morale, tout à fait lucide sur les médicaments, tout un acceptant
un grand nombre de liens financiers avec les laboratoires
pharmaceutiques. Ce qui a toutes les chances d’être faux puisque
la raison pour laquelle les laboratoires entretiennent ces liens
financiers est qu’ils peuvent en mesurer l’impact sur les
prescriptions et le chiffre d’affaires, indépendamment de la
qualité propre des médicaments.
Etes
vous contre la faim dans le monde ?
C’est, à peu près, à cela que revient de s’élever contre le
fait que des médecins continuent à entretenir des relations financières ou
autres avec le laboratoire Servier. Mais la persistance de ces relations n’est
qu’un témoignage particulier d’un phénomène beaucoup plus large et aux
conséquences tout aussi délétères et plus étendues, c'est-à-dire la
banalisation des relations financières des médecins (des médecins prescripteurs
aussi bien que ceux des agences) avec les laboratoires pharmaceutiques générant
des conflits d’intérêts de nature à brouiller le jugement des dits
médecins.
Les pétitions et manifestes ne sont pas faits pour obtenir
des résultats, qu’ils obtiennent très rarement, mais plutôt pour mettre en
avant des idées, pour informer ou exercer une influence [1]. Une des caractéristiques des pétitions est
d’être peu impliquante, sauf, évidemment, quand on s’expose personnellement en
les signant. Mais le plus souvent, comme le disait Jean-Claude, être parmi les
primo-signataires ou promoteurs d’une pétition permet surtout de s’exposer à la
lumière des projecteurs.
Puisque les auteurs du manifeste ont choisi d’associer, en
tant que signataires vedettes, censés représenter l’esprit même du manifeste,
des médecins entretenant couramment des relations avec divers industriels et
qui en nient néanmoins l’influence, la question devient : y a-t-il une
différence fondamentale de nature entre Servier, ses méthodes, les
conséquences de ces méthodes, et celles d’autres laboratoires avec lesquels
certains des signataires vedettes entretiennent des relations assidues et lucratives quoique non déclarées
dans ce manifeste ? Ma réponse est : « non », et je vais
argumenter.
Tout
le monde n’est pas pourri, mais tout le monde est influençable
Ca ne m’est pas agréable de prendre cette position à
contre-pied de ce manifeste, d’autant qu’il y a parmi les signataires des personnes dont j’apprécie
l’action et que je respecte, tels le sénateur Autain,
dont le travail extraordinaire en a fait la bête noire des lobbyistes au Sénat, ou Irène Frachon qui a
gardé une ligne de conduite exemplaire et a affiné son analyse au cours du
temps.
Je pourrais aussi citer Dominique Dupagne, dont je ne partage pas la vision centrée sur le
patient-roi de la médecine, patient à qui on devrait accorder tout ce qu’il
demande, y compris des traitements qu’on sait inutiles ou dangereux, mais qui a
fait un travail d’alerte et d’information souvent essentiel sur certaines
pratiques telles que le dépistage du cancer de la prostate par le PSA, entre
autres.
Contrairement à ce qu’on va certainement penser, je n’ai
rien non plus contre le professeur Grimaldi qui a une réputation d’intégrité
reconnue, mais je le pense sous influence. D’ailleurs, qu’il y a-t-il de plus
dangereux pour la santé publique qu’un médecin malhonnête sous influence ?
Un médecin honnête sous influence, bien sûr, parce qu’il saura effectuer comme
nul autre ces opérations de « blanchiment de médicaments »
que certaines grosses compagnies pharmaceutiques attendent des
leaders d’opinion et des associations de patients sous influence.
Un
livre qui prétend détenir la « vérité » sur les médicaments écrit pas
des médecins hospitaliers sous influence
Jean-Claude avait déjà cité les écrits d’Hippocrate et
Pindare concernant une interview d’André Grimaldi à la sortie du livre La vérité sur vos médicaments co-écrit
par 32 médecins hospitaliers dont Jean-François Bergmann et Irène Frachon. Ce livre prétend révéler
LA vérité scientifique en riposte à ceux qu voudraient relativiser la valeur de
la science.
