jeudi 3 mai 2012

INR : pourquoi les pharmaciens ?

Beaucoup de bruit dans la profession à la suite de la possibilité que pourraient avoir les pharmaciens d'adapter l'INR et de toucher 40 euro par patient.
Par quel bout commencé-je ?
D'abord, mais ce ne fut pas mon premier geste, jeter un oeil sur la Nouvelle Convention Pharmaceutique (NCP) (ICI).
Mais, auparavant, vous voulez vraiment savoir ce que fut ma première réaction ? Un dédain profond, un haussement d'épaules et, c'est une des particularités de la profession, l'auto-dérision, de la jalousie à l'égard de ces pharmaciens qui doivent coucher avec la DGS et le Ministère pour toujours obtenir toujours plus et toujours mieux par rapport aux médecins dont les divisions syndicales et politiques sont désespérantes (vous voulez un exemple qui va me fâcher définitivement avec les potards (français) ? Le droit de substitution pour les génériques, i.e. changer de produits au gré des marchés, et avoir les génériques les plus chers du monde).
Donc, s'il reste encore un pharmacien pour lire ce post, voici la suite.
La lecture de la NCP est instructive : il s'agit d'un cadre général qui élargit le champ des compétences des pharmaciens. Sous certaines conditions. Je remarque que c'est un texte à la fois volontariste et technocratique, c'est à dire le monde tel qu'il pourrait être et tel qu'il ne sera jamais.

Quelle est la situation de la surveillance de l'INR en France dans la communauté ?
Ce sont les médecins traitants qui sont à la manoeuvre. "Mon" patient est traité par AVK et je suis les variations de son INR. "Mon" patient sort de l'hôpital ou de la clinique avec un traitement conjoint HBPM et AVK et je suis l'INR pour arrêter l'HBPM.

Que se passe-t-il dans "ma" pratique ?
Je travaille en étroite collaboration avec le patient (que j'ai essayé d'informer après qu'il est sorti de l'hôpital, il est rare que cela soit fait avant la sortie) ; je travaille en étroite collaboration avec les laboratoires d'analyse ; je travaille en étroite collaboration avec les infirmières libérales lorsqu'il s'agit de patients suivis à domicile pour autre chose (insulinothérapie par exemple) ; je ne travaille jamais avec les cardiologues hospitaliers et / ou libéraux pour la surveillance de l'INR qui, dans mon coin, ne prescrivent JAMAIS de coumadine mais nous discutons et du niveau de l'anticoagulation et de sa durée et de ses modalités pratiques ; je ne travaille jamais avec les pharmaciens sauf en cas d'erreur de prescription ou de délivrance anticipée.

Je demande que les AVK soient prescrits le soir.
Je demande que, le jour de l'INR, le patient m'appelle dans l'après-midi pour contrôler et pour éventuellement modifier la posologie de l'AVK.
Quand le résultat est "exotique", le laboratoire m'appelle toujours pour m'informer.
Où est le problème ?
Le problème, c'est le saignement intempestif, c'est l'hémorragie, c'est l'urgence.

Je n'ai donc pas besoin des pharmaciens.

Pourquoi les avoir impliqués ? 
La baisse de chiffre d'affaires des pharmacies et le besoin de le freiner fait partie des raisons.
Je n'oserais pas dire que le prix "exagérément" faible des médicaments (coumadine, fluindione, acenocoumarol) utilisés est aussi une raison, la prime annuelle de 40 € multipliant par deux les coûts pharmaceutiques avec, cette fois, une marge de 100 %...
L'argumentaire (Page 24, Article 28 et 28.1.) part sur de bonnes bases (la iatrogénie) mais propose des solutions irréalistes.
Mais, avouons-le, je m'étais trompé : les pharmaciens pourront être impliqués (en accord avec le médecin traitant -- et je me vois mal en train de refuser 40 € par an à un pauvre pharmacien) pour s'assurer de la réalisation de l'INR pas de son contrôle ! Ouaf, ouaf, ouaf !
Tout ça pour ça ? 
M'enfin, comme dirait Gaston, cela s'appelle mettre le pied dans la porte...
Encore une fois il s'agit d'une proposition technocratique, prise sans concertation, ni avec les médecins, ni avec les laboratoires d'analyse, ni avec les infirmiers, et cetera.

Il est intéressant de lire ce qui a été écrit sur le blog de Grangeblanche (LA) et notamment les avis de la présidente d'une association de patients (AVK control) (ICI) qui rappelle le problème de santé publique, le retard de la France et la nécessité de pouvoir disposer d'un numéro permanent (cela ne s'appelle pas le 15 ?).

