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jeudi 5 mars 2015

Grippe de complaisance, syndrome grippal like, les virus sont casse-pieds. Histoire de consultation 181.


Nous sommes en pleine polémique sur le nombre de morts dus à la grippe saisonnière. Les agences gouvernementales parlent d'un excès de mortalité de 8000. On se croirait revenus au bon vieux temps de Roselyne Bachelot (mais ses conseilleurs de l'époque conseillent toujours aujourd'hui dans une suite jamais achevée qui s'appellerait "La conjuration des imbéciles"). Quant au triste Patrick Pelloux, il en profite, à partir d'un chiffre erroné, pour critiquer le système de santé (rien que cela).

***********

A est âgé de 4 ans et des brouettes. Il vient consulter avec sa maman après que mon associée l'a vu il y a quatre jours. "Il a toujours de la fièvre. 39. Avec le doliprane, ça baisse et ça repart." Je lis dans le dossier ce qu'a écrit mon associée : "Probable syndrome grippal. Doliprane. DRP (1). Hélicidine."
Je réinterroge. La fièvre est constante, baissant avec le paracetamol et remontant au bout de 3 heures. A tousse, mais sans plus, son nez coule, mais sans plus. Je l'examine. Rien de rien sinon une pharyngite, un mouchage postérieur, quelques ronchus bilatéraux, une toux volontiers "laryngée" (j'ai entendu), une toux volontiers nocturne et matinale, pas de signes digestifs sinon une inappétence, un ventre souple, une nuque dans le même métal. Pas de signes urinaires. La bandelette est normale.
Je rassure. Je ne prescris rien d'autre. Je confirme le syndrome grippal like.
Au septième jour après la première consultation A revient avec sa maman. Rien de nouveau et rien de moins.
La maman, 32 ans, est devenue un peu vindicative. Je sens que sa confiance est ébranlée. Quant à moi qui réexamine le petit A, charmant, qui se laisse faire, et qui, hormis la fièvre et quelques céphalées, supporte tout cela avec calme (il est tout juste un peu trop calme), je suis pour le moins embêté.
Il est des cas où l'expérience rassure et d'autres cas où l'expérience rend prudent.
Nous sommes un mercredi après-midi et je ne travaille pas le lendemain.
Je me tâte.
J'écris un courrier pour les urgences pédiatriques. Je précise tout. Je précise également que je préfèrerais que les examens que j'aurais volontiers demandés en ville (NFS, CRP et clichés pulmonaires), il serait sans doute plus facile de les faire à l'hôpital (je m'attends à des critiques).
La maman est soulagée.
Le vendredi la maman vient au cabinet sans son enfant me dire ceci :"J'ai été reçue par une jeune médecin qui m'a demandé pourquoi mon médecin avait envoyé A aux urgences, elle n'a pas été aimable avec vous, ce qui m'a choqué, comment une jeune comme cela peut critiquer notre médecin de famille ?, elle a dit qu'elle avait trouvé une otite, mais elle n'a pas donné d'antibiotiques.... - Et le bilan ? - Elle m'a donné des ordonnances. - Et A ? - Il a toujours de la fièvre."
Je suis embêté d'être passé à côté d'une otite et je me rappelle bien, c'est même écrit dans l'ordo, que les tympans étaient normaux... Bon (2). "J'aimerais quand même que vous revoyiez A".
Elle repasse une heure après et je regarde son oreille otitique. Nada, rien, quedalle, que couic. La jeune médecin des urgences... (3)
Je pars en vacances.
A mon retour, dans la masse de courrier, une sérologie grippale négative pour A.
J'ouvre son dossier : radiographies pulmonaires : ITN (4) et la numération ne montre pas d'hyperleucytose à polynucléaires et la CRP est à 10. Mais l'enfant n'est pas revenu consulter au cabinet.
Je téléphone à la maman. A est à l'école, plus de fièvre mais il toussotte encore.
Morale : le syndrome grippal like était franchement like, l'otite était je ne sais où, les syndromes viraux peuvent durer une dizaine de jours.

Le succès de la combinaison augmentin/tamiflu chez cet enfant (utilisation de placebos impurs) eût été, à la sérologie près, une victoire de la médecine moderne contre l'ignorance.




Notes.
(1) Désinfection rhinopharyngée.
(2) Je me rappelle cette histoire : un de mes fils (il avait 4 ans) appelle de sa chambre à 11 heures du soir. "Papa, j'ai mal à l'oreille." Il est apyrétique. Je regarde son oreille : rien. Je lui donne du paracetamol, on le recouche, et on va se coucher. Quatre heures du matin : pleurs. "Papa, j'ai mal à l'oreille." Je râle, je me lève, je reprends mon otoscope et je trouve une magnifique otite phlycténulaire. J'imagine si j'avais vu l'enfant quatre heures après qu'un autre médecin était passé   sans remarquer une otite aussi typique... Passons. 
(3) L'autre interprétation : la maman de A m'a menti. Il n'y a jamais eu d'otite. Le saurais-je un jour ?...
(4) ITN = Image thoracique normale



Illustration : livre de 1946
Illustration : la tombe du père de Franck Underwood sur laquelle Kevin Spacey est en train d'uriner. House of Cards, saison 3, épisode 1.

vendredi 13 décembre 2019

Combien de temps a-t-il fallu pour réévaluer et abandonner la paracentèse et les antibiotiques en première intention dans l'otite moyenne aiguë ?

Calendrier de l'Avent médical 2019 : Jour 13.




Un de mes amis chef de clinique assistant en ORL, devenu ensuite professeur et chef de service, m'a fait lire cet article en 1981 : ICI.

THERAPY OF ACUTE OTITIS MEDIA: MYRINGOTOMY, ANTIBIOTICS, OR NEITHER?: A Double-blind Study in Children


Je suis tombé de ma chaise.

