jeudi 8 octobre 2015

Désorganiser le dépistage organisé du cancer du sein. Prolégomènes.

Commission de la vérité et de la réconciliation. Afrique du Sud.

Les éléments de preuves s'accumulent sur l'inefficacité du dépistage organisé du cancer du sein en termes de mortalité globale, de sa futilité en termes de mortalité spécifique mais surtout de sa dangerosité en termes d'effets collatéraux majeurs.

Ces éléments de preuves sont tels qu'ils posent un problème moral qu'il n'est plus possible d'éluder. Et quand il faudra signer un Manifeste pour les vicitimes de ce dépistage organisé, dans dix ans, vous vous rappellerez qu'il était possible de savoir tout depuis longtemps.

Et nous savons.

Le problème central que j'évoquerai dans le prochain billet est celui des citoyennes qui ont des seins et qui n'ont pas tous les éléments pour choisir de façon raisonnée comment gérer le risque d'avoir un jour un cancer du sein et comment le savoir.

J'ai déjà écrit sur le sujet en me faisant le porte-voix des vrais lanceurs d'alerte, pas les "J'arrive après la bataille", les "Je vous l'avais bien dit" ou "Hein que j'avais raison avant les autres"... Je ne vais pas revenir sur les chiffres bien que les chiffres soient indispensables pour s'assurer que l'on ne raconte pas n'importe quoi. Vous les trouverez ICI et LA mais les auto citations font rengaine.

Je vous propose pour vous attiser l'infographie réalisée par JB Blanc que vous pouvez retrouver sur son site avec des commentaires appropriés (LA).


Et, toujours du même auteur, un texte éclairant qu'il faudrait faire lire à tous les professeurs qui professent le dépistage organisé, et aussi aux non professeurs, aux médecins de base, mais surtout aux citoyennes pas malades, aux citoyennes qui pourraient le devenir ou, malheureusement à celles qui en ont déjà été victimes, et qui fait le point sur la manipulation du dépistage organisé (LA) en répondant à la majorité des questions que les dépisteurs patentés de l'INCa et d'ailleurs ne se posent jamais, d'abord en raison de leur incapacité intrinsèque à se poser des questions, ensuite en raison de leur aveuglement qui leur fait préférer leurs positions personnelles à la Santé publique, enfin en raison de blocages intellectuels que nous allons évoquer un peu plus loin et qui nous touchent les uns come les autres.

Merci donc de lire ce billet de JB Blanc avec attention.

Il m'étonnerait, et alors que le Ministère de la Santé demande à l'une de ses agences, l'Institut National contre le cancer (INCa), dont elle nomme les dirigeants non en raison de leurs activités de recherche ou de leur sens clinique mais parce qu'ils seront "politiques", "compliants", "observants" des politiques gouvernementales fondées sur la soumission au lobby santéo-industriel, d'organiser une large concertation citoyenne pour, ouvrons les guillemets, ouvrez vos oreilles, on se demande dans ce gouvernement et notamment dans ce ministère à l'agonie s'il existe une once de morale commune, améliorer le dépistage du cancer du sein (LA), c'est à dire bâillonner les opposants à ce dépistage organisé. C'est un peu comme si ce même Ministère de la santé faisait organiser par le Comité du sucre une large concertation citoyenne pour améliorer la consommation des boissons sucrées !

Cela fait du bien que des plumes différentes, celle de JB Blanc, tout comme celle de Sylvain Fèvre (voir LA pour le blog), nous disent ce que nos pionniers, Bernard Junod (malheureusement décédé), Peter Gotzsche (voir en particulier ce document Nordic Cochrane en anglais LA) lâché par Cochrane sur les psychotropes et par les Danois, Rachel Campergue (ICI pour son blog) (dont l'exil nous prive de son regard acéré de femme qui n'est ni médecin ni malade, le dernier billet date de décembre 2014, LA, et confirme que son point de vue est toujours aussi pertinent), nous ressassent depuis longtemps...

Et j'imagine que cette lecture fera plaisir à celles qui ont vécu le cancer du sein, celles qui pensent avoir été sauvées par le dépistage et celles qui croient avoir été sauvées par les traitements, quant aux autres, on les aime encore plus. Mais je m'arrête : pas de pathos.

Mais il me semble qu'un certain nombre de verrous (les blocages intellectuels dont je vous parlais plus haut) ne sont pas prêts d'être forcés. Chez les médecins comme chez les citoyennes et citoyens.


Et, au lieu de se balancer à la figure des arguments pour ou contre situés le plus souvent dans des plans différents de réflexion, les uns scientifiques et les autres un peu moins ou franchement limbiques, il est nécessaire d'identifier ces verrous.

En effet, les personnes qui ont commencé à douter de la pertinence du dépistage organisé du cancer du sein ne se sont pas réveillés un matin en se disant "Bon sang mais c'est bien sûr" ou "Je vais foutre le bordel dans cette fourmilière" ou, pour les plus fous, "Je suis un lanceur d'alerte, je suis un lanceur d'alerte !" Ils ont réfléchi, ils ont lu, ils ont douté.

Quand il existe des idées dominantes fondées sur le bon sens qui courent dans le monde médical et dans le monde profane, elles influencent également ceux qui n'y "croient" pas et les influencent encore quand ils n'y croient plus.

Je me rappelle, et surtout n'imaginez pas une seconde que je me prenne pour un lanceur d'alerte, je suis un esprit lent, prudent, pas très fort en calcul, en statistiques, je dois réfléchir à deux fois avant d'interpréter les rapports de cote, les valeurs prédictives positives et autres babioles qui devraient être acquises dès la première année de médecine, je me rappelle donc les conversations privées avec Marc Girard, c'était le début des années 2000, quand il me parlait de la connerie de la mammographie, il disait même cette saloperie, et que je n'avais pas encore lu Junod (qu'il m'a fait lire) et consorts (certains articles étaient d'une complexité rare)... Puis les choses se sont précisées avec les 2 numéros de Prescrire en 2007 et les avis de la Cochrane nordique déjà citée (Peter Gotzsche !). Mais que c'est dur quand on est un médecin généraliste que de devoir tout seul, aidé d'amis et de collègues (Dupagne, Braillon, Lehmann, Baud, Nicot), d'associations (et le Formindep a joué un rôle très fort, il faut le souligner, par exemple ICI, pour populariser les travaux de Bernard Junod membre du Formindep), de profanes (Rachel Campergue), de patientes (Martine Bronner, Manuela Wyler et d'autres), d'aller à l'encontre de ce qui se dit et écrit partout, penser contre l'Etat et son lobby santéo-industriel, de serrer les fesses comme dirait Christian Lehmann quand il s'agit de prendre des décisions  avec "ses" malades qui pourraient nous être reprochées ensuite. Car la différence entre le cancer du sein et le cancer de la prostate est la suivante : dans le cas du cancer du sein les recommandations officielles ne se posent pas de questions et il sera possible de se retrouver devant un tribunal et il sera possible de se faire attaquer par des experts "officiels" qui enfonceront le brave médecin qui n'aura fait que lire la littérature... tandis que dans le cancer de la prostate les recommandations sont presque claires bien que tous les urologues (que ceux qui ne le font pas envoient un message, cela ne bloquera pas le site) dosent le PSA systématiquement et que presque tous les médecins généralistes font idem mais, et Dominique Dupagne nous l'a montré, il sera possible en ce cas de se défendre victorieusement malgré les attaques ignominieuses des experts urologues patentés...

Commençons par le problème du sur diagnostic : le sur diagnostic n'est pas un faux positif !


Terminons par cette notion incroyable : il y a des cancers qui disparaissent tout seuls !

****

Nous aborderons dans le billet suivant le problème de la transition. Que faire ? Comment agir pour passer d'un système qui ne marche pas à un système qui permet de reprendre la main et qui permet  d'entraîner moins de dégâts collatéraux.

L'entreprise est vaste car elle oblige à remettre en cause nos pratiques, une de mes amies radiologues (qui se reconnaîtra) me disait : "Tout ce que tu dis met en cause mon activité quotidienne, mon travail en cancérologie...", eh oui.

Une de mes patientes me disait (elle se reconnaîtra) : "Comment vous croire alors que tout le monde dit le contraire ?"

