jeudi 6 novembre 2008

L'USAGE DU PLACEBO EN MEDECINE : UN DANGER POUR LE PRESCRIPTEUR


Une enquête récente publiée dans le British Medical Journal (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct23_2/a1938) montre ceci :
A peu près la moitié des internistes et des rhumatologues qui ont répondu à l’enquête (679 sur 1200 contactés, 57 %) rapportent qu’ils prescrivent des placebos de façon régulière (46 à 58 % selon les questions posées). La plupart des praticiens (399, 62 %) pensent que cette pratique est éthiquement admissible. Peu rapportent l’usage de comprimés salés (18,3 %) ou sucrés (12,2 %) comme traitement placebo alors qu’une large proportion rapporte l’usage d’analgésiques en vente libre en pharmacie (over the counter) (267, 41 %) et de vitamines (243, 38 %) comme traitement placebo durant l’année pasée. Une petite mais notable proportion de médecins rapporte l’usage d’antibiotiques (86, 13 %) et de sédatifs (86, 13 %) comme traitement placebo pendant la même période. Bien plus, les praticiens qui utilisent les traitements placebo les décrivent à leurs patients comme potentiellement bénéfiques ou comme non classiquement utilisés pour leur maladie (241, 68 %) ; très rarement ils les décrivent explicitement comme des placebos (18,5 %).
Commentaires : des "spécialistes" utilisent largement les traitements placebos sans se poser trop de questions existentielles. Moi-même, dans ma pratique de médecin généraliste, j'utilise parfois des placebos purs (vitamines ou fluidifiants bronchiques par exemple) mais aussi des placebos impurs (antibiotiques dans des affections virales ou antidépresseurs dans des affections neuropathiques) pour des raisons qui ont été largement décrites par la littérature : manque de temps, difficultés à expliquer, découragement, abus de pouvoir, lassitude, croyance dans ma personne comme médicament -cf. Balint-, et cetera. Mais je ne suis pas dupe.
Je vous propose la traduction d'une lettre que j'ai écrite et qui a été éditée dans le British Medical Journal en mai 2008.

Les dangers du placeboLes tenants et les aboutissants de l'usage du placebo en médecine sont malheureusement oubliés par les médecins, surtout quand il s'agit d'essais cliniques contrôlés (1). Ainsi, je voudrais souligner plusieurs dangers liés à l'utilisation d'un placebo : cela pollue la relation médecin malade, cela accentue la relation asymétrique -paternalisme- existant entre les médecins qui savent et les patients qui souffrent, cela peut être médicalement dangereux -spécialement quand le but du médecin est de savoir si oui ou non le patient souffre d'une affection organique- et renforce l'arrogance du médecin, infantilisant les patients encore plus. Citons Howard M Shapiro : "Finalement nous avons à considérer ce qui peut être le plus grand danger pour le médecin, à savoir que donner un placebo pourrait lui donner une opinion encore meilleure de ses propres capacités à aider."(2)

Dangers of placebo
The ins and outs of placebo use in medicine are unfortunately forgotten by doctors, especially when controlled clinical trials are concerned.1 So I would emphasise several dangers of placebo use: it spoils the doctor-patient relationship, enhances the asymmetric relationship—paternalism—between physicians who know and patients who suffer, can be medically dangerous—especially when the doctor’s aim is to determine whether patients have an organic disease—and strengthens medical arrogance, infantilising patients even more.
To quote Howard M Shapiro: "Finally we have to consider what may be the greatest danger of all for the physician, that giving a placebo will give him an even higher opinion of his own abilities to help."2

Competing interests: None declared.
References
(1) Spiegel D, Harrington A. What is the placebo worth? BMJ 2008;336:967-8. (3 May.)[Free Full Text]
(2) Shapiro HM. Doctors, patients, and placebos. Yale: Yale University Press, 1986.
CONCLUSION : ce n'est pas parce que les traitements placebo ont toujours été utilisés qu'il ne faut pas se poser de questions sur leur utilité morale et surtout sur leur rapport bénéfices / risques.
(A suivre)

L'illustration vient d'ICI, un article intéressant mais pas convaincant en tous ses aspects.