Il reste qu’un jeune blogueur a fait la synthèse des
avantages financiers des auteurs de ce livre, telles qu’elles figuraient sur la
base des données transparence-santé : sur les 32 médecins co-auteurs du livre, 26 ont reçu des cadeaux de la part de
compagnies pharmaceutiques et certains ont multiplié les conventions avec elles
entre 2012 et 2014 [2]. Jean-françois Bergmann, par exemple, arrive en deuxième
position pour le nombre de conventions signées, avec 54 en plus de 5074 euros de cadeaux (repas, transport,
hébergement) que les laboratoires ont déclaré lui avoir versé. Pour André
Grimaldi 32 convention ont été signées et 1707 euros ont été versés.
Le collectif « regards citoyens », qui a fait un
formidable travail de compilation des informations sur les liens financiers
entre médecins et industrie pharmaceutique [3] explique que la publication des
données précises sur les conventions ont été empêchées par une circulaire de Marisol Tourraine, la
Ministre de la Santé, attaquée en justice par le Formindep devant le conseil
d’Etat, qui leur a donné raison. La publication de la nature et de la valeur
des conventions n’a pas été publiée néanmoins.
Il faut savoir que les laboratoires peuvent aussi classer
certains cadeaux dans la rubrique conventions, et ainsi les occulter. Les
contrats, quant à eux, classés dans les conventions, peuvent atteindre
10 000 à 40 000 euros. Leur valeur viendrait s’ajouter aux 244 millions
de cadeaux donnés aux médecins entre janvier 2012 et juin 2014. Il est probable que la somme totale se
compterait alors en milliards et permettrait de boucher en partie ou totalement
le fameux « trou de la sécu ». Ou bien apporterait de quoi financer
de une recherche publique indépendante.
Cet argent, qui fait partie du budget marketing des
laboratoires est le nôtre,
puisque, d’une manière ou d’une autre, collectivement ou individuellement, nous
payons les laboratoires. Le secteur pharmaceutique est un secteur
« ultra-protégé » comme le dit Bernard Dalbergue, ancien cadre de
l’industrie pharmaceutique, dans le livre co-écrit avec Anne Laure-Barret,
Omerta dans les labos pharmaceutiques, et il très subventionné. Il est protégé,
à la fois en raison de la porosité
entre personnalités politiques et dirigeants des laboratoires, parce qu’il
s’agit d’un secteur économique stratégique dans la compétition économique, et
parce que la santé est un bien essentiel et économiquement en perpétuelle
croissance.
On eût donc souhaité que les médecins signataires, se
réclamant d’une haute valeur morale, déclarassent les sommes perçues.
Irène
Frachon comme fil conducteur
C’est Irène Frachon que je veux prendre comme fil
conducteur. En effet, elle tient des propos tout à fait clairs et cohérents, y
compris dans le livre co-signé avec A Grimaldi et JF Bergmann.
Dans une interview au journal Le Monde [4],
elle prétend ne pas avoir de mérite à avoir su « rester
propre » : « J’apparais
comme « très propre », mais je ne l’ai pas toujours été. Ma chance est d’avoir
été formée, dans les années 1990, à l’hôpital Foch [à Suresnes,
Hauts-de-Seine], par la professeure Isabelle Caubarrère. Dans son service,
il y avait cette règle absolue : les visiteurs médicaux n’avaient pas le droit
d’entrer en contact avec les étudiants ou les médecins. Il n’y avait ni
petits-déjeuners ni réunions d’équipe sponsorisées par les labos. C’est elle
qui les recevait le samedi, sur rendez-vous, point. »
La chef de service de cet hôpital faisait exactement ce
que tous les commerciaux des laboratoires pharmaceutiques détestent :
poser un cadre clair où chacun garde sa position professionnelle de chaque côté
du bureau, le médecin s’occupe d’évaluer le rapport bénéfice/risque et le commercial
reste à sa place de commercial qui essaye de vendre. Il n’y a aucune ambigüité. Cela ne convient, bien sûr, pas du
tout aux commerciaux, dont tout le travail consiste à brouiller les frontières,
les limites entre relation professionnelle et amicale, en établissant une
pseudo-intimité, les limites entre travail du médecin et travail du commercial,
les limites entre intégrité professionnelle et corruption.
