mardi 31 juillet 2012

Une métaphore tragique liée au PSA : un oncologue "guéri" du cancer et incapable de courir.


Dans les Archives of Internal Medicine, Charles L. Bennett, médecin, oncologue, spécialiste du cancer de la prostate depuis 25 ans et titulaire d'un diplôme de santé publique, raconte ICI (A 56-year old physician who underwent a PSA test Arch Intern Med. 2012;172(4):311-311. doi:10.1001/archinternmed.2011.2246) la tragique histoire d'un patient de 56 ans dont il s'est occupé et dont le destin morbide (parésie du bras et de la jambe droites apparue en post opératoire immédiat) le taraude en raison des décisions qu'il a prises et qui ont amené le patient à cette condition.
Le problème majeur : Charles L. Bennett est à la fois le médecin qui a décidé l'attitude thérapeutique et le patient qui a subi les effets indésirables.
Il conclut son article ainsi : "Même le patient le plus informé (moi en l'occurrence) a des difficultés à prendre une décision vraiment informée."
Cette lettre peut être interprétée de multiples façons.
Merci de la lire auparavant, c'est court, afin que vous puissiez vous faire une idée avant que je ne commente de façon qui pourrait vous paraître orientée.

Voyons d'abord la succession des faits :
  1. Il décide à 50 ans de faire son PSA annuel et rituel : 2,5 ng / ml (il était l'année précédente à 1,5). Et savez-vous ce qu'il fait ensuite ? D'en parler à un urologiste qu'il connaît bien et avec lequel il a effectué des recherches. L'urologiste lui demande de faire des biopsies.
  2. Les biopsies sont effectuées 6 semaines après et il va les lire lui-même avec l'anatomopathologiste. Le score de Gleason est à 3+3 dans 1 sur 12 des prélèvements et il n'y a aucun envahissement.
  3. Il a peur du cancer. 
  4. Son expérience interne lui rappelle que la majorité de la centaine de malades qu'il a vus avec le même tableau clinique ont, dans ce cas, opté pour la chirurgie, et une faible proportion pour la radiothérapie ou pour la simple surveillance. Son expérience externe, il la recherche auprès des meilleurs spécialistes du pays (chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes) et non dans la lecture des publications.
  5. Il décide de se faire opérer (prostatectomie radicale).
  6. Pour mettre toutes les chances de son côté, et parce qu'il a peur, à 50 ans, de subir des conséquences sexuelles de l'intervention, il choisit un leader national pour l'opérer pensant que chez un homme en bonne santé de son âge les risques de troubles sexuels, de troubles vésicaux ou intestinaux sont faibles et qu'il y a 100 % de chances qu'il n'ait plus de cancer 20 ans après.
  7. Cinq ans après : pas de cancer, dit-il, PSA à 0 mais parésie du bras et de de la jambe droite. Il ne parle pas de sexe mais il ne peut plus faire sa course à pied quotidienne.
  8. Il cite alors les recommandations récentes de l'US Preventives Service Task Force (LA) et se lamente de ne les avoir pas connues auparavant. Il dit que si c'était à refaire il opterait pour la surveillance active.
De mon point de vue il s'agit d'une succession d'erreurs de raisonnement médical. Est-ce dû au fait que nous avons affaire à un spécialiste du cancer de la prostate ? Est-ce lié au fait qu'il soit à la fois le médecin et le patient ? Est-ce dû à sa pratique, à savoir travailler dans une équipe multidisciplinaire spécialisée dans la pathologie dont il croit être atteint ? Est-ce provoqué par la croyance répandue qu'en matière de cancer Le plus tôt c'est le mieux ? Est-ce lié à la cancérophobie personnelle du médecin malade ?

La communauté urologique croit majoritairement, notamment aux Etats-Unis d'Amérique, aux bienfaits du dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA.
Charles Bennett  a agi avec lui-même comme il agissait avec ses patients, prétend-il.
Travaillant dans un centre d'oncologie urologique depuis 25 ans il y a acquis une incontestable technicité et une façon de penser. Ce n'est pas une pensée sectaire mais une pensée communautaire de travail. Comme il existe une pensée communautaire majoritaire chez les boulangers ou chez les enseignants ou chez des employés de coca cola. Cela ne signifie pas que tout le monde pense la même chose, la réalité dit le contraire tous les jours, cela signifie que le fait d'endosser un statut entraîne de façon presque automatique une façon de penser et de se comporter qui ignore le reste du monde.
Robert Musil faisait dire à l'un de ses personnages dans L'homme sans qualités qu'il ne fallait jamais interroger quelqu'un sur son travail car il ne pouvait pas dire la vérité.

