jeudi 27 mai 2010

J'AURAIS VOULU ETRE BOBOLOGUE...

Hier mercredi, la journée a été catastrophique. Trop de malades, trop de malades à problèmes, trop de problèmes sans intérêt, trop d'intérêts sans problèmes.
C'est pourquoi, tandis que je recevais mon énième malade, tandis que je pensais aux coups de téléphone que j'aurais dû passer, aux coups de téléphone que j'aurais dû recevoir, aux papiers que j'avais promis et que je n'avais pas faits, aux dossiers que j'aurais dû terminer et qui seront encore là demain, aux courriers que j'avais reçus de l'hôpital et qui racontaient des histoires curieuses sur des patients que je connaissais pourtant, aux courriers péremptoires de collègues qui ne vivaient pas dans la vraie vie mais dans une abstraction que l'on aurait pu appeler la fausse bonne médecine académique, je rêvais du monde de la médecine générale selon Patrick Pelloux, un monde de bobologie, un monde où les médecins ne faisaient pas de la médecine, où les malades n'étaient pas malades, où l'urgence vitale était inconnue, où les malades étaient de simples personnes passant par là pour demander des arrêts de travail ou des sirops pour la toux, je rêvais donc de ce monde facile décrit par un urgentiste plus connu pour ses performances médiatiques que pour ses publications scientifiques, je rêvais d'un exercice aisé, easy medicine, où les patients étaient des usagers, des consommateurs, des C à 22 euro, des organes se déplaçant tout seuls comme des spectres sans tête jusque dans les cabinets de médecine générale, des individus sans passé et sans avenir, sans histoires, sans famille, sans patron, sans enfants, des pures chimères nées de l'imagination dévorante des hospitaliers habitués à ce que les patients malades soient entubés, perfusés, oxygénés, entravés, dépendants du seul bon vouloir de l'urgentiste comme deus ex cathedra de la médecine moderne, comme prophète du progrès en marche et de la "bonne" médecine qui sauve des vies...
J'en ai rêvé et rien n'est arrivé.
J'aurais voulu que les patients ou les malades ou les usagers ou les consommateurs aient de simples rhumes, de simples maux de dos, de simples rhino-pharyngites, de simples boutons de fièvre, de simples eczémas, de simples infections urinaires, de simples toux aiguës... eh bien non ! Il y avait des personnes qui, certes, pouvaient avoir des rhumes, des maux de dos, des échardes dans le pied, mais il y avait aussi des personnes avec des pathologies chroniques, des cancers avec ou sans métastases, des personnes âgées en fin de vie, des personnes jeunes qui allaient mal, des déprimés, des anxieux, des syndromes respiratoires aigus chez des nourrissons, des traumatisés du travail, des accidentés de la vie et même des gens qui allaient mourir et à qui il fallait faire des mines pour qu'ils continuent à avoir de l'espoir, des porteurs de maladies orphelines qui se sentaient orphelins, des malades imaginaires, des hypochondriaques, des diabétiques hypertendus mal équilibrés, des suspicions d'embolie pulmonaire... J'en passe et des meilleures. Et tout cela pour que le Pelloux il joue des muscles à la télévision et à la radio et dans les journaux, pour que le Pelloux raconte partout que les médecins généralistes sont d'affreux bobologues qui pourraient quand même prendre plus de gardes afin que le Pelloux, comme urgentiste, puisse plus longtemps parler à la télévision et dans les radios ou ait plus de temps pour écrire ses papiers dans Charlie Hebdo.
Pauvre petit Pelloux victime de son ego et soumis aux clichés de la société médiatique.
Je le plains sincèrement.

Sur l'air de J'aurais voulu être un artiste...
J'aurais voulu être bobologue
Et pouvoir faire mon numéro
J'aurais voulu être proximologue
Et compter mieux tous mes euro...

Quand il n'y aura plus de généralistes, mais la nature a horreur du vide, il y aura encore des petits Pelloux pour nous expliquer combien Les généralistes n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes....

