dimanche 16 avril 2017

Est-ce au médecin (généraliste) de choisir ce que doit lui dire le consultant ?


J'ai lu l'autre jour le tweet d'un médecin généraliste qui trépignait d'acquiescement en vantant une affichette telle que celle que je vous montre ci-dessus et qui était apposée sur la porte d'une salle d'attente à destination de patients (anglais) consultant en médecine générale : "Un problème par consultation. S'il vous plaît."


Cette affiche est, selon moi, la négation de la médecine générale. 
Mais, et certains s'en souviendront peut-être, je n'ai pas toujours pensé comme cela : je me laissais sans doute emporter par la colère, par le mainstream des idées faciles, par mon paternalisme et... par l'encombrement des consultations...

Examinons l'affaire.

La médecine générale est une médecine de premier recours. Mais pas que.
Ce n'est pas au médecin de choisir le ou les motifs de consultation des patients (ou des non patients).
Il est possible (et souhaitable) que ce soit le médecin qui détermine la hiérarchie des priorités : un infarctus versus un rhume.

Tout le monde connaît cette histoire de consultation : Un.e dame.monsieur vient pour a) le renouvellement de ses médicaments, b) un (petit) rhume, c) une verrue et, en fin de consultation, la main sur la poignée de la porte : "Jai mal au mollet". Et c'est finalement une phlébite...

Chaque consultation de médecine générale est unique (même ceux qui parlent de bobologie le comprendront) et dans les réunions de groupes de pairs, les cas les plus banals sont souvent ceux qui entraînent le plus loin dans le coeur du métier.

Quand un patient consulte pour un "renouvellement", ce renouvellement comporte plusieurs sous motifs : faudrait-il les scinder ?

Dans le cadre d'un suivi longitudinal (diachronique selon la vulgate universitaire un peu péteuse) le praticien, en accord avec son consultant, peut décider d'aborder lors de consultations successives des problèmes qui peuvent être considérés comme distincts : prévention du cancer du col et/ou régime hypocalorique et/ou autokinésithérapie pour lombalgies.

Lors d'une consultation unique il est aussi possible de faire le point sur les différentes pathologies suivies afin de fournir au consultant une vision cohérente de son état de santé : plusieurs motifs, plusieurs problèmes (et vision synchronique pour les péteux).

Je m'arrête là. La médecine générale peut et doit avoir une vision holistique (terme très péteux également) des patients mais il faut se méfier de cette vision globalisante qui a tendance à faire du tout médical et à médicaliser la santé.

Cette affiche issue du NHS dont tout le monde dit du mal en dehors du Royaume-Uni mais que  Margareth McCartney défend bec et ongles (en voulant le transformer) dans son dernier livre "The state of Medicine" et où elle écrit que tout le monde envie le NHS -!-) est une affiche économique.



C'est une vision économique de la médecine comme j'ai une vision économique dans mon propre cabinet avec des rendez-vous tous les quart d'heure qui sont un compromis entre les attentes des consultants, les représentations collectives de la santé (péteux), le prix de la consultation, mes charges et mes besoins...

Donc, pour des raisons fonctionnelles (et économiques), le système choisit ce que le consultant doit et a le droit de raconter pendant la consultation.

Oups.

On pourrait dire également : le médecin, sous couvert des contraintes du système, choisit ce que le consultant doit et a le droit de raconter en consultation. On est loin de la décision partagée. Les associations de patients pourraient parler, à juste titre, d'abus de pouvoir.

Nous sommes en plein paradoxe : les médecins veulent tout médicaliser, s'étonnent que les consultants les prennent au pied de la lettre, s'arqueboutent sur le pouvoir médical mais voudraient que les consultants hiérarchisent eux-mêmes leurs plaintes dans une démarche économique et consumériste (le principe des marketeurs influençant les industriels est : à un besoin ou à une indication correspond un produit ; l'exception étant Minimir, les vendeurs ont des ruses infinies, qui est multi usages et pas cher : une métaphore du médecin généraliste ?).




Le consultant consulte pour des raisons qui lui échappent parfois et qui échappent parfois aussi au consulté.

Il semblerait donc que le rapport temps/bénéfices soit au centre de notre sujet.

Je rappelle qu'en moyenne une consultation de médecine générale dans le NHS anglais dure 7 minutes et que le temps réel en France est de moins de 15 minutes.

Commentaire des gens qui critiquent le système anglais parce qu'il n'est pas assez libéral mais qui en retiennent des aspects positifs (la rémunération)  : "Oh là là, le nul, il ne sait pas que dans le système du NHS, il y a une nurse qui  note des éléments administratifs, prend la tension, et cetera, avant que le docteur n'examine le patient. Ce qui explique le faible temps de consultation." Je rappelle aussi que les médecins généralistes anglo-gallois voient en moyenne 50 à 60 patients par jour !

Une patiente me disait par ailleurs l'autre jour que chez son pédiaaaaaaatre, une assistante (secrétaire ? infirmière ? puericultrice ? jeune fille au pair ?) déshabillait l'enfant, le pesait et le mesurait avant que le docteur n'intervienne. Elle trouvait ça bien, elle m'a même dit "c'est classe".

Mouais.

Je vais caricaturer : 

La médecine générale est la médecine de l'individu malade (ou non) et non une médecine de motifs séparés (j'ajouterai : de pathologies déjà constituées). Je pourrais développer mais j'aurais peur de me répéter sur l'originalité de la médecine générale et sur ses manques (cela fait environ 800 billets de blog).

Bel articulet de Margareth McCartney sur le sujet initial (un problème, une consultation) que j'ai trouvé en picorant sur le web : ICI.