Pour conclure : c'est le médecin traitant qui est responsable de "son" malade.
La dilution des responsabilités est une mauvaise idée.
La coopération renforcée entre les divers professionnels de santé en est une bonne.
Beaucoup de bruit pou rien en apparence mais encore une preuve du déni dont sont victimes les médecins généralistes.
Mais il semble que les appareils d'auto-mesure se popularisent. Les pharmaciens pourront ainsi les vendre... et empocher les 40 € !



mardi 1 mai 2012

Des arrêts de travail peu recommandables. Histoire de consultation 116.


Monsieur A, 46 ans, est chauffeur livreur dans une grande entreprise. Il y a bien un an que je ne l'ai pas vu alors qu'il était un habitué, pendant des années, des arrêts de travail à répétition, un jour par ci, un jour par là, parfois un peu plus... Nous avons parlé longuement pendant cette période et il me racontait d'une part ses conditions de travail, d'autre part ses mauvais rapports avec son chef, et encore le fait qu'il soit brimé, qu'il existe des injustices dans l'entreprise, que ses horaires fussent toujours pourris, que d'autres s'en tiraient mieux que lui, soit parce qu'ils étaient délégués (les délégués qui s'entendent avec le patron pour avoir la paix sociale et des avantages personnels), soit parce qu'ils étaient des chouchous, soit parce qu'ils "fermaient leur gueule", soit parce qu'ils étaient des hypocrites, soit parce qu'ils étaient effectivement mieux traités... A un certain moment j'ai cru qu'il allait, vraiment, "péter les plombs", c'est un solide gaillard qui a fait des conneries dans sa jeunesse, nerveux, une musculature d'athlète, mettre un pain à son chef, démissionner, mais nous sommes toujours parvenus à un compromis, il y avait sa famille, ses trois enfants, le fait qu'il s'en était sorti, une famille de huit enfants, et qu'il n'allait pas tout gâcher à cause d'une saloperie de chef.
Et ainsi, au cours des années, je lui ai prescrit des arrêts de travail, jamais très longs, qui auraient pu paraître, vus de l'extérieur, comme franchement injustifiés, sans médicaments associés (n'oublions pas que l'Assurance maladie, par le truchement de ses médecins conseils, conseille d'une part de peu prescrire et, d'autre part, qualifie souvent l'authenticité et la gravité de la pathologie selon qu'il y ait prescription ou non et, si prescription il y a, selon les molécules utilisées, voire, plus intéressant, si un spécialiste a été consulté), sans suivi psychothérapeutique extériorisé, et, pire que tout, n'entrant pas dans le cadre des recommandations édictées ex nihilo par la CNAM, sur la longueur souhaitable et souhaitée du nombre de jours d'arrêts de travail à prescrire en fonction des pathologies (et non des patients, ce qui est un contre sens absolu en situation de médecine générale, sans compter l'aspect moral de ces "recommandations", les bons médecins en donnant peu, les méchants malades en demandant beaucoup, l'enfer c'est les autres, sans parler de l'équilibre des comptes de l'Assurance Maladie et autres considérations générales sur la fraude des travailleurs, la fraude des médecins, sur les phrases dans le genre "Moi, je m'arrête jamais..." ou "Moi, je coûte rien à la sécu..."...) et ainsi, au cours des années j'ai fini, infiltré bien malgré moi par les flux pervers et incontrôlables de la bien-pensance généralisée (de droite comme de gauche), par a) me sentir coupable de lui prescrire des arrêts de travail à répétition, de ces petits arrêts de travail, soit dit en passant, qui coûtent très cher au patient en raison de la règle des trois jours et de l'absence de convention collective la corrigeant, et par b) finir par penser que, finalement, ce brave garçon, c'était quand même, au bout du compte, un tire-au-flanc...
Monsieur A consulte aujourd'hui pour des douleurs de la hanche gauche qui le gênent quand il débraye et quand il sort de sa camionnette. Je passe sur les détails : banale tendinite du moyen fessier qui va, selon mon expérience interne, céder avec une infiltration de corticoïdes loco dolenti.
Il a besoin aujourd'hui d'un arrêt de travail d'une journée.
Et, au décours de la conversation, je lui ai demandé des nouvelles de sa femme et de ses trois enfants (l'aîné vient d'être embauché en CDI à la BNP comme informaticien réseau), il me tient ces propos proprement stupéfiants : "Vous savez, docteurdu16, je voulais vous remercier, vous m'avez soutenu au cours de ces années, quand j'allais mal, vous m'avez empêché d'exploser en vol, vous m'avez compris, et maintenant que mon chef a changé, mon nouveau chef est un type bien, il me donne des horaires qui me conviennent, je peux m'occuper de mes deux derniers à la sortie du collège, je ne viens plus vous voir, si j'avais démissionné, je serais où, dans la rue, au chômage, mes enfants et ma femme se plaindraient de moi, à mon âge c'est difficile de retrouver du travail... Je vous remercie, tous les arrêts que vous m'avez faits, je sentais bien que vous n'étiez pas d'accord, mais vous les faisiez quand même, cela m'a beaucoup aidé, je vous en suis reconnaissant... nous en savons souvent parlé avec ma femme... c'était vraiment bien..."
Je ne crois pas qu'un jour les recommandations de la CNAM intègreront ce genre d'arrêts de travail.
Et tant mieux.

