dimanche 27 octobre 2024

Il est possible de mener des essais cliniques contrôlés (vaccins) dans le cas de virus respiratoires (grippe saisonnière et Covid).



Déf. : Un.e vaccinolâtre est une personne pour qui la moindre critique, même mineure, d'un essai clinique, d'un point de vue, d'un éditorial, concernant les vaccins, fait de la personne qui l'a formulée un.e antivaxx.


La lecture critique d'articles (LCA) pour les vaccinolâtres s'arrête aux articles concernant les vaccins (on me dit dans l'oreillette que ce n'est pas mieux pour le reste).





Je me suis fait agresser l'autre jour sur X par deux individus à propos de mes commentaires sur un essai mené "dans les conditions réelles" étudiant le risque d'événements cardiovasculaires post vaccinaux (Covid).


L'article est ICI

On rappelle que "Conditions réelles" signifie pour les essais cliniques : un essai non aveugle, non randomisé, volontiers de cohorte ou cas-témoin, le plus souvent rétrospectif sur données électroniques (sans voir le ou la patiente ou le ou la sujette, selon les cas) dont les données cliniques sont documentées par la personne/patient soit par entretien téléphonique, soit par SMS, soit par mail.

Les essais cliniques en condition réelle ont un intérêt pour explorer des pistes sur des populations plus importantes, pour élargir le champ des connaissances obtenu dans des essais contrôlés robustes positifs (à d'autres populations, en intention de traiter, effets indésirables, ...) mais certainement pas pour valider des indications et des AMM.

Mes deux V** se sont vantés de connaître la taxonomie des preuves des essais cliniques en fonction de leur poids.

L'idée essentielle, développée par l'industrie, la partie est presque gagnée à la FDA et sur le point de l'être à l'EMA, est de pouvoir (pour enregistrer un produit et le rembourser) se passer à termedes essais contrôlés, considérés comme pertes de chance pour les patients et pertes d'argent pour les industriels. Nos deux amis font partie du lobby "Les essais contrôlés ne servent pas à grand chose". Au moment où un article paru dans le JAMA indique le contraire (LA).

Et j'ai eu droit à une phrase dans le style : "peu importe la qualité de cet essai puisque tous les essais contrôlés antérieurs disent la même chose..." Et ensuite : "Qui êtes-vous pour critiquer un essai clinique concernant les vaccins ?" Réponse : Un antivaxx et un comploplo.

Les deux V** se sont ensuite attaqués au fait que je fournissais des arguments issus de mon blog au lieu de développer sur X les mêmes arguments à leur attention, ce qui, bien entendu, est une preuve de non-expertise.

J'écrivais dans ce billet intitulé Misère de l'épidémiologie (ICI), que ce qui s'était passé pour le vaccin anti grippal, à savoir pas qu'aucun essai essais contrôlé n'avait été mené depuis des lustres, se reproduisait avec le Covid et la réponse de l'un deux, un futé, me balançait à la figure que mon billet était erroné puisqu'une étude montrait que c'était impossible de le faire.


via Nicolas Badre (@BadreNicolas)

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Ce que dit Cochrane sur les vaccins anti grippe saisonnière

On rappelle, avant d'aller plus loin, aux 2 V** que la collaboration Cochrane est très sceptique sur l'efficacité de la vaccination anti grippale tant en institutions pour personnes âgées qu'en termes de dissémination soignants vers soignés. 

Chez les adultes en bonne santé : ICI. (hors Cochrane : LA)

Chez les personnes âgées : LA.

Chez les enfants en bonne santé : ICI.

On connaît les défauts et les limites de Cochrane depuis un certain temps (entreprise devenue commerciale, insincérité sur la production des données, influence de l'industrie pharmaceutique) mais le fait que Cochrane ait fait des conclusions pour le moins négatives de l'efficacité des vaccins anti grippe saisonnière, notamment dans les populations à risque, les personnes âgées e/ou polymorbides, et n'ait pas réactualisé ses données parce qu'il n'y a pas de nouvelles études robustes à conduire.



Propriété : Armelle de Moncuit (@Armelle2M) 



Voici l'étude que nos deux champions de la science m'ont adressé comme preuve de mon ignorance et de leurs qualités.

L'article est LA.

Analysons l'article.

L'abstract dit exactement le contraire de ce que prétendent les deux V**.

Our findings suggest that a pragmatic RCT using non-specific endpoints is feasible.