Mais cette transition et ce virage à 180 degrés sont-ils encore possible avec une machine industrielle lancée dont la force d'inertie est considérable ? Comment s'y prendre ? Comment gagner la confiance des citoyennes ? Comment faire pour qu'elles s'approprient le refus du dépistage organisé ? Comment faire pour que les tenants de ce dépistage ne perdent pas la face et admettent qu'ils se sont trompés ou que les données d ela science ont changé ?

NOTES


1) Résumé imparfait du livre de Rachel Campergue

Voici quelques éléments que j'ai pêchés ici et là dans le livre de RC, éléments que les femmes ne trouveront pas dans les brochures incitant à pratiquer une mammographie tous les deux ans à partir de l'âge de 50 ans et jusqu'à l'âge de 74 ans :
  1. Il n'existe pas un mais des cancers du sein : des cancers qui grossissent rapidement (parmi eux les fameux cancers de l'intervalle, ceux qui apparaissent entre deux mammographies et qui sont déjà métastasés lorsqu'ils sont découverts), des cancers qui progressent lentement, des cancers qui ne grossissent pas du tout, des cancers qui sont si lents à progresser qu'ils ne donneront jamais de symptômes et des cancers qui régressent spontanément (ces deux dernières catégories pouvant être considérées comme des pseudo-cancers).
  2. La mammographie ne permet pas un diagnostic précoce car elle découvre des cancers qui étaient en moyenne présents depuis 8 ans !
  3. Les cancers de l'intervalle ne sont, par définition, pas découverts par la mammographie lors du dépistage et ce sont les plus rapides à se développer et les plus mortels. Attention (je rajoute cela le trois octobre 2013) : un essai récent sur une population norvégienne dit le contraire (ICI)
  4. La mammographie peut se tromper et passer à côté de 20 % des cancers du sein et ce pourcentage est encore plus fort chez les femmes plus jeunes (25 % entre 40 et 50 ans), ce sont les faux négatifs.
  5. La mammographie peut se tromper et annoncer un cancer alors qu'il n'en est rien : ce sont les faux positifs. On imagine l'angoisse des femmes que l'on "rappelle" après la mammographie pour leur demander de passer d'autres examens et pour leur dire ensuite, heureusement, qu'elles n'ont pas de cancer... Voici des données terrifiantes : Après avoir subi une dizaine de mammographies, une femme a une chance sur deux (49 % exactement) d'être victime d'un faux positif et une chance sur 5 (19 % exactement) de devoir se soumettre inutilement à une biopsie du fait d'un faux positif.
  6. La seconde lecture de la mammographie par un autre radiologue ne se fait qu'en cas de résultat normal, pas en cas de résultat anormal : on ne recherche que les faux négatifs, pas les faux positifs (ceux qui conduisent aux examens complémentaires anxiogènes dont la biopsie qui peut être dangereuse)
  7. La mammographie est d'interprétation d'autant plus difficileque la femme est jeune (importance du tissu glandulaire) et qu'elle prend des estrogènes qui sont un facteur de risque du cancer du sein et d'autant plus difficile que la femme est ménopausée prenant des traitements hormonaux substitutifs (heureusement arrêtés aujourd'hui)
  8. On ne lit pas une mammographie, on l'interprète et il faut se rappeler que la variabilité inter radiologue peut atteindre (dans la lecture d'une radiographie du poumon, ce qui est a priori plus facile) 20 % et que la variation intra individuelle (on demande à un radiologue de relire des clichés qu'il a déjà interprétés) de 5 à 10 %
  9. L'interprétation erronée d'une mammographie dans le cas d'un faux positif (cf. le point 5) conduit les femmes à être "rappelées" (pour biopsie) : le taux de rappel peut varier, chez les "meilleurs" radiologues, de 2 à 3 % et atteindre 20 % chez les autres ! Certains estiment que le taux "idéal" de rappel serait de 4 à 5 % alors qu'il est de 10 à 11 % en pratique : sur 2000 femmes invitées à la mammographie pendant dix ans 200 feront face à un faux positif ! Anecdotiquement (mais pas tant que cela) le taux de rappel augmente quand le radiologue a déjà eu un procès.
  10. Quant à la lecture (i.e. l'interprétation) des biopsies elle laisse encore une fois rêveur : Un essai a montré que la lecture de 24 spécimens de cancers du sein par 6 anatomo-pathologistes différents a entraîné un désaccord pour 8 spécimens (33 %). Quand on connaît les conséquences d'une biopsie positive...
  11. La biopsie positive ne fait pas la différence entre ce qui n'évoluera jamais et ce qui évoluera de façon défavorable (sauf dans les rares cas de cancers indifférenciés) et c'est cette définition statique qui est source d'erreurs fatales... Et encore n'avons-nous pas encore parlé des fameux cancers canalaires in situ...
  12. Sans compter que nombre de cancers REGRESSENT spontanément comme cela a été montré dans la fameuse étude de Zahl de 2008 : une comparaison entre femmes dépistées et non dépistées montre que les femmes suivies régulièrement pendant 5 ans ont 22 % de cancers invasifs de plus que celles qui ne l'avaient pas été... Et encore les cancers canalaires in situ n'avaient-ils pas été pris en compte...
  13. L'exposition des seins aux rayons X n'est pas anodine.L'historique de l'utilisation des rayons X en médecine laisse pantois (pp 331-382). Mais je choisis un exemple décapant : dans les familles à cancers du sein (mutation des gènes BRCA1 et BRCA2) une étude montre que le suivi mammographique depuis l'âge de 24 - 29 ans de ces femmes à risque entraînait 26 cas de cancers supplémentaires (radio induits) pour 100 000 ; ce chiffre n'était plus (!) que de 20 / 100 000 et de 13 / 100 000 si le dépistage était commencé respectivement entre 30 et 34 ans et entre 35 et 39 ans !
  14. Il n'y a pas de sein standard pour les doses de rayon administrés par examen ! Ou plutôt si, cette dose a été définie ainsi : pour un sein constitué à parts égales de tissu glandulaire et de tissu graisseux et pour une épaisseur comprimée (sic) de 4,2 cm. Je laisse aux femmes le soin de vérifier...
  15. Terminons enfin, à trop vouloir prouver on finit par lasser, même si nous n'avons pas rapporté la question des biopsies disséminatrices de cellules et de l'écrasement des seins lors des mammographies répétées, sur le problème des carcinomes in situ qui "n'existaient pas auparavant" et qui sont devenus les vedettes de la mammographie de dépistage (environ 50 % des cancers diagnostiqués). Une enquête rétrospective a montré que sur tous les carcinomes in situ manqués seuls 11 % étaient devenus de véritables cancers du sein alors que la règle actuelle est de proposer mastectomie ou tumorectomie + radiothérapie... Sans compter les erreurs diagnostiques : un anatomo-pathologiste américain a revu entre 2007 et 2008 597 spécimens de cancers du sein et fut en désaccord avec la première interprétation pour 147 d'entre eux dont 27 diagnostics de carcinome in situ.
2)
Ce dont Gotzsche nous a appris à nous méfier.

  1. Croyance 1 : Dépister tôt, c'est mieuxLes faits : En moyenne les femmes ont un cancer du sein qui évolue depuis 21 ans quand il atteint la taille de 10 mm.
  2. Croyance 2 : Il vaut mieux trouver une petite tumeur qu'une grosseLes faits : Les tumeurs détectées par dépistage sont généralement peu agressives ; aucune réduction du nombre de tumeurs métastasées n'a été constatée dans les pays où le dépistage est organisé.
  3. Croyance 3 : En identifiant les tumeurs tôt un plus grand nombre de femmes éviteront la mastectomieLes faits : Non, un plus grand nombre de femmes subiront une mastectomie.
  4. Croyance 4 : Le dépistage par mammographie sauve des vies.Les faits : Nous n'en savons rien et c'est peu probable, par exemple la mortalité par cancer est la même.
3)
Le document du site cancer rose, site alternatif, proposant une brochure d'information raisonnable et raisonnée à destination des femmes afin qu'elles puissent choisir est consultable in situ en deux versions téléchargeables.