(Alekseï Grigorievitch Stakhanov (en russe : Алексей Григорьевич Стаханов ; 1905-1977) est un célèbre mineur soviétique né à Lougovaïa près d'Orel.)

dimanche 29 avril 2012

Antibiothérapie et Promotion de la Santé : que valent les bonnes intentions ?


La célébrissime campagne "Les antibiotiques, c'est pas automatique" a marqué les esprits des médecins et des patients. Je n'ai pas de chiffres d'impact mais ils doivent être forts dans les deux groupes : c'est une phrase que j'entends souvent en patientèle et de la part de collègues.
Truisme : l'antibiothérapie, comme l'utilisation de toute thérapeutique, doit se faire à bon escient et en cet escient il est nécessaire de choisir la molécule juste.
Parfait.
La bonne conscience indique le chemin : prescrire moins et prescrire mieux.
Nous connaissons tous, les uns et les autres, ce qui nous fait prescrire plus et mal : l'habitude, le manque de temps, la pression des patients, la publicité pharmaceutique, les croyances, la lassitude, l'incompétence... On le voit, il n'est pas difficile de choisir les items qui pourront nous rendre meilleurs.
En médecine comme en d'autres domaines le volontarisme moral ne suffit pas même s'il arrive qu'il produise, rarement, des effets. Il faut savoir en effet d'où l'on part (faire un état des lieux précis), définir ce qu'il est souhaitable d'améliorer, fixer des objectifs, choisir des moyens en tentant de chiffrer les améliorations atteignables et les efforts qu'il faudra consentir pour les obtenir, se donner les moyens d'y parvenir, et pouvoir en constater les effets.
Prescrire moins et prescrire mieux des antibiotiques a au moins deux intérêts : ne pas exposer des individus à la prescription d'un médicament inutile, prescrire le bon antibiotique pour guérir l'affection et préserver l'écologie générale bactérienne en évitant les résistances.
Une équipe anglaise s'est attelée à la tâche de savoir quel pouvait être l'impact d'une campagne volontariste sur la diminution de la prescription d'antibiotiques en médecine générale (ICI).
L'étude menée en médecine générale de façon randomisée auprès de cabinets de médecine générale (68 cabinets, 480 000 patients), intervention multifaceted (sic) sur les MG comprenant séminaires, informations par le net et consultations assistées versus soins "normaux", a montré que sur un an 1) la diminution de la prescription des antibiotiques avait diminué de 4,2 % dans le groupe multifaceted (p = 0,02) ((docteurdu16 : tout ça pour ça !)) ; 2) que cela touchait plus la pénicilline V et les macrolides mais pas les autres antibiotiques ; 3) que les taux d'hospitalisations et le taux de reconsultation dans les sept jours après la consultation initiale n'avaient pas changé... Pas plus que les coûts : quant au coût de l'étude clinique, une moyenne de 3491 euro par cabinet, il a généré une diminution du coût de remboursement de 920 euro par cabinet !
Un éditorial pose, lui, des questions pertinentes sur la signification attendue d'une telle diminution en termes de diminution des résistances, c'est à dire : le jeu en vaut-il la chandelle (LA) ?
Cet éditorial est très provocateur. Il dit d'abord qu'une étude pareille décourage définitivement d'en faire d'autres. Ensuite, il rapporte des chiffres d'autres essais qui sont plus démonstratifs :  In a country-wide programme in Finland, reducing the use of erythromycin by 50% reduced the resistance of group A streptococcal isolates from 17% to 9%.4 Another study found that a decrease of 50 amoxicillin items per 1000 patients per year reduced resistance by 1%.5 Others have found that a 20% reduction in the prescription of ampicillin and amoxicillin resulted in 1% fewer resistant isolates.6 Enfin, il dit que la classique phrase, il faut continuer son traitement antibiotique jusqu'au bout n'est pas scientifiquement fondée. Il vaut mieux même arrêter les antibiotiques, donnés à bonnes doses, dès qu'il n'y a plus de fièvre. Décoiffant ?
Pour certains lever de tels lièvres pourrait être dangereux car il est possible que de tels propos puissent encourager le laisser faire ou le rien faire ce qui, dans le cadre d'une éthique individuelle volontariste, pourrait signifier le renoncement... et se plier à la loi du plus grand nombre.
Dans la même veine, mon éditorialiste favori, Desmond Spence, dénonce ICI une autre vache sacrée : La Promotion de la Santé en disant d'une part qu'elle coûte une fortune et d'autre part qu'elle ne sert à rien. Qu'entend-il par promotion de la santé ? Les campagnes de prévention, par exemple, et, plus particulièrement en ces temps de crise, une campagne gouvernementale qui s'appelle "Chaque contact compte", et qui signifie qu'à chaque contact (médical ou para médical) il faut parler de régime et de tabac car, selon le gouvernement, les brèves interventions "marchent". Le coût ? Une paille : 4,5 milliards d'euro par an. L'efficacité ? Nulle : une étude menée en médecine générale, sensibilisation par les infirmières, a montré une infime diminution du taux de cholestérol (0,1 mmol/L) et de la pression artérielle (3 à 7 mm Hg). Mais aussi, insiste Spence, il faut surtout se méfier des enquêtes où sont rapportées des données auto rapportées : une étude rapportant le nombre de femmes enceintes fumeuses sur la foi d'auto questionnaires s'est trompée de 25 % (prévalence) ! La promotion de la Santé n'a pas abouti à grand chose au Royaume-Uni : le poids a augmenté, l'activité physique a diminué, la restauration rapide progresse, les maladies alcooliques du foie ont augmenté. Seul le tabagisme a diminué mais au prix de mesures drastiques sans commune mesure avec les résultats escomptés et alors qu'un fumeur doit dépenser 3000 livres par an...
Non, la Promotion de la Santé (et nous avions ICI souligné le découragement des médecins généralistes français et LA les effets de vitrine de l'administration sur la prévention) a constitué un écran de fumée (smokescreen) pour masquer l'incapacité des politiques publiques à contrer les intérêts des marchands de nourriture et de boissons pourries (Big Junk Food) et ceux des partisans des inégalités de richesse (sic)...

