vendredi 21 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : La présentation non mouvementée de Pierre Gers. 34

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

34

La présentation non mouvementée de Pierre Gers.


Gers passe en quatrième position dans la session consacrée aux traitements du cancer du ***. La salle est aux trois-quarts pleine car la Firme 1 a battu le rappel des oncologues français et états-uniens afin de la remplir. L’État-major des équipes franco-états-uniennes de ladite Firme est là au grand complet car la présentation des résultats de l’étude fait partie de la politique de communication pour obtenir le plus tôt possible une autorisation de mise sur le marché délivrée aux Etats-Unis par la FDA puis en Europe par l’EMA, l’agence européenne. Tout est normalement cadenassé des deux côtés de l’Atlantique et les experts des différentes commissions sont au taquet pour approuver.

Pierre Gers devrait savoir tout cela mais il ne se doute pas de l’ampleur de la corruption qui règne dans les différentes agences gouvernementales. Il connaît des experts nuls, des experts marrons, le milieu est petit, mais il n’est pas au courant de la façon dont les choses se passent réellement. Il est possible que Gunther Frick, qui présentera demain la deuxième étude pivot sur le trouduculsimab, soit moins naïf et qu’il soit même au centre d’un réseau créé par les grandes firmes pour obtenir ce qu’elles veulent de la FDA : argent gloire et beauté.

Quoi qu’il en soit, il arrive à la présentation de Pierre Gers faite dans un anglais parfait sans la moindre trace d’accent (les anglophones natifs en arrivent à douter qui fait douter du pays d’origine de l’orateur, ce qui pouvait lui arriver de pire : elle passe sans anicroches. Il parle clair, les écrans sont magnifiques, le choix des résultats impressionnant et les deux plaisanteries qu’il a soigneusement choisies pour mettre l’auditoire dans sa poche, l’une au début, l’autre pour conclure, font réagir les participants avec un conformisme étonnant.

Quant aux questions posées par les congressistes, elles sont d’une désespérante monotonie et d’un manque d’alacrité phénoménal, on dirait que Gers n’intéresse personne et que les défauts du protocole qui sautent aux yeux pour un non-profane aient été laissés de côté dans le but de ne pas faire de vagues. 

Les représentants de la Firme sont aux anges car ils s’attendaient à une séance plus tendue, à des questions vicieuses des concurrents, à des allusions perverses à certains aspects des résultats, mais non, rien. Toute la préparation de Gers avec Brébant et les répétitions du dernier moment n’auront servi à rien : les mauvaises questions n’ont pas été posées et le modérateur, un oncologue de Dallas est tellement content qu’il passe à la présentation suivante en délivrant un merci discret à Gers, le Frenchie qui n’a même pas l’élégance de parler avec l’accent de Maurice Chevalier.

Brébant colle une grande tape dans le dos de Gers sans lui dire ce qui est en train de se préparer. Chaque chose en son temps.

- On se faisait des films…

- Oui. Tout ce boulot pour presque rien.

- C’est parce que nous étions prêts qu’il ne s’est rien passé.

Brébant est pourtant préoccupé. 




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jeudi 20 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Avant la présentation de Pierre Gers. 33

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Avant la présentation de Pierre Gers.


C’est le vrai début du congrès pour Pierre Gers. Il fait sa présentation pour la Firme 1 de Brébant (la molécule s’appelle le trouduculsimab) lors d’une séance qui débute à 13 heures 15. Le déjeuner va être bref et léger, un sandwich dans un couloir, car il faut auparavant rencontrer les techniciens de la salle pour s’assurer que le PommeLivreAir est compatible (il y a toujours des surprises informatiques). 

La salle est une demi plénière, environ 2000 personnes si elle est bondée, elle le sera presque mais Gers n’éprouve aucun trac. Il est prêt. Personne d’autre que lui, sinon François Brébant, ne connaît mieux que lui les tenants et les aboutissants de l’essai clinique dont il rédige à la fois le rapport final (pour sa partie) et l’article. En réalité, il ne connaît pas tout sur l’étude, et notamment une ou deux manipulations statistiques pour rendre les chiffres encore plus beaux, malgré toute l’attention qu’il a portée aux différents documents que la Firme lui a donnés. 