Voici l'abstract :

Abstract

In a double-blind study 171 children with acute otitis media (239 affected ears) were treated by four different methods: neither antibiotics nor myringotomy; myringotomy only; antibiotics only; or both antibiotics and myringotomy. All received symptomatic treatment. There were no significant differences in clinical course (pain, temperature, duration of discharge, otoscopic appearances, audiography, recurrence rate) between the four groups. In the groups treated without antibiotics, the ears discharged for slightly longer and the eardrums took a little longer to heal; these differences were not significant. No complications were seen. Symptomatic therapy with nosedrops and analgesics seems a reasonable initial approach to acute otitis media in children. Myringotomy and antibiotics can be reserved for cases in which the course of otitis is irregular, there are complications such as mastoiditis, or ear discharge continues beyond 14 days.
Dans un essai en double-aveugle 171 enfants porteurs d'une otite moyenne aiguë (239 oreilles affectées) ont été traités de 4 manières différentes : ni antibiotiques ni paracentèse ; paracentèse seule ; antibiotiques seuls ; ou antibiotiques et paracentèse. Tous recevaient un traitement symptomatique. Il n'y a pas eu de différences entre les 4 groupes sur l'évolution clinique (douleur, fièvre, durée de l'écoulement, vision otoscopique, audiométrie, taux de rechute). Dans les groupes traités sans antibiotiques, les oreilles ont coulé légèrement plus longtemps et les tympans mirent un peu plus de temps à guérir ; ces différences n'étaient pas significatives. Aucune complication n'a été observée. Un traitement symptomatique par gouttes nasales et analgésiques semble une approche initiale raisonnable pour une otite moyenne aiguë chez les enfants. Paracentèse et antibiothérapie peuvent être réservés aux cas où l'évolution de l'otite est irrégulière, s'il existe des complications comme une mastoïdite ou si l'écoulement continue au delà de 14 jours. 

L'article est la propriété de Elsevier (voir le billet précédent LA), coûte très cher et est interdit à la reproduction.

Je tombe encore de ma chaise en constatant combien de paracentèses inutiles (et douloureuses) ont été pratiquées chez des enfants qui n'en avaient pas besoin, combien de millions (milliards ?) de boîtes d'antibiotiques ont été prescrites à tort. 

Si la paracentèse dans l'indication otite moyenne aiguë a quasiment disparu les antibiotiques continuent d'être prescrits larga manu.

Cet article de 1981 pose encore le problème de la réactivité des consciences confrontées aux croyances, au corporatisme (ici des ORL) et à l'industrie des antibiotiques. A suivre.

Nous parlerons un jour des yoyos ou aérateurs tympaniques.

PS du 14/12/19. Dominique Dupagne fait la réflexion suivante sur twitter :


"Bref, cette étude ne prouve pas de supériorité, mais ne peux pas non plus l'infirmer, faute de puissance suffisante." ajoute Dominique Dupagne.




lundi 10 décembre 2012

Des enfants du hasard. Histoires de consultation 137, 138 et 139.


Durant la même journée.

137
L'enfant S, quatre ans et huit mois, fait partie d'une famille "cas social". La fille aînée est placée pour des raisons que j'ignore (cela s'est fait avant que je ne sois le médecin traitant du père, la mère est suivie par mon associée), le deuxième enfant A, 11 ans, est en CM2 et peine à suivre le rythme, la mère, 29 ans, est sur le point d'accoucher, le père 32 ans est en invalidité... La famille se lave peu et préserve ses pores de l'inondation avec beaucoup de persévérance.
S est allé dans le coin jeu de la salle d'examen pendant que j'examine A, intenable, pour une otite moyenne aiguë que je n'étiquette pas otite pour ne pas avoir à passer trois heures à expliquer pourquoi je ne prescris pas d'antibiotiques en première intention...
Je m'installe derrière mon bureau et je tapote la consultation puis l'ordonnance tout en remplissant le carnet de santé qui m'est toujours apporté, comme ça le docteur ne nous casse pas les pieds avec des pourquoi et pour qui...
Au moment de partir, on récupère S qui est assis sur un pouf en train de regarder un livre pour enfants avec texte et images. Je viens le chercher parce qu'il ne veut pas bouger et que je préfère que ce soit moi qui m'en charge plutôt que d'entendre les parents pousser des cris pour pousser le gamin vers la sortie... "Cela t'intéresse ? - Oui, c'est bien. - Tu sais de quoi ça parle ?" Et le voilà qui me lit le titre du livre. "Tu sais lire ? - Un peu." Je me tourne vers les parents qui sourient. "Vous lui avez appris ? - Non, on a remarqué. - Vous voulez dire qu'il a appris tout seul ? - Sûrement, j'en sais rien." Je m'accroupis près du pouf et lui demande de lire le début. Il n'ânonne même pas.
Je suis aussi déconfit que si je venais de me rendre compte qu'il avait un retard mental irrattrapable  parce que je ne sais pas quoi faire... A qui parler d'un truc pareil ? A l'école ? A un psy ? A une assistante sociale ? Je demande aux parents si l'institutrice s'en était rendu compte. Non. Et ils n'ont pas l'air de s'en préoccuper.
Je vais réfléchir.

138
M, trente mois, est assise sur la table d'examen et j'ausculte ses poumons. Mon stéthoscope est rouge et, en passant, je lui demande quelle est la couleur. Elle ne sait pas et sa mère n'est pas étonnée. En fouillant un peu elle reconnaît le bleu à la grande surprise de la maman qui n'a pas l'air plus sotte qu'une autre. Je fais mon petit discours gentillet et un peu accrocheur (celui que je ne supporte pas chez les autres) sur ce que l'on peut faire découvrir à un enfant, et cetera, les trucs que tout bobo lisant le Nouvel Obs ou Libé ou tout réac lisant Le Figaro ou Valeurs Actuelles sait depuis que le bébé est au stade de blastomères...  Je dis à la maman qu'il est possible de stimuler les enfants et elle me regarde, ahurie, "Cela veut dire quoi ? Stimuler..." Et la maman, un peu plus tard, ajoute en me remerciant peut-être mais avec une pointe de culpabilité qui me fait mal au coeur pour tous, l'enfant et... la mère : "Je ne savais pas que l'on pouvait apprendre les couleurs aux enfants, je croyais que cela se faisait à l'école..."

139
L, cinq ans et deux mois, est dans une classe expérimentale à double niveau grande section de maternelle / CP, le truc compliqué à mettre en oeuvre car il a été d'une part décidé que l'apprentissage de la lecture devait se faire à partir, grosso modo, de six ans (il n'y avait pas encore de scanner, d'IRM fonctionnelles mais Chomsky avait dû le démontrer) et, d'autre part, que cela tombait bien puisque l'école était segmentée en école maternelle et école élémentaire avec des enseignants ad hoc et qui ne s'aimaient pas. Nous sommes au mois de décembre et je demande à la maman s'ils ont commencé l'apprentissage de la lecture et elle me répond, étonnée : mais elle sait déjà lire...

Je ne ferai pas de commentaires, je les ai déjà faits ailleurs (ICI).
Disons que c'est une histoire sans paroles.