(Photographie : Georges Bernard-Shaw : 1856 -  1950)


jeudi 26 avril 2012

Retour du Kenya : les soins palliatifs, le berger Masaï et le patient de Mantes.


Il y a quelque temps je suis allé visiter une patiente dans un établissement parisien de gériatrie dépendant de l'Assistance Publique où sont regroupés plusieurs types de services : rééducation fonctionnelle post chirurgie orthopédique, soins de suite post hospitalisation aiguë et soins palliatifs.
La patiente va bien, on discute de tout et de rien et de son retour à domicile (qui s'est fait depuis), et elle me dit ceci : "Vous avez vu, je ne vais pas trop mal, je vais m'en sortir, mais ces pauvres personnes qui sont en phase terminale... comme je les plains..." Elle voulait parler des malades du service des soins palliatifs qu'elle avait repéré en arrivant.
Le fait est que dans tout le bâtiment des flèches de couleur indiquent la direction des divers services. Je ne me rappelle plus les couleurs de la mort. J'ai oublié. Mais j'y ai pensé avant même que la patiente ne m'en parle.
Les soins palliatifs sont certainement une invention formidable. Nul n'en doute. La façon dont, jadis (là, je suis optimiste), on traitait la douleur et les mourants dans les établissements hospitaliers, n'était manifestement pas parfaite (voir LA et ICI). Et les médecins qui ont choisi de s'intéresser à ces problèmes, les douleurs, la mort, ont permis à la société d'évoluer et à tout le monde d'y réfléchir.
Je jette un oeil sur Google. Je repère le site de la SFAP (Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs) qui, entre autres, soutient la campagne de publicité de la JALMALV qui signifie Jusqu'à la Mort Accompagner la Vie (je n'invente rien). La SFAP a de nombreux partenaires institutionnels et big pharmiens (Voir ICI). Les soins palliatifs, selon ce site, ne sont pas loin de l'euthanasie. Mais, surtout, quel esprit "humaniste" pourrait s'en formaliser, la SFAP dit Soulager la douleur est une obligation. "La loi dit le devoir et l’obligation pour les médecins à tout mettre en œuvre pour soulager au mieux les malades en fin de vie."  Qui pourrait s'y opposer ?