En tout cas, internes et assistants travaillant dans
les services des professeurs Grimaldi et Bergmann n’ont pas eu cette chance.
Comme 99% des médecins hospitaliers, ils ont été soumis à la présence
« amicale » constante de représentants des laboratoires qui leur ont proposé toutes sortes de services et d’avantages, et qui se sont occupés aussi
de leur formation, bien entendu, comme l’expliquait un médecin souhaitant
garder l’anonymat en mai 2010 sur le site du Formindep [5].
Il est tellement facile de tomber
dans les filets des laboratoires ! C’est aussi ce qu’explique Irène
Frachon dans cette interview. Le dispositif « d’hameçonnage » est
conçu comme un engrenage qui vous avale dès que vous y mettez le doigt. Par la valorisation de votre personne
(« nous avons besoin de vous »), par l’argent facile et les divers
cadeaux et avantages qu’on finit par penser devoir recevoir de plein droit,
puisqu’on rend un service. Irène Frachon n’a échappé à cet engrenage que par le
regard extérieur de son époux, qui lui a fait prendre conscience de la situation.
Et également parce qu’elle n’avait pas été pré-conditionnée à la banalisation
des conflits d’intérêts en tant qu’interne.
Dans le livre co-écrit avec A.
Grimaldi elle exprime une position très claire et sans ambiguïté :
« Les médecins hospitaliers ne devraient pas avoir le
droit d’être consultants pour l’industrie pharmaceutique. On peut faire une
exception encadrée pour la recherche clinique afin que des patients soient
inclus dans des essais cliniques des industriels, mais que des médecins puissent
être les VRP, aller dans leur board de consultant pour monnayer ce qui est en
réalité du conseil marketing, et répandre ensuite la bonne parole en étant
« ventriloques » des laboratoires (pour reprendre l’expression du Dr
Bernard Dalbergue …Omerta dans les labos pharmaceutiques…) cela devrait être
tout simplement interdit. »
Elle souhaite aussi que les laboratoires ne puissent pas
approcher les étudiants en médecine.
Mais Irène Frachon s’est fixée comme objectif prioritaire la
défense des victimes du Mediator et elle subordonne à cet objectif toute autre
considération.
André Grimaldi, un médecin ambigu et sous influence
André Grimaldi n’est pas d’accord avec Irène Frachon sur le
point de la nécessité de mettre fin aux conflits d’intérêts. Tout au plus
demande-t-il une « transparence totale » (qu’il ne s’applique
d’ailleurs pas à lui-même), et, si possible, la fin des conflits d’intérêts
dans les agences de régulation [6]. Lorsqu’il est interrogé là-dessus dans une
émission sur France Culture il n’est visiblement pas très à l’aise avec le
sujet, et s’empresse d’en changer.
De même, je n’ai pas notion qu’André Grimaldi se soit élevé contre le
financement des associations de
patients par l’industrie pharmaceutique. La Fédération des diabétiques français
est la plus arrosée de toutes les associations de patients de France avec
491 000 euros reçus des laboratoires pharmaceutiques dont 144 000 de
Sanofi en 2013 [6].
Pour lui l’affaire Mediator a été le coup de tonnerre dans
le ciel tranquille de sa routine faite de relations avec les laboratoires,
comme l’indique la liste des cadeaux et conventions dont il bénéficie sur la « base
de données transparence santé ». On y apprend que de début 2012 au premier
semestre 2015, il a bénéficié de 36 « cadeaux » (
repas, hébergements, invitations…) par divers laboratoires dont Sanofi, Merck,
Lilly, et que, par exemple, le 19 avril 2015, Merck lui a offert un repas pour
une somme de 49 euros. Il a aussi signé 51 conventions avec des laboratoires
dont nous n’avons pas le détail (pratiquement une vingtaine de plus que celles
relevées jusqu’au premier semestre 2014).
Compte tenu des nombreux avantages qu’il reçoit de divers
laboratoires, il a grand besoin de se persuader que le cas de Servier reste une
exception et que les méthodes de Servier et les dégâts provoqués sont uniques.