Dans les faits qui nous sont rapportés nous pouvons extraire quelques comportements erronés ou dangereux. 
  1. Demander une biopsie avec un PSA à 2,5 contrairement à toutes les recommandations, émaneraient-elles de la communauté urologique et / ou oncologique
  2. Lire lui-même les plaques histologiques le concernant
  3. Etre cancérophobe en étant oncologue
  4. Ne pas se mettre dans la position d'un questionnement EBM à propos de son propre cas, ce qui, admettons-le, est pratiquement impossible. Nul doute que son expérience interne aura changé...
  5. Décider de se faire opérer pour être à 100 % "cancer free" 20 ans après
  6. Etre persuadé que les complications post opératoires sont malades dépendants (il se dit en bonne santé) et opérateurs dépendants et donc non liées au hasard (ce qui, selon mon expérience interne est quand même assez vrai) et choisir le "meilleur" pour se faire opérer
  7. Etre un malade guéri
  8. Croire que les dernières recommandations, celles de l'USPSTF, sont sorties de nulle part et non de publications qu'il aurait dû lire (expérience externe).

Je voudrais également souligner un fait qui a dû, tout comme moi vous choquer : il ne dit pas un seul mot des centaines de malades qui ont défilé dans son bureau et pour lesquels il a appliqué les mêmes principes !


23 commentaires:

Frédéric a dit…

Gud to see ya, Doc.

Un des multiples aspects de ce problème, et qui m'est d'emblée venu à l'esprit, est la conception très répandue qu'on se fait du cancer-maladie, y compris chez les oncologues apparemment : une maladie agressive, externe à l'organisme, et qui vous tombe dessus comme une malédiction, à la façon d'un alien spilbergien...
Et dont l'on cherche à se débarrasser d'une façon d'autant plus définitive qu'elle sera radicale. Gardons à l'esprit que la prostatectomie est l'amputation d'un organe.
Remettre le cancer à sa place, c'est à dire comme une anomalie résultant de la persistance d'un déséquilibre entre des facteurs d'agression lésant l'ADN cellulaire (molécules oxydantes, UV, chimie en tout genre, etc.) et des facteurs protecteurs (système immunitaire), permettrait me semble-t-il de dédramatiser la réflexion sur cette maladie. Et aiderait sans doute à faire des choix plus rationnels en matière de stratégie thérapeutique.
Mais l'argument de la peur est aussi un excellent outil commercial.
A qui profite le crime ?...

@euphorite a dit…

Tout cela est fort instructif et je pense que ce mea culpa est le meilleur aveu de ses erreurs auprès des patients qu'il a traité de la même manière, certainement en pensant bien faire.
Par ailleurs il est difficile à l'heure actuelle de ne pas être cancérophobe mais cette voie de la dédramatisation m'interpelle!

Frédéric a dit…

@ @euphorite :

Pour moi c'est encore l'histoire de l'opposition anatomique / fonctionnel :
la première hypothèse consiste en un raisonnement de type "chirurgical" (espérons qu'aucun chirurgien ne lise ce commentaire), qui considère que la meilleur façon de résoudre un problème, c'est de le faire disparaître, coute que coute.
La deuxième hypothèse considère que le problème fait partie d'un système, qu'il est l'expression d'un déséquilibre de ce système et que le traitement du problème consiste donc en un rétablissement de l'équilibre. Cela implique une démarche complexe et laborieuse, avec des résultats souvent mitigés et difficile à interpréter.
L'hypothèse anatomique me parait odieusement simpliste, mais elle est pourtant dominante en médecine. C'est du moins ce que je découvre au travers de mon exercice.
En même temps, si l'on commence à raisonner uniquement dans un cadre fonctionnel, on est tellement souvent confronté à sa propre impuissance en temps que thérapeute, que ça en devient frustrant.
Mais au moins, c'est stimulant intellectuellement, parce qu'il y a tellement à défricher... On peut garder l'esprit frais.
Au Japon, cela s'appelle "shoshin", l'esprit du débutant.

Chantal a dit…

@Frédéric: effectivement, le cancer est souvent démontré comme un orgre, une maladie dévoreuse. Pourtant, je n'ai pas peur d'elle, il existe une maladie bien pire de laquelle on ne rechappe point: le diabéte. Elle vous prens un être aimé, petit à petit cette maladie détruit un être humain bien mieux que ne le peux faire un cancer. Pourtant peu ou prou de gens craignent cette maladie, peu médiatisé sauf pour le coup de la santé publique.