Je me rappelle pourtant avoir lu un article de Marc Cohen dans Causeur (22 décembre 2008) que vous pouvez lire en intégralité ICI et dont j'extrais deux passages. Le titre me plaît assez : "Mourir dans la dignité ? Et pourquoi donc ?"

Voici le premier qui rapporte un propos de Houellebecq : Ce qui me dégoûte, c’est qu’on veuille mourir dans la dignité. Et il me dégoûte encore plus que des parlementaires s’apprêtent à faire une loi pour m’y obliger : je ne veux pas mourir dans la dignité…

Voici le second et qui me donne beaucoup de force dans la perspective de MA fin de vie :


"J’imagine que personnellement, si j’étais atteint d’une maladie incurable et furieusement douloureuse, je saurais me débrouiller pour trouver les pilules qu’il faut, ça ne peut pas être beaucoup plus dur que de trouver un exemplaire en bon état des Cadets d’Ernst von Salomon, et ça, je sais faire, ben oui.

Ce que je sais aussi, c’est que si je n’avais plus les moyens physiques de me tirer seul d’affaire et si j’étais tombé par malheur entre les pattes d’un médecin fou et furieusement pro-life, ma foi, je ne doute pas qu’il se trouvera forcément un ami ou une amie pour me rendre un petit service, quitte à risquer six mois avec sursis.
Et là, j’entends déjà les pro-death m’objecter de leurs voix de faux-derches : “Mais que préconisez vous si on n’a pas la volonté, ou bien si on n’a pas d’amis, ou encore si l’on veut faire les choses dans les règles ?” A ceux-là, je répondrai simplement : pas de volonté, pas d’amis prêts à donner une livre de leur chair, et l’obsession de respecter la loi à tout prix, même une fois mort et enterré ? Eh bien, la conjonction de ces trois symptômes signale sans erreur possible une vie de merde. Alors, dans le simple souci d’éviter les solutions de continuité, je pense que ces gens-là méritent aussi une mort de merde."
Mais qu'on me laisse, à mon tour, décliner mon petit discours tout fait sur les soins palliatifs :
Les soins palliatifs pourraient bien être l'aboutissement d'un rêve post moderniste confinant à un cauchemar aseptisé, commencerais-je par provocation, mais, au bout du compte, pour finir, il est possible, ajouterais-je, que nous n'en soyons pas loin. Une vie parfaite, sans douleurs (jamais les sociétés occidentales n'ont consommé autant d'antalgiques), sans déceptions (merci les antidépresseurs), sans chagrins (merci les anxiolytiques), sans délires (grâce aux psychotropes), une existence anhédonique en quelque sorte, voilà ce dont Big Brother a rêvé pour nous. Et nous en redemandons. C'est devenu la norme.
En cette époque de sécularisation de la société, les soins palliatifs sont une réponse laïque au problème de l'au-delà : les prêtres et autres rabbins, pasteurs ou imams sont remplacés par des saints laïques, des médecins accoucheurs de l'âme et du corps, étrangement réunis, qui n'auraient plus le droit de souffrir. Pour quoi souffrir ? Pour qui souffrir ? La loi interdit la souffrance et autorise la dignité de la mort.
Un ami médecin m'a raconté avoir téléphoné dans un service de soins palliatifs pour obtenir une place pour l'un de ses patients et que le ton de son interlocuteur médecin était tellement doux, tellement suave, tellement onctueux, qu'au bout d'un moment il avait été obligé de lui rappeler qu'il était le médecin, pas le malade.
Les soins palliatifs, indispensables, ne me faites pas écrire ce que je n'ai pas écrit, parachèvent l'entreprise sans cesse recommencée et inachevée de la médicalisation de la maladie, de la médicalisation de la vie et de la médicalisation de la société, avec respectivement les trois abus qui s'y rattachent que sont l'extension du domaine de la maladie (disease mongering), l'extension de la définition de la Santé (voir l'OMS) et l'extension de la main-mise de la société sur nos vie (l'obligation d'être dans la norme hygiéniste et l'idéologie de la prévention). Nous retrouvons bien entendu Illich en cette occasion.