A condition, bien entendu, de cibler les personnes à risques en fonction de leur âge, de leurs comorbidités, de leurs lieux de vie (communautaires ou institutionnalisés) : le b.a.-ba de l'épidémiologie et des études. Car l'incidence de la maladie est différente comme le note l'abstract lui-même :

Hospitalization rates were 40–50-fold and 2–10-fold higher in those >50 years and with comorbidities, respectively.

Liens et conflits d'intérêts.

Arrêtons-nous un moment, cela a quand même de l'importance, sur les auteurs de l'article. Parmi les 13 signataires, 4 sont des employés de Sanofi Pasteur dont le premier signataire ! 

Ainsi, une étude dont le promoteur est Sanofi Pasteur et dont 4 des rédacteurs sont des employés de la firme, indique que ne pas faire d'essais contrôlés n'est pas une erreur puisqu'ils sont infaisables (i.e. ils justifient la non-action de leur employeur).

  

L'introduction.

C'est un poème. Les auteurs écrivent à la deuxième ligne de l'introduction que :

Randomized control trials (RCTs) have, in recent years, relied on laboratory confirmed influenza as a study endpoint to demonstrate the efficacy of influenza vaccines.

Hors, l'article de 2012 qu'ils citent (LA), une revue systématique et une méta-analyse, pour montrer que ça marche, dit exactement le contraire : Evidence for protection in adults aged 65 years or older is lacking.

Et comme ils reconnaissent implicitement en fait que ça ne marche pas ils dérivent vers les complications non pulmonaires de la grippe... 

Cela dit : Differentiated influenza vaccines have demonstrated improved immunogenicity and protection for older adults and some studies have included non-specific cardiovascular or other secondary events to illustrate the full public health value of these vaccines as compared with traditional influenza vaccines12,13,14,15.

Je suis donc allé aux sources : 

La référence 12 est une étude de dose, normale vs forte.

La référence 13 est une étude ouverte.

La référence 14 est une étude contrôlée non significative ! Avec cette phrase pêchée : Pas d'essais depuis 2001 !

Mensonges.

La méthodologie de l'essai.

Pas de surprise : étude rétrospective sur dossiers électroniques à propos de patients hospitalisés au Danemark et en Angleterre pour grippe saisonnière.

Les résultats.

Unsurprisingly, hospitalizations were more common in older adults: respiratory and cardiovascular hospitalizations were ~40 fold and ~100-fold higher in those aged ≥75 than in those aged 18–34 years.

La discussion.

On comprend en la lisant que l'imprimatur a été donnée par le service marketing de Sanofi Pasteur... Mais les contradictions pullulent.

(Ce que l'on reproche aux essais cliniques en général, c'est d'inclure des patients ou des patients trop propres sur eux ou sur elles, c'est à dire sans comorbidités, ni trop jeunes, ni trop âgés)

Eh bien la discussion de l'article dit ceci avec une grande candeur (?) : ce sont les personnes les plus fragiles qu'il vaudrait mieux étudier pour la survenue d'effets indésirables mais cela serait un biais car on ne pourrait étendre les résultats aux personnes ne présentant pas de fragilité. On tombe sur la tête !


On répète donc : il est possible de mener des essais cliniques contrôlés pour le vaccin anti grippe saisonnière avec d'autres critères que l'immunogénicité pour l'efficacité et en sélectionnant les patients à risque de faire des formes graves.

Pour les vaccins anti covid, c'est idem. Mais c'est très compliqué à faire. En raison des mutations, de l'efficacité ou non des mesures non pharmacologiques et de la circulation du virus dans la société tout entière : il s'agit d'un virus respiratoire !



Et voilà la publication d'un article (LA) qui va dans le sens de la possibilité de mener des essais cliniques et qui propose des solutions. 



On peut négliger les V**

dimanche 20 octobre 2024

A quoi servent les recommandations si elles sont biaisées (méthodologie insuffisante et conflits d'intérêts) ? A propos d'Antibioclic.



Un article paraît sur l'évaluation (la validation interne) des recommandations en infectiologie (Antibioclic) dont le but essentiel est la prescription (ou non) d'antibiotiques dans le cadre des soins primaires (ICI).


Les résultats sont atterrants (corruption la méthodologie, corruption des auteurs des recommandations).


Un des signataires de l'article, Rémy Boussageon, pose les questions suivantes sur X : 


Il se trouve que Florian Zores publie 2 articles sur la prise en charge de l'HTA à partir de Recommandations élaborées par des sociétés savantes de cardiologie.