4) La conclusion des auteurs de la Nordic Cochrane

If we assume that screening reduces breast cancer mortality by 15% and that overdiagnosis and overtreatment is at 30%, it means that for every 2000 women invited for screening throughout 10 years, one will avoid dying of breast cancer and 10 healthy women, who would not have been diagnosed if there had not been screening, will be treated unnecessarily. Furthermore, more than 200 women will experience important psychological distress including anxiety and uncertainty for years because of false positive findings. To help ensure that the women are fully informed before they decide whether or not to attend screening, we have written an evidence-based leaflet for lay people that is available in several languages on www.cochrane.dk. Because of substantial advances in treatment and greater breast cancer awareness since the trials were carried out, it is likely that the absolute effect of screening today is smaller than in the trials. Recent observational studies show more overdiagnosis than in the trials and very little or no reduction in the incidence of advanced cancers withscreening.

Pour l'illustration et pour en savoir plus sur Vérité et Réconciliation.

mercredi 30 septembre 2015

Octobre rose : le rouleau compresseur du dépistage organisé du cancer du sein.


Cela commence très fort avec Gerald Kierzek, urgentiste, La nuit aux urgences, le matin sur Europe 1. Il a fait une chronique ce matin 30 septembre 2015 qui pousse très loin l'information déséquilibrée (et je suis poli) : voir ICI.
Comme il n'avait pas le temps de parler des éventuels inconvénients du dépistage, il commence sa chronique par le cancer du sein chez l'homme, problème éminent de santé publique. Puis il y va de tous les poncifs de la propagande de l'Eglise de dépistologie : plus c'est tôt mieux c'est, plus c'est petit mieux c'est, plus ça va et plus les patientes guérissent et plus le bonheur règne.
Merci docteur Kierzek.

Je voulais ajouter ceci :  Il n'est pas simple de faire une chronique de deux minutes sur un sujet aussi complexe. Il n'est pas simple sur une radio généraliste d'aller à l'encontre des recommandations officielles, fussent-elles contestables et contestées. L'exercice est sans doute difficile, j'en conviens et je le dis honnêtement, je n'en suis pas capable. Mais ce n'est pas une raison pour 1) alerter sur un cancer très rare (celui de l'homme) et pour 2) dire béatement ce que racontent les officiels. Je comprends, vu le faible taux de mammographies effectuées en suivant le dépistage organisé qu'il ne faille pas désespérer Billancourt... mais quand même.

Voici le script de l'entretien entre Thomas Sotto (TS) le journaliste d'Europe 1 et le docteur Gerald Kierzek (GK) qui s'appelle "Octobre rose : le cancer du sein touche aussi les hommes", qui dure environ 2'11 et dont la première partie sur l'homme dure un peu plus d'une minute... 

TS : Demain ce sera le début du mois et le début du mois d’octobre rose, grande opération de dépistage du cancer du sein chez les femmes. Bonjour docteur Kierzek.
GK : Bonjour Thomas.

TS : Eh ben nousNous allons commencer par parler d’un cancer dont on n’entend jamais dire un mot, c’est celui du cancer qui touche les hommes, car oui ça existe.

TS : Eh ben nous allons commencer par parler d’un cancer dont on n’entend jamais dire un mot, c’est celui du cancer qui touche les hommes, car oui ça existe.
GK : eh oui ça existe, le cancer du sein chez l’homme,  certes c’est rares on en parle beaucoup chez la femme, cela représente 1 % des cancers, les procédures de dépistage sont très rodées maintenant et malheureusement  chez les hommes, eh bien on n’y pense pas, et pourtant ce cancer du sein peut exister avec les mêmes symptômes sauf quand on y pense pas y a un retard diagnostique…
 (...)
TS : Qu’est-ce que ça change chez une femme pour le coup de faire une mammographie régulièrement ?
GK : Alors ça permet de dépister beaucoup de cas de cancer, 16000 cas de cancer sont ainsi détectés par la mammographie, mammographie qui est  systématisée depuis le plan cancer 2004, c’est une mammographie tous les deux ans chez les femmes qui n’ont pas de facteurs de risque particuliers, et je pense aux femmes qui n’ont pas de facteurs de risque familiaux en particulier…
TS : Tous les deux ans à partir de quel âge ?
GK : A partir de 50 ans jusqu’à 74 ans… on fait une mammographie tous les deux ans, et donc vous recevez, les femmes vont recevoir, un petit papier de la sécurité sociale qui leur permet d’avoir ce dépistage une double mammographie, faite chez des radiologues qui sont agréés.
TS : On a appris hier que les femmes qui présentaient un risque élevé pourraient désormais se faire dépister gratuitement et ce quel que soit leur âge. En termes de traitement est-ce qu’on arrive aujourd’hui à guérir une majorité de cas ou pas ou ça reste un cancer très compliqué.
GK Non, c’est un cancer quand il est pris très tôt, et c’est tout l’intérêt du dépistage, plus de 90 % peuvent être soignés par des traitements qui sont de moins en moins agressifs, de moins en moins avec des séquelles, et ça c’est important et c’est grâce au dépistage précoce et notamment quand les tumeurs sont petites, à moins de deux centimètres, eh bien là il y a des espoirs thérapeutiques, extrêmement importants et là on rappelle que le cancer du sein, c’est une femme sur 8 qui est concernée.

jeudi 24 septembre 2015

La médecine praticienne : un métier de chien.


La médecine praticienne est la médecine où l'on reçoit des malades, où l'on parle avec eux et où l'on prescrit éventuellement des examens complémentaires ou des médicaments ou des gestes paramédicaux (que l'on fait aussi) mais on prescrit toujours à son corps défendant (paroles, mots, expressions, conseils, attitudes), la médecine praticienne permet de fournir du soin.

C'est un métier de chien.

Je parlerai surtout de la médecine générale praticienne que je connais le mieux. Mais la médecine générale commence chaque fois qu'un spécialiste d'organe (et ne croyez pas que j'écrive cela par mépris) s'intéresse à autre chose qu'à l'organe et prend le malade en compte comme un citoyen, je dis bien citoyen, pas seulement un patient ou un malade... 

Que l'on soit salarié, libéral, semi salarié, semi libéral, presque fonctionnaire, presque je ne sais quoi....

A partir du moment où quelqu'un s'installe en face de vous ou que vous vous installez en face de lui ou à côté de lui ou derrière lui, quelqu'un qui se sent malade, qui est malade ou bien plus, les emmerdements commencent.

Savoir accepter l'incertitude est la première difficulté. Jusqu'où aller. Jusqu'où ne pas aller. On ne vous reprochera jamais d'avoir demandé trop d'examens complémentaires alors que dans le cas inverse il y aura toujours quelqu'un pour vous ennuyer.

Savoir hiérarchiser le risque.

Se dire qu'un couac est toujours possible et surtout dans les situations "faciles". Surtout quand tout va bien.

Etre persuadé que l'enseignement reçu à la Faculté est une base et surtout un poids difficile à supporter ainsi qu'une source d'erreurs possibles.

Se rappeler que les symptômes correspondent rarement à une maladie, que les examens complémentaires créent des faits incidents et erronés, et donc que la médecine générale, selon le généraliste écossais Des Spence à qui j'emprunte les écrits (LA), n'est pas faite pour les obsessionnels, les craintifs, les introspectifs et encore que, je le cite, confiance, réassurance, erreurs, sont nos meilleures interventions thérapeutiques.

Savoir en recevant un patient dans son cabinet de consultation de médecine générale qu'il s'agit souvent du premier contact entre une personne qui se sent mal, qui a besoin d'aide, qui est programmée pour aller chercher des soins médicaux ou ce qu'elle pense être des soins médicaux et que le médecin généraliste est d'abord là pour écouter, écouter des personnes qui sont le témoin de l'érosion du bien-être, témoins de l'atomisation de la société, témoins de la dépersonnalisation, du déracinement social et géographique, de la destruction des solidarité familiales, et aussi des victimes de la médicalisation de la vie quotidienne qui conduit à l'hétéronomie des comportements, à la consultation excessive et inappropriée des médecins et à la sur médicalsation et au sur traitement.

Etre persuadé que ne rien faire, ne rien prescrire, simplement écouter et tenter de comprendre, et revoir les patients, et les réentendre, est une démarche qui devrait être fréquente et, comme le dit encore Des Spence, savoir résister aux sirènes des stupides recommandations expertales pour ne pas adresser inutilement est une des tâches fondamentales de notre métier.