(Noam Chomsky 1928 - )

jeudi 5 mars 2009

OTITE MOYENNE AIGUE ET MASTOÏDITE : L'AVEUGLEMENT ANTIBIOTIQUE

Une étude britannique publiée récemment (1) se pose cette question : est-ce que la stratégie regarder-et-attendre dans l'Otite Moyenne Aiguë (OMA) a entraîné une augmentation du nombre des mastoïdites ?
La réponse est non !
Les auteurs ont travaillé sur une base de données britannique en médecine générale regroupant 2,5 millions d'enfants (âge compris entre trois mois et 15 ans) et ont compté les diagnostics d'OMA et de mastoïdites de 1990 à 2006.
  1. Sur les 854 diagnostics de mastoïdite seuls 36 % des enfants avaient eu un diagnostic d'OMA dans les trois mois précédents.
  2. Pendant les 16 ans de suivi l'incidence de la mastoïdite est restée stable (moyenne : 1,2 pour 10 000 enfants-année) alors que celle des OMA diagnostiquées a baissé de 34 % et la proportion d'enfants traités par antibiotiques a baissé de 77 à 58 %.
  3. Le risque de développer une mastoïdite était de 53 % inférieur chez les enfants ayant reçu des antibiotiques par rapport aux enfants n'en ayant pas reçu (1,8 vs 3,8 pour 10 000 épisodes)
  4. Cependant les auteurs indiquent qu'il faut traiter 4831 enfants ayant une OMA pour éviter une mastoïdite ; que la mastoïdite n'est plus aussi grave qu'auparavant ; et qu'il faut tenir compte de l'écologie globale : la résistance aux antibiotiques.

Quelques commentaires

  • Les mastoïdites sont rares. Les OMA sont moins fréquentes. Le nombre de patients à traiter pour éviter une complication est considérable (à comparer au 238 patients naïfs à traiter par statine pour éviter un événement cardio-vasulaire fatal ou non). Sans parler des résistances aux antibiotiques dont la France est la championne d'Europe avec une corrélation très forte entre résistance et prescription.
  • Les limitations de cet essai : les critères de diagnostic de l'OMA ont pu changer avec les années (dans un sens plus restrictif) ; les recommandations françaises font la différence entre enfants entre 3 et 24 mois et enfants plus âgés ; il n'a pas été fait de segmentation par âge.
  • Les préjugés ont la vie dure et les données de l'EBM connues depuis de très nombreuses années ont du mal à faire leur chemin. Quelques exemples :
  • On sait depuis un essai randomisé néerlandais (pays d'Europe où l'on prescrit le moins d'antibiotiques et notamment dans l'OMA) datant de 1981 (!!!) (2) et comparant en aveugle antibiothérapie seule, placebo seul, myringotomie + antibiotiques et myringotomie + placebo, qu'à trois mois il n'y avait aucune différence entre les groupes sur le critère audiogramme. Et pourtant la France était championne des paracentèses et de l'antibiothérapie systématique dans les OMA (ou prétendues OMA).
  • On sait, au moins depuis 2002 (et une étude française, publiée en anglais, mais on comprend pourquoi : ) (3), que l'amoclav ne prévenait pas les OMA en cas de prescription "préventive" dans les affections virales du haut appareil. Et pourtant nombre de médecins affirmaient (affirment toujours) que c'est parce que l'on prescrit des antibiotiques dans les rhinopharyngites qu'on voit moins d'OMA (et de mastoïdites).
  • On sait depuis la nuit des temps (les références me manquent, peut-être la Revue de Médecine de Byg Pharma...) que les gouttes auriculaires sont inutiles dans l'OMA (voire dangereuses) et pourtant elles continuent d'être commercialisées, prescrites et inutiles...

On peut gloser à l'infini sur la responsabilité de Byg Pharma mais on peut aussi s'interroger, indépendamment de considérations conflictuelles d'intérêts, sur les ORL français qui ont eu tant de mal à changer et sur les médecins généralistes qui ont continué (qui continuent pour certains) de croire à la bonne parole de ces champions de la paracentèse (fric) et de l'antibiothérapie (incompétence).

Les évidences (au sens français) ont souvent du mal à s'imposer et l'augmentation des résistances est un fait moins explicite que l'augmentation du nombre de cancers du sein après THS...

Références.

(1) Thompson PL et al. Effect of antibiotics for otitis media on mastoiditis in children: A retrospective cohort study using the United Kingdom General Practice Research Database. Pediatrics 2009 Feb; 123:424.
(2) van Buchem FL, Dunk JH, van’t Hof MA. Therapy of acute otitis media: myringotomy, antibiotics, or neither? A double-blind study in children. Lancet 1981; 2: 883-7.
(3) Autret-Leca E, Giraudeau B, Ployet MJ, Jonville-Béra AP. Amoxicillin/clavulanic acid is ineffective at preventing otitis media in children with presumed viral upper respiratory inf ection: a randomized, double-blind equivalence, placebocontrolledtrial. Br J Clin Pharmacol 2002; 54: 652-6

dimanche 3 juillet 2016

Trois coups de fil pendant la consultation. Un samedi.


