C'était la première fois que j'avais envisagé de me rendre aux Rencontres Prescrire. Parce que c'était à Paris. Je viens depuis deux ou trois ans à la remise de la Pilule d'or, inscrit par mon ami Jean Lamarche, je connais donc l'ambiance des meetings laïcs de la revue, l'assemblée des purs, le rassemblement des Justes, l'ambiance des jamborees, les veillées au coin du feu, le mec barbu qui chante accompagné par sa guitare sèche "OH when the saints" avec les filles qui le dévorent des yeux... Bien qu'ayant regardé le thème des rencontres, "Préparer l'avenir pour mieux soigner", le genre de phrase dont le sinifiant est le signifié et vice versa, qui sentait le préchi précha prescririen, le truc dans le genre rencontres annuelles à Lourdes, avec l'eau bénite, les miracles, les malades qui se lèvent de leur fauteuil roulant, le système de santé qui devient rayonnant pendant le temps où tu tournes autour de la Kaaba, les voeux que tu glisses dans les interstices du Mur des Lamentations, l'immersion dans le Gange à Bénarès... J'ai quand même décidé de venir, j'ai donc payé 300 euro, ce qui, pour un nanti n'est pas grand chose (voir ICI). Mes copains, même prescririens, m'ont prévenu que j'allais me raser. Je n'en doutais pas : j'ai fréquenté les congrès où l'on ne connaît personne, où l'on écoute des communications où les médicaments sont meilleurs que le placebo, où les examens complémentaires pètent de valeur prédictive positive et où on s'ennuie en se disant qu'on aurait mieux fait de rester dans son cabinet avec des malades qui ne guérissent pas, des médicaments qui ne marchent pas, des crèches qui exigent des certificats à la gomme et seulement 23 euro tous les quarts d'heure. J'ai demandé à mon remplaçant qu'il me remplace le vendredi et le samedi. Je me suis dit : tout prescririen doit être allé au moins une fois aux rencontres sinon il finira dans l'enfer de big pharma avec des visiteuses médicales en tenues légères lui présentant jusqu'à la fin des temps des documents d'aides visuelles racontant le monde merveilleux des courbes ascendantes et des petit p toujours inférieurs à 0,05.
Je suis parti de chez moi plus tard que lorsque je me rends au cabinet et à 9 heures vingt j'étais porte de Saint-Ouen dans le hall de l'Hôpital Bichat.
J'ai pris mon badge, je suis allé boire un café et manger un croissant, et j'ai commencé à rencontrer des gens que je connaissais.
J'ai donc rencontré des rédacteurs de Prescrire, des twittas et des twittos, je ne peux vous révéler leurs pseudos car elles (ils) auraient peur que Mediapart ne vienne croiser leurs pseudos avec les inscrits aux rencontres et leurs absences dans leurs cabinets respectifs ou chez leurs remplaçants, et ne publie des listes qui pourraient intéresser le Conseil de l'Ordre ou les malades qu'elles ou ils fréquentent, des membres du forum Prescrire que je ne nommerais pas non plus de peur que leurs femmes / maris qui les croyaient en train de faire une formation DPC à Montceau-les-Mines n'apprennent qu'ils sont partis rejoindre leurs copines / copains parisiens sous prétexte de servir la messe de la secte du Boulevard Voltaire.
A 10 heures 30 c'est le début de la plénière dans un amphi plein : Ouverture des Rencontres Prescrire 2014.
Philipe Zerr remplace le doyen qui avait piscine et je ne me rappelle pas ce qu'il a dit.
Françoise Brion fait un exposé sans intérêt et parle du prix d'une vie, du patient codécisionnaire et des vaccinations (cherchez l'intrus).
Pierre Chirac lit un texte collectif élaboré par l'équipe de la revue dont le titre aurait pu être L'Evangile selon saint Prescrire et j'entends sans stupéfaction "soignants de bonne volonté".
11 heures : Préparer et penser ensemble l'avenir des soins.
Madame Catherine Naviaux-Bellec (dont les titres sont à eux seuls une invitation à l'ennui : directeur des soins, conseillère pédagogique régionale, Agence Régionale de Santé d'Île-de-France) nous entretient de la réforme des études des étudiants en soins infirmiers. C'est chiant au possible et strictement sans intérêt.
Le docteur Fanny Cussac, jeune installée dans un Pôle de Santé Pluriprofessionnel depuis trois ans, nous expose de façon convaincante le fonctionnement du centre Ramey où il y a quand même 12 MG, 3 cardios, 3 pédiatres et 4 psy. Je n'apprends pas grand chose mais j'entrevois les problèmes que pose ce genre de structure en termes humains et financiers. Un peu étonné, toutefois, qu'un des axes de dépistage soit l'apnée du sommeil... Cela doit être une urgence dans ce quartier populaire de Paris. Je note trois questions à poser à cette jeune collègue mais c'était sans compter le manque de micros et le trop plein de doyens.
Monsieur Gérard Dubey (sociologue) fait un exposé inaudible (les micros ne font sans doute pas partie des nouvelles technologies) sur les nouvelles technologies et nous fait part de l'inintérêt des simulateurs de vol en médecine. On s'en serait douté (il aurait pu lire Perruche en Automne avant de venir).
Puis ce sont les questions et les réponses. C'est Fanny Cussac qui a le droit aux plus nombreuses questions et elle s'en tire bien. Puis c'est l'heure des doyens : on donne la parole au doyen d'une Faculté tunisienne puis au doyen de la Faculté qui avait piscine et qui, les cheveux secs, nous sert un blabla convenu dont je retiens quand même que la médecine générale en est encore à l'enfance. Les deux doyens piquent tellement de temps que les questions de la salle sont terminées : les MG sont encore volés mais cela n'étonne personne. Mes trois questions seront sans réponse : elles étaient sans doute sans intérêt.
12 H 30 - 14 H
Sandwichs, boissons et posters.
Je le dis tout net : dans les congrès Glaxo ou Sanofi, mes amis de big pharma, la bouffe est meilleure. Ici, c'est pas terrible, on mange debout, le vin est médiocre, mais bon, j'échange avec des collègues, twittas et twittos, Jean, Philippe, Olivier et d'autres.
Je vais jeter un oeil sur l'exposition de posters.
Les posters, depuis toujours, ça m'emmerde, que ce soit dans les congrès ou ailleurs. A l'origine, j'avais prévu d'en faire un qui se serait appelé "Evidence Based Medicine en Médecine générale : l'avenir" mais cela m'a fait suer car power point me posait des difficultés pour les schémas que je voulais faire et je n'avais pas envie de me retrouver planté devant mon poster attendant que des confrères et amis viennent me poser des questions plus ou moins intéressantes sur un poster plus ou moins intéressant.