Comment voulez-vous donc que le médecin généraliste, à contre-courant du flux moderne de la pseudo-science, à contre-courant des recommandations, à contre-courant des algorithmes, à contre-courant de la médicalisation de la société, au milieu de la schizophrénie moderne (et commerciale) qui favorise la junk food à coup de publicités envahissantes et vulgaires que la société ne saurait interdire pour respecter responsabilité individuelle et qui somme les médecins généralistes à dépister les maladies induites par cette même junk food, comment voulez-vous donc que le médecin généraliste n'ait pas du mal à résister et n'ait pas du mal à désespérer et à déprimer et à être anxieux, irritable ou auto destructeur ?

Nous avons un métier de chien car ce que nous entendons dans notre cabinet nous poursuit jusque dans nos vies personnelles, pendant les repas, pendant les réunions de famille, pendant que nous dormons.

Ne l'oublions pas, et malgré toutes les barrières que l'on ne nous a pas appris à dresser, nous ne connaissons spontanément et au gré de nos études que l'arrogance médicale, le paternalisme, et la science infuse, et le mépris pour ce qui n'entre pas dans les cases de la théorie, nous sommes confrontés à la maladie, à la souffrance, aux âmes torturées, aux corps sales, au sang, aux larmes et à la mort, dont la notre qui approche.

Spence Des (GP)



jeudi 17 septembre 2015

Au coeur de la corruption.


Il n'est pas un jour où des informations ne viennent montrer, démontrer et confirmer que la corruption est au centre du système mondial de la santé.

La publication dans le British Medical Journal (on ne dira jamais assez l'importance de ce journal dont on peut critiquer ici ou là la politique éditoriale) de l'étude 329 revisitée (LA), c'est à dire rétablie dans sa véracité, est démonstrative de tout ce qui est fait (cacher, tricher, modifier, interpréter) pour promouvoir des médicaments dangereux dans le seul but de faire de l'argent.  Prenez le temps de lire des commentaires d'une grande pertinence : LA. Mais le nom des laboratoires Servier n'apparaît pas. Il s'agit de Glaxo qui a payé 3 milliards de dollars pour cette fraude alors que la molécule (la paroxétine) est toujours commercialisée... et continue d'être promue et de gagner des parts de marché.

Je pourrais aussi vous parler d'un article du JAMA qui a été publié puis rétracté alors qu'il s'agissait  de malades fictifs : les patients fantômes recherchés par les attachés de recherche clinique. Le commentaire est LA et l'article ICI. Mais le plus surprenant dans tout cela, et les défenseurs de l'industrie ne pourront manquer de s'en réjouir et de le faire savoir, c'est qu'a priori cette étude n'était pas sponsorisée et qu'elle concernait une molécule tombée dans le domaine public et valant trois francs six sous. Certains chercheurs n'ont même pas besoin qu'on les corrompe puisqu'ils sont spontanément ouverts à la corruption. Même sans les laboratoires Servier.

Les laboratoires Pfizer ne sont pas en reste (j'ai déjà raconté les histoires de ce merveilleux laboratoire) avec une affaire récente concernant la pregabaline (voir LA). Mais Pfizer est habitué à des procès retentissants avec une amende de 2,3 milliards de dollars pour bextra en 2009 (LA) ou l'utilisation d'enfants nigerians pour ses essais cliniques (ICI).



Le Manifeste des 30 (j'avais pensé de façon naïve qu'il s'agissait des 30 dernières victimes du Mediator non indemnisées par Servier) initié par Irène Frachon pour défendre les victimes du Mediator (cf. supra) mais surtout pour boycotter les laboratoires Servier et leurs dépendances (il eût d'ailleurs été pertinent de citer quels sont les laboratoires, officines, groupes, firmes, sous-groupes, sous-firmes, sous-officines, qui font partie du groupe et de donner les noms de tous les médecins qui, officiellement, ont reçu de l'argent du groupe depuis, disons, cinq ans) a été signé initialement (les 30 platinum signataires) par des gens qui ne sont pas libres de liens d'intérêt ou qui les revendiquent comme tels. Je vous rappelle mes commentaires (LA) et ceux de CMT (ICI) pour ceux qui ne seraient au courant de rien.

Ce Manifeste est, toutes chose égales par ailleurs, une entreprise (inconsciente pour les uns et consciente pour les autres) de blanchiment de l'industrie pharmaceutique sauf Servier, au même titre que Servier a tenté (avec succès en France) de blanchir le benfluorex de son péché originel fenfluraminique.

On connaît par coeur les arguments des collaborateurs universitaires ou non de big pharma. Ils ont des éléments de langage tout prêts. 
  1. Il n'y a pas de recherche en médecine sans la participation de l'industrie
  2. Si l'industrie nous demande de travailler avec elle c'est que nous sommes les meilleurs de la profession
  3. Notre parfaite connaissance de notre domaine de compétence nous permet d'influencer la recherche et ses orientations
  4. Nous sommes très mal payés et nous avons besoin de subventions pour nous déplacer dans les congrès internationaux ou nationaux
  5. Nos services sont très mal dotés et les "caisses noires" nous permettent d'acheter du matériel, voire d'informatiser notre service et/ou de permettre de subventionner de jeunes chercheurs.
  6. L'argent de l'industrie nous permet de porter la bonne parole dans les réunions de formation médicale continue
  7. Nous sommes indépendants et l'argent que nous touchons ne modifie en rien notre jugement
  8. La doctrine Bruno Lina (et désormais Arnaud Danchin) : manger à tous les rateliers garantit l'intégrité. Trop de corruption tue la corruption.
Il ne s'agit pas de condamner a priori l'industrie mais de se donner les moyens de contrôler son activité et notamment la sincérité des essais cliniques tant dans leur conception (design), dans leur mise en place et leur suivi (reporting), que pour l'analyse des résultats (open data) et que pour la rédaction des articles.
Au niveau européen (EMA), tout est fait dans l'autre sens, c'est à dire celui de la dévolution aux industriels des contrôles de leur propre activité.

Quant au reste, la corruption généralisée de l'appareil d'Etat, il est encore possible d'agir mais il faudrait une volonté politique claire. 
La sincérité des membres des agences gouvernementales françaises est largement remise en cause quand on découvre les officiels liens d'intérêt qu'ils entretiennent avec les industriels dont il décide la commercialisation des produits, leur prix et la façon dont ils doivent être recommandés.
Mais, à moins de définir des politiques publiques de façon concertée et démocratique, volontaristes et incitatives, il ne sera plus jamais (dans un avenir prévisible) possible d'influer sur la stratégie des grands groupes pharmaceutiques dans le domaine de la recherche. 
Il ne restera aux agences gouvernementales (et les données récentes concernant l'agence américaine, la FDA, 96 % des nouvelles molécules sont approuvées en 2014, sont extrêmement alarmantes sur sa possibilité de résister aux sirènes de big pharma, voir ICI, sans compter le CDC d'Atlanta dont les prises de position ces dernières années ont toujours été en faveur de l'industrie) que le contrôle a posteriori mais les moyens de l'effectuer ne sont pas fournis.

L'étendue de la corruption initiée par le lobby santéo-industriel est telle (je n'ai pas parlé de la corruption des professeurs qui délivrent l'enseignement dans les facultés, scandale absolu) et le degré d'innocence (?) des médecins est tel que je ne vois pas d'autres solutions que le pourrissement de la situation : la médecine va sentir le pyo pour de très nombreuses années.

PS : Un article additionnel sur Johnson et Johnson dans le New York Times : "Quand le crime paie". C'est à propos du risperdal (LA)
PS 2 (23 septembre 2015) : Le cartel pharmaceutique tel le cartel de la drogue. Un reportage de Michael Che sur Commedy Central (ICI).

lundi 14 septembre 2015

Le gardasil a gagné. Circulez y a rien à voir.


