jeudi 20 septembre 2012

Je réagis à l'inverse de ce que j'écris le plus souvent (à propos d'une patiente âgée). Histoire de consultation 129


Pendant mes vacances Madame A, 86 ans, a été hospitalisée. Je ne l'ai appris qu'à mon retour en recevant une lettre du gastro-entérologue qu'elle avait consulté sur les conseils de sa fille. La lettre parlait de métastases hépatiques et d'un probable cancer colique primitif.
J'étais triste pour la patiente (plus de 30 ans de suivi et une ordonnance chronique comportant sectral et doliprane) et en colère contre moi car j'étais passé à côté du diagnostic alors qu'elle ne se sentait pas bien depuis quelques semaines. Un cancer du colon, j'aurais dû y penser.
Peu après mon retour son fils m'appelle au cabinet, très aimable, et il m'annonce qu'elle est partie en soins de suite et qu'elle n'a pas de cancer du colon. Le médecin ne sait pas ce qu'elle a. Il me demande d'appeler le docteur B qui s'occupe d'elle.
Le docteur B a une voix toute douce et me dit que le bilan hépatique n'est pas bon, que la malade est fragile mais qu'elle se porte bien, c'est à dire qu'elle est affaiblie mais qu'elle ne souffre pas. J'apprends que les métastases hépatiques ont été découvertes à l'échographie et qu'il n'y a pas eu de scanner (la fonction rénale étant précaire, tiens, c'est nouveau, ils n'ont pas jugé bon de faire un scanner avec injection). Et d'ailleurs, me dit le docteur B, la famille n'est pas très chaude.
Voici ce que je m'entends dire : "Je sais que c'est une personne âgée, je sais que le scanner est probablement inutile, je sais que la recherche du cancer primitif ne changera pas grand chose, mais, quand même, on aurait pu le faire ce scanner pour confirmer ou infirmer l'échographie. Est-ce parce que cette femme est vieille et que l'on veut faire des économies alors que l'on fait des dizaines de scanners de contrôle lorsque l'on donne des traitement anticancéreux de troisième ligne à des gens légèrement plus jeunes ?"
Vous ne me reconnaissez pas, vous vous dites quelle mouche l'a piqué pour qu'il se mette à vouloir faire des examens inutiles chez une femme qui va mourir ? Eh bien, je ne sais pas ce qui m'a pris. J'avais envie que le scanner dise autre chose. Contre tout principe de réalité.
Le docteur B m'a dit qu'elle était d'accord avec moi.
J'ai appelé la fille de Madame A et nous sommes convenus qu'on fera un scanner et c'est tout.
Je sais ceci : il est parfois difficile d'être en accord avec soi-même. Avec les autres, on s'en charge. Mais  c'est parfois difficile à admettre.

(Photographie Docteurdu16 : girafe de Rothschild à Nakuru (Kenya), espèce en voie d'extinction.) 

5 commentaires:

BT a dit…

Plutôt sain comme comportement; malgré la volonté d'uniformiser les prises en charge médicales , tout en respectant l'EBM, l’expérience externe et interne, il existe une conduite adaptée et unique à chaque patient , qui suit une logique temporelle de suivi du patient "priorisée" à un moment de votre démarche clinique.Ne pas réaliser cet examen, c'est amputer un morceau de l'histoire de cette consultation.

Anerick du blog "Péripéties d'une infirmière" a dit…

30 ans de suivi. J'imagine que c'est une situation certainement banale en tant que généraliste mais tout de même... Alors il y a l'affect non ? Celui qui vous pousse à vouloir aller au-delà du strict nécessaire, pour ce laisser encore une chance d'y croire.

Dominique Dupagne a dit…

Ton histoire m'en rappelle une autre qui m'a marqué.

Mon premier stage d'interne. Je vois une petite dame e 85 ans qui venait pour bilan d'anémie ferriprive. Rien dans les urines, je demande une colo : cancer. Rien au bilan d'extension.

Opérée 10 jours après, je ne la revois pas. J'étais très content de moi.

1 an après, je fais un autre stage en soins de suite dans le même hôpital. Je retombe sur la dame qui était là pour AEG sans cause évidente. Elle me reconnaît et fronce les sourcils.

Ah, c'est vous docteur ! Je pensais qu'elle voulait me remercier. Au contraire, elle m'a engueulé, m'a dit qu'elle regrettait de s'être faite opérer, que sa vie était devenue un calvaire, et qu'elle m'en voulait beaucoup.


Ce souvenir ne me quitte pas.


Unknown a dit…

La lecture du récit de Dominique suscite chez moi plusieurs interrogations.
Je me suis demandé tout d'abord: sa vie est un calvaire, est-ce à dire qu'elle aurait préféré ce que serait sa vie si l'opération n'avait pas eu lieu ? Sait-elle seulement comment aurait été sa vie avec un cancer du côlon qui aurait peut-être métastasé, avec son cortège de possibles douleurs osseuses, possible syndrome d'hypertension portale, possible occlusion, possible perforation puis péritonite avant l'issue fatale.
Puis je me suis dit que tout ça ne sont qu'hypothèses, qu'ele n'aura pas forcément toutes ces complications.
Puis je me suis dit qu'elle aurait peut-être préféré refuser quand même l'opération sachant les risques qu'elle prenait.
Puis je me suis demandé si un médecin a pris la peine et le temps de lui expliquer tout ça et recueillir son choix mûrement réfléchi avant de l'envoyer au bloc.
Puis je me suis demandé si un interne pouvait quelque chose dans le cas où ses aînés ont failli à ce qui aurait dû être fait, pour justifier d'être la cible de la colère de la patiente.
Bref, je me suis demandé pour quelle raison précisément Dominique reste marqué par cet épisode.
Confraternellement, HTL.

lola a dit…

Comme quoi la médecine n'est pas une science mais un art, que l'on pratique le mieux possible