((je lisais l'autre jour un compte rendu d'hospitalisation d'une de mes patientes -- d'origine africaine-- suivie depuis trois ans dans un service parisien huppé de rhumatologie, et je ne comprenais strictement rien. J'ai seulement compris que le diagnostic de Polyarthrite Rhumatoïde avait été fait depuis belle lurette mais qu'on cherchait pourquoi la patiente ne répondait pas aux traitements proposés (tout en, la méchante, faire plein d'effets indésirables gênants). Le jargon était diafoiresque mais la patiente n'allait pas mieux. J'avais souligné dans le premier courrier d'adressage que j'avais remarqué l'incidence curieuse de pathologies rhumatologiques complexes chez mes patientes d'origine africaine et le chef de service m'avait gentiment répondu sur le sujet sans me donner d'explications -- que vous imaginez : la polyartrite rhumatoïde était un diagnostic négligé en Afrique, la dépaysement qui fait que les gens nés en France finissent par "attraper" des maladies françaises,  et, bien entendu les réactions immunitaires...))


Prendre la pression artérielle est un geste médical (que l'on peut déléguer, que l'on doit parfois déléguer à des non médecins, mais surtout aux patients eux-mêmes) dont les conséquences sont majeures. Une étude a montré que plus on répétait la prise de la pression artérielle en cabinet de consultation et plus les patients, au fil des ans, était traité par un nombre toujours plus important de médicaments anti hypertenseurs.

Déhabiller un enfant ou le faire déshabiller par la maman ou le papa ou les deux est un moment très important de la consultation et ce d'autant que les enfants sont petits. Quand je touche et parle à l'enfant que je mets à nu, j'ai une relation particulière avec lui et les questions que je lui pose, les propos que je lui tiens, fût-il un nourrisson, sont toujours fructueuses. Mon examen clinique, j'exagère, et mon examen social, et sociétal est pratiquement terminé (quand il n'y a pas de problèmes) après ce déshabillage. J'exagère bien entendu. Ah, au fait, l'enfant, combien de motifs de consultations ?

C'est tout pour aujourd'hui.


vendredi 31 mars 2017

Un enfant médicalisé. Histoire de consultation 197.

Distribution des cigarettes à l'hôpital

Madame A, 32 ans, accompagne son petit B, trois ans et trois mois qui fréquente la classe des petits en maternelle.

La maman : "J'ai plusieurs choses à vous demander."
Je connais le petit B pour deux choses : trois otites moyennes aiguës pour lesquelles j'ai dû me battre pour ne pas prescrire d'antibiotiques ; deux épisodes de bronchite sifflante, i.e. bronchiolite, dont la deuxième a conduit l'enfant aux urgences où le diagnostic d'asthme a été porté, où une consultation chez un pédiatre (le genre qui consulte en ville et à l'hôpital) a conduit à la prescription de flixotide (1) et de ventoline au masque (sans compter les séances de kinésithérapie dont on connaît l'inutilité, voir LA).
Les parents de B sont des gens charmants, ouverts, attentifs, et c'est leur premier enfant. Le papa est agent de sécurité et la maman est vendeuse de prêt à porter dans une enseigne bon marché.

Les plusieurs choses de la maman : 
Premièrement (elle a un petit papier) : " La maîtresse voudrait qu'il voie une orthophoniste et j'ai réussi à en trouver une qui peut recevoir B. Il me faut donc une prescription (elle lit son papier : ) 'Demande de bilan orthophonique avec séances si nécessaire'."
Deuxièmement : " La maîtresse trouve qu'il devrait consulter un neurologue et un psychologue car il est agité et qu'il ne peut se concentrer en classe. Y a pas des médicaments pour ça ?"
Troisièmement : vérifier son oreille droite.
Quatrièmement : la maman veut que je prescrive des semelles orthopédiques (elle est déjà allée voir le podologue).

Je commence par le point 3 pour me calmer : les tympans paraissent parfaits, la voix chuchotée est comprise mais surtout il a eu un audiogramme il y a 2 mois après passage chez un ORL de ville.
L'enfant se laisse faire sans crainte et sans appréhension. Sa participation est parfaite.

Le point quatre est plus complexe car il faut que je rappelle, non sans avoir examiné l'enfant dans les normes, cent et cent fois, combien les semelles orthopédiques ne servent à rien pour ce pied valgus d'une extrême banalité. La maman est surprise et furieuse quand elle réalise que je ne prescrirai pas de semelles orthopédiques (2).

L'interrogatoire de la maman renseigne que B n'a pas fait de crise d'"asthme" depuis trois mois, c'est à dire depuis la dernière fois où il a vu le pédiatre... "Mais il prend le flixotide" ajoute la maman. Effectivement. C'est toujours le même problème : est-ce le flixotide qui a arrêté les crises ou sont-ce des crises qui ne se seraient jamais reproduites ? Personne n'en sait rien. Mais le flixotide n'est pas anodin.

Il existe effectivement des difficultés de prononciation chez cet enfant.

Je pose des questions à B pour connaître son niveau de développement (chose que je n'avais pas faite auparavant, me fiant à mon sens clinique). Je m'inspire discrètement de ce document : ICI. Tout est OK. Je l'interroge sur les couleurs primaires (c'est un de mes dadas) : aucune hésitation.

Bon.

Nous parlons orthophonie : je lui explique ce que j'en sais (j'en ai déjà parlé LA) et je pense à ce que racontent les orthophonistes sur ce qui se passe à l'école (j'ajoute que les orthophonistes parlent surtout de la méthode d'apprentissage de la lecture qui a) leur font sortir les yeux de la tête et b) leur font douter du QI des inspecteurs de l'Education nationale mais c) ils ferment leur gueule car ils n'ont rien à gagner dans cette polémique sinon que leurs syndicats ont passé un pacte avec ceux de l'Education nationale pour ne rien dire ; j'en ai aussi parlé ICI à propos d'une si charmante patiente... une de mes patientes "favorites" que je ne vois plus car elle était de passage à Mantes, la vie est si mal faite...). Le sites spécialisés conseillent le bilan orthophonique dès le plus jeune âge, je n'en ai encore trouvé aucun qui parle d'orthophonie in utero mais nul doute qu'à l'impossible nul n'étant tenu le progrès de l'accès à la santé étant infini, il arrivera que des foetophoniatres se promèneront dans les couloirs des maternités au même titre que des ostéopathes ou des fabriquants de casques pour plagiocéphalie, et donc, va pour l'orthophonie (ICI).