Le premier article (LA) parle du diagnostic.


Et le second (ICI) de la prise en charge.


Florian Zores aborde le problème de la validation interne et de la validation externe des études et souligne la complexité des mesures et de leur interprétation ainsi que du faible niveau de preuves des chiffres seuils.

Je fais quelques commentaires en élargissant le débat : ICI.



Et voilà que paraît un article (LA) qui compare la façon de mesurer la pression artérielle selon la position du bras.

Et l'on est ahuri tant les différences dans les résultats des mesures dépendent de facteurs dont on n'entend jamais (ou si peu) parler dans les études épidémiologiques ou dans les essais thérapeutiques en fonction de la position du bras du patient, de sa position, de son état, et cetera. Ces différences peuvent paraître à la fois importantes et mineures mais les conséquences de ces approximations de mesures peuvent influencer la vie tout entière de millions de patients à travers le monde en fonction des seuils d'intervention établis. 


On est typiquement dans le cas, avec l'Hypertension Artérielle, d'une affection courante

selon l'Observatoire de la médecine générale en 2009, l'HTA est en France le premier motif de consultation en médecine générale, soit 14,8 % (LA)



d'une affection mesurable par la prise de la Pression Artérielle qui est en théorie un geste simple

Il existe des recommandations concernant la prise de la pression artérielle dans le cabinet d'un médecin généraliste ou d'un spécialiste, recommandations largement diffusées que tout professionnel de santé délivrant du soin devrait connaître. Qui les connaît vraiment ? Qui les respecte vraiment ?

Je google-ise à la volée sur la façon de mesurer la pression artérielle : 


La HAS (ICI).


Cardio Online (LA) qui "représente" la SFC (la société française de cardiologie)

L'article est volumineux, il y a 2 lignes sur la méthode de la prise de la PA


La SFHTA (ICI) ou Société Française de l'HTA

Il y a 13 recommandations dont 7 sur la mesure courante de l'HTA.

La recommandation 5 est vague


Le site RecoMédicales (LA) ne représente que lui-même mais arrive en position 4 d'une Recherche Google !

Peu informatif.

Un document lunaire de l'Assurance Maladie (ICI) :


Une source belge, Louvain Médical, (LA), qui ne parle pas du tout des techniques de mesure.

Tout le monde s'en fout : on est en plein dans le vieux sketch de Fernand Raynaud : "Combien de temps l'affût du canon met-il à se refroidir ? - Un certain temps." Fermez le ban.




Revenons à l'essentiel.

1. Pour une pathologie aussi fréquente que l'HTA les recommandations pour mesurer la pression artérielle sont relativement précises mais quand même relativement floues : types de brassard, position du patient, façon de noter les mesures consécutives, interprétation des résultats.

2. L'imprécision sur la méthodologie de la mesure de la PA n'est rien quant aux valeurs (fluctuantes) épidémiologiques retenues pour les mesures de prédiction et les mesures d'intervention. Elles sont même non mémorisables si l'on ne dispose pas de prise de décision automatisée.

3. Sans oublier les études cliniques dont la taxonomie des preuves selon leur poids et, plus particulièrement, les conditions de mesure de la PA, sont éminemment critiquables tout autant que les résultats obtenus... 

4. Sans oublier le contexte des scores de risque cardiovasculaires qui sont des modélisations à partir de chiffres vagues dont on ne connaît pas la simple reproductibilité.

5. Le résultat de tout cela : de très nombreuses personnes (pas encore patientes ou patients) entrent sans doute dans la catégorie des sudiagnostics : ils sont traités pour une HTA qui n'aurait jamais fait parler d'elle avant la mort du ou de la patiente.

Bref : 

1. Une étude remet en cause la méthodologie et les conflits d'intérêts qui permettent à Antibioclic de recommander en infectiologie communautaire.

2. Rémy Boussageon, signataire de l'article, pose la question de savoir s'il vaut mieux suivre des recommandations biaisées que de ne pas les suivre du tout.

3. La question subsidiaire est celle-ci : si vous savez que les recommandations sont biaisées, les suivrez-vous quand même ?


Commentaires personnels : 

1. Pour ce qui est d'Antibioclic, il vaut mieux que cela existe plutôt que cela n'existe pas.

2. Mon expérience des médecins praticiens montre que les médecins qui connaissent l'existence de recommandations et les utilisent (le % vient de chuter prodigieusement) sont plutôt les plus à même de moins prescrire de C3G dans l'angine.

