lundi 3 février 2025

Aminence Based Medicine.

 


Je ne connais Doc Amine ni des lèvres ni des dents.

J'avais déjà lu certains tweets problématiques (que j'ai oubliés).

On me dit que c'est un influenceur.

Et je "tombe" sur ce tweet.

Oublions Doc Amine pour ne pas en faire un problème personnel.

Voici ce que j'ai écrit sur X (pour en finir avec les problèmes personnels) : 


FIN DE LA BLAGUE


LE FOND

Ce tweet pose plusieurs problèmes : 

Celui du paternalisme médical. Il peut s'exprimer, selon Joel Feinberg (1) de façon soft (légitimé par l'incompétence des personnes et qui s'impose de manière involontaire) ou de façon hard (qui revendique une action pleinement directive et volontaire sur la personne). En réalité, selon  Dworkin (2) : le paternalisme consiste dans « une intervention sur la liberté d’action d’une personne, se justifiant par des raisons exclusivement relatives au bien-être, au bien, au bonheur, aux besoins, aux intérêts ou aux valeurs de cette personne contrainte »  Dans le cas de ce tweet l'auteur considère le patient et, ici, la personne en bonne santé dans le cadre d'un dépistage, comme une personne ignorante, imbécile, incapable de comprendre et donc lui impose ce qui est bon pour elle au nom d'une divinité qui serait la Science telle qu'il l'a comprise.

Celui du refus de la décision partagée. Le patient ou la patiente n'ont pas le choix. Ils doivent s'incliner devant le pouvoir du soignant qui sait. S'ils disent non ou s'ils contestent, ils dégagent. Cette asymétrie assumée de la relation soignant/soigné est préoccupante car c'est un retour en arrière violent. C'est une manifestation arrogante du sachant sur le profane.

Celui de l'ignorance. La lecture de la littérature médicale fait partie du métier du médecin.  Les résultats des essais sont des données à considérer (et d'autant plus que dans le cas qui nous préoccupe aucun dépistage ne sauve de vies). Certains  dépistages  diminuent certes significativement la mortalité relative mais exposent à des risques que sont le surdiagnostic et le surtraitement. Les incertitudes sur les données devrait inciter le soignant à se méfier de ses propres croyances.

Celui du chantage aux soins. Il n'est pas acceptable de menacer une personne en bonne santé de ne pas la traiter en cas de maladie sous prétexte qu'elle refuse un dépistage quand elle n'est pas malade. Dans les années quatre-vingt certains chirurgiens vasculaires refusaient de traiter des patients qui n'avaient pas renoncé de fumer. Cette violence est d'une brutalité extrême.

Celui de la négation de l'individu en tant que personne. C'est le point aveugle de la médecine par les faits (Evidence Based Medicine). Chaque personne est différente, il n'existe pas de patient moyen, les patients enrôlés dans les essais ne représentent pas les patients vus dans la vraie vie et ainsi le soignant se trouve-t-il confronté à la décision thérapeutique fondée sur des données qui ne sont pas obligatoirement pertinentes et qui ne concernent pas le patient qu'il a en face de soi. La théorie de ce tweet est : "Ne réfléchis pas, fonce dans le tas"

Celui de l'inégalité devant la santé et l'accès aux soins des catégorisées défavorisées de la société. C'est e seul point sur lequel le théoricien de l'Aminence Based Medicine est "juste" mais sans le savoir, ce qui le rend injuste. Car, au lieu d'en faire un combat social et informatif, passer encore plus de temps à expliquer, convaincre, prendre son temps, discuter, il passe en force au nom d'une morale sociale justifiée selon lui parce qu'il travaille dans une zone défavorisée, et, incidemment, pour montrer qu'il fait partie des bons et des valeureux. Non seulement ce sont des profanes mais ce sont des racisés : je fais leur bonheur malgré eux.


COMMENTAIRES FINAUX


  1. Aucun dépistage organisé (pas plus que sauvage, mais on ne peut le savoir car les études n'ont pas été faites) n'a montré une diminution de la mortalité globale lors du dépistage des cancers : de la prostate, du sein, du col de l'utérus, du colon et du rectum, du poumon. 
  2. Le dépistage organisé a montré parfois une diminution significative de la mortalité relative à l'affection en cause.
  3. Il existe des risques inhérents au dépistage, mais pas seulement en cancérologie...
  4. Le rôle des soins primaires est d'identifier prioritairement les personnes non malades à risque et de les informer sur les risques absolus ou relatifs qu'ils ou elles courent (si on les connaît vraiment).
  5. Les citoyennes et les citoyens ont le droit de mourir de ce qu'ils ou elles veulent, conduire sans ceinture de sécurité, fumer du tabac, boire de l'alcool, mais il n'est pas possible de leur dire qu'on ne va pas les soigner s'ils arrivent aux urgences fracassés par un accident de voiture alors qu'ils n'avaient pas porté de ceinture, ou ne pas les soigner en cas de BPCO, cancer du poumon, infarctus du myocarde parce qu'ils ont fumé...
  6. La santé publique est un sport de combat.


Notes :

(1) Joel Feinberg, Canadian Journal of Philosophy, 1, 1977, p. 106-124

(2) Gerald Dworkin, « Paternalism », The Monist, 56, janvier 1972, p. 65 traduction par Alexandre Jaunait, ICI.





1 commentaire:

Anonyme a dit…

👏👏👏 ça vaut vraiment le coup de développer dans le cadre de la Santé globale ( champ libre par rapport à mon travail qui, j’espère, vous inspirera)