mercredi 26 mai 2010

UN SECRET MEDICAL BIEN GARDE - HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-CINQUIEME EPISODE

Madame A, au décours de "sa" consultation, me parle de son fils de dix-sept ans qui lui pose problème. Il présente une difformité physique bénigne et réparable qu'il cache à ses camarades de classe mais pas à sa famille. Une intervention chirurgicale est prévue dans environ un an. La professeure principale a remarqué que le jeune homme avait un comportement anormal et qu'il participait peu aux activités de la classe. Elle a demandé des explications à la maman, la patiente A en question, qui lui a dit que c'était un problème dont son fils ne voulait pas parler et qu'elle n'en parlerait donc pas. La professeure a insisté et la patiente A a suggéré qu'elle appelle le médecin traitant, moi-même, pour obtenir des explications. "Non, a dit la professeur principale, qu'il me fasse un courrier." Fermez le ban.
Voici, en substance, la lettre.
"Madame.
... Je vous rappelle qu'en France existe le secret médical qui est à la fois une règle juridique et une règle déontologique. Il ne me semble pas, dans le cas de cet élève, qu'il me soit nécessaire d'y déroger... Je tenais toutefois à vous rassurer, il ne s'agit pas d'une maladie contagieuse que vous pourriez attraper et qui pourrait vous mettre en danger... Croyez, chère Madame..."
La conversation continue et soudain Madame A me demande : "Qu'est-ce qu'elle a, ma belle-mère, elle est toujours en train de se plaindre et cela me pourrit la vie ?..."
Je la regarde fixement en tentant de garder mon sérieux : "Secret médical."
Elle éclate de rire.

(Johnny Hallyday à Los Angeles au mois de mai 2010.)

lundi 24 mai 2010

UN PATIENT HYPERTENDU - HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-QUATRIEME EPISODE


Monsieur A est hypertendu et il quarante-sept ans.
CONSULTATION COURTE.
C'est un malade facile : sa pression artérielle est équilibrée avec un seul anti hypertenseur, son taux de mauvais cholestérol est dans les normes, sa fonction rénale est OK, son échographie cardiaque est dans le même métal, l'ophtalmologiste n'a rien à dire...
Mais il a deux défauts.
Il est fumeur (vingt cigarettes par jour depuis trente ans) et il est buveur.
Pour le tabac et malgré tout ce que je lui ai dit, tous les conseils que je lui ai donnés, tous les efforts qu'il a faits, depuis vingt ans, il fume toujours.
Pour la boisson le déni est flagrant. Le paradoxe vient aussi de ce que sa vie sociale est très perturbée et que sa fonction hépatique est préservée. Quand je dis que sa vie sociale est perturbée, c'est un euphémisme : il ne travaille plus et il a divorcé.
Donc, je lui prends sa pression artérielle, j'écoute son coeur, je lis les examens que j'ai demandés et je ne change pas son traitement. Il va sortir du cabinet avec son unique anti hypertenseur, des bons conseils et une impasse : il continuera de fumer et de boire.
CONSULTATION LONGUE.
C'est un malade facile : sa pression artérielle est équilibrée avec un seul anti hypertenseur, son taux de mauvais cholestérol est dans les normes, sa fonction rénale est OK, son échographie cardiaque est dans le même métal, l'ophtalmologiste n'a rien à dire...
Mais il a deux défauts.
Je pourrais dire : un défaut mineur et un défaut majeur.
Un défaut mineur d'un point de vue personnel : il fume vingt cigarettes par jour et depuis des lustres ; mais un défaut majeur pour les cardiologues, les athérologues, les lipidologues, les pneumologues, et autres médecins qui, après avoir été laxistes depuis et pendant des années, sont devenus des tabacophobes convaincus et autoritaires. Je suis un peu embêté. Embêté car j'ai beaucoup changé d'avis sur le tabac. Comme beaucoup. Comme tout le monde ? Et, pour le coup, je suis gêné aux entournures. S'agit-il d'un défaut mineur ou d'un défaut majeur ? Reprenons par le début : j'ai fumé, je n'ai pas été gêné par cette addiction, je n'ai pas été gêné par la fumée des autres, puis j'ai décidé d'arrêter (parce que j'en avais assez de fumer le matin et de voir mes dents noircir) et je suis devenu plus intransigeant à l'égard de mes patients, la fumée a commencé à me déranger dans les cafés et les restaurants puis l'odeur même du tabac froid m'a rendu casse-pied. Indépendamment des risques liés au tabagisme, ce tabagisme ne gêne personne car le patient est désormais célibataire et, à moins qu'il mette le feu à sa literie, il ne gêne que sa propre personne.
Un défaut majeur car il boit. Et il se met en danger, il met en danger la vie des autres parce qu'il conduit, souvent avec un coup dans le nez, parce que cela l'empêche de vraiment chercher du travail, parce que cela l'empêche de se réintégrer. Mécanicien, il travaille au noir sur les parkings, il répare des voitures, il répare des épaves, il change, il échange et il survit. Il a déjà vu les spécialistes de l'addiction alcoolique mais cela n'a jamais rien donné de façon durable. Son problème est profond : familial (son père buvait sec du côté de Valenciennes), familial encore car son ex femme refuse qu'il voit ses enfants qu'il vient chercher en voiture, elle dit avoir peur et elle n'a pas tort et personnel : il se dégoute et il sait qu'il dégoute les autres. Nous avons, tous les deux, essayé beaucoup de choses mais rien n'a vraiment marché. Il a eu quelques périodes de sobriété mais cela n'a jamais duré très longtemps. Il se demande, il me demande, pourquoi il le ferait, pour qui il pourrait le faire... Nous avons discuté cent fois et aujourd'hui il s'agit de la cent unième fois !
En fin de consultation il me répète sa phrase favorite : "Et tout ça à cause de Sarkozy !"
Une explication ?
Monsieur A est mécanicien à l'origine. Puis il a fait du dépannage auto pour le compte de son patron. Puis, voyant combien cela "marchait", il a décidé d'emprunter (beaucoup) pour acheter une dépanneuse. Cela a correspondu à la mise en place des mesures contre la vitesse et notamment des radars automatiques lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur et, brutalement, le nombre d'accidents dans le département, et sur l'A 13 et sur les routes adjacentes, a fortement diminué. D'où la faillite que le patient a prise pour une conséquence de l'implantation des radars et du retrait des points.
Voilà pourquoi votre fille est muette.