Quand à cet oncologue, je trouve bien léger de se plaindre de son état et ne rien dire sur l'avenir de ses anciens patients. Il se plaint avoir suivi les directives et de se retrouver diminuer, ne l'a-t-il pas vu chez ses patients? ètait-il sourd aux plaintes et commentaires de ses malades?

Bon dimanche

H. Raybaud a dit…

Désolé, je ne peux pas le plaindre d'avoir pris - aussi pour lui - la mauvaise décision
Hugues

BG a dit…

A trop craindre la mort, la vie nous oublions...

CMT a dit…

Un cas représentatif de ce qui se produit à l'échelle d'un pays : beaucoup de dépenses de santé pour un état de santé très médiocre en raison, entre autres, du surtraitement .
Plusieurs enseignements:
Un médecin présentant des conflits d'intérêt peut, en toute bonne foi, se faire des illusions sur ses propres compétences médicales, ergo, les conflits d'intérêt sont une source majeure d'incompétence
La bonne réputation peut découler d une plus grande capacité à cacher les cadavres dans le placard , et l establishments informé est vecteur et victime potentielle de cette illusion d'optique.
Il y aurait d'autres enseignements mais je m'arrête là.

Frédéric a dit…

"A PARTE"

Première patiente de la journée :

mamie de 78 ans, toute froide, toute bleue, toute tranquille, gisant chez elle au milieu d'une flaque sang et d'une famille nombreuse éplorée.

Je ne la connaissais pas, son toubib est en vacance, elle a(vait) une bonne tête et une famille aimante, et présente. Elle est morte chez elle.

LA question centrale autour de cette mort "A-t-elle souffert, docteur ?".
Au début mon côté pragmatique a commencé à me faire dire "je ne sais pas, peut-être un peu, sans doute...".
Et très vite mon côté "un mal pour un bien" a pris les commandes et je me suis entendu affirmer "Non, elle n'a pas souffert, tout est allé très vite, etc."

Deuxième question en ordre d'importance : "S'est-elle sentie partir"...
Aaaaaaarrrggghhhh....
En m'entendant dire pour la deuxième fois "Non, sans doute pas", je me remémorais ces années hospitalières d'internat, et tous ces gens dont j'avais bien vu et senti que, oui, c'était sûr, ils se sentaient mourir très très fort...

Mourir prend du temps, fait mal, et cette idée n'est pas supportable de nos jours.
Mais pourtant, c'est la vie.

Je m'excuse pour cette parenthèse hors sujet, mais comme j'avais besoin d'en parler un peu, et que je suis bien trop feignant pour tenir un blog, je squatte le docdu16 qui me le pardonnera sans doute.

Salut.

Charlotte a dit…

Bonsoir,
Ce papier m'appelle plusieurs
questions :
- Quelles sont les différentes sources d'informations d'un médecin ? (institutionnelles ou personnelles)
- Quel est leur niveau d'accès ?
- Quel est leur niveau de fiabilité ?
Cordialement
Une patiente

Frédéric a dit…

@ Charlotte :

Difficile de généraliser.
C'est un peu comme si vous vous posiez la question : "quelle est la qualité du pain des boulangers français ?"... Ca va de la baguette industrielle qui se déshydrate en moins de douze heure au pain artisanal à la farine bio broyée sur meule de pierre et au levain, cuit au feu de bois, avec tous les intermédiaires possibles.
Après on pourrait faire des approximations, mais vous devriez surtout vous poser la question concernant VOTRE médecin.
Ce qui est certain c'est qu'il vaut mieux ne pas faire confiance de façon aveugle a priori, quel que soit le toubib que vous ayez à consulter.
Votre propre jugement prime.

CMT a dit…

À Charlotte,
Pour ce que j'ai constaté dans le cadre de recherches bibliographiques la qualité de l'information est généralement mauvaise et se dégrade dans le temps en raison de la main mise de l'industrie pharmaceutique sur la production d'études. Ce qui compte est donc la capacité de votre médecin à chercher des sources indépendantes et à vous écouter.