Il y avait quand même 67 posters, plutôt bien réalisés, dans une esthétique plus power point que Prescrire (heureusement) et je me suis balladé de façon agréable entre les concepteurs. Pour s'en faire une idée plus complète, voir ICI.
14 H - 15 H 30 Premier atelier : j'avais choisi le 14, Comment se dégager des influences actuelles pour proposer des soins de qualité ?, animé par les docteurs Isabelle de Beco et Philippe Nicot. Intéressant, rien à dire, des situations à décrypter, mais trop court, trop superficiel (on n'avait pas le temps), inhomogénéité des participants, mais Léa Destrooper et moi on nous propose, par hasard, un document sur la couverture vaccinale en Haute-Vienne, et on se déchaîne car c'est le pompom du trafic d'influences, de la corruption et de la bonne conscience et cela mériterait de longs développements qui pourraient faire dire aux lecteurs qu'on n'a pas que cela à faire de lire des textes trop longs, donc, je résume, la CPAM de Haute-Vienne (capitale Limoges) couche avec Glaxo dans un hôtel de passe sous les yeux des maquereaux de l'Etat. J'en profite pour dire que j'en ai assez des médecins qui se présentent et pour vitriner (néologisme docteurduseizième) leur indépendance disent bravement "Je ne reçois plus la visite médicale" comme s'il s'agissait d'un titre de gloire, d'une victoire de l'addictologie, d'une preuve de courage, comme ces gens qui disent avoir arrêté de fumer alors qu'ils ne fumaient que 3 cigarettes par jour en crapotant, à moins bien sûr que tous ces braves gens n'aient fréquenté les VA, les visités anonymes, "Bonjour, je m'appelle le docteur A et cela fait 147 jours que je n'ai pas reçu une visiteuse médicale"...
Avant de se rendre au prochain atelier, petit tour vers le maigre buffet et les posters où chacun y va de son mot gentil pour tromper l'ennui profond qui nous étreint dans le sous-sol de Bichat étonnamment propre et libre de graffiti, ce qui est loin de ce que j'ai connu jadis à Cochin dans les années soixante-dix où les étudiants, libres de tout QCM, refaisaient le monde en taggant des slogans révolutionnaires sur les murs...
16 H - 17 H 30 Deuxième atelier : j'avais choisi le 7, Savoir expliquer aux patients les avantages et les inconvénients des options de soins : trouver les mots appropriés ; accompagner les patients dans leurs choix, animé par les docteurs Michel Labrecque et Madeleine Fabre. ML est canadien. Il fait une présentation solide, très anglosaxonne, mais son exposé me gêne : il expose la méthode du Shared Decision Making à propos du dosage du PSA. Et il nous dit d'abord qu'il ne faut pas se laisser aller à des discussions chaudes sur le sujet du dépistage. Il se fout du monde. Le soignant ne doit pas faire de différence entre l'option dépistage et non dépistage. C'est au patient de choisir. Il nous distribue ensuite un document réalisé par le Collège des médecins du Québec en nous disant qu'il s'agit d'une réponse à une question d'un malade alors qu'il s'agit, explicitement, d'une recommandation faite aux médecins d'en discuter avec leurs patients entre 55 et 70 ans et... blabla.
Il ne semble pas que mes objections attirent un écho favorable dans l'atelier ni d'ailleurs, je le constaterai ensuite, avec d'autres participants à cet atelier (chaque atelier est mené trois fois). Il y a ensuite un jeu de rôle où je joue le patient, une collègue MG m'interroge et deux observateurs jugent de sa démarche. Grosso modo, et à ma grande surprise, je me glisse dans le jeu de rôle malgré mes réticences, je vais bientôt être prêt à me former sérieusement à l'Entretien Motivationnel (comment ne plus recevoir les visiteuses médicales en dehors des heures de consultation) et les autres groupes dans l'atelier jouent aussi le jeu. Je conviens donc de revoir mon médecin dans un an et qu'il me refasse son numéro de "Vous êtes le malade et vous avez tous les droits, je suis le médecin et je ne suis là que pour vous faire accoucher de votre souris..."
La conclusion : pour exposer les techniques du Shared Decision making, la décision partagée, ML et son accent canadien convaincant aurait dû choisir un autre sujet, mais son propos est intéressant, le respect du malade, la neutralité du médecin, toute la soupe progressiste qui cache mal l'idéologie du self, le néo libéralisme et la façon élégante d'introduire le loup dans la bergerie, je veux dire le PSA dans la vie des hommes. Eh bien, justement c'est le hic de ce brillant exposé : cela montre que la décision partagée peut aussi, dans une situation hiérarchique recréée, permettre d'imposer à des patients des décisions qu'ils n'avaient pas envie de prendre. Dans chacun des groupes, 5 groupes de 5, le patient n'a pas voulu se faire doser le PSA.
Et rebelote, le hall d'entrée, la salle des posters, les twittas et les twittos, les lecteurs Prescrire.
Cornaqué par de jeunes médecins généralistes et des étudiants en médecine et en pharmacie, je marche vers Montmartre, ses touristes japonais (qui ressemblent de plus en plus à des touristes coréens et / ou chinois), ses Russes, ses étrangers qui ressemblent tant à ce que nous sommes quand nous visitons des pays étrangers, des toutous, des toutous.
Je passe sur la soirée, le restaurant, la chanteuse qui chante Piaf et le chanteur qui chante mal, les échanges fructueux entre participants, les tapes dans le dos et la rigolade. Mais je ne peux en dire plus car j'ai remarqué combien les twittos et les twittas tenaient à leur anonymat.
Samedi matin 9 H.
Même hall de Bichat, même café et jus d'orange, mêmes croissants, mêmes pains au chocolat, mêmes pains au raisin, mêmes posters.