LE SYNDROME METABOLIQUE : UNE CHIMERE INVENTEE !


Je vous avais parlé de la collusion entre France Télévision et le docteur Boris Hansel pour promouvoir le syndrome métabolique et la prise du tour de taille dans les pharmacies et vous avais dit combien cela sentait l'arnaque absolue : ici.
Je ne vous rappellerai pas la définition du syndrome métabolique dont des sites, théoriquement sérieux, comme Esculape se sont faits l'écho et d'autres, moins sérieux en théorie, ont largement contribué à la diffusion, car ce serait perdre votre temps.
Eh bien, une étude publiée au mois de mai dans le Journal du Collège Américain de Cardiologie et signée par des auteurs "sérieux", doute fortement de l'implication de ce syndrome dans la survenue d'un infarctus du myocarde. Ce n'est pas un petit essai puisqu'il a inclus 26903 patients dans 52 pays ! En réalité, pour être juste, cette étude montre que le syndrome métabolique seul n'est pas un facteur de risque au même titre que le diabète seul ou l'HTA seule. L'auteur principal de l'article suggère donc de traiter d'abord les facteurs de risque habituels et de ne pas s'intéresser au syndrome métabolique per se.
Rangez vos centimètres.
La Stratégie de Knock ne passera pas par vous !

vendredi 21 mai 2010

LA PUB POUR LES LECTEURS DE GLYCEMIE


Dans ma très grande naïveté j'avais simplement dénoncé l'ouverture des vannes par l'Assurance Maladie, c'est à dire la généralisation annoncée des lecteurs de glycémie à tous les diabétiques, eh bien, cela n'a pas traîné !
La Stratégie de Knock en marche comme je vous en avais déjà parlé dans un message précédent.
Voilà qu'une campagne grand public a été déclenchée pour vanter les bienfaits des lecteurs de glycémie : ici et qu'elle est relayée par les sites sponsorisés : .

On va de nouveau passer du temps à expliquer aux patients...
Lassant....

jeudi 20 mai 2010

REPENSER LE DEPISTAGE DES CANCERS DU SEIN ET DE LA PROSTATE ?


Il peut paraître surprenant de poser une telle question tant il semble que le dépistage du cancer du sein soit recommandé et accepté comme une vérité d'évidence et que celui du cancer de la prostate paraisse généralisé bien qu'aucune recommandation officielle ne le suggère.

