dimanche 30 mai 2010

ENURESIE - HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-SIXIEME EPISODE

Madame A est une "nouvelle patiente" qui vient consulter pour son fils de six ans qui fait pipi au lit. C'est elle qui se met en avant. Tout est centré autour d'elle. N'interprétons pas, écoutons-là. "Il me fait pipi au lit tous les soirs... Je commence à en avoir marre... C'est pour lui, c'est un grand... J'ai tout essayé, je ne l'ai pas grondé, je l'ai grondé, je l'ai privé de télé, de DS et j'en ai assez... Il me saoule... Bien sûr (et nous sommes dans l'intégralité de son discours...) que le divorce n'a pas arrangé les choses... Il ne voit plus son père... Mais je n'y suis pour rien... C'est la vie... Alors, docteur, il faut faire quelque chose, vous devez bien avoir une solution, ça finit par coûter cher, les couches..." Pendant ce temps le petit garçon n'écoute pas. Il monte sur le fauteuil, il met les doigts sur le bureau, il s'empare du cachet, il touche les fils de l'ordinateur, il se lève... Et Madame A ne dit rien. Elle parle d'elle-même. C'est elle qui souffre de l'énurésie de son fils. Mais est-ce que l'énurésie est une souffrance pour l'enfant ? "J'ai essayé de ne pas le culpabiliser... Mais j'en ai marre... Il me pourrit la vie..."
Bien entendu cette maman a déjà consulté plusieurs médecins auparavant. Je suis un recours. Je me demande bien pourquoi.
Je suis un recours et elle me pose le marché en des termes clairs : "Vous devez trouver une solution ! C'est vous le médecin ! Ce n'est pas normal un enfant qui n'est pas propre... Faites quelque chose !"
Je ne reviens pas sur un des fonds du problème : cette femme m'insupporte. J'ai du mal avec ce discours englobant qui ne laisse aucune autonomie à l'enfant. Bien que je me méfie comme de la peste du concept d'autonomie qui revoie à nombre de concepts qui m'exaspèrent sur l'école centrée sur l'enfant et non plus sur l'enseignement, je pense que cette maman en fait trop dans l'autre sens. Encore que... D'un côté elle confisque sa parole et de l'autre elle lui laisse faire ce qu'il veut dans mon bureau (selon mes critères, entendons-le bien). Ce que j'aime le moins (et que nous faisons tous, surtout avec nos patients) : elle change de technique tout le temps ; la carotte puis le bâton, l'engueulade puis la valorisation, la trique et le bisou ; dans la même phrase. Je connaissais un dirigeant d'entreprise qui disait : Il vaut mieux une mauvaise politique que pas de politique du tout. Il exagérait, bien entendu. Mais, c'est mon avis, je ne voudrais l'imposer à personne, les enfant sont besoin de repères, je n'ai pas dit limites, des repères pour savoir exactement où ils en sont.
Mais la vraie question : l'énurésie est une sacrée difficulté dans nos pratiques. La diversité des traitements proposés rend compte de leur inefficacité globale. Plus je lis des articles et plus je suis moins convaincu. Il fut un temps, quand je me suis installé, il y a un peu plus de trente ans, on tenait déjà un discours de responsabilisation de l'enfant ("Tu es un grand, mon bonhomme... Il faut que tu contrôles tes urines, c'est la preuve que tu es devenu grand...") et, dans le même temps on prescrivait des antidépresseurs à petite dose (imipramine). C'était la mode. Des antidépresseurs pour des enfants de six ans. On avait aussi les parasympatholytiques comme l'oxybutinine qui donnait de nombreux effets indésirables dont la sécheresse de bouche et des troubles neurologiques parfois importants. Puis sont apparus d'autres produits dont l'efficacité était aussi peu importante que leurs effets indésirables étaient établis... Il y avait aussi la psychologie et, bien entendu, venant de l'Amérique du Nord, les thérapeutiques cognitivo-comportementales avec des images pour des nuits "sèches". Il y avait aussi le pipi stop, la couche qui réveille l'enfant quand il fait pipi.
Chacun faisait sa petite cuisine, on faisait des mélanges et le gamins continuaient de pisser à leur rythme ballotés entre la honte de ne pas être propre et les alternances carotte / bâton. Je ne me rappelle plus ce que racontaient les freudiens, j'ai oublié ou je l'ai intégré dans mon inconscient, les histoires de régression, le 'Je le fais payer à mes parents' avec la naissance du petit frère, la jalousie et l'image de la mère et l'image du père... l'angoisse de castration, que sais-je encore ?
Bon, je m'égare. Rien ne marche.
Cette maman m'énerve et je n'ai pas réussi à placer un mot à cet enfant qui ne savait pas manifestement qu'il allait chez le médecin pour qu'on parle de pipi au lit, ce visiteur nocturne, mon prêchi prêcha classique à mi chemin entre la responsabilisation, l'autonomisation, l'analyse freudienne, l'aplomb des urologues, et l'affreux bon sens.
De toute façon, le gamin, il avait déjà eu tout cela, ou presque. Donc j'ai fait le bon docteur Balint, c'est à dire celui qui est conscient que le médicament c'est le médecin et j'ai couru à l'échec avec un entrain exceptionnel.
Quant à la mère, il lui aurait aussi fallu un cours sur tout ce qu'il ne faut pas faire avec les enfants mais j'ai déjà donné, je me suis déjà trompé, donc j'ai battu retraite en rase campagne.
Je ne crois pas que ces deux là, je les reverrai.