Le samedi, après 11 heures et demi, je suis seul au cabinet. J'ai commencé mes rendez-vous à 8 heures trente, un patient par quart d'heure, et mon dernier patient, je le vois à 14 heures trente. Demi journée continue.
Dans l'intervalle il y a des appels filtrés par ma secrétaire parmi lesquels certains me sont passés, un résultat d'INR (conseil téléphonique), un muguet chez un nourrisson (conseil téléphonique), une prétendue otite chez un enfant (conseil téléphonique), et cetera. Sans oublier une erreur de date sur un arrêt de travail.
Je reçois ensuite, une fois la secrétaire partie, plusieurs appels dont trois que je vais détailler. 
Appel 1. (Une voix de femme) "Ma maman âgée est tombée à son domicile, son médecin traitant est absent le samedi. Est-ce que vous pouvez passer ?" J'explique à la dame que ce n'est pas de mon ressort. Je ne suis pas le médecin de garde. Il n'y a d'ailleurs pas de médecin de garde à 13 heures le samedi. Je l'interroge (et je vous rappelle que je suis en consultation, que j'ai un patient en face de moi, qui a pris rendez-vous, qui pourrait se fâcher que je réponde, longuement, au téléphone en sa présence...) et j'en conclus qu'il est possible, c'est une très vieille dame, qu'elle ait pu se casser quelque chose. "Vous avez deux solutions : soit, si elle peut se déplacer, vous la mettez dans votre voiture et vous l'emmenez aux urgences, soit vous appelez le 15." Elle n'est pas contente que je ne passe pas.
Appel 2. "Est-ce que vous consultez cet après-midi ? - Vous ne vous êtes pas présentée... - Oui, je ne suis pas une malade du cabinet. Mon médecin est absent. - Qu'est-ce que vous avez ? - Ce n'est pas moi, c'est mon mari. - Ah... - Il a une angine. - Hum. Je n'ai pas de place. - Je fais comment ? - Vous lui donnez du paracetamol et vous appelez le 15 vers 19 heures trente afin que la personne de permanence vous donne le code pour aller à la Maison Médicale de Garde qui ouvre à 20 heures... - A 20 heures ? - Oui. - Mais il lui faut un médecin tout de suite. - Si c'est le cas, vous pouvez toujours aller aux urgences de l'hôpital. - Mais il y a trop de monde... - Je suis désolé mais je ne vois pas d'autre solution. - Merci docteur."
Appel 3. "Allo, bonjour, est-ce que vous faites des visites à domicile cet après-midi ? - Non. Jamais. - Mais ma femme souffre énormément. - Vous êtes des patients du cabinet ? - Non, nous venons d'arriver dans la région. - Qu'est-ce qu'elle a, votre femme ? - Des douleurs de règles. - Des douleurs de règles ? Je ne pense qu'aucun médecin ne se déplacera pour des douleurs de règles un samedi après-midi. - Je ne vous demande pas de me juger, je vous demande si vous pouvez passer... - Non. - Mon ancien médecin passait, lui... - Ce n'est pas mon cas. Mais il y a des solutions. - Lesquelles ? - Eh bien, si elle a vraiment trop mal, les urgences, si elle peut attendre un peu la maison médicale de garde... - Mais je n'ai pas de moyen de transport. - Appelez un taxi. - Vous pourriez mieux me parler...  - Un médecin n'est pas un chauffeur de taxi. Bonne journée."

J'ai essayé de faire court.

Imaginons maintenant les réactions.

Qui pourrait bien réagir ?
  1. Une association de patients.
  2. Une revue de consommateurs.
  3. Une association d'urgentistes.
  4. Un syndicat médical.
  5. Un journal grand public.
  6. Un blog citoyen.
  7. Un blog médical.
  8. Monsieur/Madame Tout le Monde
  9. Un homme/femme politique


Quelques éléments de langage et vous brassez.
  1. On peut mourir.
  2. Les inégalités de l'accès aux soins.
  3. Les médecins libéraux de ville ne font pas leur boulot.
  4. Le système de garde est déficient.
  5. Que fait le conseil de l'ordre des médecins ?
  6. Il devrait y avoir un système de garde de ville 24/24 et 7/7
  7. De mon temps...
  8. C'est un cas typique de refus de soins.
Des commentaires ?



Un peu de lecture : Des données sur l'inverse care law (LA) et un commentaire humoristique : ICI.


jeudi 24 janvier 2013

Faut-il faire signer un serment au patient ? Non.


L'écho récemment fait à la lettre d'un médecin généraliste répondant à la lettre d'une citoyenne qui se plaignait de ne pas pouvoir trouver de médecin a suscité des réactions diverses. La Charente Libre a intitulé cela "Lettre d'un médecin agacé par ses patients désinvoltes." ICI

Voyons le texte de ce médecin dont l'objet était de faire signer un "serment" aux patients qui aurait été le pendant du serment d'Hippocrate.

Madame, sensible à votre rappel de notre serment d’Hippocrate, à mon tour de vous proposer un serment du patient, encore en projet il est vrai: Je jure de ne pas insulter mon médecin s’il refuse de marquer sur l’ordonnance «non substituable», ni s’il ne marque pas l’antibiotique tant désiré et recommandé chaudement par ma voisine, victime d’un rhume atroce. Je promets de ne pas claquer la porte et d’aller voir le médecin voisin si mon médecin refuse ma demande d’arrêt de travail pour ce même rhume…Je m’engage à venir honorer de ma présence le rendez-vous pris (au pire d’avoir la politesse de l’annuler avant si je dois partir absolument faire mes courses avant que cela ferme…), de ne pas demander à mon médecin, pendant ce même rendez-vous, de voir mes deux gamins qui ont chopé ce même rhume et qui ne peuvent souffrir un autre rendez-vous.
Je ne ferai jamais la remarque «encore en vacances!» à mon médecin qui vient d’afficher dans sa salle d’attente sa semaine de congés annuels. Je ne lui reprocherai pas sa demande d’honoraires pour les interminables certificats que je lui demande, et souvent le samedi matin en urgence….
Je me déplacerai chez lui, grâce aux mêmes moyens que j’utilise pour aller chez le coiffeur, à la foire, au supermarché ou au repas du village, pour le consulter, surtout pour le renouvellement d’ordonnance ou le fameux certificat urgent.
Je demanderai un rendez-vous dans des heures acceptables par nous tous, surtout si je suis à la retraite, ou que je dispose de récupérations d’heures de travail, et éviterai ainsi le refus du rendez-vous du samedi 11h… J’en passe et des meilleures...
Alors je pense, chacun fier de son serment à honorer, qu’il sera possible de trouver un rendez-vous pour une relation basée sur le respect mutuel.
Je termine par cette fameuse «quête de confort de vie professionnelle» si chère à cette seule et rare espèce qu’est devenu le médecin traitant. Elle est souvent et seulement réduite à une quête de vie, vie qui serait jugée intolérable pour eux-mêmes par plus de 90% de mes patients…
PS: J’ai refusé ce matin même une demande de rendez-vous d’une patiente qui me téléphone à 7h10 (on peut me joindre de 7h du matin à 20h), pour qui ma proposition de rendez-vous à 9h, puis à 18h, puis sans rendez-vous à 14h ne convenait pas, elle préférait 19h30 au plus tôt). Elle viendra demain matin à 7h30, car pour une fois que je ne suis pas de garde ou en formation professionnelle, je pense sortir manger en famille demain soir, chose que je n’ai pas faite depuis une semaine!»

Cette lettre est probablement un témoignage de la souffrance de ce médecin.
Souffrance de vivre dans une société qui ne le considère pas comme un chaman omniscient.
Souffrance d'un homme qui a besoin de reconnaissance.
Souffrance d'un homme qui a besoin de s'exposer pour justifier sa souffrance.
Souffrance d'un homme qui aimerait qu'on l'aime et qu'on le respecte.
Mais je peux me tromper.
Ce médecin en a assez.
Ce médecin devrait changer ses horaires.
Ce médecin devrait changer sa façon de fonctionner.
Ce médecin devrait s'interroger sur sa souffrance au travail.
Sinon, à moins que cela ne soit qu'une posture, il va droit dans le mur.
Dernier point : cette lettre agacée est quand même, par quelque bout qu'on la prenne, une manifestation de paternalisme médical...