9H 30 - 11 H. Je me suis inscrit à l'atelier numéro 9 (et bien que des djeunes m'aient dit que le truc était intéressant mais que l'on sentait, derrière la décontraction, les arguments d'autorité) animé par les docteurs Alain Siary et Michèle Richemond : Le dépistage, le diagnostic précoce, les examens complémentaires sont-ils bénéfiues aux personnes en bonne santé ? Où s'arrête le "juste soin", où commence le traitement par excès ? Alain Siary est un vieux routier de ce genre de sujet, il connaît son affaire et je l'ai trouvé plutôt bon bien que parfois un peu confus et approximatif. C'est le problème quand on aborde des sujets que l'on connaît bien, on s'ennuie ou on critique l'orateur (il y avait le cancer de la prostate et le cancer du sein dans ses exposés, nul doute que cela rappelle quelque chose aux lecteurs de ce blog, non ?). Je ne me suis pas ennuyé. Les animateurs nous ont proposé 4 cas cliniques à analyser. Le cas clinique présenté à mon groupe m'a désorienté alors que je savais d'emblée quelle était l'intention des animateurs : ne pas prescrire de statine. J'étais hésitant, hésitant pour justifier l'une ou l'autre des attitudes, je pense qu'en situation clinique j'aurais sans doute prescrit une statine (il faut savoir que j'ai été élevé dans le culte des statines à une époque où Lipanthyl dominait les débats franco-français). J'ai encore du chemin à parcourir pour être moins hésitant. N'est-ce pas l'intérêt de ces rencontres ? Mais en outre le cas numéro 3 a pointé l'étendue de mes méconnaissances. Cela dit les autres cas cliniques m'ont paru mal documentés et peu en rapport avec les ambitieuses questions posées par l'atelier mais je me suis amusé.
11 H 45 - 13 H. Améliorer sa pratique en comprenant les attentes des patients.
Le premier exposé est mené par Philippe Zerr (maître de conférences associé de médecine générale) et par Pierre Lombrail (1) (professeur de santé publique). Ils mènent le jeu en duo mais ils auraient dû un peu plus répéter. Je dois dire que je me suis rasé. Mais pas seulement. Nous avons eu droit à des propos généraux et lénifiants sur la prévention et l'éducation à la santé avec des diapositives qui auraient rendu intéressantes les photographies de Suzette, la cousine de Lucie, aux bains de mer, et, surtout, et surtout le maître de conférences, on nous a pris pour des khons, je veux dire les MG qui ont un peu de pratique, les MG qui viennent de s'installer et qui ne savent pas, les pôvres, que le milieu compte pour aborder la santé de ses patients. Notre maître de conférences a souligné combien il était important de déceler l'alcoolisme, de vacciner contre l'hépatite B, de ne pas oublier les rappels de coqueluche et de (bien) suivre les femmes enceintes en rappelant combien la France était mal placée, très mal placée, sur l'item Mortalité maternelle. Nous savions déjà que les structures de dépistage étaient multiples et variées, que les financements étaient divers et qu'il existait à la fois des chevauchements et des trous noirs. J'ai eu beau ouvrir mes oreilles en grand je n'ai rien entendu sur le tabac, le cannabis et autres particularités françaises... Je n'ai rien appris et j'eusse aimé que l'on nous encourageât et non que l'on nous culpabilisât. Sans raison d'ailleurs. Pierre Lombrail nous a invité à consulter des sites internet de santé Publique, oui, bon, d'accord, mais...
Le deuxième exposé est proposé par Jean-Luc Plavis, du CISS (dont nous aurons l'élégance de taire quelques liens d'intérêt), dont la carte de visite est aussi longue que les titres d'un général de l'armée mexicaine. Il me choque d'emblée en disant, "Bonjour, je m'appelle, Jean-Luc Plavis, et je suis porteur d'une maladie de...", comme s'il s'agissait d'une qualité et non d'une affection. Passons. Nous avons eu droit à tous les poncifs sur le patient qui a le droit de savoir, du patient malade qui est seul capable de raconter sa maladie, de la masse de données non exploitées que représentent les vécus des malades, qui doit participer à la décision thérapeutique, et, last but not least, qui peut devenir patient-expert capable d'informer et de former les autres patients porteurs de la même maladie. J'ai l'air de me moquer mais en fait je suis d'accord avec tout cela. Mais cet exhibitionnisme me gêne un peu et cette recréation d'une hiérarchie symbolique entre patients sachants et patients ignorants me paraît curieuse.
Les questions de la salle sont assez drôles. On reproche aux deux premiers de ne pas avoir cité les sages-femmes dans le suivi de la femme enceinte, un oubli sans doute significatif dans ce monde d'hommes médecins, d'avoir parlé de capital santé, et cetera. On pose une question sur les éventuels liens d'intérêt du patient-expert, ce qui fait sursauter le staff prescririen, on demande ce qu'il en est des liens d'intérêt des associations de patients avec l'industrie pharmaceutique et un collègue que je ne citerai pas pour ne pas dévoiler son anonymat, interroge notre patient-expert sur le rôle du patient expert dans l'éducation thérapeutique du patient tout venant dans une perspective rogerienne (voir LA).
Bruno Toussaint conclut les rencontres et annonce les prochaines qui se tiendront à Toulouse.
Buffet.
Embrassades, au revoir.
Je le répète : malgré tout, malgré mes nombreuses critiques, je le dis solennellement, heureusement que Prescrire existe, heureusement que les analyses de Prescrire existent, heureusement que l'audibilité de Prescrire progresse, et, en parlant avec les jeunes médecins que j'ai rencontrés, comme je les envie de pouvoir lire une telle revue, comme j'aurais aimé que, médecin en formation, j'aie pu bénéficier de cette ouverture d'esprit, et que, médecin commençant à exercer, j'aie pu ne pas perdre de temps à pratiquer comme on m'avait appris à la fac et, surtout, comme on ne m'avait pas appris... Mais, de grâce, que Prescrire s'ouvre aux spécialités, que Prescrire cesse de nous bassiner avec son idéologie de gauche bien pensante qui ne se trompe jamais, que Prescrire arrête avec sa psychorigidité non généricable sur les génériques, que Prescrire cesse de nous imposer un seul spécialiste de pharmacovigilance, un seul spécialiste en vaccinologie, une seule liste de médicaments à ne pas prescrire, que Prescrire ne se laisse pas abuser par l'idéologie néo libérale du patient roi, et qu'enfin, last but not least, Prescrire s'ouvre au numérique.
Notes.
(1) Un vieux copain de lycée et de fac que je n'avais pas vu depuis au moins 20 ans. Déclaration de lien d'intérêt.
Illustration : Spielberg Steven. Rencontres du troisième type. 1977.
J'ai donc rencontré des rédacteurs de Prescrire, des twittas et des twittos, je ne peux vous révéler leurs pseudos car elles (ils) auraient peur que Mediapart ne vienne croiser leurs pseudos avec les inscrits aux rencontres et leurs absences dans leurs cabinets respectifs ou chez leurs remplaçants, et ne publie des listes qui pourraient intéresser le Conseil de l'Ordre ou les malades qu'elles ou ils fréquentent, des membres du forum Prescrire que je ne nommerais pas non plus de peur que leurs femmes / maris qui les croyaient en train de faire une formation DPC à Montceau-les-Mines n'apprennent qu'ils sont partis rejoindre leurs copines / copains parisiens sous prétexte de servir la messe de la secte du Boulevard Voltaire.