jeudi 27 mai 2010

J'AURAIS VOULU ETRE BOBOLOGUE...

Hier mercredi, la journée a été catastrophique. Trop de malades, trop de malades à problèmes, trop de problèmes sans intérêt, trop d'intérêts sans problèmes.
C'est pourquoi, tandis que je recevais mon énième malade, tandis que je pensais aux coups de téléphone que j'aurais dû passer, aux coups de téléphone que j'aurais dû recevoir, aux papiers que j'avais promis et que je n'avais pas faits, aux dossiers que j'aurais dû terminer et qui seront encore là demain, aux courriers que j'avais reçus de l'hôpital et qui racontaient des histoires curieuses sur des patients que je connaissais pourtant, aux courriers péremptoires de collègues qui ne vivaient pas dans la vraie vie mais dans une abstraction que l'on aurait pu appeler la fausse bonne médecine académique, je rêvais du monde de la médecine générale selon Patrick Pelloux, un monde de bobologie, un monde où les médecins ne faisaient pas de la médecine, où les malades n'étaient pas malades, où l'urgence vitale était inconnue, où les malades étaient de simples personnes passant par là pour demander des arrêts de travail ou des sirops pour la toux, je rêvais donc de ce monde facile décrit par un urgentiste plus connu pour ses performances médiatiques que pour ses publications scientifiques, je rêvais d'un exercice aisé, easy medicine, où les patients étaient des usagers, des consommateurs, des C à 22 euro, des organes se déplaçant tout seuls comme des spectres sans tête jusque dans les cabinets de médecine générale, des individus sans passé et sans avenir, sans histoires, sans famille, sans patron, sans enfants, des pures chimères nées de l'imagination dévorante des hospitaliers habitués à ce que les patients malades soient entubés, perfusés, oxygénés, entravés, dépendants du seul bon vouloir de l'urgentiste comme deus ex cathedra de la médecine moderne, comme prophète du progrès en marche et de la "bonne" médecine qui sauve des vies...
J'en ai rêvé et rien n'est arrivé.
J'aurais voulu que les patients ou les malades ou les usagers ou les consommateurs aient de simples rhumes, de simples maux de dos, de simples rhino-pharyngites, de simples boutons de fièvre, de simples eczémas, de simples infections urinaires, de simples toux aiguës... eh bien non ! Il y avait des personnes qui, certes, pouvaient avoir des rhumes, des maux de dos, des échardes dans le pied, mais il y avait aussi des personnes avec des pathologies chroniques, des cancers avec ou sans métastases, des personnes âgées en fin de vie, des personnes jeunes qui allaient mal, des déprimés, des anxieux, des syndromes respiratoires aigus chez des nourrissons, des traumatisés du travail, des accidentés de la vie et même des gens qui allaient mourir et à qui il fallait faire des mines pour qu'ils continuent à avoir de l'espoir, des porteurs de maladies orphelines qui se sentaient orphelins, des malades imaginaires, des hypochondriaques, des diabétiques hypertendus mal équilibrés, des suspicions d'embolie pulmonaire... J'en passe et des meilleures. Et tout cela pour que le Pelloux il joue des muscles à la télévision et à la radio et dans les journaux, pour que le Pelloux raconte partout que les médecins généralistes sont d'affreux bobologues qui pourraient quand même prendre plus de gardes afin que le Pelloux, comme urgentiste, puisse plus longtemps parler à la télévision et dans les radios ou ait plus de temps pour écrire ses papiers dans Charlie Hebdo.
Pauvre petit Pelloux victime de son ego et soumis aux clichés de la société médiatique.
Je le plains sincèrement.