La maman : "Pourquoi avez-vous levé les yeux au ciel quand j'ai parlé de l'orthophoniste et du neurologue ?"
Elle a raison : mon non verbal est dramatique.
Moi : "Parce que je trouve qu'il est petit et qu'il faut prendre son temps."
La maman : " Il est intenable en classe. - Que fait-il ? - La maîtresse dit qu'il ne participe pas. Je vais vous donner un exemple, quand elle lit une histoire devant la classe il se lève, se promène et cela dérange tout le monde."
Hum. 
Moi : " Et à la maison ? Il écoute quand vous lui lisez une histoire ? - Oui. Le soir, et il s'endort après. Mais il est dur. Il nous épuise. - Est-ce qu'il était comme cela à la crèche ? - Non, il était sage, il ne bougeait pas (3). - Vous expliquez cela comment ?"
La maman me regarde comme si j'étais un idiot absolu. Elle continue : "A la crèche les enfants jouent alors qu'à l'école on leur fait faire des exercices... Eh bien, B perturbe les exercices et surtout il ne les fait pas..."
Je pense en moi-même : faire des exercices en petite section de maternelle n'est pas choquant mais cette formulation me choque quand même.
Je pose une question sotte : "Il y a combien d'élèves dans la classe ? - Ils sont 32." Cette fois je lève les yeux au ciel. 
(Je rappelle que cet enfant est scolarisé au Val Fourré, l'ex plus grande ZUP d'Europe (je ne sais qui l'a détrônée), en ZEP, et que 32 élèves de trois ans dans une petite section, c'est intenable. Ici, environ un tiers des enfants proviennent de familles où le français n'est pas la langue maternelle des parents et où le français ne leur a même pas été appris à la maison !). (4)
La maman : "Je comprends que la maîtresse soit débordée et B la gêne vraiment. Pour les exercices. C'est tellement important."

La maman commence sérieusement à m'énerver avec les exercices.
Mais je comprends que la maîtresse soit à bout.

D'ailleurs, la maman ajoute : "La directrice est d'accord." Tu parles...

Voulez-vous (que ceux dont la femme, le fils ou la grand-mère sont, ont été ou seront instituteur.e.s (5), ce qui est mon cas entre parenthèses, s'arrêtent là : ils vont lire des horreurs) que nous parlions du  massacre pédagogique à l'usage des classes populaires ? Je rappelle ce que j'ai écrit : Les intégristes meirieuistes (cela rime avec les bourdieuistes mais pas avec les redoutables foucaldiens) considèrent que la méthode syllabique est une "violence symbolique" exercée à l'égard de l'enfant et "une négation de son droit fondamental à être le sujet de son propre apprentissage" (JC Michéa citant Philippe Meirieu et Charlotte Nordmann, une tenante du pédagogisme et, par assimilation rapide, du néo libéralisme capitaliste qui veut de la flexibilité à tout prix et qui approuve que les enfants, on ne dit plus élèves, n'apprennent plus mais "apprennent à apprendre"...).

Je me calme.

Mais il est normal que la directrice défende l'institution où il y a 32 élèves par classe...

Toutes les interprétations sont possibles.
Cet enfant n'est pas "en avance" mais il ne me paraît pas être en danger.
Je rédige une ordonnance de "Bilan orthophonique avec séances si nécessaire".
Je ne prescris pas de semelles orthopédiques
Je ne represcris pas de flixotide.
Je raconte une histoire d'Allan sur les enfants turbulents. Pour rassurer.

J'ai droit à un grand sourire de l'enfant et de la maman (qui n'en pense pas moins).

Commentaire :
Les consultations de médecine générale sont une merveille.
J'en profite pour faire un clin d'oeil à Michel Arnould qui est un amoureux de cette complexité indescriptible de la médecine générale (et je m'étonne qu'il n'y ait pas plus de philosophes, de sociologues, d'anthropologues, d'analystes qui s'intéressent à cette matière exceptionnelle).
Mais, et il y a un mais, comment ne pas comprendre pourquoi de jeunes médecins généralistes, fussent-ils formés par mes correspondants estimables enseignants de médecine générale que je rencontre ici ou là, ne soient pas terrorisés à l'idée de devoir aborder autant de sujets dans une seule consultation d'un gros quart d'heure ?

Sur médicalisation.
Ce terme est sans doute impropre car il pourrait avaliser l'idée que la médicalisation pourrait être acceptable. Il vaut mieux parler de médicalisation de la vie ou de la société mais j'aime plus la formulation d'Illich : la médicalisation de la santé. Il faut dire que ce gamin a droit à (par ordre alphabétique) : asthme, flixotide, kinésithérapeute, médecin généraliste, neurologue, ORL, orthophoniste, pédiatre, podologue, psychologue, ... Nul doute qu'il aura droit à de l'orthodontie, et cetera...


Notes.