A 10 heures 30 c'est le début de la plénière dans un amphi plein : Ouverture des Rencontres Prescrire 2014.
Philipe Zerr remplace le doyen qui avait piscine et je ne me rappelle pas ce qu'il a dit.
Françoise Brion fait un exposé sans intérêt et parle du prix d'une vie, du patient codécisionnaire et des vaccinations (cherchez l'intrus).
Pierre Chirac lit un texte collectif élaboré par l'équipe de la revue dont le titre aurait pu être L'Evangile selon saint Prescrire et j'entends sans stupéfaction "soignants de bonne volonté".
11 heures : Préparer et penser ensemble l'avenir des soins.
Madame Catherine Naviaux-Bellec (dont les titres sont à eux seuls une invitation à l'ennui : directeur des soins, conseillère pédagogique régionale, Agence Régionale de Santé d'Île-de-France) nous entretient de la réforme des études des étudiants en soins infirmiers. C'est chiant au possible et strictement sans intérêt.
Le docteur Fanny Cussac, jeune installée dans un Pôle de Santé Pluriprofessionnel depuis trois ans, nous expose de façon convaincante le fonctionnement du centre Ramey où il y a quand même 12 MG, 3 cardios, 3 pédiatres et 4 psy. Je n'apprends pas grand chose mais j'entrevois les problèmes que pose ce genre de structure en termes humains et financiers. Un peu étonné, toutefois, qu'un des axes de dépistage soit l'apnée du sommeil... Cela doit être une urgence dans ce quartier populaire de Paris. Je note trois questions à poser à cette jeune collègue mais c'était sans compter le manque de micros et le trop plein de doyens.
Monsieur Gérard Dubey (sociologue) fait un exposé inaudible (les micros ne font sans doute pas partie des nouvelles technologies) sur les nouvelles technologies et nous fait part de l'inintérêt des simulateurs de vol en médecine. On s'en serait douté (il aurait pu lire Perruche en Automne avant de venir).
Puis ce sont les questions et les réponses. C'est Fanny Cussac qui a le droit aux plus nombreuses questions et elle s'en tire bien. Puis c'est l'heure des doyens : on donne la parole au doyen d'une Faculté tunisienne puis au doyen de la Faculté qui avait piscine et qui, les cheveux secs, nous sert un blabla convenu dont je retiens quand même que la médecine générale en est encore à l'enfance. Les deux doyens piquent tellement de temps que les questions de la salle sont terminées : les MG sont encore volés mais cela n'étonne personne. Mes trois questions seront sans réponse : elles étaient sans doute sans intérêt.
12 H 30 - 14 H
Sandwichs, boissons et posters.
Je le dis tout net : dans les congrès Glaxo ou Sanofi, mes amis de big pharma, la bouffe est meilleure. Ici, c'est pas terrible, on mange debout, le vin est médiocre, mais bon, j'échange avec des collègues, twittas et twittos, Jean, Philippe, Olivier et d'autres.
Je vais jeter un oeil sur l'exposition de posters.
Les posters, depuis toujours, ça m'emmerde, que ce soit dans les congrès ou ailleurs. A l'origine, j'avais prévu d'en faire un qui se serait appelé "Evidence Based Medicine en Médecine générale : l'avenir" mais cela m'a fait suer car power point me posait des difficultés pour les schémas que je voulais faire et je n'avais pas envie de me retrouver planté devant mon poster attendant que des confrères et amis viennent me poser des questions plus ou moins intéressantes sur un poster plus ou moins intéressant.
Il y avait quand même 67 posters, plutôt bien réalisés, dans une esthétique plus power point que Prescrire (heureusement) et je me suis balladé de façon agréable entre les concepteurs. Pour s'en faire une idée plus complète, voir ICI.
14 H - 15 H 30 Premier atelier : j'avais choisi le 14, Comment se dégager des influences actuelles pour proposer des soins de qualité ?, animé par les docteurs Isabelle de Beco et Philippe Nicot. Intéressant, rien à dire, des situations à décrypter, mais trop court, trop superficiel (on n'avait pas le temps), inhomogénéité des participants, mais Léa Destrooper et moi on nous propose, par hasard, un document sur la couverture vaccinale en Haute-Vienne, et on se déchaîne car c'est le pompom du trafic d'influences, de la corruption et de la bonne conscience et cela mériterait de longs développements qui pourraient faire dire aux lecteurs qu'on n'a pas que cela à faire de lire des textes trop longs, donc, je résume, la CPAM de Haute-Vienne (capitale Limoges) couche avec Glaxo dans un hôtel de passe sous les yeux des maquereaux de l'Etat. J'en profite pour dire que j'en ai assez des médecins qui se présentent et pour vitriner (néologisme docteurduseizième) leur indépendance disent bravement "Je ne reçois plus la visite médicale" comme s'il s'agissait d'un titre de gloire, d'une victoire de l'addictologie, d'une preuve de courage, comme ces gens qui disent avoir arrêté de fumer alors qu'ils ne fumaient que 3 cigarettes par jour en crapotant, à moins bien sûr que tous ces braves gens n'aient fréquenté les VA, les visités anonymes, "Bonjour, je m'appelle le docteur A et cela fait 147 jours que je n'ai pas reçu une visiteuse médicale"...
Avant de se rendre au prochain atelier, petit tour vers le maigre buffet et les posters où chacun y va de son mot gentil pour tromper l'ennui profond qui nous étreint dans le sous-sol de Bichat étonnamment propre et libre de graffiti, ce qui est loin de ce que j'ai connu jadis à Cochin dans les années soixante-dix où les étudiants, libres de tout QCM, refaisaient le monde en taggant des slogans révolutionnaires sur les murs...
16 H - 17 H 30 Deuxième atelier : j'avais choisi le 7, Savoir expliquer aux patients les avantages et les inconvénients des options de soins : trouver les mots appropriés ; accompagner les patients dans leurs choix, animé par les docteurs Michel Labrecque et Madeleine Fabre. ML est canadien. Il fait une présentation solide, très anglosaxonne, mais son exposé me gêne : il expose la méthode du Shared Decision Making à propos du dosage du PSA. Et il nous dit d'abord qu'il ne faut pas se laisser aller à des discussions chaudes sur le sujet du dépistage. Il se fout du monde. Le soignant ne doit pas faire de différence entre l'option dépistage et non dépistage. C'est au patient de choisir. Il nous distribue ensuite un document réalisé par le Collège des médecins du Québec en nous disant qu'il s'agit d'une réponse à une question d'un malade alors qu'il s'agit, explicitement, d'une recommandation faite aux médecins d'en discuter avec leurs patients entre 55 et 70 ans et... blabla.
