Un congrès à Chicago (ASCO 2023)
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Norbert Milstein trompe sa femme en public.
Norbert Milstein monte à la tribune. Il est habillé comme un professeur européen qui veut ressembler à un professeur états-unien avec tout l’attirail du bon élève : le costume bleu nuit, la chemise avec de fines rayures bleu pâle, la pochette blanche, la cravate club, les mocassins marron sans pompons et le sourire carnassier de ceux qui aimeraient vous montrer la dernière ligne de leur compte en banque mais qui ne le font pas par sublime élégance.
Il a étalé quelques notes sur le lutrin à côté du Mac mais il connaît la présentation par cœur, les blagues à faire et à ne pas faire, les clins d’œil à l’auditoire, profiter du fait qu’il est français et que les Français sont des séducteurs et de joyeux bons-vivants qu’on ne doit pas trop prendre au sérieux.
La présentation sur deux écrans va être parfaite, du PowerPoint amélioré, des couleurs connotées, un nombre de lignes normé, et la taille des caractères adaptée à la salle.
Premier écran (gauche): Efficacy and safety of guéritouzimab in *** cancer: The European multicenter TKP Trial. Avec en arrière-plan la photographie de l’hôpital parisien. Premier écran (droite) : Milstein N et le nom des six autres auteurs. Plus bas : les Competing interests qui ont l’épaisseur d’une tranche de jambon coupée au microtome.
Deuxième écran gauche : Background et droit : Methods
Milstein assure. Il est bon. Même Brébant le trouve bon.
Troisième écran gauche : Trial design and oversight et droit : End points, adverse effects, pharmacokinetics.
Il faut qu’il accélère un peu pense Berson.
Quatrième écran gauche : Milstein allongé nu dans un lit face l'objectif avec à côté de lui une femme dans le même appareil qui pourrait bien être Ursula et droit : Milstein de profil en train de faire l’amour avec une femme qui pourrait bien être Ursula.
Les écrans sont nets. Il n’y a pas de doutes sur les personnes.
Et les écrans continuent de défiler à toute allure comme un diaporama et à chaque fois Milstein est identifiable et d’autant plus qu’un bandeau traverse les écrans « Milstein is a fucking husband ! »
La salle a poussé des cris et des rires après une ou deux secondes de sidération et quand Milstein s’est retourné vers l’écran il s’est demandé s’il était bien réveillé et si le cauchemar qu’il vivait allait bientôt se terminer.
Brébant a la présence d’esprit de se ruer vers le lutrin et de débrancher l’ordinateur alors que douze écrans suggestifs sont déjà passés mais le mal est fait, tout le monde a vu. Comment un tel truc a-t-il pu se produire ? Qui avait des copies de la clé USB ? Il est toujours surprenant que l’on pense à des détails pareils alors que des faits aussi extravagants viennent de se produire. Perez, le modérateur philippin, pris de court lance un « What else ? » qui met la salle en furie. Les congressistes tapent même dans leurs mains en criant et en se trémoussant.
(Si vous voulez reprendre Un congrès à Chicago depuis le début, c'est ICI)