Charlotte a dit…

@Frédéric
Je peux faire mon pain moi-même, comme je peux me soigner pour les petits trucs. Mais si je peux me passer de l’excellent pain de mon boulanger pour accompagner mes meilleurs mets, j’ai dû mal à me passer d’un médecin pour de sérieux problèmes de santé. De même, je trouve plus aisé de faire un test comparatif de pains que de médecins .
Si l’on peut se faire une opinion sur les aspects pratiques (organisation du cabinet, proximité …) et relationnels (explications, ecoute, ordonnance …), il me semble plus difficile d’être juge sur ce qui est de la compétence « technique ». Difficile de juger la cohérence d’une ordonnance, de son adéquation avec le diagnostic, et difficile encore d’élaborer un diagnostic, quand on n’y connait rien.
Il faut faire des recherches documentaires en tentant d’une part de recouper les infos, d’autre part de valider les sources … et j’imagine que le médecin doit se livrer à un exercice similaire pour s’informer . Or, comment savoir si son interlocuteur en blouse blanche prend le temps de faire cet exercice, où il récupère ses infos, et comment peut-il les valider ? D'où mes questions ... Qu’est ce qui est mis à disposition des médecins, sous quelle forme, et qui alimente ces bases de données ?

@ CMT
C’est effectivement l’impression que j’ai concernant la qualité de l’information (la médecine n’ayant pas le monopole de cet état de fait).
Concernant la capacité de mon médecin à chercher des sources indépendantes, comment faire pour le savoir, en particulier quand on est un simple patient. Quelles sont les sources reconnues indépendantes ? (Sont-elles prioritairement consultées ?)

Frédéric a dit…

@ Charlotte :

J'approuve tout ce que vous dites, et j'abonde dans votre sens quand vous exprimez la difficulté pour un patient d'évaluer un médecin.
Faire la différence entre du bon et du mauvais pain est incomparablement plus facile que de déterminer le niveau de compétence de la personne qui vous soigne.

Les médecins français ne sont soumis à aucune évaluation officielle, aucune sorte de labellisation. Cet état de fait problématique tient en partie à la puissance corporatiste de ces derniers, et en partie à la difficulté d'évaluer objectivement une pratique qui comprend 50 % au minimum de subjectivité.

L'une des sources d'information indépendante la plus partagée par les médecins est la fameuse revue "Prescrire", et certains de ses lecteurs passent chaque année une sorte de test de lecture qui, s'il est réussi, leur permet de figurer sur une liste de "lecteurs émérites". Vous pouvez vous procurer cette liste sur internet.
Les autres sources d'info indépendantes sont les revues anglophones publiant les résultats d'études cliniques, mais sont peu lues car en anglais...
Il existe des collectifs promouvant l'accès à l'information non partiale : en France, le Formindep.

Étant donné l'importance et la difficulté à se faire une idée sur le toubib qui a votre santé, et potentiellement votre vie entre les mains, je vais vous faire partager quelques points de conduite que je m'emploie à appliquer, et qui, s'ils correspondent à l'idée que je me fais d'un médecin assez indépendant, sont aussi purement personnels, subjectifs, et reflètent autant un idéal naïf qu'une réalité quotidienne. Ils ne sont donc sans doute pas généralisables :
- être le plus honnête possible avec le patient, et lui mentir le moins possible sauf quand c'est dans son intérêt.
- informer les gens sur les tenants et les aboutissants de la maladie et du traitement, en termes compréhensibles.
- informer les gens sur les limites de la connaissance et de la thérapeutique médicale, quitte à se placer dans une situation d'impuissance peu confortable pour un médecin.
- ce qui revient aussi à responsabiliser un maximum le patient, à lui rendre le pouvoir sur sa propre santé. Certains patients n'aiment pas cela et se complaisent dans une relation paternaliste.
- appliquer le principe de précaution concernant les traitements, curatifs ou (surtout) préventifs.
- se tenir du mieux possible au courant de ce qu'il convient d'appeler "l'état de l'Art".
- expérimenter sur ma propre personne dans le cadre d'une recherche plus "holistique" (je sourie en en voyant certains bondir sur leur chaise...), c'est à dire tout simplement participer à l'évolution des espèces qui, chez l'homme con-temporain, se joue sans aucun doute sur le terrain de l'esprit.
Mais ce dernier point n'a peut-être rien à voir avec la médecine. Quoique.
- Enfin échanger avec des pairs que j'apprécie, ce qui a été rendu possible par le biais d'internet et d'excellent blogs tels que celui où nous causons actuellement, et que bien sûr je vous encourage à suivre !

Bien à vous,

Frédéric

Frédéric a dit…

Ah oui, j'oubliai tellement cela me paraît évident :

- ne pas recevoir de commercial de l'industrie pharmaceutique (délégué médical).