Deux petits faits pour conclure :
1) Chez les Masaï du Kenya, quand un vieux va mourir, on l'emmène dans le bush, les Masaï n'aiment pas voir la souffrance conduisant à la mort, on attache une corde à son pied et, une fois par jour, depuis le village, on tire sur la corde. Si la corde "répond" on apporte eau et nourriture au mourant. Si la corde ne bouge plus, on cesse de le faire. Drôle de soins palliatifs traditionnels...
2) Pendant mes vacances, un de mes patients est mort à domicile. Il avait 88 ans. Dès mon retour, et la veille de l'enterrement, j'appelle sa femme qui me parle de lui avec enthousiasme et amour. Elle me dit ceci : "Nous l'avons gardé à la maison. Et chaque fois que j'entre dans la chambre, j'ai l'impression qu'il va me parler. Il est tellement beau, mon homme..."

(Photographie : enfants de Subukia. Docteur du 16)


mardi 10 avril 2012

Certains médecins ont encore du chemin à parcourir. Histoire de consultation 115


Aujourd'hui je reçois la famille d'une malade qui est morte depuis environ six semaines. Ils m'ont apporté des certificats à remplir pour l'Assurance du prêt de la Maison. Je passe sur les propos intimes qui sont tenus entre des gens qui se connaissent depuis environ trente ans. C'est à nous.
Commençons par les hors-d'oeuvre : le médecin de l'Assurance écrit à la famille pour leur demander d'une part que le médecin traitant remplisse des papiers afin qu'elle puisse estimer bla bla bla et d'autre part que le (dernier) compte rendu d'hospitalisation lui soit fourni. L'Assurance a déjà reçu, me dit la famille, sous pli fermé, j'imagine, le certificat de décès. Fin décembre 2011 un cancer digestif avec carcinose péritonéale d'emblée a été découvert au scanner demandé par moi-même pour de (vagues) douleurs abdominales et pour un amaigrissement rapide. Le 15 février la patiente de 76 ans était morte. Comme elle était hypertendue et diabétique non id, l'assurance pose des questions sur l'éventuelle implication de ces pathologies préexistantes qui avaient été dûment mentionnées dans le dossier de prêt. Bon, je râle, mais je remplis.
Le diagnostic du scanner ne faisait aucun doute : la malade allait mourir rapidement, très rapidement, il n'y avait aucune thérapeutique possible, et, selon mon expérience, il était d'une absolue nécessité de la laisser tranquille
Mais le mari de la patiente me dit aussi : Heureusement que vous nous avez dit qu'il ne fallait pas accepter la chimiothérapie parce qu'elle n'a pratiquement pas souffert. Et le fils : Oui, mais quand même, ils ont commencé une cure mais elle l'a tellement mal supportée qu'ils ont dû arrêter. Moi : Vous aviez accepté ? Lui : Non mais ils ont dit qu'il pouvait toujours y avoir un petit espoir, alors, que voulez-vous, nous avons cédé... Le mari : Mais, vraiment, à l'hôpital, je sais que c'est comme cela que l'on fait maintenant, ils n'ont cessé de lui faire comprendre que c'était fichu, qu'elle n'allait pas s'en sortir, quatre fois ils lui ont parlé comme cela, quatre fois, vous vous rendez compte. Moi : Je me rends compte.

Je vous ai déjà parlé du problème du dire la vérité aux malades (ICI) et comment nous sommes passés du mentir à tout prix au dire la vérité à tout prix.
Voici ce que j'écrivais en février 2010 : Il n'y avait donc aucune différence entre dire à mon malade "Vous n'avez rien." et dire à mon malade "Vous allez mourir." Sauf quelques années de plus. Ces deux phrases sont l'expression d'une même angoisse du praticien qui ne cherche qu'à se préserver, à juste titre probablement, mais qui ne préserve rien chez le patient. C'est pourquoi les Anglo-Saxons se posent des questions sur la vérité à tout prix. Le "Vous allez mourir" est encore plus paternaliste que le "Vous n'avez rien." car le praticien, dans le deuxième cas, se compare à Dieu capable de prévoir qui entrera ou n'entrera pas dans le Royaume des Cieux...
Je ne suis pas certain que les hospitaliers soient conscients du fait que la moindre de leurs attitudes, le moindre de leurs gestes, la moindre de leurs paroles, et cetera, sont pris au premier degré par les patients et par leurs familles.
Je suis désolé de dénoncer encore. 
Je rapporte simplement, je rapporte le désarroi de cette famille qui a eu l'impression (il faut toujours être prudent) que les hospitaliers, les oncologues en particuliers, n'ont pas été "bien". La notion d'être bien est éminemment subjective mais cette malade a souffert de savoir qu'elle allait mourir et qu'il n'y avait AUCUN espoir. Ce n'est pas humain de dire à quelqu'un qu'il n'y a AUCUN espoir. Il y a toujours un espoir, la grotte de Lourdes est là pour le montrer et la réalité non magique, simplement matérielle, ne cesse de nous décevoir ou de nous surprendre en bien. Et j'imagine que dans ce service il y avait des gens qui n'étaient pas d'accord, des médecins comme des infirmières, des aides-soignantes comme des personnels de ménage, mais aussi des jeunes médecins qui ont cru que c'était comme cela qu'il fallait se comporter et qui se comporteront dans la même situation de la même façon, et d'autres qui se jureront de ne pas faire comme cela et, peut-être, mais ce n'est pas la tendance actuelle, que cela les fera quitter l'hôpital...
(Dessin : Philippe Geluck)