3. Les médecins qui utilisent les recommandations de façon automatique se facilitent la vie et se posent moins de questions que certains autres.

4. Les médecins qui ne savent même pas qu'antibiollic existe ont une MSP à Lascaux (dans les grottes).

5. Il existe peu de médecins qui appliquent à la lettre les recommandations quand ils les connaissent : ils profitent de leur liberté individuelle et du manque de contrôle de leurs activités. Et peut-être, soyons optimistes, de la spécificité du malade qu'ils ou elles ont dans leur cabinet. Mais il est toujours possible que le contrôle soit fait par des incompétents en méthodologie ou par les personnes qui ont écrit, commandité ou réalisé les recommandations avec des liens/conflits d'intérêts patents.

6. Tout est dans tout et réciproquement.


En conclusion, que répondez-vous aux 2 questions posées par Rémy Boussageon ?

dimanche 13 octobre 2024

Quelques informations pratiques pour la médecine praticienne : Antibioclic, la prévention, c'est pas le dépistage, syndrome de sevrage des antidépresseurs.


1. Antibioclic : attention, gardons l'esprit critique.

Nous savions déjà : 

  • Il vaut mieux préférer un médecin praticien qui utilise Antibioclic qu'un praticien qui ne l'utilise pas. 
  • Il vaut toujours mieux suivre des recommandations, fussent-elles erronées, corrompues ou promotionnelles que de suivre ses propres recommandations fondées sur son seul ego (l'expérience interne).
  • Il existe (encore) des médecins prescripteurs d'antibiothérapie qui n'utilisent jamais Antibioclic, voire même qui n'en connaissent pas l'existence
  • Il existe effectivement un problème avec Antibioclic lié à des conflits d'intérêts potentiels et à un manque de réactivité (constaté) par rapport à la littérature.
  • Il faut pouvoir adapter en fonction des circonstances particulières mais sans retomber dans les erreurs de l'ego.




Nous apprenons à partir de cet article :

  • Sur 43 recommandations de pratique clinique (RPC) analysées en fonction d'un score de fiabilité agrégant "rigueur de développement" et "indépendance éditoriale" et considérées comme fiables si elles atteignent un seuil de 60 %
  • 1 RPC obtenait les 60 % pour le premier critère
  • 3 RPC obtenaient les 60 % pour le deuxième critère
  • et 1 seule RPC atteignait 60 % pour le critère composite.

Pas fameux.

Une revue de littérature était mentionnée pour 10 RPC (23,3 %)

La conclusion est claire : il existe un manque de qualité lors du processus d'élaboration des recommandations françaises en infectiologie pour les soins primaires.





2. Le Ministère de la Santé est en roue libre : attention, la prévention, ce n'est pas le dépistage.

Voici un avis sur X du Ministère de la Santé et de l'Accès aux soins.


Notez la deuxième phrase : La prévention, c'est aussi le dépistage.

On pourrait en rire s'il ne s'agissait d'une idiotie sans nom.

Définition de la prévention (selon l'Académie de médecine) : 

Ensemble des moyens médicaux, médicosociaux et sanitaires destinés à prévenir la survenue d’une maladie  (prévention primaire) ou à en empêcher sa propagation (prévention secondaire).

Définition du dépistage (selon l'Institut National du Cancer) : 

Recherche d'une maladie chez une personne en bonne santé apparente avant l'apparition de tout symptôme.

Je ne vais pas vous citer pour la énième fois 1984 Orwell.


Si !

Bon, on passe.

Non, on ne passe pas. Voici le complément du message sur X.


J'ai déjà répondu 100 fois sur ce blog.

Vous pouvez aussi trouver des informations sur le site Cancer Rose : LA.