PS : je me sens obligé d'ajouter que je n'ai rien de personnel contre les délégués médicaux, qui font un boulot assez difficile et souvent ingrat, c'est juste une question de principe.
Au cas où un(e) délégué(e) lirait le blog.

Charlotte a dit…

@ Frédéric
« Les médecins français ne sont soumis à aucune évaluation officielle […] en partie à la difficulté d'évaluer objectivement une pratique qui comprend 50 % au minimum de subjectivité. »
L’évaluation n’a d’utilité que si elle a un objectif, et si des mesures l’accompagnent …
Le capi n’est-il pas une tentative d’évaluation ? (sujet délicat qui semble diviser notamment sur la toile et surtout, qui, selon moi, comme toute idée moderne, affiche des objectifs officiels alors qu’il semble en poursuivre d’autres)
« être le plus honnête possible avec le patient, et lui mentir le moins possible sauf quand c'est dans son intérêt. »
Ce n’est pas la première fois que je lis ou entends ça et ma réaction est toujours la même, je tique … Qu’est-ce qui pourrait expliquer qu’un mensonge puisse être dans l’intérêt d’un patient ? (sauf si ce dernier en a clairement exprimé la demande)
« Enfin échanger avec des pairs que j'apprécie»
Le médecin cité dans le billet échangeait aussi avec des pairs … ;-)

Merci pour cet échange.
Cordialement

BG a dit…

Le ''mensonge'' en médecine, ça fait partie du métier, comme chez les militaires : imagine-t-on les militaires étaler les secrets stratégiques sur la place publique ? Quand les troupes sont enfoncées sur le front il ne faut pas décourager la population... Le moral a aussi beaucoup d'importance pour la santé, d'où les effets placebo et nocebo. Le médecin doit certainement en tenir compte mais il n'est pas toujours aisé de faire constamment le bon choix.

On retrouve cela en santé publique, tout particulièrement avec les campagnes de vaccination. Dans l'intérêt des populations il ne faut pas les décourager d'aller se faire vacciner, c'est le principe retenu par les stratèges en la matière. On a vu ce que cela donnait avec la vaccination ''pandémique'' et auparavant avec la vaccination hépatite B. Pour garder la confiance du public on a nié l'évidence, d'ailleurs pratiquement établie par une étude mystérieusement occultée [3] sur les données de la pharmacovigilance (Fourrier-Bégaud-Costagliola), sur le lien entre cette vaccination et la SEP sans parler des SLA pour lesquelles aucune étude n'a été lancée.

Tout cela n'est pas nouveau car la même attitude s'était manifestée avec la vaccination antivariolique pour laquelle, en plus de la négation d'effets secondaires très graves, il fut affirmé dès 1870 et martelé au cours de la campagne d'éradication un siècle plus tard, que la vaccination était efficace en post-exposition (vaccination des contacts) alors que les récentes expérimentations animales enfin possibles ont établi qu'il n'en était rien [1]. Pourtant, cette vaccination en post-exposition est toujours l'action principale de notre plan variole... Sa pratique systématisée fut clairement catastrophique au cours de la campagne d'éradication en Inde en 1973-74 et faillit conduire le programme à l'échec [2].

Alors on peut, comme Charlotte, effectivement tiquer sur le ''mentir dans l'intérêt du patient ou des populations" ...

Le ''mensonge'' en médecine est sans doute nécessaire, mais jusqu'où ? Telle est la question qui n'aura jamais de réponse toute faite.

[1] http://questionvaccins.canalblog.com/archives/2012/01/03/23148650.html
[2] http://questionvaccins.canalblog.com/archives/2012/02/03/23430717.html

[3] http://questionvaccins.canalblog.com/archives/2009/05/21/13813413.html
Aller sur "Un étrange destin"

frédéric a dit…

@ Charlotte :

"Qu’est-ce qui pourrait expliquer qu’un mensonge puisse être dans l’intérêt d’un patient ?"

Cela fait partie des 50 % de subjectivité dont je vous parlais...

Charlotte a dit…

Bonsoir,
Si je peux comprendre l’importance des effets placebo ou nocebo et donc éventuellement accepter que mon médecin présente un emballage adapté à la situation, je crois qu’un mensonge est délétère dans la relation médecin/patient, même en tenant compte de la part de subjectivité avancée par Frédéric (part de subjectivité, qui selon moi, correspond probablement à l’expression de l’être humain qui se trouve sous la blouse).