jeudi 5 avril 2012

Travailler le dimanche. Histoire de consultation 114.


Monsieur A, 32 ans, est venu ce matin consulter sur rendez-vous. Il n'a pas grand chose, un rhume, une toux d'irritation, un léger décalage thermique. Je l'examine et nous parlons un peu. Il n'est pas là, contrairement à ce que certains pensent souvent par habitude ou par méchanceté, pour obtenir un arrêt de travail, il a attrapé froid et il veut guérir vite. J'aurais pu lui dire : Qu'est-ce que vous foutez là ? Vous n'êtes pas vraiment malade ! Vous n'avez rien à faire dans mon cabinet ! Un rhume guérit en une semaine tout seul et en huit jours avec l'aide d'un médecin... Non, je suis de bon poil au commencement de cette journée où, à la fin, j'aurai vu 37 malades. Nous parlons de sa femme que j'ai vue il y a huit jours pour l'un de ses enfants, huit ans, qui avait aussi un gros rhume, en fait une bonne bronchite, une bonne bronchite banale avec des ronchus mais pas de sibilants, une bonne bronchite ne méritant pas d'antibiothérapie, mais dont le problème, comme sa soeur d'ailleurs, c'est le surpoids. Pas le petit surpoids, non, le bon gros surpoids où le calcul de l'IMC est sans intérêt, le bon gros surpoids lié certes à la constitution familiale, mais surtout à l'excès calorique, et sans aucune discussion. Les deux enfants sont gros, très gros et les parents le savent et les parents tentent de faire quelque chose. Nous en avons parlé souvent. Mais il existe des causes évidentes. J'en reparle.
Monsieur A travaille en équipe chez PSA, travailler en équipe, c'est, je le rappelle, travailler une semaine sur deux cinq heures / treize heures et l'autre semaine treize heures / vingt-et-une heure et sa femme travaille de nuit comme réceptionniste dans un hôtel. C'est un véritable chassé croisé à la maison. Ils se voient peu. Ils se partagent les tâches ménagères, les repas des enfants, selon les disponibilités de chacun, les paies ne sont pas mirifiques et ils n'ont pas d'autre solution, disent-ils. Ils économisent un peu pour acheter une maison mais, pour l'heure, ils habitent en HLM où les bruits dedans et dehors ne sont pas favorables à la récupération par le sommeil.
Donc, comme le dit Monsieur A, les enfants ont tendance à manger un peu n'importe comment, à grignoter, à boire des boissons sucrées ("Pourquoi achetez-vous du coca ? - Les enfants aiment ça...") et à grossir.
J'ai déjà abordé le problème avec les deux enfants, huit et six ans. Pas simple.
Nous parlons des 3/8, du week-end de Pâques qui approche où Madame A va travailler, car elle travaille un week-end sur deux dans son hôtel, et du fait que la vie de famille n'est pas tout à fait ce qu'elle devrait être. "Et pour le sexe ?" demande le bon docteur du 16... Grand sourire de Monsieur A :"Pourraient mieux faire..."
Et je repense, persifleur, et j'en parle au patient, des déclarations récentes des hommes politiques sur le travail du dimanche. Les mêmes qui prônent la vie de famille, les repas ensemble, le partage, veulent libéraliser le travail le dimanche pour que les grandes surfaces soient ouvertes, que le chiffre d'affaire s'envole, pour que les gens qui s'ennuient devant leur télévision ou derrière leur internet, aillent se balader en famille pour faire des achats ou pour ne pas faire d'achats, pour regarder les autres traîner leur flemme ou leur désarroi, dans des allées éclairées au néon, à l'affût de promotions sur des objets fabriqués en Chine ou en Indonésie par des enfants ou des femmes exploités pour le plus grand plaisir des fonds de pension et des consommateurs des pays riches... Et, pour sauver l'emploi...
Bien entendu qu'il est nécessaire que des gens travaillent le dimanche : c'est le cas dans les hôpitaux, à la SNCF, dans les commerces alimentaires, et autres. Mais pourquoi généraliser ces pratiques ? Pourquoi favoriser encore plus le morcellement du tissu familial ? Pourquoi favoriser les séparations ? Pourquoi rendre les gens malheureux au nom du commerce et de l'économie ? Pour vendre encore plus de junk food, de produits importés, pour favoriser les livreurs de pizzas à domicile ou les sandwiches grecs ?
Dans le cas de la famille A, ce n'est pas ce problème, car le papa a un travail posté (il est difficile de faire autrement) et la maman travaille dans un hôtel... Mais si elle travaillait en horaire normal, elle ne pourrait accompagner ses enfants à l'école ou aller les chercher le soir : elle a décidé de travailler la nuit. Et son mari ne rechigne pas à la tâche, il fait le boulot de père au même titre qu'elle fait le boulot de mère. Et j'imagine à peine ce qui se passe dans une famille monoparentale... Où la mère travaille pendant le week-end... Que font les enfants ?
Donc, ma brave dame, mon brave monsieur, électrice, électeur, c'était une réflexion en passant, une réflexion sans lendemain, car, que pouvons-nous y faire ? Quand irions-nous acheter les étagères Billy si Ikea était fermé le dimanche ? Quand irions-nous au Musée s'il était fermé le week-end ? Quelles urgences fréquenterions-nous ? Heureusement que les médecins généralistes ne travaillent plus le week-end en dehors des gardes : on n'est pas des commerciaux !

