mardi 31 mars 2009

JOHN BERGER : UN METIER IDEAL



John Berger pour le texte et Jean Mohr pour les photographies : Un métier idéal – Editions de l’Olivier – 2009. (A Fortunate Man - 1967) (Traduction de l’anglais : Michel Lederer)
Ce livre est une petite perle. Il devrait surtout intéresser les médecins mais c’est une bonne occasion pour les malades en puissance (dont les médecins) de comprendre comment les praticiens expriment leurs interrogations existentielles.
Il raconte la vie professionnelle d’un médecin généraliste anglais, John Sassall, exerçant la médecine de premier recours au milieu des années soixante dans des conditions qui n’existent pratiquement plus (campagne anglaise reculée sans les moyens modernes de communication, petite chirurgie, urgences, soins de suite à l’hôpital, psychothérapies à domicile, accouchements et fins de vie…).
Le livre est tellement beau (le texte et les photographies de Jean Mohr) et pertinent qu’on se demande si ce n’est pas Sassall qui raconte sa propre histoire en se cachant derrière un écrivain : John Berger racontant l’histoire d’un médecin qui serait lui-même.
Mais ce n’est pas le cas : c’est un non médecin qui raconte la poésie tragique de la médecine. Un médecin fasciné par Conrad et l’ «inimaginable».
La partie la plus intéressante du livre (les anecdotes cliniques sont plus banales), c’est la réflexion sur l’exercice de la médecine, et cette réflexion n’a pas besoin d’être actualisée pour « parler ».
Tout est abordé : le statut social du médecin dans une campagne où la majorité des habitants sont des cultivateurs ou des manuels (Sassall, sur les photos, est habillé comme un dandy, roule en land rover et ne fait pas semblant de faire peuple) ; la profondeur de la relation médecin malade : « La conscience de la maladie constitue une part du prix que l'homme payait, et paie toujours, pour avoir conscience d'exister. Cette conscience accroît la souffrance ou l'infirmité. Et la conscience de soi qui en résulte constitue un phénomène social, de telle sorte qu'elle fait naître la possibilité d'un traitement et donc de la médecine." ; la façon d’aborder la maladie et le mal être et comment Sassall s’attache à en faire la distinction ; le passage continuel du patient au malade au cours de la même consultation ; l’importance de la récognition pour le malade ; la nécessité de briser la double unicité de la maladie et du mal être : Sassall ne murmure jamais « Oui, oui,… » en hochant la tête quand un malade lui parle de ses soucis mais « Je sais, je sais,… » avec une compassion sincère ; ou alors : «Quand il parle avec un malade ou qu’il l’écoute, c’est comme s’il le touchait aussi avec les mains dans l’espoir d’être moins susceptible de se tromper ; et quand il examine physiquement un malade c’est comme s’il conversait avec lui. » ; le nécessaire interdit de la sexualité avec les malades ; l’irréversibilité du temps ; qu’est-ce que c’est qu’un « bon » médecin ? ; l’EBM est également abordée : « Chaque semaine, désormais, il [Sassall] lit dans les moindres détails les trois principales revues médicales et, de temps en temps, va suivre une formation dans quelque hôpital. Mais il tire surtout satisfaction des cas où il est confronté à des forces qui ne se situent pas tout à fait dans un cadre répondant à des explications antérieures, parce qu’ils reposent sur la personnalité du malade. Il essaie de tenir compagnie à cette personnalité dans sa solitude. »
Le livre raconte aussi les épisodes dépressifs de Sassall et… son suicide.
« Rencontrer l’un de ses semblables dans un état de désespoir nous oblige à partager, du moins en imagination, ses problèmes fondamentaux : La vie a-t-elle un sens ? A quoi bon continuer de vivre ? »


Je m’arrête là.
J’espère ne pas en avoir trop dit qui pourrait décourager le lecteur de lire le livre qui est un bel objet en soi, avec les photographies.
Bonne lecture.

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