Je m’explique. Si je m’aperçois que mon médecin m’a menti, je ne vais plus pouvoir lui faire confiance. Or, il me semble que pour bien fonctionner avec son MG, il faut pouvoir lui faire confiance un minimum, et la confiance ne se donne/s’acquiert pas comme ça, surtout que l’on parle de santé, et qui plus est, de la sienne. Or, si un patient vient à se rendre compte que son médecin lui a menti « dans son intérêt de patient » (bien sûr ;-), comment pourra-t-il continuer à fonctionner avec lui, puisque tout ce qui sortira de la bouche du médecin n’aura plus de valeur. (En écrivant ça, j'ai Primum non nocere qui me trotte dans la tête.)
Donc, pour répondre à BG, un petit mensonge sur l’emballage est acceptable, tant que le contenu n’est pas altéré.

Et pour finir, histoire de laisser l’opportunité aux médecins de se plaindre des mensonges de leurs patients, j’ai déjà menti par omission à plusieurs reprises, et menti effrontément au moins une fois à un spécialiste. Et si je peux comprendre que cela puisse les contrarier (parce que cela pourrait, dans certaines circonstances, avoir des conséquences dramatiques), je demanderai l’indulgence, car sachez que ce n’est pas évident pour tout le monde de venir étaler son corps ou devoir exposer des bribes de sa vie à d'illustres inconnus, aussi "Docteurs" Es Ce-que-l'on-veut (ou non, d'ailleurs) soient-ils …
Au plaisir

frédéric a dit…

@ Charlotte :

Mentir à son patient, mentir à son médecins...
Mentir par rapport à quoi ?
Par rapport à LA "Vérité" ?...

Tout est une question de référentiel, vous n'êtes pas sans ignorer la complexité de l'âme humaine, et la haute impermanence de nos opinions personnelles.
Ce que je considérais comme une vérité inébranlable à l'âge de 20 ans me paraît un tout petit peu désuet aujourd'hui, pour donner un exemple.
Quand on pratique la médecine on ne peut faire abstraction de ce facteur, de la grande variabilité des sentiments humains.
Être un bon soignant, c'est ne jamais oublier que l'autre n'est pas vous-même, et que ce qui vous semble évident ne l'est pas pour autrui.
C'est essayer de s'effacer tant que possible pour laisser de la place au monde de l'autre, et tenter de comprendre ce qui pourrait lui être bénéfique, en dehors de tout lien avec vos propres valeurs.
Et d'abord tenter de ne pas lui nuire.

La médecine c'est pas les méchants qui mentent et les gentils qui disent vrai. La réalité est beaucoup plus complexe, et nous navigons tant bien que mal entre les sciences "dures", les sciences humaines, et, je l'espère, l'Art.

Ce qui compte ce n'est pas la Vérité, c'est plutôt la Conscience.

Cordialement

BG a dit…

Le ''mensonge'' en médecine est un thème sans doute incontournable et c'est vraiment bien et courageux qu'il soit abordé ici. Des médecins qui ne voulaient pas mentir à leurs patients leur ont annoncé qu'ils en avaient pour 3 mois à vivre. Dix ans après, ils étaient toujours là.

Alors, ce qu'il faudrait dire au patient serait, non pas La Vérité si on pouvait la connaître mais ce qui va le mieux aider le patient à vivre sa maladie. Mais ce qu'il faudrait dire pourra changer avec les individus, même placés dans des situations objectivement comparables. C'est sans doute l'une des difficultés. Il n'y aura pas de réponses stéréotypées.

Quand on ment à quelqu'un on suppose toujours qu'il n'en saura jamais rien. Mais si un jour il en prend conscience il y aura alors une perte de confiance comme le dit Charlotte. Mais faut-il pour autant dire toute la vérité, ou ce qu'on croit en connaître, instantanément et sur le champ ? Cela peut être distillé progressivement dans le temps afin de permettre une adaptation. Le médecin qui décide de tout dire à son patient en 10 minutes chrono peut le déstabiliser mais il peut essayer de l'habituer à deviner ce qui l'attend.

On peut aussi "mentir" à toute une population comme dans les affaires vaccinales en pensant qu'elle ne comprendra jamais mais avec le risque d'une perte de confiance durable et profonde dans l'autorité vaccinale. Le médecin généraliste, seul face à son patient et sa famille, semble avoir une plus grande conscience de sa responsabilité que la médecine de santé publique face à des dizaines de millions de personnes. Ici, la souffrance est statistique et anonyme, des chiffres sur un écran d'ordinateur ou dans une publication. En jouant avec les chiffres au mépris des principes les plus élémentaires de leur analyse, l'épidémiologiste n'a plus conscience de l'indicible souffrance que ses conclusions péremptoires présentées comme scientifiques vont infliger alors qu'elles ne sont qu'une caricature de la méthode scientifique.