Sa vision peut se résumer ainsi. Les laboratoires
pharmaceutiques sont source de progrès incessants et majeurs. Même si ces laboratoires sont des brillants
petits polissons et peuvent parfois chercher à élargir les indications de
certains médicaments, comme le Lantus, au-delà du raisonnable (utilisé à tort
dans le diabète de type 2), générant des coûts supplémentaires, tout cela ne
porte pas à conséquence compte-tenu des bénéfices immenses que les laboratoires
apportent aux populations. Il faut donc lutter activement contre le scepticisme
et le doute qui s’emparent de certains médecins et patients par le biais de la
vérité scientifique dont il est détenteur. Tout ce débat est surfait puisque la
sécurité des médicaments est en constant progrès et s’est beaucoup améliorée
notamment depuis l’introduction des essais randomisés. Il préconise aussi le
déremboursement des médicaments inutiles de ville et l’utilisation des
économies ainsi réalisées pour financer les médicaments chers à l’hôpital. Il semble ainsi assimiler
le prix élevé des médicaments à leur qualité [7].
Malheureusement toutes ces affirmations sont fausses. Cela a
été montré par diverses personnes et de divers points de vue.
En 2005 la revue
Prescrire avait analysé 3096 médicaments introduits sur le marché français
pendant 24 ans entre 1981 et 2005 : seulement 7 (0,23% ou un sur 529) avaient
représenté un progrès majeur, 77 (un sur 40), un progrès substantiel, et
environ 70% des médicaments n’apportaient rien voire étaient même dangereux pour
certains. La revue constatait également une dégradation constante dans le temps
de la qualité des nouveaux médicaments [8]. D’autres, comme Bernard Dalbergue,
ont constaté cette même dégradation de l’intérieur : mise en coupe réglée
des services « recherche » et « marketing » au bénéfice du
service des ventes pour qui tous les coups tordus étaient bons pour dégager des
marges. Cela s’est traduit, sur le terrain, par la conviction que la puissance de la stratégie marketing
pouvait faire de n’importe quel
médicament un blockbuster, ce qui a été démontré à plusieurs reprises
avec une accélération au cours des
dernières années, et par
l’établissement du primat du marketing sur la recherche.
Par ailleurs, les essais contrôlés randomisés ne résolvent
rien puisque les agences exigent au plus deux essais randomisés positifs pour
accorder une autorisation de mise sur le marché à un médicament et que les
laboratoires ont pris la liberté de ne pas publier les essais négatifs, tout en
considérant que les données des essais leur appartiennent et en refusant de les
communiquer aux chercheurs. Il est également très aisé de biaiser un essai. Il
existe quantité de méthodes comme de sélectionner des patients jeunes et résistants,
changer les critères de jugement en cours de route, faire des essais
suffisamment courts pour que le défaut d’efficacité n’apparaisse pas, occulter
les effets indésirables etc.
Etrangement, ou
logiquement, André Grimaldi, prend la défense de l’Avandia® ou rosiglitazone,
un antidiabétique de GSK qui a été retiré du marché en raison de ses effets
indésirables cardiaques en 2010 : « Ce qui est scandaleux, c’est
qu’on apprend la publication de cette étude par les banques, puis par médias,
pas par les agences ou les associations professionnelles. Ça me rappelle
l’affaire de l’Avandia de GSK : en 2006, cet autre médicament pour le
diabète, a été torpillé par un article l’accusant d’augmenter les risques
d’infarctus. L’affaire vient de se conclure par un non-lieu pour le labo, mais
les médias n’ont pas repris l’information et en attendant, le médicament a été
mis au tapis au profit de ses concurrents. » [9] . C’est étonnant comme point de vue pour un médecin.
En réalité GSK a plaidé coupable devant la justice
américaine, y compris pour des charges criminelles, c'est-à-dire pour avoir
provoqué le décès de patients en occultant ou falsifiant certaines informations
[10]. Au total GSK s’est engagé à
verser 3 Mds de dollars aux victimes et à la justice en 2012.La récente remise
en cause des problèmes de sécurité de ce médicament ne s’oppose pas à ce
jugement. La FDA a accepté de revoir le statut de l’Avandia sur la seule base
d’une étude menée par le laboratoire, pourtant accusé de falsifications de
données, alors que ces résultats s’opposent aux résultats de plusieurs dizaines
d’autres études. Il semble que l’étude prise en compte par la FDA soit l’étude
RECORD, c'est-à-dire la même étude, financée par le laboratoires, qui avait été
reconnue comme de mauvaise qualité et falsifiée [11]. Les conflits d’intérêts sont également omniprésents au sein
de la FDA.
