BERLIN
Le docteur B est un médecin généraliste installé depuis vingt-deux ans. Il a une bonne clientèle. Il voit en moyenne 26 malades par jour et prend cinq semaines de vacances par an (environ 130.000 euro de CA annuel). Sa femme travaille comme professeure d'anglais et il paie beaucoup trop d'impôts selon lui.
Le docteur B n'est pas content de sa façon d'exercer la médecine. Il n'est pas content de la médecine qu'il pratique, il n'est pas content du (peu de) temps qu'il passe avec ses patients, il n'est pas content du (trop grand) nombre d'heures temps qu'il passe au cabinet, il n'est pas content de ses rapports (de dépendance) avec les médecins spécialistes à qui il doit adresser ses patients, il n'est pas content de son isolement dans cette petite ville de province, il n'est pas content des séances de Formation Médicale Continue qui lui semblent trop influencées par les laboratoires et il a cessé de recevoir la visite médicale depuis une bonne dizaine d'années.
Le docteur B est déçu par les syndicats médicaux qui ne le représentent pas, selon lui, il vote mais sans beaucoup de conviction, il est abonné à Prescrire et reçoit gratuitement Le Quotidien du Médecin, Le Généraliste et quelques autres feuilles de choux qu'il lit distraitement.
Le docteur B n'est pas un exemple, il ne fait pas partie de la majorité des médecins généralistes, ni en nombre d'actes, ni en comportement.
Le docteur B n'est pas content de son exercice et pense que deux solutions pourraient le tirer d'affaire : l'arrêt du paiement à l'acte et la nationalisation de la médecine.
L'arrêt du paiement à l'acte. Les arguments pour sont nombreux selon le docteur B : faire plus d'actions de prévention, s'occuper mieux des patients, ne pas faire la course à l'acte, mieux se former, avoir le temps de s'occuper des patients en longitudinal et... gagner plus d'argent. Ce dernier point est lié au fait que le pays du non paiement à l'acte, la Grande-Bretagne, offre des revenus nettement supérieurs à ceux des médecins français (voir ici). Mais l'analyse de ce médecin fait l'hypothèse que la course à l'acte rend nécessairement les médecins mauvais (il doit bien y avoir une courbe en J à produire) et que le salariat rend les gens bons pour des raisons éthiques et scientifiques. Ce bon docteur B, bon médecin généraliste devant l'éternel, devrait faire un tour dans les endroits où la médecine salariée, en France, s'exerce dans le bonheur le plus complet : les médecins de PMI, les médecins des mines, les médecins-conseils, les médecins du travail, les médecins de la DGS et... les médecins hospitaliers... Cela se saurait si les médecins hospitaliers n'étaient pas corrompus par l'argent, les offres publicitaires et la médiocrité... Par ailleurs notre bon docteur B devrait s'informer : en Grande-Bretagne, ce n'est pas le salariat et le système des listes de patients (list size) qui ont rendu les médecins généralistes anglais heureux mais la volonté politique de privilégier la médecine générale aux dépens de la médecine spécialisée et de la médecine hospitalière. Lire Des Spence, médecin généraliste écossais chroniqueur au British Medical Journal, devrait suffire à le convaincre : ici.
C'est le Nouveau Contrat qui a changé les choses, un nouveau contrat llimitant le nombre d'heures de travail, redéfinissant les tâches, et cetera...
La nationalisation de l'industrie pharmaceutique. Pour le docteur B, l'industrie pharmaceutique est le mal absolu. Tout vient de là : l'industrie pharmaceutique ne fabrique pas des médicaments mais des maladies, l'industrie pharmaceutique cache les événements indésirables des médicaments, l'industrie pharmaceutique corrompt les chercheurs et les médecins et tout ce qu'elle fait est pourri. Le docteur B a la mémoire courte. Non, je ne vais pas parler de et de (je ne veux pas atteindre le point Godwin à toute allure), je vais seulement parler de la nationalisation de la crise de la grippe dite pandémique : on imagine Roselyne IMC Glaxo, directrice de l'industrie pharmaceutique française et entourée d'un aréopage d'experts tous aussi brillants les uns que les autres. Non, ne me parlez pas de Flahaut, de Houssin, de Veber, de Bricaire, parlez moi plutôt de Jean-Luc Mélenchon, directeur de la Recherche et criant "La Santé Publique, ça s'applique, ça se discute ensuite..." et discutant avec Marguerite Chan de la meilleure façon de mener des essais randomisés sur les partisans du Dalaï Lama, parlez-moi plutôt du Comité de Pilotage des Essais Cliniques avec Jacques Chérèque demandant des essais pragmatiques en médecine générale, sans dépasser 22 euro par consultation (mince, le paiement à l'acte n'existerait plus), le professeur Debré parlant de grippette mais imposant le dosage systématisé du PSA. Ouah, j'en rêve. Parlez-moi des médecins conseils qui proposent des essais cliniques, des médecins du travail, des médecins de PMI, qui seraient aux manettes de l'industrie française. J'en rêve.
Que le docteur B ne croie pas à ces sornettes.
Ce sont les médecins généralistes eux-mêmes qui se tuent.
Les expériences anglaises et écossaises de P4P (paiement à la performance) montrent des choses étonnantes sur les résultats de la médecine salariée : voir ici.
Les systèmes sont certes importants mais ce sont les hommes qui font leur destin et les médecins qui traitent leurs malades et qui ne traitent pas leurs patients. Sauf, bien entendu, dans les systèmes totalitaires.
Mais le docteur B est un homme de gauche. C'est un démocrate. Il n'a jamais atteint le point Godwin.
1 commentaire:
Il est certain qu'il ne suffit pas de créer une condition (salariat) pour modifier les comportements, attitudes ou croyances qui conditionnent eux le sens qu'on donne à son travail. Si les médecins salariés de la Clinique Mayo font une médecine de bien meilleure qualité (et à un moindre coût) que les médecins des cliniques privés de la ville de Mc Allen, ce n'est pas parce qu'ils sont salariés mais parce qu'ils ont choisi de faire partie de cette clinique et accepté d'être salariés, donc de limiter leurs revenus, pour faire le type de médecine à laquelle ils croyaient, c'est à dire au service des patients.
D'autre part, le gouvernement anglais a probablement réussi à faire des économies en mettant les médecins généralistes, même surpayés, au centre du système de soins. Le gouvernement anglais croyait d'abord en la possibilité de faire des économies et non en la possibilité de faire de la médecine de bonne qualité.
Finalement ce n'est pas tellement la manière qui compte, mais le sens qu'on donne à ce qu'on fait.
CMT
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