Mon propos peut paraître très excessif. Je me permets de renvoyer à l'analyse détaillée que j'ai faite sur les méthodes utilisées pour analyser (soi-disant...) les données de la cohorte KIDSEP où l'on mélange les enfants vaccinés au collège en sixième et suivis jusqu'à 16 ans avec ceux vaccinés à 15 ans et suivis aussi jusqu'à 16 ans...A moins que ces ''erreurs'' plus que grossières aient été faites au nom de l'intérêt supérieur de l'humanité afin de ne pas compromettre une campagne mondiale de vaccination censée devoir libérer l'humanité du fléau de l'hépatite B ?

[1] http://questionvaccins.canalblog.com/archives/2011/03/18/20609338.html
[2] http://questionvaccins.canalblog.com/archives/2011/04/10/20863058.html
[3] http://questionvaccins.canalblog.com/archives/2011/04/18/20920819.html

CMT a dit…

Il me semble qu’on a confondu, dans les échanges ci-dessus, des notions différentes. On voit que l’on touche à un sujet délicat.
Pour commencer, je pense que Charlotte a tort de faire son mea culpa en avouant ses propres mensonges. Il existe une dissymétrie fondamentale dans la relation médecin-patient. C’est au médecin, qui est en position de force face au patient, qui est lui, en position de faiblesse du fait de sa maladie, du fait de sa position de demandeur et de son ignorance, c’est donc au médecin de fournir les efforts nécessaires pour compenser cette dissymétrie et redonner sa dignité au patient. Si les mensonges du patient sont de nature défensive (sauf, bien sûr, lorsqu’il cherche à obtenir frauduleusement un avantage indu), ceux du médecin, comme ceux de toute instance en position de pouvoir qui ment, visent à consolider son pouvoir. Pour le médecin il s’agit de rester crédible comme médecin, donc de perpétuer la confiance spontanée et implicite qu’a le patient dans la capacité du médecin à trouver une solution à son problème actuel. L’exemple extrême d’utilisation du mensonge comme moyen de préservation du pouvoir sont les dictatures : l’information distillée au public est alors totalement contrôlée et déconnectée de la réalité, le rôle de l’information ainsi contrôlée étant exclusivement la préservation du pouvoir de la caste dominante.
Pour la plupart des médecins les mensonges ne sont pas ponctuels ou délibérés. Il s’agit plutôt d’une attitude globale face au patient où l’enjeu n’est pas LA vérité mais plutôt de préserver, pour le médecin, un certain confort que lui confère son autorité professionnelle et intellectuelle sur le patient, en ne dévoilant pas l’étendue de sa perplexité ou de son ignorance face à des situations complexes.
L’enjeu n’est donc pas LA vérité, c’est un faux débat, mais de savoir si lé médecin accorde au patient le bénéfice de croire que celui-ci est en mesure de comprendre ce que lui-même pense ou croit savoir.
Il s’agit donc pour le médecin de faire suffisamment confiance au patient pour « fendre l’armure » au bénéfice d’une certaine sincérité dans la relation. Et on peut être épatés de voir ce que certaines personnes peu éduquées peuvent comprendre si on leur laisse cette chance au lieu de prendre pour acquise leur ignorance.
A travers la question du mensonge c’est donc davantage la dignité du patient qui est en jeu que la connaissance de la vérité telle que le médecin pense la connaître ou se la figure puisque celle-ci est souvent fragile et que, d’autre part, le patient va toujours interpréter et s’approprier ce que dit le médecin pou se construire sa propre vérité.