Sur l'air de J'aurais voulu être un artiste...
J'aurais voulu être bobologue
Et pouvoir faire mon numéro
J'aurais voulu être proximologue
Et compter mieux tous mes euro...

Quand il n'y aura plus de généralistes, mais la nature a horreur du vide, il y aura encore des petits Pelloux pour nous expliquer combien Les généralistes n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes....

mercredi 26 mai 2010

UN SECRET MEDICAL BIEN GARDE - HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-CINQUIEME EPISODE

Madame A, au décours de "sa" consultation, me parle de son fils de dix-sept ans qui lui pose problème. Il présente une difformité physique bénigne et réparable qu'il cache à ses camarades de classe mais pas à sa famille. Une intervention chirurgicale est prévue dans environ un an. La professeure principale a remarqué que le jeune homme avait un comportement anormal et qu'il participait peu aux activités de la classe. Elle a demandé des explications à la maman, la patiente A en question, qui lui a dit que c'était un problème dont son fils ne voulait pas parler et qu'elle n'en parlerait donc pas. La professeure a insisté et la patiente A a suggéré qu'elle appelle le médecin traitant, moi-même, pour obtenir des explications. "Non, a dit la professeur principale, qu'il me fasse un courrier." Fermez le ban.
Voici, en substance, la lettre.
"Madame.
... Je vous rappelle qu'en France existe le secret médical qui est à la fois une règle juridique et une règle déontologique. Il ne me semble pas, dans le cas de cet élève, qu'il me soit nécessaire d'y déroger... Je tenais toutefois à vous rassurer, il ne s'agit pas d'une maladie contagieuse que vous pourriez attraper et qui pourrait vous mettre en danger... Croyez, chère Madame..."
La conversation continue et soudain Madame A me demande : "Qu'est-ce qu'elle a, ma belle-mère, elle est toujours en train de se plaindre et cela me pourrit la vie ?..."
Je la regarde fixement en tentant de garder mon sérieux : "Secret médical."
Elle éclate de rire.

(Johnny Hallyday à Los Angeles au mois de mai 2010.)