Je me plains également.
Il m'arrive même de me laisser aller à être désagréable en cas de certaines demandes indues.
Mais, c'est peut-être dû à mon lieu d'installation, je suis un privilégié (j'entends déjà les confrères me traitant d'esclave content de son sort, d'exploité heureux ou d'aliéné du travail, je connais les arguments) et mes patients ont le plus souvent (95 % des cas ?) des revenus plus faibles que les miens, des boulots peu intéressants, non choisis et / ou répétitifs, des horaires peu enviables, le travail en équipe, des mi-temps non voulus, le chômage partiel, le chômage total, des difficultés financières, des difficultés psychologiques, les deux en même temps, des problèmes culturels (analphabétisme, mauvaise compréhension du français), un environnement difficile (des HLM bruyants, des halls d'immeuble occupés toute la nuit, des dealers au coin de la rue, des écoles de merdre, des collèges de merdre, des lycées de merdre, des rues peu sûres après une certaine heure...), des fins de mois compliquées, des formations foireuses, et cetera.
Je suis un privilégié qui gagne bien sa vie (oui, oui, je le dis), qui sait lire et écrire, qui s'exprime, qui lit des livres, qui voyage beaucoup, qui mange en famille. Je m'arrête là, je ne voudrais pas faire de l'exposition gratuite.

Donc, si j'avais une information à donner aux patients, ce serait ceci.

L'économie de ce cabinet médical composé de deux médecins et d'une secrétaire est fondée sur la consultation des patients. Une consultation signifie un paiement qu'il soit direct (espèces, chèque, carte bancaire) ou différé (dans le cas du tiers-payant partiel ou total) qui permet de disposer de locaux accueillants et de matériel médical adapté et de proposer des services utiles, dont l'adressage à des confrères. 

Nous sommes ouverts du lundi 8 heures au samedi 15 heures.
Vous pouvez consulter sur rendez-vous et en accès libre (voir les horaires).
En dehors de ces horaires vous pouvez appeler le 15.

Le fonctionnement idéal de ce cabinet repose sur un temps moyen de consultation de 15 minutes. Mais il s'agit d'une moyenne. Les visites à domicile sont le plus souvent inutiles sauf dans le cas des personnes très âgées et en cas d'urgence absolue. Mais nous tentons de les les assurer.

Nous essayons d'assurer la prise en charge des affections aiguës et a fortiori des urgences dans un délai raisonnable.
Prendre un rendez-vous exige un engagement réciproque entre un médecin qui tente de recevoir le patient à l'heure et un patient qui arrive à l'heure et qui prévient s'il ne vient pas. Un rendez-vous correspond à un patient, pas à deux ou à trois, l'allongement du temps de consultation qui en résulterait entraînerait des retards qui pénaliseraient les autres patients et le médecin.

La médecine générale consiste à prendre en charge des patients de façon globale en tenant compte de leurs plaintes et de leurs symptômes mais aussi de leurs environnements familial et professionnel qui peuvent influer sur leur état de santé.  

Un médecin généraliste est capable de prendre en charge, par exemple, une affection ORL aiguë (une otite), une affection dermatologique chronique (des verrues) et une pathologie cardiovasculaire chronique (suivi d'une hypertension). Mais pas dans le cadre d'un même rendez-vous de consultation de médecin généraliste qui aurait nécessité séparément une consultation chez un ORL,  une consultation chez un dermatologue et une consultation chez un cardiologue, soit, au moins le triple de temps de consultation. 

En revanche, le médecin traitant est le plus capable d'envisager efficacement et sans danger le traitement d'une otite aiguë en tenant compte du traitement anti hypertenseur et des autres traitements en cours, des allergies éventuelles et des valeurs et préférences du patient.

Cela dit, le médecin généraliste ne sait pas tout et il peut (et doit) adresser certains patients chez un confrère pour avoir un avis ou un conseil, pour effectuer un geste technique qu'il ne peut ou ne sait pas faire mais toujours dans le but d'améliorer la prise en charge du patient et toujours en accord avec lui. Le médecin généraliste dispose pour ce faire d'un carnet d'adresse pour décider d'envoyer tel ou tel patient chez tel ou tel confrère. Ce carnet d'adresse est fondé sur la confiance et l'expérience mais le patient peut avoir des préférences. 

Le point particulier des certificats médicaux : ils sont une plaie administrative et, le plus souvent, ne sont pas justifiés médicalement. Nous savons que le patient n'y est le plus souvent pour rien, que c'est une demande d'un club de sports, d'une crèche, d'une école, mais il s'agit d'un acte à part entière puisqu'il engage la responsabilité médicale et administrative du médecin.
Les certificats médicaux demandés pour obtenir une invalidité, une aide personnalisée (handicap, âge) ou pour entrer dans un établissement de soins sont longs à remplir et exigent une consultation complète et parfois plus longue que les quinze minutes habituelles. D'une part, parce qu'ils engagent l'avenir du patient (médical, professionnel, de vie), d'autre part parce qu'ils permettent de faire le point sur l'état du patient... 

Merci de prendre en compte tous ces éléments qui vous permettront de ne pas attendre quand vous avez rendez-vous et de consulter un médecin de notre cabinet en cas de semi urgence ou d'urgence dans les meilleures conditions de temps et de confort.

Bonne consultation.

PS : je rajoute le 8 mai 2021 un lien vers un article d'Egora (ICI) où est exposé le cas d'une patiente. Cela mériterait encore des développements mais dans le cadre d'une réflexion commune entre patients et médecins.


(crédit illustratif : dentoscope ICI)

jeudi 3 mars 2016

Une gifle. Médecine générale pratique, situations inattendues et incertitude. Histoire de consultation 189.



La petite A, 4 ans, est venue consulter avec ses deux parents pour se faire vacciner. 

