jeudi 24 septembre 2015

La médecine praticienne : un métier de chien.


La médecine praticienne est la médecine où l'on reçoit des malades, où l'on parle avec eux et où l'on prescrit éventuellement des examens complémentaires ou des médicaments ou des gestes paramédicaux (que l'on fait aussi) mais on prescrit toujours à son corps défendant (paroles, mots, expressions, conseils, attitudes), la médecine praticienne permet de fournir du soin.

C'est un métier de chien.

Je parlerai surtout de la médecine générale praticienne que je connais le mieux. Mais la médecine générale commence chaque fois qu'un spécialiste d'organe (et ne croyez pas que j'écrive cela par mépris) s'intéresse à autre chose qu'à l'organe et prend le malade en compte comme un citoyen, je dis bien citoyen, pas seulement un patient ou un malade... 

Que l'on soit salarié, libéral, semi salarié, semi libéral, presque fonctionnaire, presque je ne sais quoi....

A partir du moment où quelqu'un s'installe en face de vous ou que vous vous installez en face de lui ou à côté de lui ou derrière lui, quelqu'un qui se sent malade, qui est malade ou bien plus, les emmerdements commencent.

Savoir accepter l'incertitude est la première difficulté. Jusqu'où aller. Jusqu'où ne pas aller. On ne vous reprochera jamais d'avoir demandé trop d'examens complémentaires alors que dans le cas inverse il y aura toujours quelqu'un pour vous ennuyer.

Savoir hiérarchiser le risque.

Se dire qu'un couac est toujours possible et surtout dans les situations "faciles". Surtout quand tout va bien.

Etre persuadé que l'enseignement reçu à la Faculté est une base et surtout un poids difficile à supporter ainsi qu'une source d'erreurs possibles.

Se rappeler que les symptômes correspondent rarement à une maladie, que les examens complémentaires créent des faits incidents et erronés, et donc que la médecine générale, selon le généraliste écossais Des Spence à qui j'emprunte les écrits (LA), n'est pas faite pour les obsessionnels, les craintifs, les introspectifs et encore que, je le cite, confiance, réassurance, erreurs, sont nos meilleures interventions thérapeutiques.

Savoir en recevant un patient dans son cabinet de consultation de médecine générale qu'il s'agit souvent du premier contact entre une personne qui se sent mal, qui a besoin d'aide, qui est programmée pour aller chercher des soins médicaux ou ce qu'elle pense être des soins médicaux et que le médecin généraliste est d'abord là pour écouter, écouter des personnes qui sont le témoin de l'érosion du bien-être, témoins de l'atomisation de la société, témoins de la dépersonnalisation, du déracinement social et géographique, de la destruction des solidarité familiales, et aussi des victimes de la médicalisation de la vie quotidienne qui conduit à l'hétéronomie des comportements, à la consultation excessive et inappropriée des médecins et à la sur médicalsation et au sur traitement.

Etre persuadé que ne rien faire, ne rien prescrire, simplement écouter et tenter de comprendre, et revoir les patients, et les réentendre, est une démarche qui devrait être fréquente et, comme le dit encore Des Spence, savoir résister aux sirènes des stupides recommandations expertales pour ne pas adresser inutilement est une des tâches fondamentales de notre métier.

Comment voulez-vous donc que le médecin généraliste, à contre-courant du flux moderne de la pseudo-science, à contre-courant des recommandations, à contre-courant des algorithmes, à contre-courant de la médicalisation de la société, au milieu de la schizophrénie moderne (et commerciale) qui favorise la junk food à coup de publicités envahissantes et vulgaires que la société ne saurait interdire pour respecter responsabilité individuelle et qui somme les médecins généralistes à dépister les maladies induites par cette même junk food, comment voulez-vous donc que le médecin généraliste n'ait pas du mal à résister et n'ait pas du mal à désespérer et à déprimer et à être anxieux, irritable ou auto destructeur ?

Nous avons un métier de chien car ce que nous entendons dans notre cabinet nous poursuit jusque dans nos vies personnelles, pendant les repas, pendant les réunions de famille, pendant que nous dormons.

Ne l'oublions pas, et malgré toutes les barrières que l'on ne nous a pas appris à dresser, nous ne connaissons spontanément et au gré de nos études que l'arrogance médicale, le paternalisme, et la science infuse, et le mépris pour ce qui n'entre pas dans les cases de la théorie, nous sommes confrontés à la maladie, à la souffrance, aux âmes torturées, aux corps sales, au sang, aux larmes et à la mort, dont la notre qui approche.

Spence Des (GP)



6 commentaires:

Unknown a dit…

Peut-être qu'on devrait former les médecins quand ils sont vieux plutôt que quand ils sont jeunes parce que dans une étude que je connais bien (1 seul sujet) la difficultė, à un âge avancé, d'intégrer la "science" est compensée par - attention les yeux - l'expérience de la vie. Tout au moins je l'espère ! Pour en rajouter une couche dans tes conseils, je dirais que si l'on s'intéresse aux maladies, il vaut probablement mieux ne pas faire médecine générale.

Dr Bill a dit…

....la mort dont la notre qui approche... J'ajouterais la vie et la mort de nos proches....
Mais bon, faire de la med G c'est jamais ce qu'on a appris ou ce qu'on croit savoir.
Finalement nous aurions peu à prescrire si notre culture n'était pas basée sur l'idée que tout se guéri avec un produit.
Ce paradigme moderne oblige le généraliste à "coller" aux attentes de ceux qui le consultent. Alors on bricole, on s'adapte...on prescrit malgré tout...
Mais rien n’empêche au fil du temps de partager un autre point de vue avec les personnes qui nous consultent.
A notre petit niveau de petit docteur on peu faire évoluer les mentalités.

Hugues Raybaud a dit…

100% d'accord sur le fond, 0% pour pour "un métier de chien "
MG c'est un métier de décideur, de doute,de remise en cause etc.. qui a entre
ses mains la vie des gens autant pour rassurer que pour soigner.
Le plus vieux métier du monde ce n'est pas pute c'est guerisseur :-)
H. Raybaud

Anonyme a dit…

Hugues Raybaud, tu as écrit :
"Le plus vieux métier du monde ce n'est pas pute c'est guérisseur"
Il faut convenir que de nos jours les deux ont convergé pour ne plus former qu'un seul et même métier (ainsi qu'en témoigne l'auteur du présent blog à travers sa pratique).
Tout est accompli...

Hugues Raybaud a dit…

Cher anonyme
J'espère que tu n'es pas MG. Si oui, ta vie doit être difficile.
De plus je n'ai aucun sentiment négatif pour la profession de pute
Les deux metiers sont indispensables....

Anonyme a dit…

Je ne suis plus MG et étant sorti de la putasserie ma vie va bien merci.
Je n'ai non plus aucun sentiment négatif envers les putes. Au contraire.
La plupart d'entre elles sont des victimes et n'ont pas choisi de faire médecine.
Par contre tous les médecins qui font la pute ont choisi de la faire.
Donc tu as raison, comparer les putes aux médecins est insultant pour les putes.