jeudi 20 février 2020

Cela va bien péter un jour.

Hôpital de Wuhan avant les malfaçons - AFP


Histoires avec paroles mais avec ou sans commentaires (lundi et mercredi derniers).


Une patiente de trente-deux ans, secrétaire administrative, a pris rendez-vous. Elle a réussi à en obtenir un en 48 heures grâce à un désistement de dernière minute. Le délai habituel, hors urgence, est d'environ une semaine.
" J'ai fait la grippe."
Elle me raconte son histoire qui ressemble autant à une grippe que moi à un dromadaire.
Madame A a donc "fait" un petit rhume. Et quand elle entre dans mon bureau, elle est "guérie".
"Pourquoi avoir maintenu votre rendez-vous ?
- Pour vérifier que je suis bien guérie.
- Hein ?"
Voici ce que je lui ai dit : "Madame A, quand on a eu un rhume on ne prend pas rendez-vous chez un médecin débordé, le fait que vous ayez guéri toute seule montre que les Kleenex sont le meilleur remède avec le paracétamol... et vous auriez pu gentiment annuler le rendez-vous, cela aurait certainement fait plaisir à un patient..."


Madame B, 93 ans, est tombée chez elle il y a quelques jours. Elle a été conduite aux urgences par les pompiers. Fracture du col du fémur. Hospitalisée. Sa fille m'appelle pour me dire qu'on lui a trouvé un cancer du poumon. Pourquoi lui a-t-on fait un scanner ? Cette patiente était insuffisante respiratoire (BPCO tabagique), hypertendue traitée, diabétique non id. Et vous savez quoi : on veut la traiter pour son cancer du poumon.


Le petit C, 27 jours, est allongé en body sur le lit d'examen. C'est l'examen du premier mois.
Interrogatoire (pas du petit, de la maman). Examen, mensurations, pesée... 
Rien à signaler.
Ah si : avant-hier une sage-femme est passée au domicile des parents pour peser l'enfant qui est né prématuré. Le poids est inscrit dans le carnet de santé. Rien d'autre.
Cette famille est une famille sans problèmes. Je les connais depuis environ 12 ans.
Dans une famille sans problèmes (sociaux) au coeur du Val Fourré où les problèmes sociaux pullulent, une sage-femme de la territoriale se déplace à domicile pour peser un enfant... qui a rendez-vous le surlendemain chez le médecin de famille.

Monsieur D, quarante-sept ans, accident de travail, rupture du sus-épineux droit chez un droitier, électricien de son état, opéré sous arthroscopie veut reprendre le travail parce qu'il s'ennuie chez lui. Comme il travaille dans la fonction publique et qu'il est en congé de longue maladie, il faut certes l'avis du médecin du travail (qui est d'accord), mais il faut passer devant un expert médecin de la fonction publique et demander l'avis de la commission départementale qui se réunit une fois par mois (la prochaine commission est déjà pleine de dossiers). Prolongation d'arrêt d'au moins un mois. Pour rien. Cela ne coûte rien à la CPAM puisqu'il s'agit d'un accident de travail géré par une assurance privée.


Visite à domicile chez Madame E, 87 ans, que j'ai fait hospitaliser pour une énième poussée d'insuffisance cardiaque que je n'arrivais pas à juguler (je remercie particulièrement FZ pour tout ce que j'ai appris sur la prise en charge de l'IC). Elle est sortie de l'hôpital il y a trois semaines où elle est restée 8 jours. Pas de courrier dans ma boîte. Pas de courrier donné à la patiente. Une ordonnance a été faite pour un mois. Cette ordonnance est strictement identique à celle que j'effectuais avant l'hospitalisation. Peu importe : la malade va mieux. Ce qui est ahurissant c'est l'absence de courrier. Je ne demandais pas un courrier de 20 pages... Et : autre chose : elle a trois nouveaux RV à l'hôpital et pas de prescription de bons de transport.


Monsieur F, 28 ans, appel téléphonique transmis par la plate-forme (désormais associée à Doctolib), veut, exige, un rendez-vous aujourd'hui, "Je crois que j'ai une gastro." Je lui explique ce qu'il doit faire sur le plan hygièno-diététique, la symptomatologie est légère, qu'il n'a pas besoin de prendre de médicaments, il me précise qu'il n'a pas besoin d'arrêt de travail, il prendra des RTT... J'ai évité un patient de plus.

Leitmotiv : "Pourquoi prenez-vous votre retraite ? Vous êtes encore jeune. Qu'est-ce que nous allons devenir ?" Puis, après explications : "Vous l'avez bien méritée..." Tout flatteur vit aux dépens...


J'explique pour la énième fois à plusieurs patient.e.s que, non, je n'aurai pas de successeur, que, oui, c'est à cause de mon bailleur qui refuse de changer l'intitulé du bail pour ne pas avoir à construire un double plan incliné devant le cabinet, que, oui, j'ai fini par obtenir la dérogation de la mairie pour l'accès aux handicapés après deux ans de procédure, que non, je ne peux pas conseiller de nouveau médecin car j'ai 1554 patients de plus de 16 ans dont je suis le médecin traitant et que mon seul souci sera de trouver un nouveau médecin traitant aux patientes que je vais voir à domicile, patientes âgées, polypathologiques, comme Madame E, parce que certains médecins ne font plus de visites à domiciles ou refusent d'en faire au Val Fourré... Mais, tout baigne, une maison de santé est en cours de construction à Mantes-La-Jolie. Hors Val Fourré. En centre-ville. Il faudra désormais prendre le bus pour aller chez le médecin. Ou sa voiture. Loi Inverse des Soins. Je rappelle également qu'en 1979 il y avait 4 centres de PMI intra muros au Val Fourré : aujourd'hui : 0.

Ad libitum.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci à toi de prendre le temps de décrire notre quotidien. L'un des paradoxes de la spécilisation de la médecine c'est que la médecine générale n' a jamais été à la foia aussi nécessaire, aussi intéressante/excitante et...fatiguante (intellectuellement)

Cf ce jour l'humeur de notre consœur Australienne
https://www.legeneraliste.fr/actualites/article/2020/02/22/une-oncologue-australienne-alerte-sur-les-dangers-de-la-super-specialisation-de-la-medecine-moderne_321516?xtor=EPR-2-%5BNL_info_du_jour%5D-20200222&utm_campaign=NL_infodujour&utm_source=gene&utm_content=20200222&utm_medium=newsletter

En ce momentune de mes formations continue pourrait s'appeler "initiation au dialogue médical en Roumain" à cause de l' arrivée assez massive d'ouvriers venant succéder dans l' agro-alimentaire local aux Turcs, portugais et Maliens
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