Pour ceux qui  pensent  honnêtement, les autres se reconnaîtront (je ne peux rien faire pour eux), que les médecins généralistes ne servent à rien, je vais me permettre de commenter une fois de plus des faits simples de consultation, une situation banale (j'ai déjà rédigé 186 histoires/situations de consultation), c'est à dire souligner ce que notre pratique présuppose en aval de notre rencontre avec un ou des patients, en termes de réflexion, de préparation, d'attention non seulement aux "dernières données de la science" mais aussi aux phénomènes sociétaux et à la façon dont les citoyens perçoivent leur état de santé et le rôle supposé qu'ils attribuents à la médecine et aux médecins, ici les médecins généralistes. 
Les médecins généralistes que nous aimons et que nous fréquentons tentent d'être conscients de leur rôle majeur en Santé publique, c'est à dire au courant non seulement de ses enjeux (scientifiques et sociétaux) mais aussi de ses limites (c'est à dire la vanité paternaliste de faire le bien à tout prix de patients ou de citoyens tous différents et tous plongés dans une histoire rêvée qui serait celle d'une médecine exacte et unique). 
Je rappelle également que mes liens d'intérêt sont les suivants : tenter de pratiquer l'Evidence Based Medicine (voir LA) en essayant de partager la décision de soins ou de non soins, ce que l'on appelle La prise de décision partagée en médecine générale (voir ICI l'excellent billet de JB Blanc sur la question).   

Il s'agit de la vaccination contre la méningite C. Je n'ai pas eu l'initiative de cette prescription mais c'est moi qui ai prescrit le vaccin.

Méningite C : vous avez sans doute lu le billet de CMT (voir ICI) et si vous ne l'avez pas lu il est encore temps de le faire.  Ainsi suis-je  dubitatif sur la question.  Et ainsi ne proposé-je jamais cette vaccination.
Les parents : lors d'un consultation précédente ils ont souhaité que leur fille soit vaccinée contre la méningite C et je leur ai dit ce que vous avez lu dans le billet de CMT, à savoir, en substance, que cela ne protégeait pas contre toutes les méningites, que ce n'était donc pas parce qu'elle avait été vaccinée qu'il ne faudrait pas s'inquiéter de symptômes pouvant évoquer une  méningite et que les preuves scientifiques de son intérêt n'étaient pas suffisamment étayées. Les parents, et je ne leur ai pas demandé qui les avait convaincus de le faire, ont maintenu leur décision et j'ai donc prescrit le vaccin.
La prescription : on pourrait s'étonner que je "cède" et considérer cette soumission à une volonté de la patientèle comme une manifestation de clientélisme ou à un renoncement lié  à une certaine fatigue. Et se dire aussi : tout ça pour ça. Se poser autant de questions pour finir par rendre les armes. Disons, pour faire vite, que la prescription de ce vaccin ne met en danger ni la santé de cet enfant, ni la santé de son entourage proche ou éloigné, enfin, dans l'immédiat (1).

La maman affirme haut et fort que la vaccination va bien se passer et le papa acquiesce. J'ai noté dans le dossier le comportement anxieux de l'enfant lors de ses dernières visites au cabinet (les parents n'ont pas choisi de "médecin traitant" pour leurs enfants entre mon associée et moi). Elle n'est jamais facile à examiner et c'est plus facile dans mes souvenirs quand elle vient seule avec son papa. Mais il s'agit d'une vaccination, c'est plus anxiogène encore. Je demande aux parents si elle a été prévenue les jours précédents qu'elle allait se faire vacciner. Ils me disent que non. Le visage de A se ferme. 

C'est une question difficile, prévenir ou non les enfants, et ma réponse est le plus souvent celle-ci : "Il faut toujours prévenir un enfant qu'il va être vacciné, et, plus généralement, il faut toujours prévenir un enfant de ce qui va lui arriver (de façon raisonnée, appropriée, en fonction des enjeux, des risques, des conséquences, cela va sans dire)." C'est plus correct. Quel que soit l'âge de l'enfant ! Même chez un nourrisson. Je me rappelle cette maman qui m'amenait son bébé de onze mois pour une vaccination, une maman qui me connaît depuis une bonne dizaine d'années, et à qui je demandais : "Vous lui avez dit qu'il allait être vacciné aujourd'hui ?" et elle, souriante, "Oui, hier soir, et il n'a pas dormi de la nuit." (2)

Nous choisissons d'un commun accord la position assise sur les genoux du papa. Mais cela ne calme pas la petite qui bouge dans tous les sens et vient le temps des bonnes paroles de réassurance. Je me recule un peu, le coton alcoolisé à la main, je parle, je temporise, je raconte une histoire d'Allan, et, tel un coup de tonnerre dans un ciel serein, la maman colle une violente gifle à sa fille... en lui disant : "Finie la comédie !"
"Madame B !"
Je suis interdit. "Elle l'a méritée." dit la maman.  Le mari ne dit rien, n'exprime rien puis : "A, il faut te tenir tranquille." La petite pleure sans en faire trop.
Comment dois-je intervenir ? "Il ne faut pas faire quelque chose comme cela...", je finis par dire. "Ce n'est pas bien..." La maman n'est pas contente comme s'il ne s'agissait pas de mes affaires. "Une petite gifle, ça peut faire de mal à personne... Vous n'en avez jamais donné une à vos enfants ? - Non."

Que faites-vous ? Vous faites un signalement ? Vous passez à autre chose ? Je ne signale pas mais je parle. Je ne signale pas car je connais une grande partie de la famille : les parents, les beaux-parents, les frères et les soeurs et même les cousins et les cousines. Cette enfant n'a aucune marque sur le corps, cette enfant n'est pas apeurée quand j'approche mes mains de son visage, elle a tout juste peur de la vaccination, de la piqûre, mais elle n'a pas peur de moi. Je sais qu'en ces circonstances certains de mes confrères interviendraient. Je crois que je vais pouvoir gérer. Avec l'aide également de mon associée qui est toujours de bon conseil en ces circonstances. Est-ce que cela sera bénéfique pour l'enfant d'envoyer la cavalerie (le médecin de PMI, les assistantes sociales...) ? Ce n'est pas, attention Freud et ses épigones ne sont pas loin, l'anxiété de l'enfant qu'il faut envisager mais celle de la maman et aussi celle du papa qui accepte sans rien dire. Faut-il que je soupçonne que lorsque je ne suis pas là cette enfant prend des coups ?



Cette consultation s'est passée avant les vacances de février. J'en ai parlé à mon associée qui n'a pas eu l'air inquiète : elle connaît également le contexte familial proche et éloigné ? Mais nous serons vigilants.