Sa matinée est compliquée car il veut quand même assister à des sessions qu’il trouve importantes malgré l’insistance de Brébant qui désire faire une dernière répétition devant quelques membres de la Firme dans une des suites de leur hôtel. Il finit par s’incliner. Mais à huit heures du matin. Les répétitions, mais Gers n’est pas capable de tout remarquer, faites devant les membres des staffs sont une leçon de sociologie entrepreneuriale. Il y a ceux qui savent, ceux qui ont le pouvoir, ceux qui mettent leur grain de sel, ceux qui tentent de marquer leur territoire, ceux qui ne pensent à rien mais qui font semblant de penser, et cetera. C’est donc pénible. Quand il n’y a pas des remarques (déplacées) sur la couleur des diapositives ou sur la casse utilisée… Gers qui n’avait pas le trac commence lui-même à se mettre la pression de façon inconsciente et d’autant plus que Gunther Frick a été convié pour se mettre dans l’ambiance et ajuster sa future présentation. La répétition aurait dû l’aider, elle le paralyse. 

Quant à Edmée Vachon, dont on saura plus tard qu’elle est en relations directes avec le CEO de la Firme 1 pour des contrats de développement, elle a décidé de ne pas lâcher Gers d’une semelle et jusqu’au soir quand il ira se reposer après une journée aussi éprouvante.

A vingt heures, il y aura une présentation à l’Hôtel Marriott de David Semiov, celui qui a fondé le site « Data Lies », qui parlera sans cesse et pour la millième fois de toutes les manipulations des auteurs d’articles pour truquer les résultats des études qu’ils publient, avec ou sans firmes pharmaceutiques pour les aider. Gers s’y est inscrit. Il espère que la directrice de Gustave Roussy n’a pas eu la même idée que lui. Mais participer elle-même à une telle réunion serait reconnaître l’importance de Semoir, il n’y aura donc qu’un sous-fifre de l’IGR pour recueillir des informations sur l’état d’esprit des gauchistes états-uniens. Quant à Brébant, il se moque de Semiov comme de sa première randomisation.



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mercredi 19 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Marketing mix journalistique. 32

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Marketing mix journalistique.


Tout le monde s’accorde à dire, même ceux qui ne comprennent pas bien l’anglais et qui n’ont fait aucun effort pour ne pas s’endormir pendant les présentations, ceux qui ont fait semblant de comprendre la polémique Williams Fallahi, ceux qui n’ont pas pris de notes, ceux qui ont pensé à autre chose, que cette demi-journée a été riche d’enseignements. 

Bouloux, la journaliste du Monde a bouclé et adressé son premier article titré « L’ASCO, la messe de l’oncologie » où elle répète son marronnier des années précédentes sur les formidables avancées des traitements contre le cancer, les fantastiques progrès en termes de survie, sur les cancers diagnostiqués tôt qui guérissent… Nous sommes passés de l’heure de la survie à celle de la guérison et les spécialistes de la question, ceux de l’Institut Curie comme celles de l’Institut Gustave Roussy qu’elle a interrogés, assènent que si les gouvernements veulent bien investir massivement, prévoient le cancer disparaîtra dès le milieu du vingt-et-unième siècle… 

Durand a enregistré une courte vidéo pour Santé Matin où il développe la même ritournelle sur les biomarqueurs qui permettront, dans un avenir proche, de détecter les cancers avant même qu’ils ne se déclarent, avec les conséquences que l’on en tirera pour la santé humaine… On imagine les patients actuellement en chimiothérapie, radiothérapie et autres gracieusetés, voire ceux qui regardent la télévision dans leurs chambres peintes en bleu pâle dans une unité de soins palliatifs, qui savent qu’ils vont mourir pour rien, comme les morts du 11 novembre 1918, parce qu’ils sont nés trop tard et qu’ils n’ont pas pu profiter des dernières données de la science qui bannira la mort par cancer.

Gers a travaillé tard pour envoyer son premier compte-rendu de congrès à Allo ASCO qui paraîtra en ligne au milieu de l’après-midi et qui sera repris par plusieurs organes de la presse médicale sponsorisée, celle qui ne dit que du bien des molécules, qui ne parle jamais des effets indésirables et a fortiori pas de leurs éventuels dommages collatéraux et dont les articles élogieux sont accompagnés de publicités achetées par les laboratoires concernés.

Milstein, épuisé par le décalage horaire, Ursula et le poids des responsabilités, est allé dîner dans un restaurant célèbre de Chicago avec le PDG de la Firme et deux collaborateurs qui n’ont cessé de lui cirer les pompes en lui promettant un avenir encore plus radieux mais il n’a cessé de penser à sa présentation en redoutant des questions tordues auxquelles il a ensuite rêvé toute la nuit.