(1) Le flixotide, alias fluticasone des Laboratoires GlaxoSmithKline, est devenu le pain et le beurre des pédiatres et autres pneumopédiatres (et donc des médecins généralistes "suiveurs" des prescriptions des maîtres) et il est étonnant que les marketeurs n'aient pas pensé à faire un combo en pharmacie lait de croissance/flixotide (oxymoron)... C'est peut-être déjà le cas. Toujours est-il que le disease mongering sur l'asthme des petits est assez gratiné : toujours la même façon de procéder : les MG passent à côté du diagnostic, ces crétins finis, et les pédiatres remettent l'enfant dans le droit chemin. Comme toujours en médecine, et il suffit de regarder les ordonnances et le suivi annexe de ces enfants (soumis le plus souvent à la terreur kinésithérapeutique) sans compter le peu d'attention porté aux conditions environnementales, les patients les plus graves sont mal traités et les patients "légers" sont trop traités (mais c'est là qu'est le chiffre d'affaires, coco).
(2) Un de mes amis médecin m'a dit ceci : "Mon fils est podologue. Il y a plusieurs écoles qui racontent des trucs différents. C'est le bordel. Grosso modo, chez l'enfant, et en de rares cas, cela n'est pas à prescrire" (voir ICI par exemple). La podologie n'est pas l'égale de l'ostéopathie mais...
(3) Il y a, grosso modo, deux types d'enfants en classe : les sages qui ne bougent pas et les speeds que l'on n'arrête pas. Les sages qui ne bougent pas sont les bons élèves et les autres sont à la fois casse-pieds et l'honneur de la famille (quand ce sont des garçons). Un enfant speed, un enfant qui touche à tout, qui renverse tout, qui casse tout, n'est pas un épouvantable sale gosse mais un enfant qui montre sa personnalité et tout le monde sait que pour réussir il faut être motivé, compétitif, marcher sur les autres, les empêcher de s'exprimer, les écraser... Il n'y a qu'à regarder les émissions de télé réalité pour constater que les héros sont ceux qui ont une grande gueule, qui poussent des cris, qui hystérisent leur moi, qui narcissisent leur ego, qui s'imposent. On n'aime pas les timides, les introvertis, les polis, les qui font des bonnes manières.
(4) On comprend aisément qu'une institutrice de maternelle, jeune, je me suis renseigné, ne veuille voir qu'une tête... et ait besoin de calme dans sa classe. On est donc dans cette aporie idéologique des pédagogistes de l'Education nationale, vouloir que les enfants s'expriment et qu'ils ne s'expriment pas.
(5) La novlang ne "marche pas" pour instituteur.e.s, cela marcherait-il pour institutrices ? Pas mieux. Mais la novlang épicène est savoureuse : instituteurE existe peut-être. Il faut dire professeurE des écoles en maternelle.

jeudi 23 mars 2017

Dépistage du cancer du colon : c'est au citoyen de décider.


Le dernier billet de Dominique Dupagne, le champion de la médecine participative (i.e. collaborative, i.e. de l'intelligence collective), dit, me semble-t-il, la médecine ICI d'une façon mandarinale ou plutôt dit le dépistage organisé du cancer colorectal par la pratique de la détection de sang fécal d'une façon curieuse (Je suis convaincu que les inconvénients de ce test pèsent peu face au bénéfice apporté aux patients.) alors qu'à mon sens il eût été beaucoup plus profitable pour tous qu'il prît l'exemple de CE dépistage pour donner la parole au citoyen (n'oublions pas le point fondamental : le dépistage concerne des gens non malades).


Alors que le narratif tient essentiellement à ceci : 
  1. J'ai été le grand gourou de la démolition du dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA, on ne peut donc pas m'accuser d'être partial et d'être un célébrant de l'Eglise de Dépistologie.
  2. La diminution de la mortalité globale n'est pas un critère intangible, il faut savoir déconstruire les vaches sacrées.
  3. A partir du moment où les effets indésirables du dépistage sont minimes ou quasiment nuls, tout est permis.
  4. Dépistons donc allègrement.
Comme il s'agissait d'un article "participatif" certains ont participé. D'autres, voyant que la participation n'entraînait aucun changement dans le texte, n'ont pas participé.