Au retour des vacances, dans la voiture, sur l'autoroute, en conduisant, j'entends un entretien entre Laure Adler et François Cluzet (Emission Hors-Champs, voir ICI). Propos convenus sur le rôle du comédien, de l'acteur... Et tout d'un coup François Cluzet explose : il explose contre Bertrand Cantat, il le traite de tous les noms avec une rare violence, Bertrand Cantat, c'est celui qui a tué Marie Trintignant (avec laquelle François Cluzet a eu un enfant), et il rappelle d'un ton sévère que le rapport d'autopsie a indiqué qu'il avait porté contre elle dix-sept coups mortels... Dix-sept coups mortels, répète-t-il. Il ajoute qu'il a eu l'envie de le tuer. Qu'il n'a plus envie de le tuer car cet homme a aussi des enfants. Mais la suite : François Cluzet rappelle les violences faites aux femmes et parle du "dernier mot". Selon lui les hommes qui frappent veulent avoir le dernier mot. Je suis au volant, il y a du monde, et je manque de faire une embardée. Le dernier mot pour empêcher les femmes de s'exprimer. Et dans le cas de cette maman, merci de ne pas penser que je fais un parallèle osé, elle a aussi voulu avoir le dernier mot. Sans doute par impuissance ou par incompréhension de sa fille : elle ne sait pas comment elle fonctionne. Et qui pourrait dire qu'il est facile de savoir comment fonctionne  une enfant de quatre ans ?

J'ajoute que cette consultation, le vaccin a été fait, la petite fille a ressenti, comme on dit, plus de peur que de mal (mais est-ce vraiment rassurant ?), n'était pas la seule de la journée (une des trente de la journée sans doute, et les vingt-neuf autres soulevaient tout autant de problèmes, peut-être pas aussi aigus, mais tout aussi "interrogeants" sur le rôle du médecin généraliste...) et qu'elle rend compte de l'intérêt et de la difficulté de la médecine générale pilotée par des médecins généralistes conscients ou non des conséquences souvent inenvisageables du moindre de leurs actes, de la moindre de leurs paroles, médecine générale réceptacle de toutes les peurs et de toutes les envies sociétales... 

Sans en avoir l'air nous avons abordé, durant une seule consultation, les sujets suivants : les valeurs et préférences des patients dans le cadre de l'EBM, la validité/non validité de la vaccination contre la méningite C, les sévices corporels chez l'enfant, la violence faite aux femmes, le respect des enfants (et je n'ai pas abordé le problème du tutoiement des enfants), l'information des enfants (qui doit, à mon sens, commencer dès les premiers jours de la vie), la distance et la proximité  à garder vis à vis des parents et des enfants, l'expérience interne des praticiens, la lecture des articles informés, les recommandations officielles, la liberté de prescription, la clause de conscience des praticiens, l'information éclairée, la prise de décision partagée en médecine générale, la prise en charge instantanée et longitudinale du patient ou non patient en médecine générale, le rôle de l'environnement familail et sociétal dans la construction des options de soins, les implications des situations transférentielles/contre-transférentielles... je m'arrête là. On comprend qu'un jeune médecin, devant la complexité de ces tâches et, souvent, en raison de sa non formation pour les appréhender (en sachant que l'expérience interne du praticien, et pas seulement sa lecture de la littérature ou la capacité à faire des actes techniques, à bien parler, expliquer, refuser, accepter, s'acquiert avec le temps en fonction bien entendu des lectures médicales, de l'habileté personnelle mais aussi et sans doute surtout par les lectures extra médicales et par l'expérience de la vie en général), et surtout de sa non formation à la prise en charge de l'incertitude (la noter, l'accepter, ne pas la prendre pour une incapacité ou comme une erreur, la gérer donc, la faire partager sans angoisse aux patients, et cetera...), ait envie de renoncer à pratiquer la médecine générale ou, au contraire, soit excité par ses enjeux (optimiste, trop optimiste)...

La médecine générale, c'est la vie... avec un peu de médecine.


Notes :
(1) Cette situation, prescrire à la demande du patient, est donc à contextualiser : prescrire des antibiotiques dans une maladie virale à la demande du patient ("chez moi, ça se transforme toujours en bronchite, docteur") n'est pas la même chose que prescrire des antibiotiques dans une otite moyenne aiguë à un enfant de huit ans à la demande des parents (le médecin : "les antibiotiques ne sont pas obligatoires dans cette situation, il existe des études... bla bla... et je reverrai le tympan de votre enfant demain") et exige une information éclairée de la part du praticien (cf. supra "La prise de décision partagée en médecine générale" sur le blog de JB Blanc : LA). Il existe aussi des situations où l'éthique du médecin est en porte-à-faux. Faut-il toujours respecter les valeurs et préférences des patients ?
(2) La phrase la plus communément entendue dans un cabinet est celle-ci : " Si tu n'es pas sage, le docteur va te faire une piqûre !" C'est bien entendu d'une sottise absolue mais l'analyse de cette phrase mériterait une thèse de sociologie ! Ainsi la vaccination serait-elle une obligation douloureuse. Ainsi le médecin devrait-il se substituer à l'autorité parentale pour punir a priori. Et le reste...

jeudi 26 juin 2014

Les affaires Bonnemaison et Lambert : sociétalisation de la médecine.

Appartement au centre de Zurich utilisé par Dignitas pour recevoir les patients durant leurs dernières heures.

Je ne suis pas un spécialiste de la question des fins de vie. Je ne suis pas un expert. Je n'ai pas tout compris dans les attendus des jugements. Et d'ailleurs je m'en moque. Je suis un Français moyen qui parle sans savoir, qui s'exprime, et qui a déjà écrit un billet sur la question (ICI) où il était effectivement question d'hypnovel et où je me suis fait allumer par les commentaires car je ne connaissais rien à l'hôpital, à sa profonde humanité et aux merveilleux personnels dévoués qui s'occupent des malades 24 heures sur 24... 
Au lieu d'être un inconvénient, le fait de ne pas être un expert me semble au contraire, à la lumière d'expériences médicales accumulées au cours des ans (couchage des nourrissons, dépistage du cancer du sein par dosage du PSA (plaisanterie), antibiothérapie dans l'otite moyenne aiguë, et cetera), un avantage considérable pour m'interroger sur les affaires Lambert et Bonnemaison. 
Un collègue twittos qui se reconnaîtra et que l'on reconnaîtra a envoyé un gazouillis qui disait en substance : "Le seul tort de Vincent Lambert est de ne pas avoir croisé Bonnemaison." Voir ICI. Cette remarque est profonde et résume ce qu'il était nécessaire de savoir sur l'affaire.

Mais mon propos est autre.