Il ne semble pas que mes objections attirent un écho favorable dans l'atelier ni d'ailleurs, je le constaterai ensuite, avec d'autres participants à cet atelier (chaque atelier est mené trois fois). Il y a ensuite un jeu de rôle où je joue le patient, une collègue MG m'interroge et deux observateurs jugent de sa démarche. Grosso modo, et à ma grande surprise, je me glisse dans le jeu de rôle malgré mes réticences, je vais bientôt être prêt à me former sérieusement à l'Entretien Motivationnel (comment ne plus recevoir les visiteuses médicales en dehors des heures de consultation) et les autres groupes dans l'atelier jouent aussi le jeu. Je conviens donc de revoir mon médecin dans un an et qu'il me refasse son numéro de "Vous êtes le malade et vous avez tous les droits, je suis le médecin et je ne suis là que pour vous faire accoucher de votre souris..."
La conclusion : pour exposer les techniques du Shared Decision making, la décision partagée, ML et son accent canadien convaincant aurait dû choisir un autre sujet, mais son propos est intéressant, le respect du malade, la neutralité du médecin, toute la soupe progressiste qui cache mal l'idéologie du self, le néo libéralisme et la façon élégante d'introduire le loup dans la bergerie, je veux dire le PSA dans la vie des hommes. Eh bien, justement c'est le hic de ce brillant exposé : cela montre que la décision partagée peut aussi, dans une situation hiérarchique recréée, permettre d'imposer à des patients des décisions qu'ils n'avaient pas envie de prendre. Dans chacun des groupes, 5 groupes de 5, le patient n'a pas voulu se faire doser le PSA.
Et rebelote, le hall d'entrée, la salle des posters, les twittas et les twittos, les lecteurs Prescrire.
Cornaqué par de jeunes médecins généralistes et des étudiants en médecine et en pharmacie, je marche vers Montmartre, ses touristes japonais (qui ressemblent de plus en plus à des touristes coréens et / ou chinois), ses Russes, ses étrangers qui ressemblent tant à ce que nous sommes quand nous visitons des pays étrangers, des toutous, des toutous.
Je passe sur la soirée, le restaurant, la chanteuse qui chante Piaf et le chanteur qui chante mal, les échanges fructueux entre participants, les tapes dans le dos et la rigolade. Mais je ne peux en dire plus car j'ai remarqué combien les twittos et les twittas tenaient à leur anonymat.
Samedi matin 9 H.
Même hall de Bichat, même café et jus d'orange, mêmes croissants, mêmes pains au chocolat, mêmes pains au raisin, mêmes posters.
9H 30 - 11 H. Je me suis inscrit à l'atelier numéro 9 (et bien que des djeunes m'aient dit que le truc était intéressant mais que l'on sentait, derrière la décontraction, les arguments d'autorité) animé par les docteurs Alain Siary et Michèle Richemond : Le dépistage, le diagnostic précoce, les examens complémentaires sont-ils bénéfiues aux personnes en bonne santé ? Où s'arrête le "juste soin", où commence le traitement par excès ? Alain Siary est un vieux routier de ce genre de sujet, il connaît son affaire et je l'ai trouvé plutôt bon bien que parfois un peu confus et approximatif. C'est le problème quand on aborde des sujets que l'on connaît bien, on s'ennuie ou on critique l'orateur (il y avait le cancer de la prostate et le cancer du sein dans ses exposés, nul doute que cela rappelle quelque chose aux lecteurs de ce blog, non ?). Je ne me suis pas ennuyé. Les animateurs nous ont proposé 4 cas cliniques à analyser. Le cas clinique présenté à mon groupe m'a désorienté alors que je savais d'emblée quelle était l'intention des animateurs : ne pas prescrire de statine. J'étais hésitant, hésitant pour justifier l'une ou l'autre des attitudes, je pense qu'en situation clinique j'aurais sans doute prescrit une statine (il faut savoir que j'ai été élevé dans le culte des statines à une époque où Lipanthyl dominait les débats franco-français). J'ai encore du chemin à parcourir pour être moins hésitant. N'est-ce pas l'intérêt de ces rencontres ? Mais en outre le cas numéro 3 a pointé l'étendue de mes méconnaissances. Cela dit les autres cas cliniques m'ont paru mal documentés et peu en rapport avec les ambitieuses questions posées par l'atelier mais je me suis amusé.
11 H 45 - 13 H. Améliorer sa pratique en comprenant les attentes des patients.
Le premier exposé est mené par Philippe Zerr (maître de conférences associé de médecine générale) et par Pierre Lombrail (1) (professeur de santé publique). Ils mènent le jeu en duo mais ils auraient dû un peu plus répéter. Je dois dire que je me suis rasé. Mais pas seulement. Nous avons eu droit à des propos généraux et lénifiants sur la prévention et l'éducation à la santé avec des diapositives qui auraient rendu intéressantes les photographies de Suzette, la cousine de Lucie, aux bains de mer, et, surtout, et surtout le maître de conférences, on nous a pris pour des khons, je veux dire les MG qui ont un peu de pratique, les MG qui viennent de s'installer et qui ne savent pas, les pôvres, que le milieu compte pour aborder la santé de ses patients. Notre maître de conférences a souligné combien il était important de déceler l'alcoolisme, de vacciner contre l'hépatite B, de ne pas oublier les rappels de coqueluche et de (bien) suivre les femmes enceintes en rappelant combien la France était mal placée, très mal placée, sur l'item Mortalité maternelle. Nous savions déjà que les structures de dépistage étaient multiples et variées, que les financements étaient divers et qu'il existait à la fois des chevauchements et des trous noirs. J'ai eu beau ouvrir mes oreilles en grand je n'ai rien entendu sur le tabac, le cannabis et autres particularités françaises... Je n'ai rien appris et j'eusse aimé que l'on nous encourageât et non que l'on nous culpabilisât. Sans raison d'ailleurs. Pierre Lombrail nous a invité à consulter des sites internet de santé Publique, oui, bon, d'accord, mais...
