Non parce que je suis insensible à l'assassinat de 17 humains par des khons psychopathes.
Non parce que des hommes d'Etat dont je ne partage pas les idées ont manifesté.
Non parce que des citoyens dont je ne partage pas les idées ont manifesté.
Mais, comme ça, par philosophie.
Je me suis toujours méfié des mouvements de foule et de mon attitude dans les mouvements de foule (cf. infra mai 68). J'ai toujours eu peur de l'uniformité des rassemblements, des gens qui "communient". L'épisode black, blanc, beur (où je ne suis pas allé) m'a immunisé. Mais il y en eut d'autres avant. Les Comités Vietnam, Pierre Overnay, les Premier Mai de l'Ultra Gauche, Malik Oussekine, et compagnie.
Mais je n'ai rien à dire contre ceux qui ont défilé et avec lesquels, demain matin, je serai toujours aussi peu d'accord et autant d'accord. Si ça les a ressourcés, si ça les a rendus plus forts, si ça les a rendus plus solidaires, s'ils ont eu le sentiment d'avoir participé à un mouvement historique ("J'y étais")... Tant mieux.
Et je n'ai pas regardé ni ne regarderai pas les images sur BFM (on me dit dans l'oreillette que les gens qui y sont allés ont regardé les images sur BFM).
J'ai mal à mon athéisme.
Je fais partie de la génération qui avait 16 ans en mai 68.
A l'époque il y avait
L'enragé, le prédécesseur de
Hara-Kiri puis de
Charlie qui montrait De Gaulle avec des béquilles SS (le dessinateur était Willem). C'était ma période mystico-lyrique. J'ai honte encore.
Hara-Kiri a été interdit pour une "Une" bien banale.
J'avais ri à l'époque et je n'en ai toujours pas honte.
Et
Charlie a été créé.
Et je me rappelle, entre
Hara-Kiri et
Charlie, que Reiser me faisait
vraiment très rire.
Donc, j'ai été, je suis, je pourrais être parfois
Charlie.
Parce que, dans le privé, je suis capable de parler comme les dessinateurs de
Charlie dessinent. Mais cela dépend avec qui. Et pas en public.
A un moment j'ai cessé de rire avec
Charlie et j'ai cessé d'avoir envie de l'acheter. Mais j'ai des explications : j'ai vieilli, j'ai compris que cela ne servait à rien, je me suis sans doute aigri, je me suis senti visé, je ne sais quoi encore. N'oublions pas non plus que la diffusion de
Charlie était tombée à 48 000 exemplaires avant les assassinats. il n'y avait pas que moi qui avais cessé de rire ou du moins d'avoir envie de rire.
Je suis quand même
Charlie car il m'arrive encore (cf. twitter @docdu16) de faire des vannes de potache mais aussi entre amis, entre copains, entre connaissances, entre collègues, et ces vannes de potache sont en général condamnées vigoureusement par les gens qui ont défilé cet après-midi, parce qu'elles sont légèrement sexistes, légèrement homophobes, légèrement racistes (je raconte des histoires juives aux juifs, des histoires blacks aux blacks, des histoires rebeu aux rebeu mais raconter des histoires juives à des rebeu, est-ce bien raisonnable ?) et que ce n'est pas sociétalement correct. Ainsi ne peut-on pas se moquer d'une blonde sans se faire traiter de sexiste et / ou d'anti genriste et peut-on dire que Mahomet c'est de la merdre au nom de la liberté d'expression... Comprenne qui pourra.
Mais Je ne suis pas toujours Charlie.
D'abord, et sans faire de démagogie, les morts de
Charlie sont une partie du massacre. Il n'y avait pas que des dessinateurs, il y avait d'autres victimes. Détail sans doute mais les flics, ils n'avaient rien dessiné, ni les consommateurs casher, ni l'employé de maintenance de Charlie... Mais n'allons pas faire de la concurrence victimaire.
Et je ne dis pas non plus, comme certains, qu'ils l'ont bien mérité (mais ne croyez pas qu'il n'y ait que des anencéphales qui le disent, il y a aussi des cortiqués, mais ils se planquent, ils se cachent). Enfin, ils ne se cachent pas tant que cela. Vous pouvez voir ici de quel bois ils se chauffent (
LA), ces khonnards finis.