Un article de Libération (ICI) au titre provocateur "la vaccination contre le papillomavirus est indispensable", une étude (entre parenthèses) que l'on n'a pas encore lue, des commentaires appropriés du Directeur général de la Santé, Benoît Vallet, un billet de blog de Jean-Yves Nau (LA), un commentaire d'Agnès Buzyn, la directrice de l'INCa, celle qui ne sait pas ce qu'est un sur diagnostic lors du dépistage du cancer du sein par mammographie, des arguments de tolérance alakhon, des non réponses à des questions qui se posent et des réponses à des questions que l'on ne se pose pas, et passez muscade. 
Sans compter la stigmatisation des dubitatifs, la culpabilisation des familles et pas un mot, pas un mot sur le frottis.
Nous vivons une époque formidable.
Quant à l'étude qui permet cette première mondiale, c'est la base de données de la CPAM qui servit récemment à demander le retrait du domperidone sur des arguments pour le moins fallacieux (ICI) ou, avec une méthodologie à faire frémir un élève de CM1, à écarter l'actos, que je ne défendrai pas non plus (voir LA)... 

Le seul test de dépistage qui marche vraiment en cancérologie, le frottis vaginal effectué tous les trois ans chez les femmes entre 20 et 65 ans (sauf modalités particulières), est enterré.

Alors que les campagnes de dépistage par mammographie pour le cancer du sein sont encouragées malgré ses dégâts collatéraux, que le dépistage du cancer du colon par détection de sang dans les selles est prôné malgré son "efficacité" pratique (atteindre 75 % de détection de la population cible) inexistante et que l'on continue à laisser faire le dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA...

Je comprends que les jeunes médecins ne veuillent pas "faire" médecine générale pour se retrouver, en bouts de chaîne, en tant que pivots ou proximologues, comme exécutants de politiques de santé infondées et désastreuses.

Qu'ils fassent spécialistes d'organes, profession éminente parmi laquelle peu de gens (il y a des exceptions) se mettent en travers des autorités pour s'opposer à des politiques liées à l'argent du lobby santéo-industriel, d'abord c'est plus classe, ensuite c'est plus confortable sur le plan de l'éthique.

Vous pouvez,mais il est trop tard, consulter des articles consacrés à la vaccination contre le papillomavirus sur ce blog et en particulier celui-ci : LA ainsi qu'un billet de Marc Girard comme celui-ci : ICI.

Addendum (ce jour et un peu plus tard) : Dans l'émission La tête au Carré sur France Inter (LA dans les dix premières minutes) discussion surréaliste sur le gardasil entre Dominique Dupagne et le directeur de l'ANSM où la notion de Frottis vaginal n'a jamais été énoncée ! Cela fait partie de la stratégie globale de big vaccin pour semer le doute.

PS du 12 décembre 2016.
Un article du journal Le Monde indique comment l'agence européenne a mis à la trappe des effets indésirables du vaccin anti apillomavirus : ICI.
Et voici la plainte de la Nordic Cochrane émanant de Peter Goetzsche de mai 2016 : LA.
Et la réponse de l'EMA : ICI.

vendredi 4 septembre 2015

Fluorette, on aime ta médecine générale.


Fluorette, je l'ai vue en vrai (c'est mon lien d'intérêt déclaré), eh bien, elle m'a fendu le coeur quand j'ai lu son billet annonçant son départ (lire ICI avant de continuer) parce qu'elle a raconté notre exercice quotidien à tous (sauf qu'elle a oublié plein de trucs qui m'énervent encore plus que les trucs qu'elle a cités) et que je l'ai plainte qu'elle en souffre de cette façon. 

Parce qu'au delà de ses emmerdes, en dépit des raisons pour lesquelles elle ne peut plus continuer, et, sans trahir de secret, mais le secret est public, elle accumule pas mal de choses et que, vu de l'extérieur, ça commence à bien faire, et, je crois, mais je dis cela comme cela, les conseilleurs ne sont pas les payeurs, elle a bien raison d'ouvrir la porte pour la fermer...

Et au delà de tout ce qu'elle raconte et chacun d'entre nous, je veux dire les médecins généralistes qui sont en train de passer un sale quart d'heure avant de disparaître, peut témoigner du fait que c'est du vécu vrai, donc, la Fluorette, en sa tristesse et son malheur, elle a quand même l'air d'être une drôle de bonne médecin généraliste. Elle a l'air d'avoir vachement compris ce qu'est notre métier, bien qu'elle soit jeune, bien qu'elle n'ait pas encore de "bouteille", bien qu'elle sorte de la fac il n'y a pas si longtemps que cela, et les gens de mon âge peuvent témoigner qu'à son âge on n'avait non seulement pas compris le quart de la moitié de ce qu'elle comprend mais, bien pire encore, on ne se posait même pas de questions, on (je parle de moi) se laissait porter par la griserie de l'indépendance, l'enthousiasme d'être un docteur et de voir des gens attendre dans la salle d'attente pour venir nous voir...

Tout ce qu'elle dit, énumère, rapporte, fait partie du quotidien des médecins généralistes installés, mais c'est peu enseigné, peu décrit et les jeunes médecins, les pas encore installés comme les futurs thésards, ont spontanément peur de tout ce qui peut tomber sur les épaules d'un médecin frais émoulu de la Faculté de Médecine qui prend tellement les futurs médecins généralistes pour des demeurés que plus personne ne veut exercer cette merveilleuse profession de merdre. parce que, la médecine, quoi qu'on en dise, c'est une profession de merdre : c'est un gouffre insondable tant sur le plan de la science que sur celui des sentiments. Il faut être solide.

Les malades nous disent souvent "Mais comment faites-vous pour vous rappeler les noms et les posologies de tous les médicaments ?..." mais s'ils savaient que cette "performance" est sans commune mesure avec le reste, c'est à dire écouter, construire, analyser, synthétiser, prendre en compte, non seulement les symptômes et éventuellement les maladies mais surtout ces bon dieux de citoyens immergés dans une société où tout est fait, toutes choses égales par ailleurs quand on examine l'augmentation continuelle de l'espérance de vie, pour que l'hygiène de vie soit mauvaise.

Fluorette fend le coeur parce que son constat n'est pas seulement celui de quelqu'une qui regrette qu'on lui mette des bâtons dans les roues mais surtout celui d'une jeune femme qui sait quel type de mèdecine elle veut exercer, dans quelles conditions, dans quel environnement et avec quels collègues qui seraient non seulement gentils mais gentils. Fluorette a lu, entendu, pratiqué, discuté, remis en questions, douté, et pourtant elle sait ce qu'elle veut. Pas d'un machin hyperbolique ou rêvé mais d'un endroit proche où elle serait en mesure de faire de la médecine générale, de la simple médecine générale.

Parce que mon boulot c’est la médecine générale, c’est m’occuper de gens entiers, pas juste des bouts de gens et la fois d’après l’autre bout..

Et en lisant ce qu'elle a écrit ce premier septembre 2015, on a beau écarquiller les yeux, relire, chercher, on ne trouve ni le prix de la consultation, ni la lourdeur des charges et des impôts, ni, ni, on ne trouve que le terrible désespoir de ne pas pouvoir exercer un métier qui permet d'écouter les gens, de les conseiller et, éventuellement, en les soignant, de les guérir.

En fait, Fluorette, je l'ai vue IRL quelques instants dans une manifestation contre la Loi Santé, mais je la connais surtout par son blog, ses activités twiteriales, et cetera, je crois donc qu'elle ne peut pas ne pas rebondir pour faire ce qu'elle a envie de faire.

Mais il est vrai, comme elle le dit, qu'elle n'est pas aidée.

J’ai envie que le rêve devienne réalité. Oh je me rends bien compte que tout ne sera pas parfait. Mais je suis prête. Ça y est. Je commence à en parler. Je confirme la rumeur, j’essuie leurs pleurs, je dis au revoir, mon bide se serre.

Illustration : de Paul Signac (1863-1935) : Au temps d'harmonie (1893-1895)

mardi 1 septembre 2015

Le manifeste des 30 et les conflits d'intérêt : ne pas signer est une question de cohérence. Par le docteur Claudina Michal-Teitelbaum




                                   
A la suite des commentaires que j'avais écrits lors de la publication du billet de Jean-Claude (ICI) voici un texte qui me permet d’expliquer de façon plus précise ma position au sujet du manifeste-pétition des 30 

Je ne prendrai pas de précautions oratoires excessives mais j’espère montrer que ma position n’est pas sous-tendue par un souci de me démarquer ou par une volonté de critiquer tous azimuts mais par un souci de cohérence à la fois éthique et pratique.

Le fond de mon argumentaire tient en une phrase : quand on se pose en moralisateur, la moindre des choses c’est de s’astreindre à respecter les règles qu’on voudrait imposer aux autres.

