J'avais posté un billet en attendant de commenter le plan cancer (ICI), billet que je n'ai toujours pas écrit.
Ne croyez pas que je fasse une fixation sur les oncologues et les médecins s'occupant du cancer mais je crois quand même qu'ils méritent qu'on leur rappelle ce qu'est la vraie vie.
Cas onco 005. Histoire de consultation 168
Madame A, 94 ans, a fini par dire que son sein coulait. Elle a une tumeur du sein qui a été authentifiée par une mammographie puis par une biopsie. (En tant que médecin traitant je ne m'étais méfié de rien car il n'y avait aucun antécédent de cancer du sein dans cette famille ni chez les descendantes et, d'ailleurs, je ne palpe pas les seins des femmes âgées). Cette patiente habite à 30 kilomètres du cabinet mais j'étais resté son médecin traitant (elle est hypertendue et diabétique non insulino-dépendante plutôt bien équilibrée). Je lui ai conseillé de s'organiser sur place et lui ai donné le nom d'un chirurgien que je connaissais vaguement dans la ville où elle habite désormais. Mais la patiente avait pris sa décision : on ne me fera rien, pas de chirurgie, pas de rayons, pas de chimio. Le chirurgien s'est montré très déçu de ne pouvoir l'opérer, il proposait une mammectomie, très déçu de ne pouvoir programmer de radiothérapie, très déçu de ne pouvoir lui proposer une chimiothérapie, il ne m'a pas écrit de courrier, il a été si déçu qu'il l'a laissée repartir comme ça en lui demandant de me recontacter. Au petit hôpital de la ville où elle habite, un oncologue consulte deux fois par semaine. Sa fille a obtenu un rendez-vous rapide et, avant d'aller le voir, la patiente est venue consulter à mon cabinet. Le bilan d'extension avait déjà été programmé et semble rassurant (semble car je n'ai reçu aucune nouvelle). Elle est ferme sur ses positions : elle ne veut pas être traitée. Après examen de son sein, je lui propose ceci : une simple tumorectomie pour éviter les complications cutanées et basta. Elle est d'accord. J'écris une lettre pour l'oncologue en ce sens. La patiente de 94 ans a gardé sa vivacité d'esprit en plaisantant sur le fait qu'elle a rendez-vous avec un oncologue, pas un cancerologue, qu'elle n'avait donc pas un cancer mais un onco... Je suis préoccupé car je ne vais pas gérer la suite, l'éloignement, et aucun des médecins généralistes contactés sur son nouveau lieu de résidence ne prend de nouveaux patients. Et il est vrai qu'il n'y a rien d'excitant à avoir comme nouvelle malade une femme de cet âge présentant un cancer du sein chez qui il sera nécessaire, sans doute, de faire des visites à domicile, d'organiser des soins à domicile (elle veut mourir chez sa fille, a-t-elle exprimé clairement) et / ou de travailler en coopération avec l'hôpital.
Cas onco 006. Histoire de consultation 169
Monsieur B, 74 ans, a un cancer du poumon. Un anaplasique à petites cellules. Il arrive d'Algérie pour habiter chez sa fille le temps de quelques examens. L'hospitalisation programmée confirme le diagnostic et précise l'extension : métastases un peu partout. Le médecin traitant de la fille, soit le docteurdu16, est mis au courant de l'affaire et se rend au domicile non sans avoir été informé préalablement de ce qui a été dit au patient et à la famille (l'information vient de la fille, pas de l'hôpital, vous m'avez compris). Le malade ne sait pas que son cancer est mortel, le malade ne sait pas qu'il a des métastases et le malade ne sait pas qu'il va mourir. La femme du malade qui est restée en Algérie n'est au courant de rien. Point important : le patient ne souffre pas. Point ultime : il veut retourner chez lui. Eh bien les pneumo-oncologues de l'hôpital n'ont pas perdu de temps : ils lui ont collé la première cure de chimiothérapie. D'après la fille, ils ont dit : "Nous ne le guérirons pas mais nous allons augmenter on espérance de vie." Où est le respect du patient ? Où est l'information honnête ? Où est l'intérêt du patient ? J'ajoute que le patient a travaillé 35 ans en France, qu'il parle parfaitement le français. Elle est où cette putain de consultation d'annonce ?