Je voudrais rappeler quelques faits (au delà du fait que la diminution de la mortalité globale n'a jamais été démontrée par le dépistage).
  1. Un bon scénario de dépistage signifie que l'augmentation du nombre de diagnostics de cancers localisés sera suivi par une diminution du nombre de diagnostics de cancers régionaux avec un nombre total de diagnostics constant. Ce qui n'est pas le cas pour le sein et la prostate. Depuis le début du dépistage on peut dire, pour le cancer de la prostate (pour le cancer du sein les choses sont à peu près identiques à ceci près que les cancers in situ viennent parasiter le raisonnement), que le nombre rapporté de cancers "régionaux" a diminué de façon substantielle mais qu'un tiers des patients classés comme porteurs d'un cancer local étaient en fait "régionaux" lors de l'intervention. Depuis le dépistage le nombre de cancers avancé n'a pas diminué.
  2. Le dépistage entraîne un effet limité sur la mortalité et un effet significatif sur l'incidence. Deux raisons : a) le dépistage augmente le dépistage des cancers "bénins" ; b) le dépistage manque probablement les cancers les plus agressifs. Ainsi, l'affirmation selon laquelle le dépistage permet de trouver et de traiter les stades les plus précoces, ce qui évite les stades tardifs et a fortiori métastasés n'est pas forcément correcte.
  3. Mais l'effet le plus pervers du dépistage est bien celui du sur diagnostic et du sur traitement. a) le cancer du sein : les programmes de dépistage américain montrent un sur diagnostic allant de un à trois pour les cancers dits invasifs et des essais montrent que nombre de ces tumeurs auraient régressé toutes seules ; une détection plus précoce pourrait ne pas être la solution car certains cancers très "méchants" identifiés par analyses moléculaires (NKI 70 gene test) sont classifiés bénins par les critères habituels ; les cancers de l'intervalle sont les plus "méchants" : dans l'essai I-SPY TRIAL 85 % des "méchants" étaient des cancers de l'intervalle et seuls 15 % étaient identifiés par le dépistage ; b ) le cancer de la prostate : l'abaissement du seuil de détection des cancers (PSA inférieur à 4 ng par ml) n'autorise pas la disparition des cancers quel que soit la faiblesse du taux retenu ; en deçà de ce taux il y a 30 % des cancers qui sont déjà potentiellement incurables.
  4. Nous avons déjà ici insisté sur les problèmes que pose le dépistage en termes d'effets indésirables tant pour le sein (Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire.) pour la prostate (L'étude européenne (European Randomised Study of Screening for Prostate-Cancer - ERSPC) indique clairement qu'il faut proposer le dépistage à 1410 hommes et proposer un traitement à 48 autres pour éviter UN cancer pendant une période d'observation de dix ans. Avec un surdiagnostic de 50 % !). Nous n'y reviendrons pas.
  5. Faisons un tour par les cancers in situ : inconnus avant le dépistage ils représentent 25 à 30 % de tous les cancers diagnostiqués et la majorité d'entre eux est de stade bas ou intermédiaire. Ils sont considérés, les cancers in situ, comme des lésions pré cancéreuses et le traitement proposé généralement est l'ablation et un traitement adjuvant ; or, après 20 ans de détection et de traitement, il n'y a pas de preuves évidentes d'une diminution du nombre des cancers invasifs. La réduction d'incidence constatée dès 2002 est attribuée à la suppression des traitements hormonosubstitutifs plus qu'à l'ablation des cancers in situ.
Comment repenser le dépistage ?
L'article sur lequel je me suis fondé propose des pistes classiques mais peu opérationnelles :
  1. Développer des marqueurs biologiques pour différentier les cancer bénins / malins
  2. Réduire le poids des traitements pour le cancers bénins
  3. Développer des outils pour une meilleure décision informée
  4. Centrer la prévention sur les patients à risques
Quoi qu'il en soit, les dépistages du cancer du sein et de la prostate sont entrés dans les moeurs : les patients sont demandeurs. Nous sommes obligés, dans nos cabinets, d'adopter une attitude défensive. Il nous faut "perdre du temps" avec nos patients pour leur expliquer combien cette démarche du tout préventif peut être dangereuse, pas seulement de façon individuelle mais aussi de façon collective.

Un certain nombre de médecins n'osent pas franchir le pas car ils craignent, malgré les évidences, que la justice, saisie par leurs patients ou par la famille des patients, leur reproche de ne pas avoir fait ce qu'il fallait dans l'intérêt des patients. Or ce risque existe : la justice ne fonctionne pas dans le même lieu ni dans le même temps que la médecine, et surtout quand existent des controverses. Quant aux experts, à part quelques rares, ils sont embarqués dans la démarche de la prévention tout azimut et ils seront là pour prétendre que la mammographie et le dosage du PSA sont les deux mammelles, si j'ose dire, de la prévention. D'où des difficultés.

Repenser les stratégies de dépistage est indispensable. Dans le cas du cancer du sein il est nécessaire de pouvoir disposer de mammographistes éprouvés et de chirurgiens raisonnables ou d'oncologues responsables. Dans le cas du cancer de la prostate la résistance contre le dosage du PSA alors que les médias radiophoniques et télévisuels, que la presse écrite et l'internet sont infiltrés par la propagande des urologues et des oncologues est difficile et elle se doit d'être argumentée en fonction des attentes et du niveau e compréhension des patients.

Good Luck !