Rappelons : 

  • Un cancer du sein diagnostiqué à la mammographie évolue déjà depuis 10 ans
  • Un cancer du sein détecté à un stade précoce peut être un surdiagnostic, c'est à dire un cancer indolent (gentil, pas méchant, dont la femme ne souffrira jamais) et/ou un pré-cancer (gentil, pas méchant, dont la femme ne souffrira jamais)
  • Ne pas parler de la possibilité de surdiagnostics et de surtraitements dans le cadre du dépistage peut être considéré comme une violence faite aux femmes.
  • Des références sur le surdiagnostic (il y en a des centaines) peuvent être consultées ICI sur le site Cancer Rose



3. Les 2 meilleures façons de prévenir le syndrome de sevrage lié à l'arrêt des antidépresseurs

Premièrement : lire l'article de Stéphane Korsia-Meffre sur le site Vidal : LA



Quelques réflexions 

  • Selon les essais entre 26 et 86 % des patients chez qui on arrête le traitement sont sujets à un syndrome de sevrage

  • S'agit-il d'un syndrome de sevrage ou d'une rechute de la dépression ? 

  • Il est curieux de constater que ce syndrome a longtemps été nié par les psychiatres.

  • Il est tellement nié qu'ils donnent désormais des conseils pour y échapper.

Deuxièmement : ne pas prescrire d'antidépresseurs quand il n'en faut pas. Prévention quaternaire !






 



vendredi 4 octobre 2024

Histoire de santé publique sans consultation 23 : je n'en peux plus.



Je rencontre un voisin au marché (76 ans).

Il tousse depuis plus de six mois (j'entends cela à travers les murs car c'est un voisin dans un appartement contigu). Une toux sèche, caractéristique.

On parle de choses et d'autres, du temps qu'il fait, à quel moment il faudra remettre le chauffage, la VMC qui fonctionne bien, les travaux dans le bâtiment...

Il : Ah, vous qui êtes docteur... Je suis gêné par la toux, surtout la nuit. Vous entendez ? (il vient de tousser)

Moi : Je vous ai effectivement déjà entendu tousser. Vous en avez parlé à votre médecin ?

Il : Oui, il m'a dit qu'il y avait plein de virus qui couraient en ce moment...

Moi : Mais ça fait longtemps que vous toussez ?

Il : Oui, ma femme en a assez.

Moi : Qu'est-ce que vous prenez comme médicaments ?

Il : Je ne me rappelle pas les noms. 

Moi : Juste pour savoir.




Dans l'après-midi le voisin me rappelle. "J'ai des médicaments pour la tension. Je vais vous dire les noms. - OK. - Lisinopril et telmisartan..." Je marque un blanc au téléphone.





Qu'auriez-vous fait à ma place ? Plusieurs réponses possibles.

  • Ne rien dire.
  • Lui dire qu'il arrive que les IEC fassent tousser.
  • Lui conseiller de changer de médecin.
  • Râler contre ce médecin alakhon...
  • In petto : nous sommes prêts pour la fin du monde.





Pour les non-médecins : associer un IEC et un sartan, quelle que soit la raison, ici une hypertension artérielle (d'ailleurs mal contrôlée selon les déclarations du voisin) n'a aucune justification.

Vous connaissez l'adresse d'un monastère pour faire retraite ?
Ou un Ashram ?
Une madrassa ? 



lundi 30 septembre 2024

La prise en charge de l'HTA : à votre bon coeur m'sieurs dames. Restons simples selon Florian Zores. A propos de nouvelles recommandations.



La Société Européenne d'hypertension (ESH) a publié de nouvelles recommandations concernant l'attitude à tenir vis à vis de l'HTA (107 pages, 38 pages d'annexes et 500 références). 

Encore une fois, et tant pis pour ceux qui pensent que les blogs ne servent à rien ou n'ont aucune validité scientifique, mais les deux épisodes de blog écrits par Florian Zores (FZ) concernant ces recommandations sont remarquables tant pour leur qualité intrinsèque (validité interne) que pour leur validité externe potentielle et pratique.

Il me paraît judicieux de lire des 2 épisodes avant de lire mes commentaires qui ont quand même beaucoup moins d'intérêt quand on n'est pas au courant de l'affaire. C'est ICI  et LA

Je vais essentiellement commenter l'article 2 (LA) comme le ferait la mouche du coche.


et sélectionner quelques paragraphes.

Je ne reviens donc pas sur la première partie (ICI) qui concerne le diagnostic pour lequel j'ai écrit deux billets de blog (n'oubliez pas que l'auto-citation est considérée comme une tare pour ceux qui n'écrivent jamais) à la gloire de l'utilisation du tensiomètre électronique (LA et ICI) par les médecins au cabinet et par les personnes (et bien entendu les patients) tant pour le diagnostic que pour le suivi de l'HTA.

En résumé : il paraît archaïque et inapproprié de mesurer la pression artérielle dans un cabinet de médecine générale autrement qu'avec un tensiomètre électronique validé.