Cela n’est pas uniquement une critique à valeur « morale » car présenter des médecins assumant leurs nombreux conflits d’intérêts comme des références sur le plan moral aura nécessairement un impact en pratique sur la banalisation des conflits d’intérêts parmi les médecins. Puisque cela implique qu’on pourrait être d’une grande exigence morale, tout à fait lucide sur les médicaments, tout un acceptant un grand nombre de liens financiers avec les laboratoires pharmaceutiques. Ce qui a toutes les chances d’être faux puisque la raison pour laquelle les laboratoires entretiennent ces liens financiers est qu’ils peuvent en mesurer l’impact sur les prescriptions et le chiffre d’affaires, indépendamment de la qualité propre des médicaments.

Etes vous contre la faim dans le monde ?
C’est, à peu près, à cela que revient de s’élever contre le fait que des médecins continuent à entretenir des relations financières ou autres avec le laboratoire Servier. Mais la persistance de ces relations n’est qu’un témoignage particulier d’un phénomène beaucoup plus large et aux conséquences tout aussi délétères et plus étendues, c'est-à-dire la banalisation des relations financières des médecins (des médecins prescripteurs aussi bien que ceux des agences) avec les laboratoires pharmaceutiques générant des conflits d’intérêts de nature à brouiller le jugement des dits médecins.

Les pétitions et manifestes ne sont pas faits pour obtenir des résultats, qu’ils obtiennent très rarement, mais plutôt pour mettre en avant des idées, pour informer ou exercer une influence [1]. Une  des caractéristiques des pétitions est d’être peu impliquante, sauf, évidemment, quand on s’expose personnellement en les signant. Mais le plus souvent, comme le disait Jean-Claude, être parmi les primo-signataires ou promoteurs d’une pétition permet surtout de s’exposer à la lumière des projecteurs.
Puisque les auteurs du manifeste ont choisi d’associer, en tant que signataires vedettes, censés représenter l’esprit même du manifeste, des médecins entretenant couramment des relations avec divers industriels et qui en nient néanmoins l’influence, la question devient : y a-t-il une différence  fondamentale de nature entre Servier, ses méthodes, les conséquences de ces méthodes, et celles d’autres laboratoires avec lesquels certains des signataires vedettes entretiennent des relations assidues et lucratives quoique non déclarées dans ce manifeste ? Ma réponse est : « non », et je vais argumenter.


Tout le monde n’est pas pourri, mais tout le monde est influençable

Ca ne m’est pas agréable de prendre cette position à contre-pied de ce manifeste, d’autant qu’il y a parmi les signataires des personnes dont j’apprécie l’action et que je respecte, tels le sénateur Autain, dont le travail extraordinaire en a fait la bête noire des lobbyistes au Sénat, ou Irène Frachon qui a gardé une ligne de conduite exemplaire et a affiné son analyse au cours du temps.

Je pourrais aussi citer Dominique Dupagne, dont je ne partage pas la vision centrée sur le patient-roi de la médecine, patient à qui on devrait accorder tout ce qu’il demande, y compris des traitements qu’on sait inutiles ou dangereux, mais qui a fait un travail d’alerte et d’information souvent essentiel sur certaines pratiques telles que le dépistage du cancer de la prostate par le PSA, entre autres.

Contrairement à ce qu’on va certainement penser, je n’ai rien non plus contre le professeur Grimaldi qui a une réputation d’intégrité reconnue, mais je le pense sous influence. D’ailleurs, qu’il y a-t-il de plus dangereux pour la santé publique qu’un médecin malhonnête sous influence ? Un médecin honnête sous influence, bien sûr, parce qu’il saura effectuer comme nul autre ces opérations de « blanchiment de médicaments » que certaines grosses compagnies pharmaceutiques attendent des leaders d’opinion et des associations de patients sous influence.

Un livre qui prétend détenir la « vérité » sur les médicaments écrit pas des médecins hospitaliers sous influence

Jean-Claude avait déjà cité les écrits d’Hippocrate et Pindare concernant une interview d’André Grimaldi à la sortie du livre La vérité sur vos médicaments co-écrit par 32 médecins hospitaliers  dont Jean-François Bergmann et Irène Frachon. Ce livre prétend révéler LA vérité scientifique en riposte à ceux qu voudraient relativiser la valeur de la science.

Il reste qu’un jeune blogueur a fait la synthèse des avantages financiers des auteurs de ce livre, telles qu’elles figuraient sur la base des données transparence-santé : sur les 32 médecins co-auteurs du livre,  26 ont reçu des cadeaux de la part de compagnies pharmaceutiques et certains ont multiplié les conventions avec elles entre 2012 et 2014 [2]. Jean-françois Bergmann, par exemple, arrive en deuxième position pour le nombre de conventions signées, avec 54 en plus de 5074 euros de cadeaux (repas, transport, hébergement) que les laboratoires ont déclaré lui avoir versé. Pour André Grimaldi  32 convention ont été signées et 1707 euros ont été versés.

Le collectif « regards citoyens », qui a fait un formidable travail de compilation des informations sur les liens financiers entre médecins et industrie pharmaceutique [3] explique que la publication des données précises sur les conventions ont été  empêchées par une circulaire de Marisol Tourraine, la Ministre de la Santé, attaquée en justice par le Formindep devant le conseil d’Etat, qui leur a donné raison. La publication de la nature et de la valeur des conventions n’a pas été publiée néanmoins. 

Il faut savoir que les laboratoires peuvent aussi classer certains cadeaux dans la rubrique conventions, et ainsi les occulter. Les contrats, quant à eux, classés dans les conventions, peuvent atteindre 10 000 à 40 000 euros. Leur valeur viendrait s’ajouter aux 244 millions de cadeaux donnés aux médecins entre janvier 2012 et juin 2014. Il est probable que la somme totale se compterait alors en milliards et permettrait de boucher en partie ou totalement le fameux « trou de la sécu ». Ou bien apporterait de quoi financer de une recherche publique indépendante.

Cet argent, qui fait partie du budget marketing des laboratoires  est le nôtre, puisque, d’une manière ou d’une autre, collectivement ou individuellement, nous payons les laboratoires. Le secteur pharmaceutique est un secteur « ultra-protégé » comme le dit Bernard Dalbergue, ancien cadre de l’industrie pharmaceutique, dans le livre co-écrit avec Anne Laure-Barret, Omerta dans les labos pharmaceutiques, et il très subventionné. Il est protégé, à la fois en raison de la porosité entre personnalités politiques et dirigeants des laboratoires, parce qu’il s’agit d’un secteur économique stratégique dans la compétition économique, et parce que la santé est un bien essentiel et économiquement en perpétuelle croissance.

On eût donc souhaité que les médecins signataires, se réclamant d’une haute valeur morale, déclarassent les sommes perçues.


Irène Frachon comme fil conducteur

C’est Irène Frachon que je veux prendre comme fil conducteur. En effet, elle tient des propos tout à fait clairs et cohérents, y compris dans le livre co-signé avec A Grimaldi et JF Bergmann.
Dans une interview au journal Le Monde [4], elle prétend ne pas avoir de mérite à avoir su « rester propre » : « J’apparais comme « très propre », mais je ne l’ai pas toujours été. Ma chance est d’avoir été formée, dans les années 1990, à l’hôpital Foch [à Suresnes, Hauts-de-Seine], par la professeure Isabelle Caubarrère. Dans son service, il y avait cette règle absolue : les visiteurs médicaux n’avaient pas le droit d’entrer en contact avec les étudiants ou les médecins. Il n’y avait ni petits-déjeuners ni réunions d’équipe sponsorisées par les labos. C’est elle qui les ­recevait le samedi, sur rendez-vous, point. »

La chef de service  de cet hôpital faisait exactement ce que tous les commerciaux des laboratoires pharmaceutiques détestent : poser un cadre clair où chacun garde sa position professionnelle de chaque côté du bureau, le médecin s’occupe d’évaluer le rapport bénéfice/risque et le commercial reste à sa place de commercial qui essaye de vendre. Il n’y a aucune ambigüité. Cela ne convient, bien sûr, pas du tout aux commerciaux, dont tout le travail consiste à brouiller les frontières, les limites entre relation professionnelle et amicale, en établissant une pseudo-intimité, les limites entre travail du médecin et travail du commercial, les limites entre intégrité professionnelle et corruption.