Et les trois assassins ne sont pas des crétins, des abrutis, des khons, ce sont simplement des assassins, car j'en connais des crétins, des abrutis, des khons qui ne feront jamais cela. Ce sont des psychopathes et ils ont un cerveau, ce sont des êtres humains, et ce n'est pas seulement une affaire de
bonne éducation car il y a des assassins qui sont allés à Harvard, à Cambridge ou à la Sorbonne et qui trouvent que tuer des gens c'est très bien. Mais c'est aussi affaire d'éducation. Cela va sans dire. Mais ce n'est pas suffisant.
Non, Je ne suis pas toujours
Charlie car, bien qu'athée, libre-penseur, peut-être agnostique à la fin de ma vie, on ne sait jamais (le fameux pari), tout ce que vous voulez, et bien que je pense que les Vedas, les sutra Mâhâyâna, la Torah, la Bible, le Coran (pardon pour les oublis) sont à la fois de magnifiques objets d'études et des contes de fées merveilleux (imagine-t-on la Une de
Charlie avec comme accroche "
Les contes d'Andersen, c'est de la merdre." ?) et rien de plus, je ne me sens pas supérieur en étant athée, et les expériences d'athéisme militant d'Etat ont été des catastrophes meurtrières absolues (sans parler de leurs textes sacrés qui ont fait l'objet de commentaires innombrables, ce qui, donc, ne veut rien dire sur le plan culturel). J'ajoute que si je me marre en privé des dessins anti cléricaux et autres, je pense que dans la sphère publique il n'est pas besoin de choquer pour choquer, d'agresser pour agresser, de déconstruire pour déconstruire. Ce qui ne veut pas dire interdire.
Je ne suis pas toujours
Charlie bien que je sois contre les religions par principe (et ce qu'elles représentent) mais, en bon lecteur de l'anthropologie, je ne peux nier
le fait religieux qui a existé et existe (et existera ?) dans toutes les parties du monde. La croyance touche toutes les cultures, tous les pays et le mysticisme ne se résume pas au fait religieux. Et la culture liée à la religion est un pan majeur et incontournable de l'histoire de l'humanité. Malraux disait : "Que serait l'histoire de la peinture sans la Nativité ?". Eh bien, on peut être athée et contempler et apprécier des
Vierges à l'Enfant ou être un amateur de la peinture primitive.
Non. Je ne suis pas toujours
Charlie car dire à un catholique que le pape est un enculé ou à un musulman que le prophète est un pédophile, qu'est-ce que cela m'apporte et qu'est-ce que cela nous apporte ? Vous le dites en privé à vos amis et / ou relations musulmans ou catholiques ? Vous pourriez certes leur dire car ils savent, cela va sans dire, que vous n'êtes ni raciste ni religionophobe, mais les autres, ceux qui ne comprennent pas le second ou le troisième degré, ceux qui ne vous connaissent pas, vous allez leur délivrer des vannes racistes et blasphématoires et vous pensez qu'ils vont vous sourire et vous dire "Je suis Charlie." ?
"T'es khon" me disent les grands esprits,
tu confonds blasphème et racisme. Je ne confonds pas mais dans le cas de Mahomet, il est clair que les deux sont mélangés pour certains. Non ?
N'oublions pas non plus que
la France est une terre anti cléricale. Que l'on a depuis l'époque des
Lumières (je pourrais développer le rejet des
Lumières encore maintenant par des catholiques ou d'ores et déjà par des musulmans ou des juifs mais surtout par des intellectuels de "gauche" qui pensent en toute sincérité sans doute que la philosophie des
Lumières est une idéologie coloniale et occidentale qui ne serait pas universelle... je pourrais également parler de ceux qui se revendiquent des
Lumières comme d'un ostensoir sans en tirer les conséquences sur
Notre société)
bouffé du curé. Après la loi de 1905, on expulse les religieuses et les religieux et on fait l'inventaire (des tabernacles notamment) dans les églises et ce n'est pas doux, on voit des religieuses dans la rue sorties de leurs couvents....
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Expulsion du Grand séminaire de Quimper en 1906 |
Apprenons l'histoire à nos concitoyens, racontons leur la vie d'Emile Combes (dont je ne suis pas un thuriféraire) et disons leur que les religionophobes se moquent de savoir qui est qui et quoi est quoi. Relisons à haute voix les textes anti cléricaux, ils tomberont de leurs chaises, les ignorants, et les moines soldats (je n'ai pas le temps ici de vous parler du mysticisme politique chez les militants d'extrême-gauche) vous traîneront devant les tribunaux de la bonne conscience. La violence physique qui a été exercée à l'époque à l'égard des catholiques était sans commune mesure avec celle, plus symbolique, exercée aujourd'hui en France à l'égard de certains musulmans. Mais nous ne nions pas non plus l'impact sérieux de la violence symbolique, surtout quand elle est ignorée de part et d'autre, de droite, du centre comme de gauche.
