Stratégie de Knock et Disease mongering. Deuxième épisode : une tendance sociétale (cf. premier épisode) ?
La Stratégie de Knock n’est pas seulement une marchandisation capitaliste de la santé (ce que serait, finalement, le disease mongering) où tout serait à vendre chez l’humain, son corps (ses organes, ses symptômes, ses syndromes et ses maladies) et son âme (les fantasmes, le bonheur, la bonne santé et l’éternité), et dont profiteraient les professionnels de la santé et leurs dépendances (sociétés savantes, agences gouvernementales, conseils de l’ordre, Universités, Assurance Maladie, Ministère de la Santé), les industriels (marchands de médicaments, de matériel médical, de tests diagnostiques, compagnies d’assurance, mutuelles), les faiseurs de politiques de santé, les payeurs et, à un moindre degré, les patients malades organisés en associations…
Si la Stratégie de Knock prospère, c’est qu’elle s’inscrit dans un mouvement historique profond qui se manifeste par le désir des citoyens de satisfaire leurs besoins coûte que coûte, de consommer toujours plus et d’exiger le bien-être généralisé pour chacun et pour tous (la Qualité de Vie). La Stratégie de Knock, ou le Triomphe de la Médecine, a beau jeu de se justifier en vantant l’allongement ininterrompu de l’espérance de vie dans les pays développés (ce qui signifie a contrario que dans les autres pays il n’y a pas assez de médecine), en mettant en avant les performances de la médecine moderne (Résonnance Magnétique Nucléaire, opérations chirurgicales robotisées) et en soulignant la diminution considérable de la mortalité infantile et la quasi disparition des maladies infectieuses mortelles mais en feignant d’oublier que ces progrès sont aussi le fait de l’amélioration de l’hygiène et que les effets indésirables du tout médical sont très importants (maladies nosocomiales en particulier).
La Stratégie de Knock prospère parce que les citoyens des pays développés ne veulent pas seulement être soignés, ils revendiquent le Droit à la Santé qui implique une existence sans douleurs, un vieillissement sans contraintes voire une société sans maladies où la mort, que l’on voudrait repousser le plus loin possible, ne pourra être que douce. Ainsi, non seulement il ne faudrait pas souffrir quand on est malade mais il faudrait prévenir la survenue de la maladie d’où la popularisation de l’idée de prévention comme logique implacable du développement moderne du bien-être.
Tout aussi paradoxalement la Stratégie de Knock, dont le principal défaut selon ses détracteurs serait de créer des maladies (le disease mongering), s’accommode très bien d’une autre tendance historique, celle de la société sans défauts, où, entre autres, la maladie devient insupportable et la différence à la fois acceptée et refusée : le trisomique n’est plus appelé mongolien, on le montre, on l’exhibe parfois, on lui donne des droits et, au même moment, on tente de le supprimer complètement avant qu’il ne naisse… Cette tendance à l’eugénisme se répand volontiers pour d’autres maladies avérées ou potentielles (les cancers par exemple ou d’autres maladies chromosomiques) et ce qu’elle avait de scandaleux quand elle émanait du national-socialisme devient de l’ordre de la normalité quand elle est exprimée dans une société démocratique.
Une des autres caractéristiques de la Stratégie de Knock est de faire peu de crédit du citoyen bien portant / malade. Au nom d’idéaux volontiers humanistes, le Droit à la Santé, le disease mongering utilise la propagande et le mensonge pour promouvoir ses idées (et sa camelote). Mais ses adversaires, il vaudrait mieux dire, ses dénonciateurs, oublient également de prendre en compte l’opinion du bien portant / malade qui ne peut seulement être considéré comme un manipulé au nom d'un certain paternalisme médical.
Il est évident que nous ne sommes plus sur le terrain de la médecine mais sur celui de la morale. Faudrait-il alors seulement condamner les excès de la Stratégie de Knock qui est, on l’a vu, un phénomène désormais ancré dans la société ? Faudrait-il plus simplement dire aux citoyens qu’ils doivent accepter leur condition ? Faudrait-il, à l’inverse, que les désirs et les souhaits des citoyens soient pris en compte au nom de la démocratie et du droit à pouvoir disposer de leur corps et ainsi fournir les moyens de l’assouvissement de leurs désirs ?
On voit qu’on est loin d’une critique purement anticapitaliste ou, plus précisément, d'une critique de la seule industrie pharmaceutique. Il s’agit plus probablement d’une tendance lourde de la société à rechercher le bien-être et la Qualité de Vie et les acteurs de la Stratégie de Knock peuvent avoir des rôles changeants : au cours du temps, voire au même moment : la personne bien portante devenue malade, le malade redevenu bien-portant. Mais surtout le citoyen peut être au centre de conflits d’intérêts qui le traversent : en tant que bien-portant il s’insurge contre le niveau des dépenses de santé ; en tant que parent de malade il se satisfait des chimiothérapies compassionnelles ; en tant que patient il revendique tous les examens complémentaires ; en tant que professionnel de la santé il se pose des questions sur l’utilité de son métier ; en tant qu’économiste il s’interroge sur les coûts ; en tant que scientifique il pose des questions sur l’utilité du dépistage ; en tant que citoyen il se demande si les contraintes de la Stratégie de Knock ne vont pas amputer son libre-arbitre…
Dans le prochain épisode nous tenterons de définir précisément les acteurs et les moyens de la Stratégie de Knock.