dimanche 1 avril 2012

Poissons d'avril

  1. Xavier Bertrand décide que les médecins généralistes devront désormais recevoir les patients en blouse blanche à manches courtes pour des raisons d'hygiène
  2. En raison de la pénurie de kinésithérapeutes les médecins généralistes sont autorisés à ouvrir des box dans leurs cabinets où des patients munis d'électrodes ou enduits de boues bienfaitrices seront "massés" de façon ad hoc
  3. La Revue Prescrire déconseille formellement la vaccination contre le papillomavirus en attendant des preuves de l'efficacité du vaccin sur la prévention des cancers du col
  4. Patrick Pelloux prend une année sabbatique et vient travailler dans un cabinet de médecine générale pour désengorger les urgences
  5. Les cures thermales sont déremboursées en raison de l'absence de preuves concernant leur efficacité
  6. La revue web Infovac publie les liens d'intérêts de ses collaborateurs et les assume : le site s'auto dissout
  7. L'Education Nationale renonce à demander des certificats d'éviction scolaire pour des maladies non à déclaration obligatoire
  8. Un espace confidentialité est ouvert dans chaque pharmacie dans lequel les clients pourront être examinés en respectant le secret médical
  9. Jean-Luc Mélenchon propose le re remboursement des médicaments de confort pour favoriser l'accès aux soins des plus démunis
  10. Un décret loi limite les mandats à cinq ans dans les organismes publics (Haut Conseil de la santé Publique, Comité Technique des Vaccinations, Commission Nationale de Pharmacovigilance) et interdit le cumul avec d'autres fonctions publiques (auteur à l'INVS / Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire) ou privées (collaborations rémunérées par Big Pharma)
  11. La non déclaration des effets indésirables et toxiques des médicaments entraînera des poursuites pénales
  12. Les franchises médicales sont supprimées jusqu'à nouvel ordre et remplacées par des dépassements d'honoraires généralisés
  13. Déserts médicaux : la Maison Médicale de Garde de Koufra (Lybie) sera ouverte le week-end du premier avril
  14. L'AFSSAPS organisera chaque année à Saint-Denis une Journée Porte Fermée (à l'industrie pharmaceutique)
  15. Tom Jefferson entre à l'Association Mieux Prescrire
  16. Le prix 2012 des Amis du Structuralisme est attribué aux médicaments anti Alzheimer 
  17. Les orthophonistes dénoncent officiellement les manuels de lecture proposés aux élèves de CP
  18. Antoine Flahault démissionne de son poste de directeur de l'EHESP (Ecole des Hautes Etudes de Santé Publique) pour ses déclarations intempestives sur le rôle des frelons dans la propagation des projections biaisées en statistiques
  19. L'HAS devient la BAS (Basse Autorité de Santé)
  20. Les bases de données de la CNAMTS sont auditées par des experts de la FDA américaine et du NICE anglais : ils ne comprennent pas comment le génie français a fait en deux ans ce que les Anglo-saxons ont fait en dix
  21. La Revue Prescrire est en ligne.