Pour les étudiants en mal de thèse ces deux cas pourraient leur permettre d'écrire deux ou trois trucs qui touchent aux fondements de la médecine et du soin. Je vous laisse développer les thèmes.
Illustration : Philip Roth: Patrimony (1991).
Cas onco 005. Histoire de consultation 168
Madame A, 94 ans, a fini par dire que son sein coulait. Elle a une tumeur du sein qui a été authentifiée par une mammographie puis par une biopsie. (En tant que médecin traitant je ne m'étais méfié de rien car il n'y avait aucun antécédent de cancer du sein dans cette famille ni chez les descendantes et, d'ailleurs, je ne palpe pas les seins des femmes âgées). Cette patiente habite à 30 kilomètres du cabinet mais j'étais resté son médecin traitant (elle est hypertendue et diabétique non insulino-dépendante plutôt bien équilibrée). Je lui ai conseillé de s'organiser sur place et lui ai donné le nom d'un chirurgien que je connaissais vaguement dans la ville où elle habite désormais. Mais la patiente avait pris sa décision : on ne me fera rien, pas de chirurgie, pas de rayons, pas de chimio. Le chirurgien s'est montré très déçu de ne pouvoir l'opérer, il proposait une mammectomie, très déçu de ne pouvoir programmer de radiothérapie, très déçu de ne pouvoir lui proposer une chimiothérapie, il ne m'a pas écrit de courrier, il a été si déçu qu'il l'a laissée repartir comme ça en lui demandant de me recontacter. Au petit hôpital de la ville où elle habite, un oncologue consulte deux fois par semaine. Sa fille a obtenu un rendez-vous rapide et, avant d'aller le voir, la patiente est venue consulter à mon cabinet. Le bilan d'extension avait déjà été programmé et semble rassurant (semble car je n'ai reçu aucune nouvelle). Elle est ferme sur ses positions : elle ne veut pas être traitée. Après examen de son sein, je lui propose ceci : une simple tumorectomie pour éviter les complications cutanées et basta. Elle est d'accord. J'écris une lettre pour l'oncologue en ce sens. La patiente de 94 ans a gardé sa vivacité d'esprit en plaisantant sur le fait qu'elle a rendez-vous avec un oncologue, pas un cancerologue, qu'elle n'avait donc pas un cancer mais un onco... Je suis préoccupé car je ne vais pas gérer la suite, l'éloignement, et aucun des médecins généralistes contactés sur son nouveau lieu de résidence ne prend de nouveaux patients. Et il est vrai qu'il n'y a rien d'excitant à avoir comme nouvelle malade une femme de cet âge présentant un cancer du sein chez qui il sera nécessaire, sans doute, de faire des visites à domicile, d'organiser des soins à domicile (elle veut mourir chez sa fille, a-t-elle exprimé clairement) et / ou de travailler en coopération avec l'hôpital.
Cas onco 006. Histoire de consultation 169
Monsieur B, 74 ans, a un cancer du poumon. Un anaplasique à petites cellules. Il arrive d'Algérie pour habiter chez sa fille le temps de quelques examens. L'hospitalisation programmée confirme le diagnostic et précise l'extension : métastases un peu partout. Le médecin traitant de la fille, soit le docteurdu16, est mis au courant de l'affaire et se rend au domicile non sans avoir été informé préalablement de ce qui a été dit au patient et à la famille (l'information vient de la fille, pas de l'hôpital, vous m'avez compris). Le malade ne sait pas que son cancer est mortel, le malade ne sait pas qu'il a des métastases et le malade ne sait pas qu'il va mourir. La femme du malade qui est restée en Algérie n'est au courant de rien. Point important : le patient ne souffre pas. Point ultime : il veut retourner chez lui. Eh bien les pneumo-oncologues de l'hôpital n'ont pas perdu de temps : ils lui ont collé la première cure de chimiothérapie. D'après la fille, ils ont dit : "Nous ne le guérirons pas mais nous allons augmenter on espérance de vie." Où est le respect du patient ? Où est l'information honnête ? Où est l'intérêt du patient ? J'ajoute que le patient a travaillé 35 ans en France, qu'il parle parfaitement le français. Elle est où cette putain de consultation d'annonce ?
Pour les étudiants en mal de thèse ces deux cas pourraient leur permettre d'écrire deux ou trois trucs qui touchent aux fondements de la médecine et du soin. Je vous laisse développer les thèmes.
Illustration : Philip Roth: Patrimony (1991).