Cet article est en relation avec les deux premiers articles publiés sur Stratégie de Knock et Disease Mongering : premier et deuxième.
Les personnes âgées (on dit désormais le troisième, voire le quatrième âge) sont au centre d'enjeux importants :
- L'allongement continu de leur espérance de vie est un critère majeur avancé par les politiques et par les médecins (les medias attendent avec impatience les derniers chiffres et le classement des Etats / systèmes de santé) pour justifier l'excellence du système de santé, les dépenses engagées et les dépenses à engager. (On se plaît en détaillant ces classements globaux à douter de l'existence d'une corrélation entre l'organisation des soins et la longévité des populations.)
- Cette longévité pose le problème de la dépendance et nécessite des investissements pour que les personnes âgées puissent finir leur vie entourées d'un personnel qualifié à domicile ou en institutions médicalisées ou non. Il paraît acquis d'un point de vue sociétal que les personnes âgées (nos parents pour faire trivial) ne doivent plus compter sur leur famille sinon sur un plan financier, et encore.
- Le cas particulier de l'apparition de nouvelles maladies comme l'Alzheimer et les démences en général inquiète à la fois sur le plan de la santé mais aussi sur un plan économique : que faire de ces patients déments ?
- La mort est devenue un sujet tabou. Si quelques médecins promettent l'immortalité, la société se fixe deux objectifs pour elle-même : une existence et une mort sans souffrances. La société demande la généralisation de l'accompagnement médicalisé vers l'au-delà avec services de fin de vie et réseaux locaux dans le même métal. Ce que l'on appelle les soins palliatifs. Il est possible qu'un député veuille un jour inscrire le Droit aux soins palliatifs dans la constitution.
- Les personnes âgées sont déjà et potentiellement un marché lucratif pour : les médecins, les sociétés d'assurances, les groupements immobiliers, les entrepreneurs, les services de restauration à domicile, le paramédical (y compris les ambulanciers, les infirmiers et les aides-soignants, les kinésithérapeutes...), les associations, les politiques...
- La Stratégie de Knock peut donc s'y exercer avec délectation.
Un point de vue vient d'être publié dans le British Medical Journal, malheureusement l'accès est payant. Je vais essayer de vous le résumer car il est passionnant. L'auteur s'appelle Michael Oliver, il est professeur émérite de cardiologie et exerce à Edimburgh. le titre de son papier : Let's not turn elderly people into patients. Ne rendez pas malades les personnes âgées.
Notre collègue replace cela dans le contexte du programme du NHS s'appelant QoF (Quality and outcomes Frameworks) qui s'intègre dans le programme du paiement à la performance mis en place pour les médecins généralistes.
Son article commence ainsi : "De nombreuses personnes âgées, souvent à la retraite [nous ne sommes pas en France - Note de JCG], sont convoquées par leur médecin généraliste pour un bilan annuel. Ils se sentent généralement bien mais le NHS ne permet pas toujours une telle euphorie. On leur dit qu'ils pourraient être hypertendus, avoir un diabète, un cholestérol élevé ; qu'ils pourraient être obèses, qu'ils pourraient faire peu d'exercice, mal manger et boire trop. Et ainsi demande-t-on à nombre de ces patients de nouvelles investigations. Il est possible qu'il commence à prendre des pilules. Très peu semblent être considérés comme non à risques de quelque chose. Et ainsi nombre d'entre eux qui se sentaient en bonne santé reviennent chez eux malades. Et ils peuvent en être effrayés et ne plus vieillir confortablement."
Cela ne vous rappelle pas quelque chose ?
Et il continue : "De quelle sorte de médecine s'agit-il ? Ce sont les politiques qui prennent le pas sur le professionnalisme [des médecins], c'est l'obsession des objectifs gouvernementaux qui écrase le bon sens, c'est le paternalisme qui remplace les opinions personnelles."
Les commentaires qu'il fait sur les raisons de cette extrême préoccupation pour la santé des personnes âgées est classique : le poids des Recommandations mal digérées ou lues sans esprit critique ; la pression financière du NHS, des économistes gouvernementaux et des assurances privées ; la force de persuasion de Byg Pharma.
Pour le reste, nous soulignerons des éléments classiques que l'on retrouve constamment lorsque la Stratégie de Knock est en marche.
- Les Recommandations ont tendance à élargir le champ des maladies (cf. l'HTA) et à négliger les sous-groupes à risques ou, dans le cas présent, à non risques. La limite de 140 / 90, contestée chez l'adulte sain pour faire entrer un patient dans la cohorte innombrable des hypertendus et considérée comme un dogme par l'ensemble des recommandations internationales, devient ridicule au delà de 75 ans (et même avant). Toujours dans le même ordre d'idée, la façon de mesurer la PA mériterait que l'on s'arrêtât sur le nombre de diagnostics par excès qui deviennent justifiés puisque la prescription d'un médicament permet d'obtenir, ensuite, une PA normale...
- La méconnaissance par la majorité des médecins de la moindre notion d'épidémiologie et / ou de statistiques médicales facilite l'interventionnisme des marchands de médicaments et des médecins qui vivent des personnes âgées. Deux exemples : a) la différence entre risque relatif et risque absolu qui est fondamentale dans la décision thérapeutique. Imaginons un traitement qui diminue le risque relatif de 20 à 25 % mais le risque absolu de 1 % Qu'en sera-t-il chez une personne âgée avec une espérance de vie a priori plus restreinte ? 2) Le nombre de malades à traiter pour éviter un événement. Imaginons qu'il faille traiter 75 hypertendus âgés légers pour éviter un Accident vasculaire Cérébral, est-ce que les décideurs économiques comprennent qu'il faut traiter 74 personnes âgées pour rien (et à vie) ?
- La sous-estimation des effets indésirables chez les personnes âgées qui sont probablement plus importants en nombre, intensité et gêne que chez des personnes plus jeunes. Faut-il risquer chez des hypertendus légers de provoquer, en baissant la pression artérielle, des vertiges et des chutes ? Les myalgies liées aux statines ne sont-elles pas plus gênantes que leur non prescription chez des personnes à faible risque cardiovasculaire ? La sous notification de ces effets n'est-elle pas encore plus grande dans ce groupe particulier de population ?
- Le fait que les Recommandations négligent les groupes atypiques comme les personnes âgées ou font semblant de croire que les critères intermédiaires ou de substitution (pression artérielle, LDL ou HDL cholestérol , glycémie à jeun ou HbA1c) sont à prendre en compte de la même façon chez des personnes fragiles, à faible espérance de vie ou, au contraire, à espérance de vie spontanée plus importante qu'il ne pourrait y paraître.
Mais surtout : pourquoi pourrir la fin de vie de patients qui ne se sentent pas malades ?