Brébant a téléphoné à sa femme, il était sept heures du matin en France, pour lui dire que tout allait bien avant de faire frénétiquement le tour des chaînes en se demandant à quel moment il allait trouver le sommeil.

Quant à Madame Cora Milstein, la femme de Norbert, elle est arrivée incognito à Chicago avec son grand fils et elle loge dans un hôtel discret du loop.


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mardi 18 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Fallahi versus Williams : dégâts collatéraux. 31

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Fallahi versus Williams : dégâts collatéraux.


Au Sports Bar près de McCormick les conversations vont bon train. L’intervention d’Afshâr Fallahi est au centre de toutes les propos. Des oncologues français se sont réunis pour boire un coup alors qu’il est deux heures du matin à Paris et n’en reviennent pas. Qui aurait pu, en France, interpeler le tsar de la cancérologie dans un congrès ? Les écrans sont remplis d’images des play-off de la NBA. Guthi, un Indien qui a appris le français à Pondichéry avant d’émigrer : « Ici, le monde de l’oncologie est fragmenté et les places ne sont pas acquises. Il est possible de voir émerger des jeunes loups qui veulent bousculer les mecs en place. Il y a plus de 13 000 oncologues et partout dans le pays ! Se faire remarquer attire l’attention de tous, des universitaires comme des industriels qui aiment les rebelles, ce qu’ils appellent la fameuse disruption qui mène à Steve Jobs, il leur arrive donc de tenter le coup en pensant qu’ils pourraient émettre une idée ou deux qui pourraient aboutir à un blockbuster… » 

Pour des membres de l’industrie comme Brébant, cette intervention musclée d’Afshâr Fallahi est un signal fort et une alerte maximale : il est nécessaire de rendre les présentations encore plus blindées et parfaites même s’il n’est plus possible de modifier les protocoles, pour être prêts à affronter de telles attaques. Si le jeune oncologue a osé réagir contre un des pontes de la cancérologie états-unienne dont les pots-de-vin industriels se mesurent en centaines de milliers de dollars annuels, d’autres sont capables de le faire plus facilement lors de présentations faites par des Européens. 

Milstein est inquiet. Il a passé un coup de fil à Gers comme aux représentants de la Firme afin d’organiser une réunion de plus pour bien se caler. Il a la trouille de se planter et surtout d’avoir à affronter une salle hostile avec des questions compliquées pour lesquelles il aura du mal à répondre, certes pour des raisons scientifiques mais aussi à cause de la langue. Une des solutions, mais elle est difficilement envisageable, serait que Pierre Gers se charge de l’affaire… Milstein ne pourrait s’y résoudre. Les représentants de la Firme pensent qu’Afshâr Fallahi s’est plus tiré une balle dans le pied qu’il n’a fait du mal à la molécule présentée : le boulot des firmes est justement de passer outre et de communiquer du lourd à la valetaille qui n’est pas au courant des intrigues de couloir. Des conférences, des dîners, des voyages, des cadeaux et de la visite médicale rapprochée permettront aux prescripteurs d’oublier Afshâr Fallahi et de le faire passer pour un vulgaire empêcheur de tourner en rond. Ce sera donc Milstein qui présentera et la Firme se fait fort de le préparer jusqu’au dernier moment à être le brillant patron qu’il se pense être. Finalement Afshâr Fallahi permet à l’industrie de remettre à leurs places les patrons qui pensaient être intouchables et pouvoir se passer de la force de frappe marketing des industriels. 

Quant à François Brébant, il rêve qu’un cancérologue français puisse avoir en public les couilles d’Afshâr Fallahi. Ce serait un merveilleux sujet de papier, pense-t-il, pour Bouloux et Durand… Mais les journalistes grand public n’ont justement pas de couilles.


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lundi 17 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Un Français parle aux Français. 30

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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Un Français parle aux Français.