lundi 24 mai 2010

UN PATIENT HYPERTENDU - HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-QUATRIEME EPISODE


Monsieur A est hypertendu et il quarante-sept ans.
CONSULTATION COURTE.
C'est un malade facile : sa pression artérielle est équilibrée avec un seul anti hypertenseur, son taux de mauvais cholestérol est dans les normes, sa fonction rénale est OK, son échographie cardiaque est dans le même métal, l'ophtalmologiste n'a rien à dire...
Mais il a deux défauts.
Il est fumeur (vingt cigarettes par jour depuis trente ans) et il est buveur.
Pour le tabac et malgré tout ce que je lui ai dit, tous les conseils que je lui ai donnés, tous les efforts qu'il a faits, depuis vingt ans, il fume toujours.
Pour la boisson le déni est flagrant. Le paradoxe vient aussi de ce que sa vie sociale est très perturbée et que sa fonction hépatique est préservée. Quand je dis que sa vie sociale est perturbée, c'est un euphémisme : il ne travaille plus et il a divorcé.
Donc, je lui prends sa pression artérielle, j'écoute son coeur, je lis les examens que j'ai demandés et je ne change pas son traitement. Il va sortir du cabinet avec son unique anti hypertenseur, des bons conseils et une impasse : il continuera de fumer et de boire.
CONSULTATION LONGUE.
C'est un malade facile : sa pression artérielle est équilibrée avec un seul anti hypertenseur, son taux de mauvais cholestérol est dans les normes, sa fonction rénale est OK, son échographie cardiaque est dans le même métal, l'ophtalmologiste n'a rien à dire...
Mais il a deux défauts.
Je pourrais dire : un défaut mineur et un défaut majeur.
Un défaut mineur d'un point de vue personnel : il fume vingt cigarettes par jour et depuis des lustres ; mais un défaut majeur pour les cardiologues, les athérologues, les lipidologues, les pneumologues, et autres médecins qui, après avoir été laxistes depuis et pendant des années, sont devenus des tabacophobes convaincus et autoritaires. Je suis un peu embêté. Embêté car j'ai beaucoup changé d'avis sur le tabac. Comme beaucoup. Comme tout le monde ? Et, pour le coup, je suis gêné aux entournures. S'agit-il d'un défaut mineur ou d'un défaut majeur ? Reprenons par le début : j'ai fumé, je n'ai pas été gêné par cette addiction, je n'ai pas été gêné par la fumée des autres, puis j'ai décidé d'arrêter (parce que j'en avais assez de fumer le matin et de voir mes dents noircir) et je suis devenu plus intransigeant à l'égard de mes patients, la fumée a commencé à me déranger dans les cafés et les restaurants puis l'odeur même du tabac froid m'a rendu casse-pied. Indépendamment des risques liés au tabagisme, ce tabagisme ne gêne personne car le patient est désormais célibataire et, à moins qu'il mette le feu à sa literie, il ne gêne que sa propre personne.
Un défaut majeur car il boit. Et il se met en danger, il met en danger la vie des autres parce qu'il conduit, souvent avec un coup dans le nez, parce que cela l'empêche de vraiment chercher du travail, parce que cela l'empêche de se réintégrer. Mécanicien, il travaille au noir sur les parkings, il répare des voitures, il répare des épaves, il change, il échange et il survit. Il a déjà vu les spécialistes de l'addiction alcoolique mais cela n'a jamais rien donné de façon durable. Son problème est profond : familial (son père buvait sec du côté de Valenciennes), familial encore car son ex femme refuse qu'il voit ses enfants qu'il vient chercher en voiture, elle dit avoir peur et elle n'a pas tort et personnel : il se dégoute et il sait qu'il dégoute les autres. Nous avons, tous les deux, essayé beaucoup de choses mais rien n'a vraiment marché. Il a eu quelques périodes de sobriété mais cela n'a jamais duré très longtemps. Il se demande, il me demande, pourquoi il le ferait, pour qui il pourrait le faire... Nous avons discuté cent fois et aujourd'hui il s'agit de la cent unième fois !
En fin de consultation il me répète sa phrase favorite : "Et tout ça à cause de Sarkozy !"
Une explication ?
Monsieur A est mécanicien à l'origine. Puis il a fait du dépannage auto pour le compte de son patron. Puis, voyant combien cela "marchait", il a décidé d'emprunter (beaucoup) pour acheter une dépanneuse. Cela a correspondu à la mise en place des mesures contre la vitesse et notamment des radars automatiques lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur et, brutalement, le nombre d'accidents dans le département, et sur l'A 13 et sur les routes adjacentes, a fortement diminué. D'où la faillite que le patient a prise pour une conséquence de l'implantation des radars et du retrait des points.
Voilà pourquoi votre fille est muette.