Voyons un peu ce qui aurait pu être précisé.
  1. Le problème du sur diagnostic n'est pas abordé mais il est rarement mentionné dans les essais cliniques, fussent-ils menés en théorie selon des protocoles validés : une des difficultés tient aussi au diagnostic d'adénome à haut risque pour lesquels l'histoire naturelle est incertaine. Peut-on parler de sur diagnostic pour un adénome dit à haut risque alors que l'on ne sait pas le nombre de ceux qui sont bénins (voir la note 9) ? Mais on peut lire ceci : "According to The Medical Letter, the new DNA stool test “detected 92% of cases of colorectal cancer in asymptomatic average-risk persons, but it detected less than half of advanced precancerous lesions and produced a substantial number of false-positive results.”"
  2. La notion d'échec du test n'est pas mentionnée, ce qui est une donnée forte pour l'information des citoyens : "High-sensitivity gFOBT (Hemoccult SENSA; Beckman Coulter) has a sensitivity of 62% to 79% and a specificity of 87% to 96% for detecting colorectal cancer". Mais les schémas de JB Blanc (cf. infra et son blog : ICI) pourront nous éclairer et les informations fournies par Jaddo et Hipparkhos également (LA).
  3. La notion de dépistage organisé et d'objectifs populationnels est absente, ce qui renvoit au dépistage individuel (les recommandations européennes indiquent qu'il faut obtenir 45 % de participation et les recommandations états-uniennes indiquent 60 %). Ainsi pourrait-on faire un parallèle avec ce que disent les urologues à propos du PSA : le dépistage organisé n'est pas à faire mais le dépistage individuel est indispensable.
  4. Les résultats sont présentés en chiffres relatifs (mortalité liée à la maladie) et non en chiffres absolus (mortalité globale), ce qui nous rappelle les grandes heures de la désinformation sur l'"efficacité" de la mammographie dans le dépistage du cancer du sein, par exemple. Rappelons que dans les grands essais de dépistage en cancérologie quand il existe une diminution concomitante de la mortalité globale et spécifique, c'est la mortalité globale qui diminue le plus, ce qui pose de sérieuses questions (LA) !
  5. La notion de groupes d'âge est absente alors qu'elle est fondamentale dans l'appréciation des résultats. Les chiffres (français) indiquent que la moyenne d'âge de survenue du CCR est de 72 ans chez l'homme et de 75 ans chez la femme et l'USPSTF américain précise : "Empirical data from randomized trials on outcomes of screening after age 74 years are scarce."Il est évident que c'est un point capital dans le sens du dépistage puisque les cancers du colon sont "lents". L'infographie de JB Blanc est éclairante.
  6. Le chapitre complication de la coloscopie est minimisé : "perforation (1/1 000 environ), hémorragie (1/1 000 environ), mortalité (1/10 000)" ce qui, pour une prévision optimale de 1 M de coloscopies par an représente donc respectivement 1000 perforations, 1000 hémorragies et 100 décès pour la France entière en un an (voir LA). Et nous ne parlons pas des effets cumulés sur le temps. Je rajoute cet article plus conforme à la réalité (merci à CMT) : LA.
  7. La mortalité globale n'est pas réduite, voire augmentée : contrairement à ce qui est affirmé, ce n'est pas un essai qui l'affirme mais une revue de trois essais (ICI)
  8. Le chapitre prévention est absent or il appert que la prévention aurait plus d'efficacité que le dépistage. Mais cette notion d'efficacité est niée par l'auteur qui écrit "je considère que l’efficacité d’un dépistage est un élément peu important pour son évaluation ! " Quelques facteurs de risque : " sédentarité, obésité, alcool, viande rouge, faible consommationde fibres alimentaires, tabac, et" Voir LA et ICI.
  9. Jaddo et Hipparkhos ont écrit un texte éclairant à propos surtout de l'ancien hemoccult qui répond en partie au point 2 : "Et effectivement, le test de recherche de sang est caractérisé par une faible sensibilité (inférieure à 50%) et une très faible valeur prédictive (inférieure à 10%), voir par exemple Bleiberg 2002 qui dénonçait à l’époque pour ces raisons l’usage de ce test. Cela signifie que seule une coloscopie de vérification sur dix confirme la présence d’un cancer, et la moitié des cancers ne sont pas détectés au dépistage."La moitié des cancers ne sont pas diagnostiqués au dépistage. Comme le rappelait Siary dans les commentaires du billet de Dominique Dupagne le nouveau test (qui a été étalonné ad hoc) et ce que disent J et H : "et il est de manière standard pratiqué de façon à avoir deux fois plus de positifs que l’hemoccult, donc environ 5% de tests positifs au lieu de 2,5 % (ce taux est donc un choix de la part des promoteurs du test). Cela présente l’inconvénient de faire pratiquer deux fois plus de coloscopies, et donc d’engorger un peu les services concernés, et d’augmenter en proportion les effets indésirables. In fine, on a un peu moins de deux fois plus de diagnostics confirmés de cancer, avec des stades similaires : le test est donc plus sensible (par choix) mais moins spécifique (du fait ce choix de sensibilité). Un petit calcul montre qu’on peut s’attendre à un effet sur la mortalité globale sans doute moins bon qu’avec l’hemoccult, puisqu’on a plus augmenté les effets indésirables (y compris la mortalité pour autres causes) qu’on a diminué la mortalité spécifique…"
  10. On peut désormais aborder le problème central : la décision partagée. L'accumulation de ces informations ne peut être expliquée de façon simple et courte lors d'une consultation (et ce d'autant plus que le patient nous tend souvent sa convocation au dépistage en fin de consultation et qu'il faut non seulement informer mais aussi expliquer comment ça fonctionne). Personnellement je fais revenir les gens.
  11. Petit point mais oh combien déterminant : dans le cancer du colon, et comme toujours en cancérologie, mais pas que, le résultat des courses est éminemmen opérateur dépendant (i.e. le chirurgien et, dans une moindre mesure le gastro-entérologue).
  12. Si vous relisez le texte de Dominique Dupagne vous remarquerez en outre que tous les éléments que je commente "y sont" mais qu'ils ne sont pas tous mis en valeur.







Pour finir, mais il faudrait un billet entier, la comparaison avec l'efficacité du frottis du col utérin comme geste de dépistage du cancer du col est assez peu crédible. Ce sujet est sensible. Je rapporte seulement cette phrase de Margaret McCartney : "Les femmes ont plus de chance d'avoir un test faux positif que d'avoir une espérance de vie prolongée." dans "The patient paradox" (voir LA). N'oublions pas non plus deux choses à ce propos : le sur diagnostic et le sur traitement sont impressionnants (avec des conséquences majeures pour la femme : jadis l'hystérectomie était aussi banale que l'amydalegtomie, désormais le col est menacé).


CONCLUSION : 

Le billet de Dominique Dupagne est le contraire de la démarche participative, collaborative, intelligemment collective, et, en l'espèce, et d'ailleurs comme dans d'autres dépistages fussent-ils très discutés et discutables (prostate, sein), la décision doit revenir au CITOYEN informé. Et la pratique quotidienne de cet exercice est très difficile.

jeudi 16 mars 2017

Trop de médecine. Histoire de consultation 196.

J'ai la rateQui s' dilateJ'ai le foie. Qu'est pas droit. J'ai le ventre. Qui se rentre

Monsieur A, 59 ans, est un homme charmant (ce dont tout le monde se moque a priori mais c'est une phrase obligée pour attirer l'attention sur le fait que je ne pratique pas le patient-bashing), cadre supérieur dans une banque, assez fier de lui et de son apparence, ses collègues de bureau l'appellent "coquet" (ne me demandez pas comment je sais cela et j'ajoute, pour être précis, que sa femme ne  sait pas qu'on l'appelle ainsi mais qu'elle y souscrirait volontiers).
"Bonjour.
- Bonjour.
- Qu'est-ce qu'il vous arrive ?
- Oh, pas grand chose. Mais, dites-moi, docteurdu16, c'est de plus en plus difficile d'avoir des rendez-vous avec vous, cela fait quatre jours que j'appelle et c'est toujours complet.
- C'est vrai que c'est un peu chargé en ce moment, (phrase du médecin qui se la pète dans le style "qu'est-ce que je suis demandé..." ou "c'est la rançon du succès" alors que, pour moi, c'est tout simplement de la lassitude), et donc, qu'est-ce qui vous amène ?
- Oh, j'ai fait la grippe, mais c'est passé.
- La grippe ?
- Oui, j'avais le nez pris, je toussais, un peu de fièvre, j'ai empêché ma femme de dormir... mais ça va mieux, j'ai pris du doliprane.
(remarquons ici que je n'ai pas interrompu le patient, enfin, ce qu'il en restait puisqu'il était "guéri", qu'il s'est interrompu lui-même, attendant sans doute un commentaire de ma part, avant les 23 secondes fatidiques, le temps moyen que met une brute en blanc selon Martin Winckler/Marc Zaffran, citant là une étude ancienne étatsunienne de 1999 (voir LA), pour faire taire le patient - -j'écoutais l'autre soir sur France Culture, le feuilleton de France Culture, une adaptation radiophonique du fameux et fondateur roman "La maladie de Sachs" du célèbre sartho-montréalais paru en 1998 et ayant obtenu le prix du livre Inter la même année, qui me conforta dans l'idée, l'adaptation était d'un ridicule achevé, mais, justement, le ratage de cette adaptation, des années après la publication du roman -- que j'avais lu en diagonale et sur les conseils de ma maman qui trouvait le livre formidable sans l'avoir vraiment lu-- montre combien l'idée de la médecine générale n'a pas avancé d'un pouce dans l'esprit des citoyens qui ne retiennent que les côtés romantique et vocationnel comme le film encore plus ridicule "Médecin de campagne" de 2016 le prouve jusqu'à la nausée-- que je n'avais pas aimé le roman initial)
(remarquons aussi que le vocable grippe a un contenu très extensif qui ne cesse de me faire réfléchir)
- Ainsi venez-vous me voir quand vous n'avez plus rien.
- Cest cela.
- Vous auriez pu annuler le rendez-vous, cela aurait fait plaisir à d'autres patients.
- Oui, mais je voulais que vous me confirmiez que j'étais guéri.

