RAJOUT DU 25/11/2018
LES IMPLANTS FILES : le consortium international des journalistes d'investigation a constitué une base de données sur les "incidents" survenus entre 2009 et 2017 aux Etats-Unis d'Amérique avec l'utilisation des implants médicaux : ICI.
Le livre de Jeanne Lenzer, The danger within us, est un bijou. Ecrit pour le grand public et dans un style volontiers journalistique, il raconte l'histoire d'un patient épileptique qui a lutté et a fini par survivre (mais à quel prix !) à l'industrie américaine des dispositifs médicaux non testés et non contrôlés, et l'auteure nous donne en exemple ce que peut être une santé tournée exclusivement vers le profit.
Quand vous aurez lu ce livre il vous sera difficile de regarder le site promotionnel de Cyberonics :
LA sans avoir envie de quitter l'exercice de la médecine et de vous interroger sur ce que les autres laboratoires font. Quant aux propos de cette association, elle vous achèvera :
ICI.
Car Jeanne Lenzer, à partir d'un cas exemplaire de patient, nous décrit non seulement les dangers de se faire implanter un VNS (Vagus Nerve Stimulator) dont l'AMM a été obtenue avec des études peu convaincantes, sauf pour les experts de la FDA (l'exposé qu'elle fait des trucages des essais, des dissimulations de données, et comment les experts passent outre), mais surtout l'incroyable façon qu'a eue Cyberonics, la société qui commercialise le stimulateur, de corrompre la FDA, de corrompre les prescripteurs, de falsifier les publications, de ne pas déclarer les effets secondaires graves qu'elle connaissait, de mettre en avant des témoignages positifs de patients en taisant les autres, et de mettre en danger la vie de ces mêmes patients avec un cynisme (le mot est faible) incroyable. Selon les données (critiquables comme toujours) des bases publiques de recueil de données (
MAUDE, Manufacturer and User Facility Device Experience) le VNS aurait entraîné depuis sa commercialisation en 1997 le décès de 2000 patients (2016) au prix de 40 000 dollars le dispositif.
Le point essentiel est le suivant : le business de la santé aux US est plus important en chiffre d'affaires que big oil, big banking, et surtout que le si célèbre complexe militaro-industriel : les dépenses liées à ce dernier étaient évaluées en 2015 à 1,3 mille milliard de dollars contre 3,2 mille milliards de dollars pour les dépenses de santé (avec des résultats déplorables en termes de santé publique).
Jeanne Lenzer cite ceci : 20 à 30 % de ces dépenses de santé aux US seraient inutiles. Elle précise aussi (ces chiffres sont discutables, ce sont des approximations) que la médecine est aux US la troisième cause de décès (225 à 440 000 Américains par an).
Mais il s'agit surtout de l'histoire d'un patient à qui a été implanté un VNS, qui a failli y passer pour asystolie, mais qui, non seulement n'a pas été amélioré, mais a été plutôt aggravé tout en enquêtant sur la société qui commercialisait le dispositif et sur ses liens avec la FDA. Aujourd'hui, Fegan, qui était pompier
paramedic, a eu sa vie détruite et, bien plus, son dispositif a migré dans la veine jugulaire et il est impossible de l'enlever ! Mais aussi : Dennis Fegan, seul, sans argent, sans soutiens, et malade, a révélé dans toute sa hideur la façon dont Cyberonics s'est comportée à son égard et comment du PDG aux employés, le bien-être des patients n'avait aucune importance sans compter comment les médecins implanteurs ont manqué de tout sens clinique, de tous sens moral, avec la complicité active de la FDA !
Denis Fegan a compris et dénoncé la façon désinvolte qu'avait et qu'a la FDA d'accorder des autorisations de mise sur le marché pour des dispositifs médicaux (non soumis à des essais de qualité) et ceci : il a appris que la Cour Suprême des Etats-Unis d'Amérique (2008) considérait qu'il n'était pas possible de poursuivre le fabricant (efficacité et/ou sécurité) à partir du moment où la FDA avait accordé l'autorisation.
A qui se fier ? (pp 167-8 du livre) (traduction personnelle) :
"Les médecins ne peuvent être tenus de lire et de digérer plusieurs centaines de pages des rapports de la FDA et des analyses statistiques complexes pour chacune des molécules et des dispositifs médicaux qu'ils prescrivent. Finalement ils doivent s'en remettre aux experts de la FDA pour interpréter la justesse des études financées par l'industrie. Il n'y a tout simplement pas de sources vraiment indépendantes dans la recherche US. Le financement industriel a étendu son champ d'action dans chaque secteur, depuis les journaux médicaux qui présentent et interprètent les recherches jusqu'aux aux universités et aux groupes de recherche qui conduisent les essais en passant par les associations de patients qui promeuvent de nombreux traitements et par la formation médicale continue pour les médecins sans oublier les agences qui sont supposées protéger l'intérêt public --soit le Centers for Disease Control and Prévention, le National Institutes of Health et, bien entendu, la FDA."