LE SYNDROME METABOLIQUE : UNE CHIMERE INVENTEE !


Je vous avais parlé de la collusion entre France Télévision et le docteur Boris Hansel pour promouvoir le syndrome métabolique et la prise du tour de taille dans les pharmacies et vous avais dit combien cela sentait l'arnaque absolue : ici.
Je ne vous rappellerai pas la définition du syndrome métabolique dont des sites, théoriquement sérieux, comme Esculape se sont faits l'écho et d'autres, moins sérieux en théorie, ont largement contribué à la diffusion, car ce serait perdre votre temps.
Eh bien, une étude publiée au mois de mai dans le Journal du Collège Américain de Cardiologie et signée par des auteurs "sérieux", doute fortement de l'implication de ce syndrome dans la survenue d'un infarctus du myocarde. Ce n'est pas un petit essai puisqu'il a inclus 26903 patients dans 52 pays ! En réalité, pour être juste, cette étude montre que le syndrome métabolique seul n'est pas un facteur de risque au même titre que le diabète seul ou l'HTA seule. L'auteur principal de l'article suggère donc de traiter d'abord les facteurs de risque habituels et de ne pas s'intéresser au syndrome métabolique per se.
Rangez vos centimètres.
La Stratégie de Knock ne passera pas par vous !

vendredi 21 mai 2010

LA PUB POUR LES LECTEURS DE GLYCEMIE


Dans ma très grande naïveté j'avais simplement dénoncé l'ouverture des vannes par l'Assurance Maladie, c'est à dire la généralisation annoncée des lecteurs de glycémie à tous les diabétiques, eh bien, cela n'a pas traîné !
La Stratégie de Knock en marche comme je vous en avais déjà parlé dans un message précédent.
Voilà qu'une campagne grand public a été déclenchée pour vanter les bienfaits des lecteurs de glycémie : ici et qu'elle est relayée par les sites sponsorisés : .

On va de nouveau passer du temps à expliquer aux patients...
Lassant....

jeudi 20 mai 2010

REPENSER LE DEPISTAGE DES CANCERS DU SEIN ET DE LA PROSTATE ?


Il peut paraître surprenant de poser une telle question tant il semble que le dépistage du cancer du sein soit recommandé et accepté comme une vérité d'évidence et que celui du cancer de la prostate paraisse généralisé bien qu'aucune recommandation officielle ne le suggère.