John Buse, un professeur de médecine spécialisé dans le
diabète (Caroline du Nord), avait fait des études pour le compte du
laboratoire Smith Kline sur l’Avandia. En 1999 il avait exposé, lors d’un
congrès, son inquiétude au sujet des graves risques cardiaques que faisait
courir ce médicament. Il avait alors subi des pressions de la part de sa
hiérarchie, sur l’incitation de cadres de GSK, pour se taire. Steven Nissen, qui avait publié une
méta-analyse montrant les risques cardiaques de l’Avandia, reçut la visite de
plusieurs cadres de GSK, tentant de faire pression sur lui pour qu’il ne publie
pas son étude.
Très récemment, encore, GSK avait « oublié » de
signaler des dizaines d’effets indésirables graves et un décès de nourrisson
concernant son vaccin contre le rotavirus, le Rotarix°. Occulter des effets
indésirables c’est ce que les laboratoires appellent « aveugler » les
agences [12].
Les méthodes de GSK n’ont, en réalité, rien à envier à celles
de Servier.
Jean-François
Bergmann a laissé passer le Vioxx et n’a pas vu les effets indésirables du
Mediator
Jean-François Bergmann, d’abord, dont l’incompétence et les
conflits d’intérêts ont motivé sa « démission » forcée de la
vice-présidence de la commission d’AMM en décembre 2012 après dix ans à ce
poste.
De fait on peut dire que JF Bergmann a eu beaucoup de
chance d’échapper à une mise en
examen. Il est probable qu’il doive cette chance à ses talents de comédien car
il a pris garde de faire profil bas et de dire combien il regrettait de n’avoir
rien vu (« je m’en veux »).
JF Bergmann et sa compétence
Sa cécité concernant le Mediator a persisté pendant les dix années passées en tant que vice-président de la commission
des autorisations de mise sur le marché de l’AFSSAPS, puis ANSM.
Tout en se
présentant comme un éminent pharmacologue, ayant formé à lui tout seul la
moitié du personnel de l’ANSM, il affirme que la raison principale de son
absence de réaction, alors même qu’on lui signalait régulièrement des cas
d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) en lien avec le Médiator était que « le laboratoire n'a jamais admis la similitude
pharmacologique entre l'isoméride et le benfluorex. ».
En tant que responsable et éminent
pharmacologue il disposait
pourtant de quelques petits indices qui auraient dû lui mettre la puce à
l’oreille :
- Le benfluorex avait pour suffixe « orex »
qui est le suffixe des coupe-faims, même si le laboratoire Servier le
présentait comme un antidiabétique afin d’obtenir son AMM
- Il était le troisième médicament de la même famille,
celle des fenfluramines, à avoir été accusé de provoquer des
effets indésirables cardiaques et le deuxième à avoir provoqué un effet
indésirable bien spécifique et reconnaissable, difficile à « rater »
l’hypertension artérielle pulmonaire ou HTAP. A propos de cet effet indésirable
il dit, avec pas mal de cynisme dans l’article : « Je m'en
veux de ne pas avoir senti tout ça, en 2007, et appelé à une grande étude
prospective. Il fallait du nez : à ce compte, pourquoi ne pas croiser la
consommation de Toblerone et les entorses de chevilles ? »
- Pourtant, la première fenfluramine à
avoir été retirée du marché pour avoir provoqué des HTAP était
l’aminorex, un anorexigène, retiré du marché américain en1968. La deuxième était l’Isoméride ou dexfenfluarmine, dont la licence a été retirée
en septembre 1997 par la FDA aux
Etats-UNis après qu’une troisième équipe de médecins, celle de la clinique
Mayo, eut dénoncé publiquement des cas inquiétants de valvulopathies chez les
patients prenant ce médicament.