Il est temps de se précipiter dans une salle annexe, les horaires sont serrés, où va avoir lieu la présentation d’un ponte français de la cancérologie sur les possibilités des biomarqueurs comme facteurs prédictifs de la survenue des cancers. Cette branche de la recherche a toujours suscité de nombreuses attentes et de nombreux financements. Qu’y a-t-il de plus excitant qu’à défaut de prévenir les cancers on puisse les détecter le plus tôt possible et les traiter avant même qu’ils ne se manifestent ? C’est du Philip K. Dick et tous les PDG de la planète Pharma rêvent d’être à l’origine d’un coup marketing, ce que les marketeurs à court d’idées appellent un changement de paradigme qu’ils auraient nommé Minority Report… Mais les plus intéressés par ces idées millénaristes, la suppression du cancer à l’horizon 2030 ou à l’horizon 2050, ce sont désormais les richissimes propriétaires des GAFAM, les Bill Gates, Mark Zuckerberg ou Jeff Bezos, ils ont tous dans la manche un projet Zéro Cancer comme pour eux-mêmes une ambition d’immortalité qu’ils réaliseraient dans une planète du système solaire… Les super riches se croient au-dessus des terriens du commun.

La salle est petite, l’assistance clairsemée et la langue la plus entendue est le français. Les grandes institutions gauloises ont battu le rappel mais le résultat n’est pas à la hauteur des ambitions de notre orateur dont l’ambition planétaire et l’ego démesuré se heurtent à deux difficultés insurmontables et corrélées : un accent déplorable en anglais et une absence de fluidité dans la langue de Springsteen qui frise l’aphasie.

Encore une fois, et François Brébant en est le premier conscient, il existe en France d’excellents chercheurs, d’excellents cliniciens, d’excellents orateurs, en français comme en anglais, mais tout ce beau monde est barré par une élite autoproclamée qui se préoccupe peu des conditions de travail, des conditions salariales et des moyens qui pourraient être mis à la disposition de ces vaillantes petites mains qui pourraient redorer le prestige de services vieillissants.

Qui aurait eu le culot, l’audace, l’insolence, l’impertinence, le chutzpah en quelque sorte, de dire à Dupont-Gauthier qu’il aurait mieux valu que sa présentation fût faite par un de ses PUPH, Merlan, par exemple, qui parle un anglais parfait, il a passé un an à Dallas comme résident, sa mère est anglaise, qui connaît les dossiers des biomarqueurs dix fois mieux que son patron parce que c’est lui qui a mené les recherches, fait la bibliographie, initié une thèse d’Etat, écrit l’abstract et le texte de présentation que son patron a appris par cœur et qu’il est en train de rédiger l’article que l’on tentera de faire paraître dans une revue à fort facteur d’impact ? Qui ?

Dupont-Gauthier n’est pas dupe mais il ne peut faire autrement que se mettre en avant. Cette présentation sera mauvaise sur des données de qualité mais pas de première qualité et seuls les Français de la salle en profiteront pour s’en moquer en douce. Comment peut-on être mauvais à Paris et bon à Chicago ?



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dimanche 16 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : John Williams se défend. 29

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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John Williams se défend.


Le modérateur, Michael-Ren Kurosawa, est un oncologue d’une quarantaine d’années connu dans le milieu pour ses positions centristes, c’est-à-dire qu’il accepte de participer à des essais cliniques car il n’est pas possible de mener des recherches cliniques sans recevoir de l’argent de l’industrie, car les budgets publics fédéraux sont limités et car le faible nombre d’équipes élues élimine de nombreux oncologues de talent comme de nombreux oncologues plus médiocres... C’est un pragmatique car il se permet d’accepter de l’argent des industriels et de les critiquer. Le problème de cette attitude tient à la position du curseur à la fois pour les industriels et pour les puristes. Aaron Goldstein n’est pas loin de son collègue Brébant dans la salle. Ils se font un signe amical de la main, le pouce dressé. Goldstein défend l’idée à l’intérieur de la Firme 1 qu’il est nécessaire de ne pas se couper de conseils universitaires comme Michael-Ren Kurosawa ou Afshâr Fallahi en raison de leur intelligence, de leur agilité conceptuelle et de leur capacité à déceler au premier coup d’œil ce qui cloche dans un protocole tout en proposant des solutions, mais certains de leurs collègues et plus largement dans l’industrie pensent qu’il ne faut pas introduire de loups dans la bergerie et qu’il ne faut travailler qu’avec des moutons bien-pensants. Quant aux puristes, ceux qui ne viennent pas à l’ASCO ou qui s’y rendent à leurs propres frais, s’ils sont trop intransigeants, ils sont condamnés à ne plus faire de recherches et à n'écrire que des éditoriaux ou des articles critiques sur les travaux de leurs collègues, sans montrer leur propre savoir-faire…