Je voudrais rappeler quelques faits (au delà du fait que la diminution de la mortalité globale n'a jamais été démontrée par le dépistage).
  1. Un bon scénario de dépistage signifie que l'augmentation du nombre de diagnostics de cancers localisés sera suivi par une diminution du nombre de diagnostics de cancers régionaux avec un nombre total de diagnostics constant. Ce qui n'est pas le cas pour le sein et la prostate. Depuis le début du dépistage on peut dire, pour le cancer de la prostate (pour le cancer du sein les choses sont à peu près identiques à ceci près que les cancers in situ viennent parasiter le raisonnement), que le nombre rapporté de cancers "régionaux" a diminué de façon substantielle mais qu'un tiers des patients classés comme porteurs d'un cancer local étaient en fait "régionaux" lors de l'intervention. Depuis le dépistage le nombre de cancers avancé n'a pas diminué.
  2. Le dépistage entraîne un effet limité sur la mortalité et un effet significatif sur l'incidence. Deux raisons : a) le dépistage augmente le dépistage des cancers "bénins" ; b) le dépistage manque probablement les cancers les plus agressifs. Ainsi, l'affirmation selon laquelle le dépistage permet de trouver et de traiter les stades les plus précoces, ce qui évite les stades tardifs et a fortiori métastasés n'est pas forcément correcte.
  3. Mais l'effet le plus pervers du dépistage est bien celui du sur diagnostic et du sur traitement. a) le cancer du sein : les programmes de dépistage américain montrent un sur diagnostic allant de un à trois pour les cancers dits invasifs et des essais montrent que nombre de ces tumeurs auraient régressé toutes seules ; une détection plus précoce pourrait ne pas être la solution car certains cancers très "méchants" identifiés par analyses moléculaires (NKI 70 gene test) sont classifiés bénins par les critères habituels ; les cancers de l'intervalle sont les plus "méchants" : dans l'essai I-SPY TRIAL 85 % des "méchants" étaient des cancers de l'intervalle et seuls 15 % étaient identifiés par le dépistage ; b ) le cancer de la prostate : l'abaissement du seuil de détection des cancers (PSA inférieur à 4 ng par ml) n'autorise pas la disparition des cancers quel que soit la faiblesse du taux retenu ; en deçà de ce taux il y a 30 % des cancers qui sont déjà potentiellement incurables.
  4. Nous avons déjà ici insisté sur les problèmes que pose le dépistage en termes d'effets indésirables tant pour le sein (Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire.) pour la prostate (L'étude européenne (European Randomised Study of Screening for Prostate-Cancer - ERSPC) indique clairement qu'il faut proposer le dépistage à 1410 hommes et proposer un traitement à 48 autres pour éviter UN cancer pendant une période d'observation de dix ans. Avec un surdiagnostic de 50 % !). Nous n'y reviendrons pas.
  5. Faisons un tour par les cancers in situ : inconnus avant le dépistage ils représentent 25 à 30 % de tous les cancers diagnostiqués et la majorité d'entre eux est de stade bas ou intermédiaire. Ils sont considérés, les cancers in situ, comme des lésions pré cancéreuses et le traitement proposé généralement est l'ablation et un traitement adjuvant ; or, après 20 ans de détection et de traitement, il n'y a pas de preuves évidentes d'une diminution du nombre des cancers invasifs. La réduction d'incidence constatée dès 2002 est attribuée à la suppression des traitements hormonosubstitutifs plus qu'à l'ablation des cancers in situ.
Comment repenser le dépistage ?
L'article sur lequel je me suis fondé propose des pistes classiques mais peu opérationnelles :
  1. Développer des marqueurs biologiques pour différentier les cancer bénins / malins
  2. Réduire le poids des traitements pour le cancers bénins
  3. Développer des outils pour une meilleure décision informée
  4. Centrer la prévention sur les patients à risques
Quoi qu'il en soit, les dépistages du cancer du sein et de la prostate sont entrés dans les moeurs : les patients sont demandeurs. Nous sommes obligés, dans nos cabinets, d'adopter une attitude défensive. Il nous faut "perdre du temps" avec nos patients pour leur expliquer combien cette démarche du tout préventif peut être dangereuse, pas seulement de façon individuelle mais aussi de façon collective.

Un certain nombre de médecins n'osent pas franchir le pas car ils craignent, malgré les évidences, que la justice, saisie par leurs patients ou par la famille des patients, leur reproche de ne pas avoir fait ce qu'il fallait dans l'intérêt des patients. Or ce risque existe : la justice ne fonctionne pas dans le même lieu ni dans le même temps que la médecine, et surtout quand existent des controverses. Quant aux experts, à part quelques rares, ils sont embarqués dans la démarche de la prévention tout azimut et ils seront là pour prétendre que la mammographie et le dosage du PSA sont les deux mammelles, si j'ose dire, de la prévention. D'où des difficultés.

Repenser les stratégies de dépistage est indispensable. Dans le cas du cancer du sein il est nécessaire de pouvoir disposer de mammographistes éprouvés et de chirurgiens raisonnables ou d'oncologues responsables. Dans le cas du cancer de la prostate la résistance contre le dosage du PSA alors que les médias radiophoniques et télévisuels, que la presse écrite et l'internet sont infiltrés par la propagande des urologues et des oncologues est difficile et elle se doit d'être argumentée en fonction des attentes et du niveau e compréhension des patients.

Good Luck !

(Face of Cancer. Patrick Crommet)