En tout cas, internes et assistants travaillant dans les services des professeurs Grimaldi et Bergmann n’ont pas eu cette chance. Comme 99% des médecins hospitaliers, ils ont été soumis à la présence « amicale » constante de représentants des laboratoires qui leur ont proposé toutes sortes de services et d’avantages, et qui se sont occupés aussi de leur formation, bien entendu, comme l’expliquait un médecin souhaitant garder l’anonymat en mai 2010 sur le site du Formindep [5].

Il est tellement facile de tomber dans les filets des laboratoires ! C’est aussi ce qu’explique Irène Frachon dans cette interview. Le dispositif « d’hameçonnage » est conçu comme un engrenage qui vous avale dès que vous y mettez le doigt.  Par la valorisation de votre personne (« nous avons besoin de vous »), par l’argent facile et les divers cadeaux et avantages qu’on finit par penser devoir recevoir de plein droit, puisqu’on rend un service. Irène Frachon n’a échappé à cet engrenage que par le regard extérieur de son époux, qui lui a fait prendre conscience de la situation. Et également parce qu’elle n’avait pas été pré-conditionnée à la banalisation des conflits d’intérêts en tant qu’interne.

Dans le livre co-écrit avec A. Grimaldi elle exprime une position très claire et sans ambiguïté : « Les médecins hospitaliers ne devraient pas avoir le droit d’être consultants pour l’industrie pharmaceutique. On peut faire une exception encadrée pour la recherche clinique afin que des patients soient inclus dans des essais cliniques des industriels, mais que des médecins puissent être les VRP, aller dans leur board de consultant pour monnayer ce qui est en réalité du conseil marketing, et répandre ensuite la bonne parole en étant « ventriloques » des laboratoires (pour reprendre l’expression du Dr Bernard Dalbergue …Omerta dans les labos pharmaceutiques…) cela devrait être tout simplement interdit. »

Elle souhaite aussi que les laboratoires ne puissent pas approcher les étudiants en médecine.
Mais Irène Frachon s’est fixée comme objectif prioritaire la défense des victimes du Mediator et elle subordonne à cet objectif toute autre considération.


André Grimaldi, un médecin ambigu et sous influence


André Grimaldi n’est pas d’accord avec Irène Frachon sur le point de la nécessité de mettre fin aux conflits d’intérêts. Tout au plus demande-t-il une « transparence totale » (qu’il ne s’applique d’ailleurs pas à lui-même), et, si possible, la fin des conflits d’intérêts dans les agences de régulation [6]. Lorsqu’il est interrogé là-dessus dans une émission sur France Culture il n’est visiblement pas très à l’aise avec le sujet, et s’empresse d’en changer.

De même, je n’ai pas notion qu’André Grimaldi  se soit élevé contre le financement des associations de patients par l’industrie pharmaceutique. La Fédération des diabétiques français est la plus arrosée de toutes les associations de patients de France avec 491 000 euros reçus des laboratoires pharmaceutiques dont 144 000 de Sanofi en 2013 [6].

Pour lui l’affaire Mediator a été le coup de tonnerre dans le ciel tranquille de sa routine faite de relations avec les laboratoires, comme l’indique la liste des cadeaux et conventions dont il bénéficie sur la « base de données transparence santé ». On y apprend que de début 2012 au premier semestre 2015, il a bénéficié de 36 « cadeaux » ( repas, hébergements, invitations…) par divers laboratoires dont Sanofi, Merck, Lilly, et que, par exemple, le 19 avril 2015, Merck lui a offert un repas pour une somme de 49 euros. Il a aussi signé 51 conventions avec des laboratoires dont nous n’avons pas le détail (pratiquement une vingtaine de plus que celles relevées jusqu’au premier semestre 2014).
Compte tenu des nombreux avantages qu’il reçoit de divers laboratoires, il a grand besoin de se persuader que le cas de Servier reste une exception et que les méthodes de Servier et les dégâts provoqués sont uniques.

Sa vision peut se résumer ainsi. Les laboratoires pharmaceutiques sont source de progrès incessants  et majeurs. Même si ces laboratoires sont des brillants petits polissons et peuvent parfois chercher à élargir les indications de certains médicaments, comme le Lantus, au-delà du raisonnable (utilisé à tort dans le diabète de type 2), générant des coûts supplémentaires, tout cela ne porte pas à conséquence compte-tenu des bénéfices immenses que les laboratoires apportent aux populations. Il faut donc lutter activement contre le scepticisme et le doute qui s’emparent de certains médecins et patients par le biais de la vérité scientifique dont il est détenteur. Tout ce débat est surfait puisque la sécurité des médicaments est en constant progrès et s’est beaucoup améliorée notamment depuis l’introduction des essais randomisés. Il préconise aussi le déremboursement des médicaments inutiles de ville et l’utilisation des économies ainsi réalisées pour financer  les médicaments chers à l’hôpital. Il semble ainsi assimiler le prix élevé des médicaments à leur qualité [7].

Malheureusement toutes ces affirmations sont fausses. Cela a été montré par diverses personnes et de divers points de vue.

En 2005 la revue Prescrire avait analysé 3096 médicaments introduits sur le marché français pendant 24 ans entre 1981 et 2005 : seulement 7 (0,23% ou un sur 529) avaient représenté un progrès majeur, 77 (un sur 40), un progrès substantiel, et environ 70% des médicaments n’apportaient rien voire étaient même dangereux pour certains. La revue constatait également une dégradation constante dans le temps de la qualité des nouveaux médicaments [8]. D’autres, comme Bernard Dalbergue, ont constaté cette même dégradation de l’intérieur : mise en coupe réglée des services « recherche » et « marketing » au bénéfice du service des ventes pour qui tous les coups tordus étaient bons pour dégager des marges. Cela s’est traduit, sur le terrain,  par la conviction que la puissance de la stratégie marketing pouvait faire de n’importe quel  médicament un blockbuster, ce qui a été démontré à plusieurs reprises avec une accélération au cours des dernières années, et par l’établissement du primat du marketing sur la recherche.

Par ailleurs, les essais contrôlés randomisés ne résolvent rien puisque les agences exigent au plus deux essais randomisés positifs pour accorder une autorisation de mise sur le marché à un médicament et que les laboratoires ont pris la liberté de ne pas publier les essais négatifs, tout en considérant que les données des essais leur appartiennent et en refusant de les communiquer aux chercheurs. Il est également très aisé de biaiser un essai. Il existe quantité de méthodes comme de sélectionner des patients jeunes et résistants, changer les critères de jugement en cours de route, faire des essais suffisamment courts pour que le défaut d’efficacité n’apparaisse pas, occulter les effets indésirables etc.

Etrangement,  ou logiquement, André Grimaldi, prend la défense de l’Avandia® ou rosiglitazone, un antidiabétique de GSK qui a été retiré du marché en raison de ses effets indésirables cardiaques en 2010 : « Ce qui est scandaleux, c’est qu’on apprend la publication de cette étude par les banques, puis par médias, pas par les agences ou les associations professionnelles. Ça me rappelle l’affaire de l’Avandia de GSK : en 2006, cet autre médicament pour le diabète, a été torpillé par un article l’accusant d’augmenter les risques d’infarctus. L’affaire vient de se conclure par un non-lieu pour le labo, mais les médias n’ont pas repris l’information et en attendant, le médicament a été mis au tapis au profit de ses concurrents. »  [9] . C’est étonnant comme point de vue pour un médecin.

En réalité GSK a plaidé coupable devant la justice américaine, y compris pour des charges criminelles, c'est-à-dire pour avoir provoqué le décès de patients en occultant ou falsifiant certaines informations [10].  Au total GSK s’est engagé à verser 3 Mds de dollars aux victimes et à la justice en 2012.La récente remise en cause des problèmes de sécurité de ce médicament ne s’oppose pas à ce jugement. La FDA a accepté de revoir le statut de l’Avandia sur la seule base d’une étude menée par le laboratoire, pourtant accusé de falsifications de données, alors que ces résultats s’opposent aux résultats de plusieurs dizaines d’autres études. Il semble que l’étude prise en compte par la FDA soit l’étude RECORD, c'est-à-dire la même étude, financée par le laboratoires, qui avait été reconnue comme de mauvaise qualité et falsifiée [11]. Les conflits d’intérêts sont également omniprésents au sein de la FDA.