Jeanne Lenzer nous brosse un tableau presque apocalyptique de la situation US et nous emmène, à propos des stents cardiaques, des prothèses de hanches, des stimulateurs cardiaques, du rhBMP-2 (recombinant bone morphogenetic protein 2), des défibrillateurs défaillants, des stimulateurs du nerf vague qui entraînent plus de crises d'épilepsie qu'ils n'en évitent (et qui sont toujours commercialisés), de Essure, dans l'enfer de la dérégulation dont le premier acte fut le Bay-Dohle Act de 1980, c'est là que l'auteure situe la naissance effective du complexe médico-industriel. Mais ceci ne serait rien sans la corruption, sans la falsification des données, sans le travestissement des statistiques, sans le classement vertical des effets indésirables, surtout graves et mortels, sans la rédaction de rapports permettant de donner une autorisation de commercialisation par la FDA, autorisation, comme nous l'avons vu, qui interdit tout procès des victimes à l'égard du fabricant !
Les données concernant la corruption des prescripteurs et des décideurs est ahurissante. Jeanne Lenzer cite les firmes, Cyberonics, Medtronics, Johnson and Johnson, cite les procès, et cetera et les sommes pharamineuses qui ont été versées.
Voici ce qu'écrivait
Upton Sinclair : "It is difficult to get a man to understand something when his salary depends upon his not understanding it..." (Il est difficile qu'un homme comprenne quelque chose quand son salaire dépend du fait qu'il ne le comprend pas.)
Jerome Hoffman a beaucoup combattu les fausses données médicales, notamment dans l'affaire du tPA (une incroyable histoire montée contre la streptokinase), il écrit ceci : "We cannot take money from industry with one hand and write prescriptions with the other and remains a profession." (Nous ne pouvons pas toucher de l'argent de l'industrie avec une main et de l'autre écrire des prescriptions si nous voulons rester une profession.)
En conclusion de son livre Jeanne Lenzer désigne les poins cruciaux qui pourraient être améliorés. Elle plaide pour un payeur unique, elle dénonce la politique des brevets et elle demande, de façon désespérée, une réforme fondamentale de la FDA. Pour les dispositifs médicaux il faudrait exiger que la FDA impose deux essais contrôlés, que les critères de jugement soient cliniques et non fondés sur des critères de substitution choisis au gré des intérêts des fabricants, et enfin que les experts évaluateurs (cliniciens, méthodologiques et statisticiens) soient indépendants de l'industrie.
C'est Noël ?
Mon résumé est bref et ne peut rendre compte de la complexité de ce livre et de ses 396 références.
Notamment quand Jeanne Lenzer parle de Thomas McKeown (nous en avons souvent parlé
ICI) et de ses données épidémiologiques ébouriffantes sur la diminution de la mortalité en Occident (92 % du déclin de la mortalité s'est fait avant 1950) . Quand elle parle de Marmot qui a étudié les facteurs de risques des employés de WhiteHall à Londres : il existe une corrélation parfaite avec la hiérarchie bureaucratique.
Il est dommage que ce livre ne soit pas traduit en français.
PS : Je renvoie à l'excellent billet de CMT sur ce blog (
LA) concernant les politiques mondiales du médicament.
(Ne vous inquiétez pas, braves gens, dormez sur vos deux oreilles, Jeanne Lanzer ne parle pas de la France (1), pays qui fut celui auto-proclamé de la meilleure médecine du monde, et qui, de renoncement en aveuglement et grâce à son entrée dans le monde joyeux de la consommation et du néo libéralisme, va enfin obtenir le titre plein et entier de république bananière de première division dans le domaine de la santé.)
Notes.
(1) Malheureusement, quand elle en parle, elle idéalise un peu trop sur notre beau pays.
PS du 27 juillet 2018 : The bleeding edge (les blessures de la médecine) est paru sur Netflix : https://www.netflix.com/watch/80170862?trackId=13752289&tctx=0%2C0%2C23cd9ffcd69a5fd85f4587095637e7fc53c20ffe%3A9c347bacd3c02c97ab144db5712cbe8a695dbd80%2C%2C