Trop de médecine est un slogan mal compris. Les médecins y voient une critique de leur profession et les pharmaciens (voir LA) une atteinte à leur chiffre d'affaire.

Cette consultation montre les dérives de la santé à tout prix et de la médecine à tout faire (j'ai déjà développé cela 100 fois, je ne m'appesantis pas). Bénissons donc les délais pour obtenir une consultation : les patients guérissent avant.

Mais aussi ceci : le besoin d'être malade et d'en parler à son médecin. Ou, plus prosaïquement : le besoin que l'on s'intéresse à soi. Estime de soi et hypochondrie. 

(j'ajouterai ceci : Monsieur A m'a demandé pendant des années pourquoi je ne lui prescrivais pas de statines pour "son" cholestérol jusqu'au jour où il lut un article indiquant que les statines pouvaient entraîner des impuissances (sic) et qu'il comprit à tort pourquoi, lui qui ne présentait aucun facteur de risque cardio-vasculaire, je ne lui avais rien prescrit, alors même que les risques de troubles de l'érection sous statine... , ce dont il me remercia à l'égal de ma façon de ne pas avoir prescrit de mediator à sa femme... Et c'est ce même patient qui me tanne encore pour que je lui prescrive un dosage de PSA, je lui ai pourtant cent fois raconté l'affaire, ce qui montre que la peur du cancer chez CE patient est plus forte que la peur d'être impuissant, ce qui doit être modéré par le fait qu'il n'a toujours pas eu de dosage du PSA alors que je cède le plus souvent dans le cadre d'une décision partagée...  mais que la peur du mauvais cholestérol ne fait pas le poids avec le risque d'avoir des troubles de l'érection)

Bonne journée en bonne santé.

jeudi 2 mars 2017

Harcèlement au travail et/ou burn-out sociétal.


Les cabinets de médecine générale sont désormais remplis de patients consultant pour harcèlement au travail (appelé aussi harcèlement moral : LA) et plus rarement pour burn-out (et, exceptionnellement pour syndrome d'épuisement professionnel, ce qui est la traduction française de l'expression anglaise : ICI).

Un rapport présenté récemment à l'Assemblée nationale propose, selon le journal Le Monde (ICI), "quelques pistes timides pour faciliter la reconnaissance de l'épuisement au travail en tant que maladie professionnelle".

Une nouvelle entité clinique est apparue. Est-ce une maladie professionnelle ou une maladie systémique ?

Jean-Pierre Dupuy, polytechnicien, remarquable épistémologue des sciences et philosophe, et qui côtoya à la fois Ivan Illich et René Girard, parlait de patients "faisant grève de la société" (In : La marque du sacré, 2010, Champs essais).

Nous y sommes.



Et les histoires entendues se répètent à l'infini tant l'organisation des entreprises (privées et d’État) immergées elles-mêmes dans un contexte économique difficile (j'enfile les truismes avec application) est peu favorable à l'épanouissement personnel.

Ce qui m'étonne toujours, et ce qui est peu souvent rapporté, c'est la façon stéréotypée dont les patients expriment leur ressenti à tel point qu'il faut se poser des questions sur ce mimétisme symptomatique (nous n'avons pas le temps ici de parler de maladies construites sur des symptômes et qui ont disparu de la surface de la médecine). On dirait que les citoyens/salariés ont appris leur leçon avant d'entrer dans le cabinet de consultation. On dirait qu'il s'agit d'éléments de langage. Au delà des particularités individuelles qu'il n'est pas possible de nier et qui sont évidentes lors de l'interrogatoire, il existe une ligne de souffrance, un vocabulaire (différent selon le niveau d'éducation), des gestes, des mimiques, des pleurs, qui confèrent une unité sociétale à cette pathologie.

La littérature psychiatrico-psycho-analytique/non analytique est foisonnante et chaque chapelle, comme d'habitude, tire la couverture à soi.

Les sites sont également nombreux (voir LA). Il n'est pas inintéressant de constater que la souffrance au travail est aussi devenu un marché idéologique avec une base constituée par les psychiatres/psychologues du travail dont l'initiatrice est Marie-France Hirigoyen (LA). Au ressenti stéréotypé correspondent des réponses stéréotypées qui sont autant de constructions du réel supposé. Sans références nettes au capitalisme. Car les commentateurs du harcèlement comme du burn-out oublient que le système est vicié à l'origine ou plutôt sont persuadés qu'il s'agit d'un horizon indépassable.