JC GRANGE a dit…

Bonjour à tous,
Le problème du mensonge en médecine est, bien entendu, complexe, comme le problème du mensonge dans la vie. Il serait possible d’écrire un traité sur le sujet mais je n’en ai pas les possibilités intellectuelles et conceptuelles. Voici, à mon sens, quelques pistes : 1) le mensonge est constitutif du développement et de la personnalité, peu importe de quel type de mensonge il s’agit (par omission, et cetera …): il n’est pas possible « tout » dire et, par là, il est impossible de ne pas cacher (c’est même le fondement de la personnalité) ; 2) en médecine, comme cela a été souligné, il existe une différence essentielle entre le mensonge du médecin (ou de l’institution médicale) et celle du patient (ou malade) ; 3) le mensonge du médecin peut ressortir de plusieurs dimensions non exclusives : protéger la société, protéger la communauté médicale, protéger le malade, exercer un pouvoir, garder une position dominante de type expertal (contre le profane), exercer sa tyrannie, son sadisme, son arrogance, masquer son ignorance, cacher son désarroi, échapper à son auto destruction, je m’arrête là ; 4) le mensonge du patient est tout aussi constitutif de sa personnalité, lui seul peut juger de ce qu’il doit ou peut dire, ce qui lui paraît correct pour le médecin ; 5) le mensonge du patient est lié à des considérations sociétales (l’image que la société se fait du rôle de la médecine et du médecin), personnelles (l’image qu’il veut donner de lui) et interpersonnelles (les relations avec le médecin qui est en face de lui. Enfin, pour terminer à toute allure ce tour d’horizon : la vérité n’est pas toujours nécessaire à connaître par le médecin, même et surtout dans des conditions analytiques (manifestation de l’inconscient) : traiter un sida par exemple ne signifie pas connaître tous les partenaires…
A suivre…

Charlotte a dit…

Bonjour,
La relation médecin/patient est avant tout une relation humaine avec toute la complexité que cela implique, d’où la nécessité pour le médecin de ne pas transposer ses valeurs et croyances, je partage cette approche, sous réserve qu’elle ne soit pas pavée de mensonge sur le fond. (Je parle au moins pour moi ;-)
J’ai déjà changé de médecins (pour déménagement, généralement), mais quelques rares fois parce que je ne « sentais » pas le médecin qui se trouvait en face de moi.
J’imagine que les médecins peuvent avoir le même feeling … mais combien oseront le dire à leurs patients ? Car les médecins sont obligés de demander à leur patient considéré comme « incompatible » (d’ailleurs, au bout de combien de temps peut-on considérer son patient ainsi ?) de ne plus venir, alors que le patient, s’il n’a pas envie d’expliquer au médecin ce qui le dérange, peut rejoindre sans prévenir la patientèle d’un confrère.

BG, je ne comprends pas qu’un médecin puisse annoncer un chiffre quant à l’espérance de vie, car à ma connaissance, ni boule de cristal, ni formation de lecture prédictive dans le marc de café ne sont à disposition des médecins … ;-) Je peux comprendre qu’un médecin explique que la situation est délicate, les résultats peu engageants, mais personne n’est en mesure de dire de quoi demain sera fait. Les effets placebo et nocebo prennent souvent toute leur importance dans ces situations … Car le médecin n’a la capacité de mesurer la volonté du patient de se battre, ou non, et encore moins de savoir ce que la Nature décidera … comme vous le dites, il n’y a pas de réponses stéréotypées.

Je ne partage pas nécessairement le fait que lorsque l’on ment, c’est parce que l’on suppose que la personne n’en saura jamais rien … Un patient peut parfois mentir juste pour temporiser, pour prendre le temps de la réflexion, de savoir ce que il veut bien faire … Un mensonge d’un jour n’est pas forcément un mensonge de toujours dans un environnement médical, cela dépend sans doute du contexte, enfin, il me semble, un peu comme s’il n’y avait pas non plus de réponse stéréotypée de la part du patient. ;-)

CMT, je ne fais de mea culpa, je souriais juste intérieurement quand j’écrivais que les mensonges des médecins étaient délétères, et j’ai trouvé honnête de faire partager cette pensée. J’ai donc essayé d’expliquer brièvement ce qui pouvait pousser un patient à mentir à son soignant, par ma phrase réductrice évoquant les difficultés à se livrer. J’ai failli aborder la dissymétrie de la relation patient/médecin ; je ne l’ai pas fait, parce qu’il me semble avoir déjà lu quelque chose sur ce site (un papier, des commentaires, je ne sais plus) et que j’espérais prendre le temps de retrouver. Le tour d’horizon express du Doc du 16 semble tout à fait reprendre ce que j'en avais retenu.

En tant que patiente, j’attends donc de mon médecin qu’il soit honnête avec moi, qu’il me transmette ses informations, vulgarisées pour que je puisse le comprendre (mais pas déformées pour autant), qu’il réponde à mes questions, afin que je puisse prendre une décision en mon âme et conscience, et si je lui demande, qu'il m'exprime son point de vue et ce qu'il ferait à ma place. Enfin, j'attends de lui, qu'il m'accompagne dans MES choix. Et je préfère qu’il me dise qu’il n’en sait pas plus que moi, qu’il me fasse part de ses doutes, voire mêmes de ses réticences, afin que je sache si l'on peut fonctionner ensemble et dans quelle mesure.
Merci à tous.