Introduction : 

Il est tout à fait fascinant de constater les approximations des données permettant de recommander, c'est à dire la validité des preuves à disposition.

Il est tout à fait fascinant de comparer les recommandations, comme le fait FZ, dont les différences, mineures et parfois majeures, ont des conséquences pratiques colossales en termes de prise en charge (les seuils d'entrée dans la maladie, les scores) et de traitements. C'est à dire, surtout, qui il faut traiter.

Il est tout à fait fascinant (et inquiétant) de constater que les données dont les recommandeurs disposent, c'est à dire les études cliniques, sont à la fois très nombreuses, de qualité disparate mais plutôt de mauvaise qualité tant pour l'évaluation du pronostic (les scores cardiovasculaires sont une auberge espagnole) que pour le suivi au long cours.

Il est tout à fait inquiétant que pour une maladie ou un facteur de risque cardiovasculaire aussi communs dans le monde, une maladie ou un facteur de risque cardiovasculaire que les médecins rencontrent plusieurs fois pas jour dans leur cabinet tant pour le diagnostic que pour le suivi, pour lesquels les médecins décident ou non qu'il faut aller plus loin ou ne pas en tenir compte, une maladie ou un facteur de risque cardiovasculaire dont les conséquences peuvent être dévastatrices, que les recommandations soient si diverses et variées.

On pourrait affirmer trivialement : c'est à votre bon coeur m'sieurs dames ou, pour faire moderne, c'est l'open bar du cherry picking.

Chez les patients asymptomatiques :

Selon FZ : 

On ne sait même pas si l'ECG sert à quelque chose ! Mais imagine-t-on une consultation de cardiologie sans ECG ?

On ne sait même pas si l'échocardiographie cardiaque sert à quelque chose ! Et en fait cela ne change rien à la prise en charge.
En pratique, les MG initient le plus souvent un traitement anti-hypertenseur sans ECG de base (surtout s'ils connaissent le patient, ses antécédents et ses comorbidités déjà connues) et pratiquement toujours sans écho-cardiographie.

 

On entre dans le vif du sujet et c'est là où l'on entre dans un flou artistique impressionnant.

Jackson Pollock en train de prescrire un traitement anti hypertenseur.

C'est même vertigineux.

Je mets au défi quiconque d'y retrouver ses petits. 

Ainsi, à partir d'un mix de données floues issues de rares essais contrôlés, de nombreuses études observationnelles de qualités diverses, les essais rétrospectifs comparatifs ou non, les essais prospectifs comparatifs ou non, les cas-témoins sur dossiers électroniques ou sur appels téléphoniques et/ou mails, avec des sous-groupes taillés à la serpe (et en fonction des préjugés des rédacteurs d'essais et des intérêts de vendeurs de molécules anti-hypertensives), des études sponsorisées ou non, le décideur, le futur prescripteur, le futur non-prescripteur joue à la roulette russe avec son patient ou sa patiente, en sachant qu'on ne lui reprochera jamais d'avoir prescrit mais qu'on lui reprochera toujours de ne pas l'avoir fait.



Bref.

On apprend aussi de FZ (enfin, on le savait un peu) que la baisse des apports sodés est sans doute intéressant pour le sous-groupe des "saleurs" mais là encore les études sont couci-couça.


Je me permets de revenir sur quelques points (mes dadas).

1. Quid de la consultation d'annonce ? 

Le fait que l'HTA soit commune ne doit pas faire négliger que sa perception par le soignant et par le soigné est complexe et qu'il est toujours nécessaire d'expliquer, sans cesse expliquer, quels sont les enjeux d'une élévation pathologique de la pression artérielle car cette annonce, cette entrée dans la maladie, sont souvent une étape nouvelle dans la vie d'un citoyen ou d'une citoyenne. Une personne non-malade devient malade et, qui plus est, malade chronique.

La modification des habitudes de vie, c'est à dire les prises en charge non pharmacologiques de l'HTA, alimentation, activité physique, tabagisme, dépendance à l'alcool, et cetera est un choc majeur et, indépendamment du faible niveau d'épreuves de certaines interventions, la stigmatisation des hypertendus est un danger tout comme la délivrance de messages que le patient ne pourra suivre et qui le mettront en situation d'échec et le conduiront à tout arrêter. 