- Le
benfluorex, pour sa part, a un métabolite commun avec l’Isoméride, ce qu’un
éminent pharmacologue ne pouvait ignorer {13]( Le métabolite actif principal
du benfluorex, comme des autres fenfluramines, est la 3-trifluorométhyl
amphétamine ou norfenfluramine, l’amine de base qui a servi au
développement des autres composés. Le benfluorex lui-même est, par exemple,
complètement métabolisé et n’est pas détectable dans le
plasma)
- En
1996, alors que JF Bergmann siégeait à la commission de la transparence,
Lucien Abenhaim et coll publiaient dans le New England journal of
medecine un article qui a fait beacuoup de bruit, confirmant la relation entre
dérivés de la fenfluramine et HTAP [14]
Ajoutons que l'isoméride était un produit Servier.
JF Bergmann côté conflits
d’intérêts : cas personnel et positionnement
Une recherche sur la base de données
transparence santé permet de constater que JF Bergmann totalise 70 conventions
entre janvier 2012 et le premier semestre 2015.
D’autre part, dans un autre article on apprend que, tout
en ayant des fonctions de régulation des médicaments au sein de cette
commission qui avait des pouvoirs quasi discrétionnaires en matière de mise sur
le marché de médicaments et de
modification de mise sur le marché, JF Bergmann travaillait pour de nombreux
laboratoires [15]. Qu’il a aussi fait placer son beau frère, Joseph Emmerich
[16], à la tête d’un service très
important de l’ANSM, ce qui a permis au dit Joseph, aussi blanc que son
beau-frère Jean-François en matière de conflits d’intérêts, d’accéder aussi à la commission des médicaments à usage
humain (CHMP) de l’agence européenne du médicament qui donne des avis sur la
mise sur le marché des médicaments au niveau européen.
JF Bergmann a trouvé entretemps un
emploi qu’on peut penser très bien rémunéré chez Prioritis [17] où son profil d’ancien membre de la commission d’AMM est
bien mis en avant, ce qui est normal, puisque cette société a pour clients les
compagnies pharmaceutiques, et pour activité le conseil stratégique et la
constitution de dossiers pour les médicaments qui vont être évalués par les
autorités régulatrices. C'est-à-dire qu’elle contribue à
l’ « enfumage » dont JF Bergmann dit avoir été victime pendant qu’il
occupait le poste de vice-président de la commission d’AMM.
Sur son positionnement vis-à-vis des
conflits d’intérêts.
JF Bergmann assure qu’ils n’ont
aucune influence sur les décisions prises dans les commissions. On ne peut pas
dire que ce fut le cas pour le Rédux, version américaine de l’Isoméride dont
Servier avait cédé la licence pour les Etats Unis à Wyeth. En effet, après un
premier refus par une commission de mettre ce médicament sur le marché en 1995,
un point de procédure fut invoqué par la hiérarchie de la FDA, au sein de
laquelle se trouvait un medecin ayant travaillé pour Wyeth sur un autre
anorexigène, Michael Weintraub, pour que se réunisse une deuxième commission
recomposée qui donne, cette fois le feu vert. J’ai déjà dit que cette AMM fut
retirée en 1997 en raison des effets indésirables du médicament.
JF Bergmann affirme aussi cumuler
les conflits d’intérêts et en être fier.
Je pense que, d’un point de vue
moral, qui est le cœur de la pétition, on a déjà connu des niveaux d’exigence
plus élevés.
En conclusion, pour moi ne pas signer ce Manifeste des 30 est une question de cohérence.
Je pense que les laboratoires Servier ne sont pas une exception. Il est
probable que le Vioxx ait provoqué autant de morts ou plus en quelques années
que le Mediator en 30 ans. Seulement, dans le cas du Mediator, la persévérance
d’Irène Frachon, des coups de chance et des coups de force, ont empêché les
autorités d’enterrer l’affaire comme elles tentaient de le faire.
Faire du Mediator et de Servier un
cas à part et demander à des médecins perclus de conflits d’intérêts qu’ils ne
renient pas de faire la morale à leurs confrères, revient à banaliser les
conflits d’intérêts dans la communauté médicale. Cela comporte beaucoup plus de
risques que d’avantages.
Notes
[8] Innovation en panne et prises de risques (en PDF)