Le deuxième exposé est proposé par Jean-Luc Plavis, du CISS (dont nous aurons l'élégance de taire quelques liens d'intérêt), dont la carte de visite est aussi longue que les titres d'un général de l'armée mexicaine. Il me choque d'emblée en disant, "Bonjour, je m'appelle, Jean-Luc Plavis, et je suis porteur d'une maladie de...", comme s'il s'agissait d'une qualité et non d'une affection. Passons. Nous avons eu droit à tous les poncifs sur le patient qui a le droit de savoir, du patient malade qui est seul capable de raconter sa maladie, de la masse de données non exploitées que représentent les vécus des malades, qui doit participer à la décision thérapeutique, et, last but not least, qui peut devenir patient-expert capable d'informer et de former les autres patients porteurs de la même maladie. J'ai l'air de me moquer mais en fait je suis d'accord avec tout cela. Mais cet exhibitionnisme me gêne un peu et cette recréation d'une hiérarchie symbolique entre patients sachants et patients ignorants me paraît curieuse.
Les questions de la salle sont assez drôles. On reproche aux deux premiers de ne pas avoir cité les sages-femmes dans le suivi de la femme enceinte, un oubli sans doute significatif dans ce monde d'hommes médecins, d'avoir parlé de capital santé, et cetera. On pose une question sur les éventuels liens d'intérêt du patient-expert, ce qui fait sursauter le staff prescririen, on demande ce qu'il en est des liens d'intérêt des associations de patients avec l'industrie pharmaceutique et un collègue que je ne citerai pas pour ne pas dévoiler son anonymat, interroge notre patient-expert sur le rôle du patient expert dans l'éducation thérapeutique du patient tout venant dans une perspective rogerienne (voir LA).
Bruno Toussaint conclut les rencontres et annonce les prochaines qui se tiendront à Toulouse.
Buffet.
Embrassades, au revoir.
Je le répète : malgré tout, malgré mes nombreuses critiques, je le dis solennellement, heureusement que Prescrire existe, heureusement que les analyses de Prescrire existent, heureusement que l'audibilité de Prescrire progresse, et, en parlant avec les jeunes médecins que j'ai rencontrés, comme je les envie de pouvoir lire une telle revue, comme j'aurais aimé que, médecin en formation, j'aie pu bénéficier de cette ouverture d'esprit, et que, médecin commençant à exercer, j'aie pu ne pas perdre de temps à pratiquer comme on m'avait appris à la fac et, surtout, comme on ne m'avait pas appris... Mais, de grâce, que Prescrire s'ouvre aux spécialités, que Prescrire cesse de nous bassiner avec son idéologie de gauche bien pensante qui ne se trompe jamais, que Prescrire arrête avec sa psychorigidité non généricable sur les génériques, que Prescrire cesse de nous imposer un seul spécialiste de pharmacovigilance, un seul spécialiste en vaccinologie, une seule liste de médicaments à ne pas prescrire, que Prescrire ne se laisse pas abuser par l'idéologie néo libérale du patient roi, et qu'enfin, last but not least, Prescrire s'ouvre au numérique.
Notes.
(1) Un vieux copain de lycée et de fac que je n'avais pas vu depuis au moins 20 ans. Déclaration de lien d'intérêt.
Illustration : Spielberg Steven. Rencontres du troisième type. 1977.
17 commentaires:
j'ai participé aussi à l'atelier québécois, avec la même critique : quelle pertinence à la décision partagée quand la balance bénéfices-risques du dépistage est nettement défavorable ?? Mais on m'a répondu que puisque le test PSA était commercialisé, c'était le devoir du médecin de consacrer 30 minutes par homme de plus de 50 ans à en causer. Bon, sûrement que ça aurait été plus pertinent pour Hémoccult°, où là au moins il y a un soupçon de preuve que c'est efficace sur la mortalité spécifique (mais seulement dans les essais, c'est une autre histoire).
Au total : des grands concepts pour de l'enfume.
amitiés
Pierre
Salut.
Tu écris :"On reproche aux deux premiers de ne pas avoir cité les sages-femmes dans le suivi de la femme enceinte, un oubli sans doute significatif dans ce monde d'hommes médecins".
Mais dans ta liste de "mots-clefs" ou "tags", il n'y a pas "sage-femme".
Il y a pourtant un enjeu majeur : elles visent clairement à terme la place laissée vide par les "gynécomed".
Or ,ces vilaines gynécomeds étaient dénigrées par les MG; alors que "les gentilles SF" ne le sont pas du tout : les mg, sans doute progressistes par nature, ne voudraient surtout pas passer pour des réacs défendant leurs privilèges...
@ Mauboussin.
Pas de tags sage-femme pour deux raisons : 1) j'ai très peu de contacts avec elles bien que je leur adresse beaucoup de patientes pour le suivi des grossesses (mais dans le service de gynobs de mantes les courriers sont rarissimes et n'informent que sur Apgar et poids de naissance ; 2) Je ne voulais pas trop me mouiller et, avant de parler, je voulais m'assurer que leurs prescriptions de pilules avant la fameuse crise n'étaient pas aussi cata que ce que j'avais cru.
Bonne journée.
Eh bien on a des points communs. C'est vrai que lorsqu'on a exercé pendant quelques dizaines d'années et qu'on a pas mal lu de choses diverses, au cours des rencontres Prescrire, on n'apprend pas vraiment grand chose. Et que lorsqu'on assiste à des discours ou des exercices sur des sujets qu'on connait bien, on est forcément critique... Mais on n'est pas forcément là pour ça. Moi j'y vais surtout pour rencontrer des gens. Des gens que je connais virtuellement, ou des gens que je ne connais pas du tout. Et je ne suis jamais déçu. Là j'ai eu le plaisir de te rencontrer, par exemple. Et aussi, en tant que rédacteur Prescrire, c'est toujours intéressant d'écouter ce que disent des lecteurs a propos du contenu et de la forme de la revue. Voilà. En somme, les "rencontres Prescrire", ce sont surtout des rencontres... Amicalement. Jean Doubovetzky
Ton dernier souhait tient du vœux pieux ...
Ca avait l’air sympa et tu sembles avoir passé un bon moment. Tu caches mal ton enthousiasme. Problème : tu t’es généré plein de conflits d’intérêts avec des personnes que tu vas avoir du mal à critiquer désormais.
L’angle adopté pendant ces rencontres prend ses distances avec l’approche classique et instinctive du médecin moyen dont la question la plus fréquente est : « qu’est-ce que je fais maintenant ou qu’est-ce que je dois faire dans tel cas ? ». Les médecins sont formés comme ça, pour être des gens pratiques qui sont toujours dans l’action et qui veulent « faire » quelque chose.