Je voudrais auparavant me justifier.
Dans un souci de bienséance, et pour ne pas avoir à être taxé de je ne sais quoi par je ne sais qui, je ne suis ni un catholique intégriste, ni un musulman intégriste, ni un anti pro choix, ni un partisan de  l'acharnement thérapeutique, ni un paternaliste alapapa, ni un néolibéral, ni encore moins un libertarien, ni un partisan de la peine de mort, ni...
Et j'ajoute : il m'arrive de côtoyer des gens qui vont mourir.

Mon propos est le suivant : par un injuste retour des choses, et après que les médecins n'ont eu de cesse de médicaliser la société (et jadis on disait médicaliser la vie), c'est la société qui sociétalise la médecine.
Les médecins sont devenus, à l'insu de leur plein gré, des outils sociétaux au service de l'opinion publique et, surtout, de l'opinion privée. Qu'une technique existe et les médecins sont sommés de l'utiliser au risque de passer pour des conservateurs, des pisse-froid, des paternalistes, des réactionnaires, au risque, aussi, d'être traînés devant les tribunaux.
Par un tour de passe passe ironique de l'histoire, mais de plus savants que moi sauront retrouver des exemples antérieurs, la gauche morale a enfilé les habits de la droite libertarienne. Mais n'en parlons pas, c'est tabou. Il y a eu une étape préalable, le passage par le libéralisme et par le néo libéralisme. Remarquons au passage que les bons esprits de la gauche morale (nous entendons ici la gauche de la gauche, Dieu reconnaîtra les siens) ne voient aucune différence entre libéralisme et néo libéralisme (qu'ils aillent faire un tour sociétal dans les pays néo libéraux et libéraux et ils comprendront les "subtilités" de l'affaire par rapport à la législation du travail par exemple) et qu'il en est même qui confondent conservatisme et libéralisme (et néolibéralisme puisqu'ils ne savent pas en faire la distinction), ce qui est assez gratiné.

La sociétalisation de la médecine fait des médecins les outils des désirs sociétaux (et l'histoire nous dira s'ils étaient fous ou non), ces désirs qui sont instrumentalisés ou justifiés par la philosophie des Droits : "J'ai le droit de..." Et gare à ceux qui ne s'y conforment pas. Le slogan de mai 68 "Tout est possible et sans tabou" est devenu le leitmotiv des sociétés "avancées" qui disposent des techniques ad hoc. La médecine ne peut plus raisonner pour elle-même (on me dit dans l'oreillette que ce n'est pas envisageable) et doit, technicienne, se plier aux bons vouloirs de l'opinion publique.
Les médecins ont toujours fait partie intégrante de la société (quand ils ne l'ont pas organisée) et depuis les temps immémoriaux des chamans, et ont toujours voulu lui plaire (pour en vivre par exemple) mais ils sont parfois passés par des extrêmes (nous allons atteindre, très chers amis, le point Godwin et le point Stalwind -- marque déposée docteurdu16--), Mengele, la psychiatrie soviétique, les injections léthales dans l'administration de la peine de mort, des extrêmes qui existent toujours aujourd'hui : essais cliniques sur des enfants et des femmes du Tiers-monde, trafics d'organes, et cetera.
Puisque la greffe d'un sixième orteil sur le pied dominant améliore de 12 % les temps au 50 kilomètres marche et qu'une clinique costaricienne la pratique à San José il est scandaleux, prétendent les théoriciens des Droits, qu'aucune clinique française ne la pratique, qu'elle ne soit pas remboursée par la CPAM, et qu'elle soit considérée comme de la médecine améliorative susceptible d'être assimilée à du "dopage". 

Revenons aux cas Bonnemaison / Lambert.
Que viennent faire les médecins dans cette histoire ? 
Dans le cas Lambert les médecins et une partie de la famille du patient considèrent qu'il s'agit d'acharnement thérapeutique et les parents, semble-t-il, s'opposent à l'arrêt des soins. Peut-on, doit-on obliger en conscience des médecins et des équipes soignantes à garder en vie végétative un patient qui, selon les médecins, souffre quand même et qui ne sortira jamais, en l'état actuel des prévisions de la science, de son état ? Les médecins et les équipes soignantes n'ont-ils pas, eux aussi, une conscience qu'il est nécesssaire de respecter ? La conscience médicale et soignante doit-elle être considérée comme quantité négligeable et doit-on contraindre des médecins à pratiquer des actes qu'ils réprouvent ? Est-on au courant du fait qu'agir contre sa conscience peut entraîner des dégâts considérables ? Même en cas de décision de justice. Sociétalisation de la médecine, dis-je, et même sociétalisation à géographie variable : le dépaysement de Vincent Lambert à Bayonne aurait peut-être réglé le problème...
Dans le cas Bonnemaison que l'on a décrit comme "assassin par compassion" il semble que son instrumentalisation (les acclamations de la salle d'audience à l'annonce de l'acquittement en témoignent) par les associations ne fasse aucun doute. Je ne dirai rien de ce que j'ai pu percevoir de la personnalité de Bonnemaison (son changement de coupe de cheveux avant et après est assez stupéfiant) et des raisons qui l'ont poussé à pousser la seringue mais, je l'avais déjà signalé ailleurs (LA), les Bonnemaison aux mains propres ne sont pas rares dans les centres hospitaliers mais on n'en parle pas, on le tait. Et là, a contrario, il s'agit de la pratique des médecins, forcément inexplicable car non expliquée parfois aux patients et aux familles, qui se substitue à la conscience des patients et des familles. Médicalisation de la vie et ici de la mort par des équipes soignantes comme pendant de la sociétalisation de la médecine à qui l'on demande de se plier aux désirs de la société. Eût-il fallu que Bonnemaison confie hypnovel et/ou Norcuron à la famille pour qu'elle accomplisse le geste d'amour  et de compassion ? 

Ce que je voulais souligner : les médecins font désormais partie de la "boîte à outils" sociétale. Ceux qui en profitent feront de l'argent. Les autres souffriront.

PS. On remarquera que les infirmières et aides-soignantes sont condamnées et les médecins acquittés. Vous avez le droit à plusieurs grilles d'interprétations : marxiste, genriste, sexuelle, autre...

Illustration venant de LA.
Dignitas, CH : ICI.

PS du premier juillet 2014 : Judge Marie (LA) justifie en droit Bonnemaison. Je lui réponds.
PS du trente-et-un octobre 2015 : le docteur Bonnemaison a fait une tentative de suicide et se trouve entre la vie et la mort (selon la presse : ICI).