John Buse, un professeur de médecine spécialisé dans le diabète (Caroline du Nord), avait fait des études pour le compte du laboratoire Smith Kline sur l’Avandia. En 1999 il avait exposé, lors d’un congrès, son inquiétude au sujet des graves risques cardiaques que faisait courir ce médicament. Il avait alors subi des pressions de la part de sa hiérarchie, sur l’incitation de cadres de GSK, pour se taire.  Steven Nissen, qui avait publié une méta-analyse montrant les risques cardiaques de l’Avandia, reçut la visite de plusieurs cadres de GSK, tentant de faire pression sur lui pour qu’il ne publie pas son étude.
Très récemment, encore, GSK avait « oublié » de signaler des dizaines d’effets indésirables graves et un décès de nourrisson concernant son vaccin contre le rotavirus, le Rotarix°. Occulter des effets indésirables c’est ce que les laboratoires appellent « aveugler » les agences [12]. 
Les méthodes de GSK n’ont, en réalité, rien à envier à celles de Servier.


Jean-François Bergmann a laissé passer le Vioxx et n’a pas vu les effets indésirables du Mediator

Jean-François Bergmann, d’abord, dont l’incompétence et les conflits d’intérêts ont motivé sa « démission » forcée de la vice-présidence de la commission d’AMM en décembre 2012 après dix ans à ce poste.
De fait on peut dire que JF Bergmann a eu beaucoup de chance  d’échapper à une mise en examen. Il est probable qu’il doive cette chance à ses talents de comédien car il a pris garde de faire profil bas et de dire combien il regrettait de n’avoir rien vu (« je m’en veux »).

JF Bergmann et sa compétence
Sa cécité concernant le Mediator a persisté pendant les dix années passées en tant que vice-président de la commission des autorisations de mise sur le marché de l’AFSSAPS, puis ANSM.

Tout en se présentant comme un éminent pharmacologue, ayant formé à lui tout seul la moitié du personnel de l’ANSM, il affirme que la raison principale de son absence de réaction, alors même qu’on lui signalait régulièrement des cas d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) en lien avec le Médiator  était que « le laboratoire n'a jamais admis la similitude pharmacologique entre l'isoméride et le benfluorex. ».
En tant que responsable et éminent pharmacologue il disposait pourtant de quelques petits indices qui auraient dû lui mettre la puce à l’oreille :

  1. Le benfluorex avait pour suffixe « orex » qui est le suffixe des coupe-faims, même si le laboratoire Servier le présentait comme un antidiabétique afin d’obtenir son AMM
  2. Il était le troisième médicament de la même famille, celle des fenfluramines, à avoir été accusé de provoquer des effets indésirables cardiaques et le deuxième à avoir provoqué un effet indésirable bien spécifique et reconnaissable, difficile à « rater » l’hypertension artérielle pulmonaire ou HTAP. A propos de cet effet indésirable il dit, avec pas mal de cynisme dans l’article : « Je m'en veux de ne pas avoir senti tout ça, en 2007, et appelé à une grande étude prospective. Il fallait du nez : à ce compte, pourquoi ne pas croiser la consommation de Toblerone et les entorses de chevilles ? »
  3. Pourtant, la première fenfluramine à avoir été retirée du marché pour avoir provoqué des HTAP était l’aminorex, un anorexigène, retiré du marché américain en1968. La deuxième était l’Isoméride ou dexfenfluarmine, dont la licence a été retirée en  septembre 1997 par la FDA aux Etats-UNis après qu’une troisième équipe de médecins, celle de la clinique Mayo, eut dénoncé publiquement des cas inquiétants de valvulopathies chez les patients prenant ce médicament.
  4. Le benfluorex, pour sa part, a un métabolite commun avec l’Isoméride, ce qu’un éminent pharmacologue ne pouvait ignorer {13]( Le méta­bo­lite actif prin­ci­pal du ben­fluo­rex, comme des autres fen­flu­ra­mi­nes, est la 3-tri­fluo­ro­mé­thyl amphé­ta­mine ou nor­fen­flu­ra­mine, l’amine de base qui a servi au déve­lop­pe­ment des autres com­po­sés. Le ben­fluo­rex lui-même est, par exem­ple, com­plè­te­ment méta­bo­lisé et n’est pas détec­ta­ble dans le plasma)
  5. En 1996, alors que JF Bergmann siégeait à la commission de la transparence, Lucien Abenhaim et coll publiaient dans le New England journal of medecine un article qui a fait beacuoup de bruit, confirmant la relation entre dérivés de la fenfluramine et HTAP [14]
Ajoutons que l'isoméride était un produit Servier.

JF Bergmann côté conflits d’intérêts : cas personnel et positionnement

Une recherche sur la base de données transparence santé permet de constater que JF Bergmann totalise 70 conventions entre janvier 2012 et le premier semestre 2015.

D’autre part, dans  un autre article on apprend que, tout en ayant des fonctions de régulation des médicaments au sein de cette commission qui avait des pouvoirs quasi discrétionnaires en matière de mise sur le marché de médicaments et de modification de mise sur le marché, JF Bergmann travaillait pour de nombreux laboratoires [15]. Qu’il a aussi fait placer son beau frère, Joseph Emmerich [16], à la tête d’un service très important de l’ANSM, ce qui a permis au dit Joseph, aussi blanc que son beau-frère Jean-François en matière de conflits d’intérêts, d’accéder aussi à la commission des médicaments à usage humain (CHMP) de l’agence européenne du médicament qui donne des avis sur la mise sur le marché des médicaments au niveau européen.

JF Bergmann a trouvé entretemps un emploi qu’on peut penser très bien rémunéré chez Prioritis [17] où son profil d’ancien membre de la commission d’AMM est bien mis en avant, ce qui est normal, puisque cette société a pour clients les compagnies pharmaceutiques, et pour activité le conseil stratégique et la constitution de dossiers pour les médicaments qui vont être évalués par les autorités régulatrices. C'est-à-dire qu’elle contribue à l’ « enfumage » dont JF Bergmann dit avoir été victime pendant qu’il occupait le poste de vice-président de la commission d’AMM.

Sur son positionnement vis-à-vis des conflits d’intérêts.

JF Bergmann assure qu’ils n’ont aucune influence sur les décisions prises dans les commissions. On ne peut pas dire que ce fut le cas pour le Rédux, version américaine de l’Isoméride dont Servier avait cédé la licence pour les Etats Unis à Wyeth. En effet, après un premier refus par une commission de mettre ce médicament sur le marché en 1995, un point de procédure fut invoqué par la hiérarchie de la FDA, au sein de laquelle se trouvait un medecin ayant travaillé pour Wyeth sur un autre anorexigène, Michael Weintraub, pour que se réunisse une deuxième commission recomposée qui donne, cette fois le feu vert. J’ai déjà dit que cette AMM fut retirée en 1997 en raison des effets indésirables du médicament.
JF Bergmann affirme aussi cumuler les conflits d’intérêts et en être fier.
Je pense que, d’un point de vue moral, qui est le cœur de la pétition, on a déjà connu des niveaux d’exigence plus élevés.

En conclusion, pour moi ne pas signer ce Manifeste des 30 est une question de cohérence. Je pense que les laboratoires Servier ne sont pas une exception. Il est probable que le Vioxx ait provoqué autant de morts ou plus en quelques années que le Mediator en 30 ans. Seulement, dans le cas du Mediator, la persévérance d’Irène Frachon, des coups de chance et des coups de force, ont empêché les autorités d’enterrer l’affaire comme elles tentaient de le faire.

Faire du Mediator et de Servier un cas à part et demander à des médecins perclus de conflits d’intérêts qu’ils ne renient pas de faire la morale à leurs confrères, revient à banaliser les conflits d’intérêts dans la communauté médicale. Cela comporte beaucoup plus de risques que d’avantages.


Notes

[8] Innovation en panne et prises de risques (en PDF)
[12] http://docteurdu16.blogspot.fr/2015/03/marisol-touraine-en-chef-du-lobby.html cf commentaire du premier avril « petit topo sur le vaccin contre le Rotavirus.