Quelques définitions :

Le burn-out par wikipedia donne ceci :
Le burn-out peut être regardé comme une pathologie de civilisation, c'est-à-dire un trouble miroir qui reflète certains aspects sombres de l'organisation sociale contemporaine, notamment le culte de la performance et de l'urgence, la concurrence exacerbée ou encore la généralisation des méthodes d'évaluation

Pour le  harcèlement moral au travail sur un site officiel (ICI) :
Le harcèlement moral se manifeste par des agissements répétés : remarques désobligeantes, intimidations, insultes...
Ces agissements ont pour effet une forte dégradation des conditions de travail de la victime qui risque de :
porter atteinte à ses droits et à sa dignité,
ou d’altérer sa santé physique ou mentale,
ou de compromettre son avenir professionnel.
Si vous êtes victime de harcèlement moral, vous êtes protégé que vous soyez salarié, stagiaire ou apprenti.
Ces agissements sont interdits, même en l'absence de lien hiérarchique avec l'auteur des faits.


Les experts vous diront, je les entends déjà, qu'il s'agit de faits différents. Sans doute.

Il faut aller chercher ailleurs.

Dominique Dupagne me signale sur tweeter il y a quelques jours une chronique radiophonique (La Tête au Carré : LA) parlant du burn out parental. J'écris ceci : "C'est la même logique manageriale : la décence commune est remplacée par les injonctions hétéronormes expertales."
Dupagne répond à quelqu'un qui trouvait ma réponse absconse. "Si, c'est logique : la petite entreprise parentale est détruite par des injonctions stupides, intériorisées et aliénantes."

Dominique Dupagne a écrit un ouvrage remarquable sur la logique entrepreneuriale de notre modernité : La revanche du rameur, 2012, Michel Laffon. Mais il n'a parlé que de l'anthropologie du mal ou plutôt de l'éthologie du mal, il n'a pas parlé du contexte social qui est celui du capitalisme, cet horizon indépassable dont j'ai déjà parlé, comme si, le 13 juillet 1789, on avait discouru sur l'immanence de la monarchie de droit divin et de l'impossibilité d'y échapper en France. Bon, je ne vais pas ajouter, Marx et Engels bien entendu (cela ne fait pas bien de les citer), Freud, Ivan Illich, René Girard et quelques autres pour dire qu'il est tout à fait possible de faire le lien entre l'entreprise et la famille qui, justement, n'est pas une entreprise, mais surtout l'Etat qui est encore moins une entreprise, dans le contexte du système capitaliste.



Le burn-out familial :

L'organisation a sociale a dépossédé la famille de ses rôles régaliens autonomes : élever ses enfants, les nourrir, les punir, les encenser, les aider, les aimer.
La famille est en observation : le sens commun autonome (dont il est hors de question de faire l'éloge absolu) est battu en brèche par l'expertise hétéronome des experts qui disent la famille tout en n'ayant de cesse de la déconstruire.
Acrobaties idéologiques qui ne peuvent que rendre les familles folles.
Des livres entiers ont été consacrés à cette division de la pensée.

Je voudrais citer Geoffrey Gorer qui écrivait en 1948 dans The American People: A study in National Character cité par Christopher Lash in La Culture du narcissisme, 1979 : "Il s'est créé un idéal du parent parfait, tandis que les parents réels perdaient confiance dans leurs aptitudes à accomplir les tâches les plus simples attachées au soin et à l'éducation de leur progéniture."

Rappelons aussi, car ce n'est pas anodin, ces chiffres d'une crudité incroyable : 19 000 enfants sont victimes de maltraitance, 78 000 se trouvent dans des conditions à risque et 600 à 700 décès sont attribuables à de mauvais traitements infligés par les parents (voir LA). Bien plus : en 2014, 290 000 mineurs étaient pris en charge par la protection de l'enfance, soit 1,98 % des moins de 18 ans (voir ICI). Voir aussi un article récent sur le rôle des placements : LA.

Il est donc impératif que les services sociaux, la justice interviennent. C'est le rôle de l’État. Et c'est son devoir.

Ce qui est moins rassurant c'est quand les normes s'appliquent au "normal" et fixent des règles dans la règle. Car en ce cas il s'agit, comme on l'a vu, d'une dépossession de la famille, d'une délégation des tâches et d'un transfert des fonctions.

Les experts savent donc, et pas seulement les médecins et les professionnels de santé, comment les femmes doivent accoucher (et même comme elles doivent faire les enfants) et comment les maris (pardon si le terme paraît si vieux jeu) doivent se comporter avant, pendant et après, ils savent aussi comment il faut allaiter, donner le biberon, coucher les nourrissons (même si la dernière fois qu'ils se sont trompés des milliers d'enfants en sont morts, rien qu'en France), je ne continue pas mais, si vous ne le saviez pas, les experts précisent aussi quand il est possible de faire l'amour avant un accouchement, comment procéder pour l'endormissement des nourrissons, des enfants, des adolescents, et cetera, pour le réveil, l'arrivée à la crèche, à la maternelle... et ils n'oublient pas de préciser que l'utilisation des tablettes, des ordinateurs et autres smartphones est un formidable progrès qui va réduire la fracture numérique (mais pas la fracture sociale, idiots).

Les experts conseillent et d'autres, voire les mêmes, n'ont de cesse que de critiquer la famille hétéro-patriarcale alors qu'il est connu que ce sont les familles monoparentales qui sont les plus fragiles.

Quant aux conservateurs, pas tous, ils prônent le travail le dimanche pour des raisons économiques (augmenter le chiffre d'affaire) alors que c'est l'un des facteurs décisifs de la déstructuration de la famille.


Mais revenons au propos initial.

Le lien entre le harcèlement au travail (et le burn-out) et le burn-out familial (et le harcèlement) est le suivant : des experts fixent des normes qui sont à la fois énoncées comme du bon sens pratique et de la morale courante, mais des normes inatteignables qui ne peuvent être atteintes car elles n'ont pas pour but d'être opérationnelles mais pour objet de rendre culpabilisantes toutes les tentatives avortées d'y parvenir, ce qui rend les travailleurs ou les parents coupables et anxieux de ne pas y arriver.

