Un congrès à Chicago (ASCO 2023)
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John Williams se défend.
Le modérateur, Michael-Ren Kurosawa, est un oncologue d’une quarantaine d’années connu dans le milieu pour ses positions centristes, c’est-à-dire qu’il accepte de participer à des essais cliniques car il n’est pas possible de mener des recherches cliniques sans recevoir de l’argent de l’industrie, car les budgets publics fédéraux sont limités et car le faible nombre d’équipes élues élimine de nombreux oncologues de talent comme de nombreux oncologues plus médiocres... C’est un pragmatique car il se permet d’accepter de l’argent des industriels et de les critiquer. Le problème de cette attitude tient à la position du curseur à la fois pour les industriels et pour les puristes. Aaron Goldstein n’est pas loin de son collègue Brébant dans la salle. Ils se font un signe amical de la main, le pouce dressé. Goldstein défend l’idée à l’intérieur de la Firme 1 qu’il est nécessaire de ne pas se couper de conseils universitaires comme Michael-Ren Kurosawa ou Afshâr Fallahi en raison de leur intelligence, de leur agilité conceptuelle et de leur capacité à déceler au premier coup d’œil ce qui cloche dans un protocole tout en proposant des solutions, mais certains de leurs collègues et plus largement dans l’industrie pensent qu’il ne faut pas introduire de loups dans la bergerie et qu’il ne faut travailler qu’avec des moutons bien-pensants. Quant aux puristes, ceux qui ne viennent pas à l’ASCO ou qui s’y rendent à leurs propres frais, s’ils sont trop intransigeants, ils sont condamnés à ne plus faire de recherches et à n'écrire que des éditoriaux ou des articles critiques sur les travaux de leurs collègues, sans montrer leur propre savoir-faire…
« Afshâr Fallahi vous a posé des questions sur la méthodologie de l’essai. Merci pour la bonne tenue de cette séance de lui répondre. » Williams se crispe mais la salle est tellement grande, il y a environ trois mille personnes, que peu de congressistes le remarquent. « Afshâr Fallahi a eu raison d’avoir remarqué quelques imperfections méthodologiques mais vous conviendrez que les résultats obtenus sont une telle révolution, un tel changement de paradigme, un tel espoir, qu’il vaut mieux se tourner vers l’avenir que de se pencher sur des détails… J’ajouterais que l’éthique voulait que nous fassions un cross-over tant l’efficacité du wallstreetgenumab était patente… »
Afshâr Fallahi agite la main afin de pouvoir reprendre la parole mais son temps est passé et il a juste le temps d’ajouter avant que le micro ne soit coupé « … nous attendons des éclaircissements… » Un autre congressiste prend la parole en commençant par remercier l’orateur et en continuant par des éloges sur cette percée dans le monde du cancer. Amen. Le modérateur n’a même pas le temps de donner la parole à ses deux collègues assis à côté de lui qu’il annonce déjà la prochaine oratrice car le temps imparti est passé.
Une petite cour se forme autour d’Afshâr Fallahi qui est coutumier de ce genre d’interpellations. Brébant voit cela de loin et dit à sa voisine dans le brouhaha de la salle : « Penses-tu qu’Afshâr Fallahi deviendra un jour un John Williams ? … - Tu es pessimiste… - Réaliste. »
(Si vous voulez commencer la lecture depuis le début : LA)