« Afshâr Fallahi vous a posé des questions sur la méthodologie de l’essai. Merci pour la bonne tenue de cette séance de lui répondre. » Williams se crispe mais la salle est tellement grande, il y a environ trois mille personnes, que peu de congressistes le remarquent. « Afshâr Fallahi a eu raison d’avoir remarqué quelques imperfections méthodologiques mais vous conviendrez que les résultats obtenus sont une telle révolution, un tel changement de paradigme, un tel espoir, qu’il vaut mieux se tourner vers l’avenir que de se pencher sur des détails… J’ajouterais que l’éthique voulait que nous fassions un cross-over tant l’efficacité du wallstreetgenumab était patente… »

Afshâr Fallahi agite la main afin de pouvoir reprendre la parole mais son temps est passé et il a juste le temps d’ajouter avant que le micro ne soit coupé « … nous attendons des éclaircissements… » Un autre congressiste prend la parole en commençant par remercier l’orateur et en continuant par des éloges sur cette percée dans le monde du cancer. Amen. Le modérateur n’a même pas le temps de donner la parole à ses deux collègues assis à côté de lui qu’il annonce déjà la prochaine oratrice car le temps imparti est passé.

Une petite cour se forme autour d’Afshâr Fallahi qui est coutumier de ce genre d’interpellations. Brébant voit cela de loin et dit à sa voisine dans le brouhaha de la salle : « Penses-tu qu’Afshâr Fallahi deviendra un jour un John Williams ? … - Tu es pessimiste… - Réaliste. »


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jeudi 13 juillet 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : John Williams est challengé. 28

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

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John Williams est challengé.


La présentation de John Williams, ce n’est pas le compositeur de musiques de films, mais il est aussi célèbre que lui dans la communauté oncologique mondiale, se fait dans une grande salle bondée : il faut y être pour voir et écouter le stand-up d’un des tsars des tumeurs solides. Les gens sont debout, adossés aux murs, assis par terre et on s’attend à ce que la sécurité vienne évacuer avant qu’un incendie émotionnel ne se déclare… La majorité des présents ont lu le titre de l’abstract ou sa conclusion voire seulement les communiqués de presse triomphalistes du laboratoire qui sait que le marketing des produits commence bien avant que les molécules n’aient fait la preuve de leur efficacité. Il s’agit d’un essai contrôlé d’une nouvelle molécule, le wallstreetogenumab, dont l’objectif est d’améliorer la survie dans un cancer non opérable, tueur à 95 % entre trois et six mois. Les visiteurs et les visiteuses médicales de la Firme 5, ce que l’on appelle les Key Opinion Leaders, ont commencé le boulot depuis longtemps, des articles dithyrambiques ont été publiés dans le Wall Street Journal, le Financial Times, le Nihon Keizai Shinbun et autres revues scientifiques mondiales comme Les Echos ou La Tribune en France…

Le nœud papillon parfaitement ajusté (Brébant dit à Florence Maraval : « Il les porte autour du cou »), John Williams, avec au premier rang une nuée d’assistants, commence son exposé. La salle retient son souffle. Le discours est rodé, le passage des diapos sur les deux écrans est parfait, on voit à peine qu’il s’agit de Power Point, il plaisante entre deux, il est sérieux le plus souvent et il termine cette hymne au wallstreetogenumab par un trait d’humour dont les Anglo-saxons ont le secret. De nombreux intervenants se sont rangés derrière le micro posé debout dans l’allée centrale.

Un questionneur non identifié : « Merci John pour cette étude magnifique qui donne enfin un espoir… » Un autre : « Ces résultats magnifiques nous donnent une claque… » Afshâr Fallahi (un jeune type de UCLA) connu pour ses éditoriaux percutants : « … il est assez étonnant que le signataire des guidelines de l’ASCO ait mené un essai qui contrevient à toutes les recommandations qu’il a préconisées… » (Mouvements houleux dans la salle…) « … le groupe contrôle est sur dosé pour augmenter les effets indésirables, la survie est exprimée en pourcentage relatif, il n’y a pas d’échelle de qualité de vie et nous manquons de données contrôlées au-delà de trois mois… Avec une survie augmentée de deux mois, ce qui serait considérable s’il s’agissait d’années, on est en droit de savoir si les patients sont morts en souffrant deux mois de plus… » Williams est furieux et s’agite derrière son pupitre. « Y aurait-il deux poids et deux mesures ou deux professeurs John Williams, celui qui fait des recommandations et celui qui mène des essais ? » Williams : « Je remercie notre jeune collègue pour ses commentaires. Cet essai est pourtant une innovation majeure, une révolution qui profitera à nos malades. » Le modérateur intervient…



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