Dans l'entreprise il est beaucoup plus clair d'y voir clair. Le managériat des salariés, et on constate  que ce ne sont pas que les manœuvres ou les professions non intellectuelles qui en sont victimes (bien que ces salariés soient victimes d'une quadruple pleine : exploitation, déshumanisation, bas salaires, manque de reconnaissance sociale) consiste, au nom de principes de rentabilité économique cachés sous le masque de l'organisation rationnelle du travail, à abrutir les gens, à les atomiser (au double sens de les détruire et de les isoler pour couper toute tentative d'autonomie que l'on pourrait traduire par camaraderie, amitié, empathie, voire syndicalisation), à rendre leur travail incompréhensible, à ne cesser de leur demander des comptes, à les réguler, à les juger, à les dresser les uns contre les autres.

Dans la famille les parents n'y arrivent plus ou se résignent au burn-out, et il est symptomatique que ce soient les femmes qui trinquent le plus. Car si les femmes étaient traditionnellement chargées de l'élevage et de l'éducation des enfants, elles ont désormais en plus la nécessité expertale de réussir leur vie professionnelle, pour s'accomplir, certes, mais en s'entendant dire que s'occuper des enfants, leur parler, aller les chercher à l'école ou les aider à faire leurs devoirs pour les familles les plus éduquées, est ennuyeux, barbant, insuffisant, voire dégradant, et on les somme, l'image de la femme d'affaire accomplie, à tout réussir, à prouver à tous, maris, enfants, famille, belle-famille, voisins, collègues, supérieurs hiérarchiques, à être des femmes parfaites, des héroïnes stakhanovistes de romans à l'eau de rose, et, n'y arrivant plus, comment voudriez-vous qu'elles y arrivent sans sacrifier quelque chose ?, elles compensent en étouffant les enfants de sollicitude et de prothèses externes, les nounous, le para scolaire, les cours de soutien, l'inscription au tennis ou aux cours de flûte à bec, parfois au prix de la disparition de leurs sentiments spontanés (on leur a supprimé l'instinct maternel) ou... de leur vie sexuelle.

Quant aux hommes, ils feignent de s'adapter à la situation en tentant de garder leurs privilèges ou en faisant semblant d'y renoncer, et, tant dans l'entreprise que dans la famille ils sont dépossédés de leurs oripeaux merveilleux, tout en gardant le pouvoir et vivent, mais il faudrait développer plus amplement, un paternalisme sans père.

Et les médecins, dans tout cela ?

Comment intervenir quand un patient parle de harcèlement au travail.

Ce sera pour une prochaine fois.





jeudi 23 février 2017

Pudeur et impudeur. Histoire de consultation 195.

Chaïm Soutine : Portrait de Madame X (1919)

Madame A consulte ce matin pour le "renouvellement" de sa pilule. On parle de choses et d'autres, de sa famille, d'un deuil récent, des enfants et elle me dit : "Je crois que vous allez voir mon frère cet après-midi - Sans doute. - Il ne vous le dira pas mais sa femme l'a quitté. - Ah..." 
Elle ne me dit pas grand chose et je ne pose pas de questions. Je connais bien son frère, Monsieur B et je connais bien aussi sa femme dont je suis également le médecin traitant. 
Elle ajoute : "Il ne va pas bien. Il dort mal, il fait des genres de crises d'angoisse."
Il ne m'a parlé de rien.


Chaïm Soutine : Portrait d'homme (1922-1923)


Monsieur B consulte cet après-midi pour le "renouvellement" de son traitement anti hypertenseur. Il m'apporte également les résultats d'une prise de sang. On parle de choses et d'autres, de sa famille, d'un deuil récent, des enfants, et il me dit : "Je crois que vous avez vu ma soeur ce matin. - Sans doute. - J'imagine qu'elle ne vous a pas dit que son mari était parti. - Je ne crois pas."
Il ne me dit pas grand chose et je ne pose pas de questions. Je connais bien son beau-frère, Monsieur A, dont je suis le médecin traitant. 
Il ajoute : "Elle ne va pas très bien. Elle dort mal. Elle est fatiguée."
Elle ne m'a parlé de rien.




samedi 18 février 2017

Transparence.


Une maison transparente qui fait froid dans le dos.
Rêve totalitaire ou exhibitionnisme ?
Pas pour moi.
Par l'architecte Travis Price à Berkeley Springs, Virginie Occidentale en 2014.
image © ken wyner

Commentaires (je rajoute cela le 26 février 2017) :

Je suis assez surpris par les commentaires et par le manque de commentaires.
Je ne me ferai plus prendre à ne pas commenter ce que je suggère.

Cette maison est "transparente" car elle montre son intérieur mais elle n'est pas transparente car il n'y aucun humain visible. Une maison n'est pas faite pour ne pas y vivre et on comprend mieux l'architecture "moderne" celle des barres des "quartiers" où il est impossible de vivre.

Cette maison est donc magnifique au sens architectural du terme (on dit toujours "des maisons d'architectes", c'est à dire des théories inhabitables et inhabitées) mais elle est surtout obscène.
Son obscènité tient à ce qu'elle exhibe la richesse, la transparence, mais qu'il n'est possible pour le commun des mortels que de faire du lèche-vitrine. Ni l'acheter, ni entrer, ni y vivre.

La transparence est donc une métaphore triste en ce cas.

Une maison transparente serait une maison que l'on ne remarque pas comme on dit d'un footballeur après une partie ratée qu'il a été transparent.

Cette maison n'est pas transparente elle est faite pour être vue. Et on ne voit rien.

On n'est donc loin de la transparence morale et politique que l'on voudrait nous faire prendre pour de la démocratie.

Mais c'est une autre acception.

Cette maison est à l'image de l'architecture moderne telle qu'on la voit par exemple à la Fondation Louis Vuitton : de l'épate bourgeois comme on disait jadis, de l'épate bobo comme on pourrait le dire maintenant, mais, surtout, elle est d'une immoralité absolue, comme si l'argent n'avait pas d'odeur, c'est un pied de nez aux pauvres et à ceux qui aimeraient ne plus l'être.

C'est une architecture qui ressemble à un diamant gros comme le Ritz.