Mais c’est un mode de fonctionnement dangereux qui risque vite de réduire le médecin au statut d’exécutant d’une médecine conçue par d’autres. Il y a plein de gens qui sont très désireux d’expliquer aux médecins ce qu’ils doivent faire maintenant. Et, même s’il y avait là, à cette rencontre Prescrire, une brochette de jeunes médecins pensants, ils ne constituent pas encore la majorité parmi les étudiants. On peut même dire qu’il y a une grande banalisation des conflits d’intérêts omniprésents dans les études de médecine comme le montre cette étude récente, la première du genre faite en France http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0092858#s3 . Seulement un tiers des étudiants interrogés environ, de la première année au résidanat, pensent que recevoir un cadeau des VM, être invités par eux au restaurant, participer à une formation financée par Bip Pharma, ou avoir un proche travaillant pour Big Pharma constitue un conflit d’intérêt.
On retrouve la classique discordance entre les déclarations et la pratique, les étudiants ayant plus de mal à reconnaître qu’il y a conflit d’intérêts quand cela s’applique à eux-mêmes et à leur propre comportement que en théorie.
En ce qui concerne les patients, je trouve qu’il y a un côté bien pensant et politiquement correct à vouloir promouvoir l’expertise scientifique des patients. La première expertise à promouvoir chez les patients c’est l’expertise par rapport à eux-mêmes. C'est-à-dire l’apprentissage de la réflexion concernant leur propre santé et la capacité à se comporter en sujets autonomes et non en pantins téléguidés. Parce que le pendant du médecin exécutant qui demande : « qu’est-ce que je dois faire maintenant ? « est le patient consommateur qui veut tout tout de suite. Et il y a là aussi plein de gens (les mêmes en fait, que pour le médecin) qui sont prêts à lui donner ce qu’il demande (à le lui faire croire tout au moins), mais à condition qu’il laisse au vestiaire sa capacité de réflexion autonome et qu’il ait confiance en la « science ». La « science » a besoin d’individus-objets, aux comportements prévisibles et identiques.
Car, paradoxalement, dans cette société où l’individualisme est roi et où le client roi, hédoniste, consommateur, qui sait ce qu’il veut et qui l’ exige est porté au pinacle, encensé et courtisé, l’individu pensant, celui qui refuse la chimio, celui qui ne veut pas être fliqué par le modem installé sur son appareil de ventilation, celui qui ne veut pas du vaccin contre le papillomavirus ou contre l’hépatite B est, d’office, considéré comme suspect.
La bonne question pour moi, celle que je me pose le plus souvent, même si c’est fatigant et que ça prend beaucoup de temps est : »pourquoi je devrais faire ça maintenant ? »
@ CMT
"Problème : tu t’es généré plein de conflits d’intérêts avec des personnes que tu vas avoir du mal à critiquer désormais."
L'expression "conflits d'intérêts" a un sens relativement précis : ils sont explicitement associés à des avantages financiers, ou au moins matériels. Utiliser cette notion dans d'autres sens c'est risqué d'en atténuer la portée car, à ce train là nous avons tous des conflits d'intérêts qui peuvent être nos préférences intellectuelles, nos sympathies et antipathies etc
Puisque en ce sens nous aurions tous des conflits d'intérêts, nous banalisons le terme et ceux qui touchent beaucoup d'argent pour que leur expertise ou leurs propos publiques soient orientées pourront dormir tranquilles.
A CMT
En lisant la fin de ton commentaire , je n'ai pas pu m'empêcher de penser au lire " Le meilleur des mondes" .
Huxley était un visionnaire
A BG,
Je plaisantais, bien sûr.
Néanmoins votre définition des conflits d’intérêts est un peu déficiente. En fait, la définition des conflits d’intérêts est tellement compliquée que l’on s’y casse facilement les dents. La définition utilisée pour expliquer ce qui doit être déclaré comme conflits d’intérêts est : « Un conflit d’intérêts existe donc lorsque le jugement, les décisions ou les interventions d
’un professionnel sur un
sujet d’intérêt principal risquent d’être modifiés par un intérêt secondaire. »
Le problème avec les conflits d’intérêts c’est qu’ils sont multiformes. Ils peuvent être fortuits (comme quand on a un parent ou un ami dont les opinions, le travail, peuvent influencer notre attitude au sujet d’un intérêt principal) ou générés intentionnellement (comme c’est le cas avec les conflits d’intérêts que génèrent les VM en invitant les étudiants ou médecins au restaurant ou en leur offrant des cadeaux). Ils peuvent être matériels, intellectuels ou de nature affective . Leur existence peut être objectivée mais l’existence des conflits d’intérêts représente un risque.
Les effets du risque (jugement biaisé) sont d’autant plus difficiles à mettre en évidence qu’il y a nécessairement déni, de la part de ceux qui ont des conflits d’intérêts et de la part de ceux qui les ont générés, quand c’est intentionnel.
Marc Rodwin met l’accent sur la question de la loyauté. Il dit qu’il y a conflit d’intérêt pour un médecin, lorsqu’il se trouve dans une situation où sa loyauté est partagée entre le malade et une autre partie. Le terme « loyauté » me paraît particulièrement adapté pour décrire ce qui se passe quand il y a conflit d’intérêt.
En fait, le problème me semble venir du fait que les conflits d’intérêt sont le mode de fonctionnement courant de tout un chacun dans la vie de tous les jours. Comme on dit : chacun voit midi à sa porte.
Les firmes pharmaceutiques ne font qu’utiliser à dessein quelque chose qui existe déjà, qui nous est naturel et qui est un mode de fonctionnement instinctif. Notre loyauté va à celui qui nous rend service, qui se montre prévenant, qui nous offre des cadeaux. C’est la réciprocité.
Se défendre contre les conflits d’intérêts nécessite donc de mettre en place un comportement contre-intuitif, et c’est pour ça que c’est compliqué .
Le problème des conflits d’intérêts des médecins ce sont les conséquences pour les patients.
A MG,
C’est un peu ce que j’avais en tête et je trouve qu’on y va. Lentement mais sûrement.
@CMT :le lien est corrompu. Dommage!
@CMT : en fait il fonctionne par copier/coller. Il y a juste un espace de trop à la fin
@ CMT
Je suis allé faire un tour rapide sur un document de la HAS traitant des liens et conflits d'intérêts. C'est effectivement très complexe.
En fait ils considèrent d'abord les liens d'intérêts et ce sont ces liens qui doivent être déclarés pour être ensuite appréciés afin de décider s'ils peuvent ou non générer un conflit d'intérêt :
"Selon la définition de la charte de l’expertise : « Un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle les liens d’intérêts d’une personne sont susceptibles, par leur nature ou leur intensité, de mettre en cause son impartialité ou son indépendance dans ’exercice de sa mission qui lui est confiée au regard du dossier à traiter ».
"L’intensité du lien doit donc être analysée, avant d’apprécier son impact au regard de la mission
exercée."
