De plus en plus de médecins savent combien le dépistage universel du cancer de la prostate par le dosage du PSA chez les hommes de plus de 50 ans n'a pas montré un rapport bénéfices / risques documenté.
Néanmoins, une majorité de médecins, semble-t-il, continuent de doser le PSA chez leurs patients à partir de l'âge de 50 ans dans le but de rechercher un cancer de la prostate.
Les raisons en sont multiples : la demande des patients relayée par la grande presse et par des médecins soit influencés soit de bonne foi ; le chantage au cancer : comment pouvez-vous ne pas rechercher un méchant cancer et le laisser évoluer ? ; le risque médicolégal : refuser de doser le PSA alors qu'on découvrirait ensuite un cancer ; le poids des habitudes : la prévention considérée comme un des Beaux-Arts en médecine ; la pression des urologues et de l'AFU qui recommande le dépistage malgré les recommandations contraires de l'AFSSAPS ; une méconnaissance des études épidémiologiques et des enjeux de la Santé Publique.
Que se passe-t-il chez les Américains ?
L'USPSTF (US Preventive Services Task Force), un organisme indépendant mandaté par le Congrès Américain, vient de modifier ses recommandations.
Jusqu'à présent, l'USPSTF indiquait que "the current evidence is insufficient to assess the balance of benefits and harms of prostate cancer screening in men younger than age 75 years" [les données actuelles sont insuffisantes pour apprécier le rapport bénéfices / risques du dépistage du cancer de la prostate chez les hommes de moins de 75 ans].
Aujourd'hui l'USPSTF ajoute : "Il est désormais recommandé de ne pas dépister le cancer de la prostate chez les hommes de 75 ans et plus."
Screening for prostate cancer: U. S. Preventive Services Task Force recommendation statement. Ann Intern Med 2008;149:185-191. [Free Full Text]
Pourquoi ce changement d'attitude ?
Les arguments :
1) Dans le seul essai clinique randomisé comparant les effets de la prostatectomie à l'expectative armée (ma traduction de 'watchful waiting') chez les hommes présentant un cancer localisé de la prostate, le bénéfice de la prostatectomie a été statistiquement significatif à douze ans mais avec une différence absolue de 5,4 % sur la seule mortalité due au cancer de la prostate. Cet essai signifie qu'il faut réaliser 18 prostatectomies radicales pour prévenir un décès dû au cancer de la prostate sur une période de douze ans.
Bill-Axelson A, Holmberg L, Filén F, et al. Radical prostatectomy versus watchful waiting in localized prostate cancer: the Scandinavian Prostate Cancer Group-4 randomized trial. J Natl Cancer Inst 2008;100:1144-1154. [Free Full Text] 2) Mieux encore : dans cet essai scandinave, des analyses de sous-groupes ont montré (alors qu'aucun patient de plus de 75 ans n'avait été inclus) que seuls les patients de moins de 65 ans pouvaient tirer bénéfice de la prostatectomie totale, je le rappelle seulement sur le critère mortalité liée au cancer de la prostate.
3) Il faut noter également que seuls 10 % des patients de cet essai scandinave avaient été détectés par le biais du dosage du PSA. Ainsi, et ce point est capital pour ceux qui attendent de l'essai PIVOT des "preuves" sur la pertinence de la détection du cancer de la prostate par le biais du dosage du PSA et de son traitement, les résultats de cet essai (US Prostate Cancer Interventional versus Observation Trial) risquent d'être décevants puisque les trois-quarts des patients seront inclus sur la base de la détection : il existe un délai de 5 à 10 ans entre la détection d'une anomalie du PSA et sa manifestation clinique ; et surtout il existe un risque important de surdiagnostic de cancer à partir d'"anomalies" du PSA. Les résultats de l'étude PIVOT ne sont pas attendus avant 2010.
4) Pour en revenir aux hommes de plus de 75 ans : il est probable qu'il leur faudra plus de dix ans pour bénéficier d'éventuels avantages en terme de mortalité prostatique (cf. le délai entre l'"anomalie" du PSA et les manifestations cliniques). Et encore : une étude a montré que sur 1000 hommes de plus de 75 ans non fumeurs 19 mourront de leur prostate à dix ans contre 430 d'autres causes !
Welch HG, Schwartz LM, Woloshin S. Prostate-specific antigen levels in the United States: implications of various definitions for abnormal. J Natl Cancer Inst 2005;97:1132-1137. [Free Full Text] 5) Alors que les bénéfices de la détection diminuent avec l'âge, les risques augmentent.
- Le taux de PSA est très fortement âge-dépendant et, quel que soit le seuil de PSA choisi, les hommes seront plus à risque à la fois de subir une biopsie prostatique et de se faire diagnostiquer un cancer de la prostate.
- Par exemple, avec un seuil de PSA de 4 ng/ml, respectivement 6%, 21 % et 28 % des hommes subiront une biopsie prostatique selon qu'ils sont soixantenaires, septuagénaires ou octogénaires !
- Le dosage régulier du PSA double le risque que les hommes se voient diagnostiquer un cancer de la prostate sur une période de dix ans mais nombre de ces cancers ne se seront pas manifestés cliniquement.
- Il faut aussi savoir que le risque de cancer de la prostate est aussi dépendant de l'âge (augmente considérablement avec l'âge)
- Et enfin : les risques de décès post-opératoire et de complications de la prostatectomie radicale sont eux-aussi liés à l'âge et suraugmentés à partir de 75 ans.
Begg CB, Riedel ER, Bach PB, et al. Variations in morbidity after radical prostatectomy. N Engl J Med 2002;346:1138-1144. [Free Full Text]
En conclusion : les recommandations américaines sont claires : pas de dosage du PSA chez les hommes de plus de 75 ans !
Quant aux essais en cours à venir aux Etats-Unis (the Prostate, Lung, Colorectal, and Ovarian, or PLCO, Cancer Screening Trial), en Europe (the European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer, or ERSPC), et en Grande-Bretagne (Prostate Testing for Cancer and Treatment, or Protect) ils n'apporteront rien de nouveau sur les hommes de plus de 75 ans puisqu'ils n'en incluent aucun !
Résultats dans cinq ans pour les deux premiers.
Thanks to Michael Barry who is always relevant to address controversial medical issues.