(Face of Cancer. Patrick Crommet)

dimanche 16 mai 2010

UN PATIENT TOUSSEUR - HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-TROISIEME EPISODE


Monsieur A est le type même du Français moyen qui vit sa retraite comme un temps bougon. Il n’est pas méchant, il n’est pas vraiment râleur, il est bougon. D’habitude il vient pour « sa » tension et « son » diabète. Il ne bouge pas, son poids est égal, sa pression artérielle est constante, il trouve qu’un bilan tous les six mois « ça suffit largement », et d’ailleurs « son » sucre, on dit la glycémie à jeun pour faire chic, est stable depuis des années. Quant à « son » mauvais cholestérol il est à peu près aux normes. Mais aujourd’hui il tousse depuis dix jours. « Je ne suis pas venu avant, j’ai pris un sirop à la pharmacie, je pensais que ça allait passer tout seul... Mais ma femme en a marre que je la dérange la nuit. Je croyais pourtant qu’ils faisaient chambre à part... Ce genre de situations est à la fois un ennui profond pour le médecin et une source facile de succès. Pas toujours. Mais le plus souvent. D’un ennui profond car la toux chronique, si elle peut signifier des milliards de maladies graves (il suffit de jeter un œil sur internet), est dans l’immense majorité des cas bénigne et le médecin, après un examen le plus souvent négatif, s’il trouvait quelque chose le patient n’aurait pas attendu dix jours, enfin, cela rassure, ne trouve rien. Non seulement il ne trouve rien mais il est ennuyé car, à part de bonnes paroles, il n’a pas de traitement excitant et efficace à proposer à son patient. Donc, le médecin examine, le médecin parle, le médecin rassure et le patient, qui demande des antibiotiques, une toux qui dure dix jours, cela demande des antibiotiques, c’est pour cela que je suis venu, docteur, vous allez quand même m’en prescrire, hein ? Le médecin a des principes et... des croyances. Commençons par les principes : une toux chronique ne nécessite pas de prescriptions d’antibiotiques ; une toux chronique comme celle-là qui ne paraît pas d’origine allergique ne nécessite pas la prescription de corticoïdes ; une toux comme celle-là va finir par passer toute seule ; une toux comme celle-là ne nécessite pas d’examens complémentaires. Poursuivons par les croyances : combien de fois n’est-il pas arrivé, dans l’ancien temps, il y a plus de vingt ans, quand les médecins prescrivaient des antibiotiques et de la corticothérapie à tire-larigot, que le malade « guérisse » subitement au bout de quelques jours, comme par miracle ? Combien de fois, contre toute attente, les malades ne se sont-ils pas sentis mieux du simple fait de la prescription d’antibiotiques ? Terminons par le pragmatisme : après trente ans de pratique de la médecine générale et bien que la clientèle ait été « formée », devrait-on dire « formatée » par le médecin qui l’a créée, il arrive un moment où le médecin en a assez d’expliquer, en a assez de ramer contre l’opinion dominante, est las de passer du temps à se justifier, à se conformer au modèle du médecin à l’écoute, du médecin qui fait son boulot de pédagogue, et voudrait la paix et rentrer plus vite chez lui... A moins aussi que le médecin qui a trente ans d’expérience ne se rappelle, et le patient avec lui, combien il a changé d’avis depuis toutes ces années, combien ses pratiques se sont modifiées, combien ce qui était la « vérité » d’alors est devenu le mensonge d’aujourd’hui. C’est la science, dira-t-on, il est normal que les certitudes changent, que l’Etat de la science se modifie au gré de nouvelles « découvertes », des nouvelles études... Foutaises que tout cela... Ce qui s’est passé au cours des années, c’est que l’on est passé de fausses certitudes en vrais mensonges et vice versa... Dans le cas de ce patient, le médecin s’en est sorti comme cela : un, ce n’est pas grave ; deux, si vous commenciez par arrêter de fumer ; trois, les médicaments que vous prenez pour « votre » diabète et « votre » hypertension ne me permettent pas, de toute façon, de vous prescrire des médicaments très « forts ». Il faut serrer les dents et continuer de tousser pendant encore quelques jours. Et le médecin a prescrit un sirop et d’autres babioles pour attendre que la nature fasse elle-même « sa » guérison. Ce faisant, et quand il reverra le patient un mois plus tard pour « ses » médicaments habituels, le patient lui fera remarquer, alors qu’il ne tousse plus, que cette « saloperie » a duré longtemps, le médecin pourra analyser sa démarche de la consultation précédente : un, il a menti à son patient en ne lui expliquant pas les vraies raisons de son attitude ; deux, il a utilisé des placebos ayant potentiellement des effets indésirables (somnolence) en mentant encore une fois à son patient (on ne peut prescrire un placebo, fût-il un peu actif, en disant la vérité au malade) ; trois, il a culpabilisé le patient inutilement en lui demandant sèchement pourquoi il continuait de fumer.