4 commentaires:

nfkb a dit…

Bon clairement je ne suis pas calé comme vous culturellement sur la relation médecin-malade et j'ai moins d'expérience mais il y a des choses qui ne sont pas clair dans votre réponse à la note de Luc Périno.

1) Il faut différencier une substance qui a un principe actif sans preuve d'efficacité et une substance "inerte" (qq mg de sodium ou de glucose)

2) je pense qu'un médecin peut proposer un traitement actif sans avoir de preuve d'efficacité dans la littérature s'il pense le rapport bénéfice/risque favorable. Je travaille un peu sur le sujet de la douleur chronique et on est souvent confronté à cette problématique.

3) je ne vois pas en quoi distribuer un vrai placebo (une substance inerte) constitue un acte marqueur de paternalisme exacerbé. Ce qui compte pour moi c'est l'intention de bien faire.

Je n'ai peut être rien compris...

JC GRANGE a dit…

@ nkfb
Je ne peux ue répéter ce que j'ai écrit : la prescription d'un placebo (pur ou impur) est une rupture du pacte de confiance avec le patient puisqu'on lui ment sciemment ; que lui répondrez-vous quand il vous demandera à quelle classe thérapeutique ou pharmacologique il appartient ? Que penserez-vous de lui quand il "répondra" au placebo ? On ne peut plus écrire des ordonnances sans expliquer au patient quel est le but de cette prescription. Vous parlez des pathologies chroniques, eh bien, dans ce cas on aboutit aux invraisemblables prescriptions dans la fibromyalgie et quand vous avez devant vous un patient venant de chez un autre médecin qui réagit, par exemple, au magnesium vous en penserez quoi ? Vous serez content pour lui, pour vous ou vous le regarderez comme un demeuré ?
L'intention de bien faire est extrêmement dangereuse, tout comme le bon sens ou le sens commun. Balint en a fait des tonnes sur la question. En croyant bien faire on peut aboutir à des catastrophes.
Prescrire un placebo, enfin, c'est tourner le dos au questionnement EBM, c'est considérer le patient comme personna non grata dans la démarche thérapeutique. Tout au plus peut-on dire à un patient à qui on prescrit un placebo, que notre geste est irraisonné, magique, que cela marche parfois et que l'on peut faire le pari que cela marchera dans ce cas précis et contre toute attente.
Mais, comme je l'ai dit, il m'arrive, moi aussi, de prescrire un placebo.
Il ne faut pas confondre prescrire un placebo et profiter de l'effet placebo pour renforcer les effets déjà démontrés d'une molécule.
Mais je suis trop péremptoire : il faut encore réfléchir.
On peut en reparler.
Bonne soirée.

Pierrik faure a dit…

Il reste tout de même une voie intermédiaire : prescrire un placebo en l expliquant ouvertement au patient. L expérience du lobepac montrait des résultats "malgré" l information au patient.
Moins bon certes, mais réels.
Expliquer à la deuxième consultation que c était un placebo peut aussi permzttre au patient de se rendre mieux compte de ce dont il a pas"besoin".
Bref... une réflexion à mener pour tout les soignants. merci

JC GRANGE a dit…

Nous sommes le mercredi 3 mai 2023 et je vous mets en référence un article non scientifique paru dans le journal du CNRS :
https://lejournal.cnrs.fr/articles/leffet-placebo-en-toute-transparence
Très intéressant.
Comme dit précédemment il est suggéré qu'il faut expliquer au patient qu'on lui prescrit un placebo.
Une étude montre que le placebo est moins "efficace" quand on dit au patient que c'est un placebo.
Mais qu'on augmente son efficacité (+ 7 %) en parlant du mécanisme physiopathologique de l'effet placebo.
On voit que c'est peu convaincant.