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Semaine sainte à Madrid |
Dirions-nous aujourd'hui,
pour lutter contre une hypothétique christianophobie, que l'on ne peut rattacher les croisades au christianisme, pas plus que les guerres de religion, pas plus que l'Inquisition au catholicisme au nom d'une idée que nous nous ferions, tels des Saint Jean Bouche d'Or, de ce qu'est
vraiment le christianisme ? Eût-il fallu interdire la série
Borgia parce qu'elle montre un pape licencieux, voire plus ? Sommes-nous donc obligés de dire que la charia ce n'est pas l'islam, que Boko Haram ce n'est pas l'islam ? C'est aussi l'islam.
Ne rien dire permet à certains, je ne parle pas des faurissonniens, des nazillons et des détailleux de l'histoire, je parle des stalinillons qui, négationnistes des crimes du communisme en Europe et ailleurs, ne veulent pas parler, sinon en l'exusant, du passé meurtrier de leurs "coreligionnaires".
Nous sommes à la croisée des chemins.
La société française s'est sécularisée à toute vitesse comme en atteste la diminution continue de la fréquentation des églises et autres lieux de culte par rapport aux Français qui se revendiquent catholiques, protestants, juifs ou je ne sais quoi, et, par un mouvement inverse, elle est traversée par un renouveau du sentiment religieux issu d'une autre religion plus ... exotique et, qui plus est, pratiquée par des immigrés ou Français issus de. Rappelons que le taux des Français qui se revendiquent catholiques est passé de 81 à 64 % entre 1952 et 2010 et que la fréquentation de la messe chez les catholiques est passée dans le même temps de 27 % à 4,5 %.
Et les anciens laïcards, ceux dont les ancêtres idéologiques bouffaient du curé, agitaient des drapeaux rouges devant les églises, crachaient sur les processions, certains d'entre eux, deviennent islamophiles pour des raisons sociales (les travailleurs exploités musulmans et / ou issus de musulmans), des raisons politiques (le conflit israélo-palestinien) et des raisons anticoloniales (les indigènes de la république) oubliant le "vieux" principe marxien de la religion opium du peuple venant en sus des exploitations précitées. Et surtout, en oubliant
cet aspect majeur, souligné
ICI par Ahmed Benchensi (
Le 'musulman modéré', une version actualisée du 'bon nègre'), que les Je suis
Charlie et les Je ne suis pas
Charlie assignent aux musulmans de France un choix entre islamisme et islam modéré et ne leur accordent ni le droit à l'indifférence à la religion, ni le droit à l'athéisme.
Je ne suis pas toujours
Charlie pour les mêmes raisons que je suis parfois
Charlie.
Donc, malgré le nombre imposant des citoyens républicains qui ont défilé, et, on l'a remarqué, en majorité des blancs, des "vieux" et des non issus des "quartiers", je ne me sens ni attardé, ni réactionnaire, ni extrémiste, et il me semble que je peux comprendre le sens de l'histoire, Je ne suis ni
Charlie ni pas
Charlie, je suis aussi un citoyen engagé.
A ceux qui penseraient que ce billet n'est pas de la médecine générale, il est nécessaire que je dévoile un lien d'intérêt qui pourrait être un conflit d'intérêt, il est nécessaire que je dise qu'une large majorité de ma patientèle (je n'ai pas fait de comptes détaillés et c'est d'ailleurs interdit par la loi), est musulmane ou se revendique comme telle. Je ne parle pas hors sol, je ne parle pas depuis ma tour d'ivoire, je parle comme je parle avec des patients musulmans qui ne me parlent pas seulement pour certains de
Charlie qui est allé trop loin, qui me parlent aussi pour certains du
Mariage pour tous qui leur a paru aller trop loin, qui me parlent aussi des Juifs, qui leur paraissent être, malgré Merah et Coulibaly, des chouchous supposés de la République, mais surtout pour certains qui me parlent comme des partisans avérés de la théorie du complot (les services secrets français, le mossad, et cetera) et du fait, pour d'autres, que le numéro d'après de
Charlie était une insulte. Mais c'est une autre affaire.
Nous reviendrons à la médecine générale pure et dure dans de prochains billets.