"L’intérêt peut résider dans un avantage, ou une absence de désavantage, pour soi ou dans un
avantage ou un désavantage pour autrui, dans une situation d’inimitié ou de concurrence.
L’intérêt peut être matériel ou moral.L’intérêt peut être direct ou par personne interposée. L’intérêt peut être actuel, ancien, voire futur."
C'est pas simple ! Si peu simple que je doute que tous ces aspects du lien d'intérêt puissent réellement envisagés en pratique.
http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/guide_dpi.pdf
Bonjour,
à propos des statines, à propos de la prévention secondaire, j'ai bien aimé la phrase de Uffe Ravnskov du thincs.org que vous pourrez trouver dans cette interview : http://peter-one-instant.blogspot.fr/2009/11/is-high-cholesterol-cause-of-heart.html
Je cite :
"If statins can be helpful in reducing the incidence of heart attacks, who should take them?
In my view nobody. When I was practicing I used to describe the benefit in this way: Considering your age and your previous heart attack your chance to be alive in five years is about 90%. You can increase that chance to 92% if you take a statin pill every day, but then you may also expose yourself to its many adverse effects."
Bon je vous accorde que ça reste un peu partisan ;)
A Pierre Frouard,
Je pensais que le lien était actif. Je suis un peu perdue avec ces balises HTML. Jean-Claude a essayé vaguement de me former mais le succès est mitigé parce que parfois ça marche, parfois ça ne marche pas, et je ne comprends pas toujours pourquoi.
Un compte rendu de cette étude sur les conflits d’intérêts des étudiants en médecine a été d’abord publié dans le » quotidien du médecin » ces jours-ci. Mais, un petit conseil à la cantonnade, si une étude vous intéresse allez voir l’étude et ne vous arrêtez pas au compte-rendu, toujours très incomplet et éventuellement tendancieux.
Je refais un essai pour mettre le lien
http://www.plosone.org/article/info%3Adoi%2F10.1371%2Fjournal.pone.0092858#pone.0092858-Shnier1 .
Plusieurs aspects intéressants dans cette étude. Outre le fait qu’elle est nationale et porte sur 2000 étudiants en médecine de tous niveaux de la première année jusqu’aux résidents
• Les étudiants en médecine identifient majoritairement mal (pour les deux tiers environ) les situations de conflits d’intérêts où il y a des transferts d’argent indirect (petits cadeaux, avoir un proche travaillant pour Big Pharma, participer ou être invité au restaurant, à une formation, à une conférence organisée par Big Pharma), et identifient un peu mieux les situations de conflits d’intérêts où il y a une transfert direct d’argent, pour 60 à 90% environ selon les situations ou le niveau d’études (émoluments pour des recherches, des conférences, bourses ou perception de salaires ou posséder des actions dans l’industrie pharmaceutique)
• Seulement un étudiant sur dix ayant répondu a effectué des recherches personnelles concernant les conflits d’intérêts et moins de un sur vingt a assisté à des conférences sur le sujet. Ceux qui ont fait des recherches personnelles identifient mieux certains conflits d’intérêts
• La capacité à identifier les conflits d’intérêts ne s’améliore pas, globalement, au cours des études, mais, les résidents, qui sont très nettement exposés, en tant que prescripteurs, à recevoir des cadeaux, sont les moins favorables à la transparence sur ces liens d’intérêts
On peut faire l’hypothèse que la capacité à reconnaître les conflits d’intérêts est déterminée, en l’état actuel, d’abord par des facteurs éducatifs et familiaux, qui déterminent, notamment la capacité d’avoir un regard critique sur ces pratiques.
On peut se dire que les autorités, l’Etat, adresse un message qui ressemble à une injonction paradoxale, et on sait que les injonctions paradoxales sont de nature à paralyser la capacité à penser : d’une part on laisse entendre que les liens d’intérêt peuvent avoir une influence néfaste, d’autre part on met tout en place pour que les conflits d’intérêts deviennent structurellement consubstantiels au système de santé et on les banalise, en particulier à l’hôpital.
SUITE On peut penser que les VM utilisent les mêmes techniques que celles qui sont utilisées par la publicité : générer artificiellement des associations positives, le message positif pour un médicament sera associé à un moment convivial et agréable. On sait que la force de ce type d’approche est de passer sous le radar de la conscience.
Le problème demeure, qu’on l’accepte ou non, qu’ on a reçu une information connotée positivement, ce qui signifie que pour la contrebalancer il faudra passer des heures à faire des recherches personnelles pour extraire des études non biaisées sur le sujet. Est-ce que quelqu’un qui a accepté d’aller au resto pour qu’on lui parle du médicament X va faire l’effort de faire cette démarche ? J’en doute. C’est pourquoi, quand un médecin accepte une invitation au resto, le VM sait que la partie est gagnée.
On voit que les résidents, de plus en plus courtisés par les VM, sont aussi de plus en plus mal à l’aise sur la transparence des liens d’intérêt. Je crois que c’est le point de bascule, celui où les mécanismes de réduction de dissonance cognitive et d’auto-justification se mettent en place.
Concernant la loi sur le médicament et les politiques de transparence, on sait ce qu’il en est advenu : elles ont été vidées de leur substance par une action concertée des autorités et des laboratoires pharmaceutiques http://www.formindep.org/Le-ministere-de-la-sante-organise.html .
Il ne faut pas sous estimer la difficulté à combattre les liens d’intérêts. Le combat entre patients et VM est inégal. D’un côté des VM élégants, parfumés, souriants, disponibles, compréhensifs, à l’écoute, fiables, qui arrivent les mains chargés de cadeaux et d’études bidons agréablement présentées sur du papier brillant, toutes en couleurs. De l’autre des patients ronchons, exigeants, infidèles, plaintifs, peu fiables (qui posent des lapins ou ne prennent pas leurs médicaments) etc. Les associations positives et négatives sont vite faites.
Ce qui est intéressant aussi, dans cette étude, c’est que ce sont des médecins hospitaliers qui l’ ont imaginé, conçu et menée à bien. Or, on sait à quel point l’hôpital est à la fois en train de voir sa destinée de plus en plus liée aux stratégies marketing des laboratoires et est en train de devenir le centre de gravité des politiques et des coûts de santé.
Bravo. Belle étude.
j'avais commis un long commentaire sur ce post, sur l'instinct grégaire en général, (Prescririens de tous pays unissez-vous !!!) puis sur les limites floues très floues des conflits d'intérêt, mais c'était devenu boursoufflé et incompréhensible même par moi;finalement je me contenterai de cette vieille assertion d'une chanson de Léo Férré qui me faisait bander quand j'étais jeune :" les gens qui pensent en rond ont les idées courbes"....et le cercle est vicieux
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