La prise d'un traitement à vie modifie la perception de son propre corps par une personne lambda et lui impose des contraintes : quand prendre les médicaments, comment faire pour ne pas les oublier, que se passe-t-il si on oublie, et cetera.

Il ne faut ni banaliser ni dramatiser : ce n'est pas facile. Il est donc nécessaire de prendre le temps, plusieurs consultations,

2. Quid de l'incertitude des mesures de la pression artérielle ?

FZ a abordé le problème. 

L'effet blouse blanche est archi connu. Je n'y reviendrai pas.

Je voulais souligner l'incohérence que l'on remarque à propos des auto-mesures répétées de la pression artérielle chez un même patient (variations intra-individuelles) en dehors d'un trouble du rythme ou d'un problème technique.

Un phénomène que je n'ai lu nulle part est celui de la PA plus élevée lors des auto-mesures qu'au cabinet : effet stress ? Ainsi que des mesures rapportées par les patients où la première mesure est la plus faible des trois mesures répétées.

Anecdotique.

Sans oublier les contraintes du holter et de l'effet stress lié au port de l'appareil (qui n'est pas une condition habituelle de vie).

3. Quid du manque d'observance ?

Un des phénomènes majeurs des traitements anti-hypertenseurs est l'oubli et la non-prise des médicaments. Pas sur une seule journée mais sur une période plus longue. 

On en revient à la consultation d'annonce et aux enjeux du traitement ainsi qu'à la non stigmatisation des citoyens entrant dans l'HTA.

Des données (ICI) indiquent qu'en 2018 12 millions de Français étaient considérés comme hypertendus et que 45 % n'étaient pas contrôlés (BEH) mais surtout d'autres données indiquent de façon très étonnante et inquiétante que sur un suivi de cohorte :

  • 51,1 % des patients (1 ou 2 anti-hypertenseurs) étaient adhérents
  • 20,5 % à au moins 3 classes !

4. Quid des effets indésirables et de la qualité de vie ?

Les effets indésirables des médicaments anti-hypertenseurs, sans parler des effets graves, sont à prendre en considération dans l'évaluation et le suivi des patients. Sous-estimés ils peuvent être, au nom d'objectifs de pression artérielle atteints et surtout non atteints, la source de chutes, de mal-être, d'anxiété et de non adhérence au traitement.

On ne peut mettre sous le tapis de légers oedèmes des membres inférieurs liés aux inhibiteurs calciques et a fortiori s'ils sont importants.

On ne peut mettre sous le tapis les phénomènes d'hypotension orthostatique ou les phénomènes d'hypotension à certains moment de la journée qui induisent une gêne, une asthénie ou un malaise.

Prendre en compte la qualité de vie des patients est donc nécessaire. Comment le faire sinon par l'interrogatoire car il n'existe pas amalgame connaissance d'échelles véritablement adaptées. Y penser.

5. Quid des caractéristiques des  populations de patients ?

Les recommandations sont interprétées, modélisées en fonction de populations qui ne sont pas, pour l'essentiel, françaises, et que les adaptations sur cette population est-elle aussi interprétée et modélisée. La marge d'erreur est gigantesque.

6. Quid des possibilités socio-professionnelles, socio-éducatives, monétaires, pour changer son mode de vie ?

L'HTA est toujours secondaire (au sens qu'elle n'est pas liée à des causes "médicales") à des comportements sociaux (fumer, boire, ne pas faire d'exercice physique,...) : comment changer la société ?




En conclusion : énormes incertitudes pour les prises en charge d'une pathologie ou d'un facteur de risque cardiovasculaire qui interviennent de façon majeure sur la morbi-mortalité en France, seuls ou associés aux autres co-morbidités liées à l'âge ou non.

Retenons les recommandations simplifiées et pratiques de FZ : 

  1. PA supérieure à 140/90 mmHg : HTA :indication thérapeutique pour tous les patients
  2. PA égale à 130-140 mmHg : indication thérapeutique pour certains patients (mais certainement pas l'ensemble des catégories proposées par les auteurs)
  3. PA inférieure à 130 mmHg : absence d'HTA.
Ce n'est quand même pas de la tarte !

On ne peut que remercier Florian Zores pour ce travail de décryptage qui laisse pantois les médecins des soins primaires qui sont confrontés tous les jours au principe d'incertitude.

PS du 14/11/2024. Une publication (LA) montre, encore une fois, les dangers de la norme, les incertitudes la concernant et les conséquences non contrôlées sur les prises en charge.