mardi 19 avril 2011

IDEOLOGIE DE LA LOMBALGIE - HISTOIRES DE CONSULTATION 78

Portefaix à Istambul avec son patron.

Monsieur A, 30 ans, manutentionnaire (en réalité responsable de magasin payé comme un manutentionnaire et effectuant aussi un boulot de manutentionnaire), long passé de lombalgique, a pris rendez-vous aux aurores pour me montrer le scanner que je lui ai prescrit avant mon départ en vacances. Il est arrêté jusqu'à ce jour et il s'agit d'un arrêt de travail. Je le regarde marcher pendant qu'il entre dans mon bureau : il a des difficultés.
Je lis ce que j'ai écrit dans son dossier : "Lomboradiculalgies droites avec trajet évoquant une symptomatologie L4L5, pas de troubles sensitifs ou moteurs distaux, les douleurs radiculaires dominant le tableau sur des lombalgies peu intenses. Scanner demandé en raison de la répétition des épisodes douloureux et l'apparition d'une radiculalgie vraie."
"Comment ça va ? - Mal. Je n'arrive pas à marcher, la nuit, c'est terrible, je ne trouve pas de position."
J'ai toujours été embêté par Monsieur A à qui j'ai pratiqué DT Polio (eh oui, cela existait encore) et Rouvax (vous savez, le vaccin qui ne donnait aucun effet indésirable local et général selon ses fabricants et qui, lors de l'apparition des vaccins "modernes" est devenu "indésirable" en raison des effets locaux et généraux qu'il provoquait) quand il était petit car j'ai toujours trouvé qu'il en faisait trop chaque fois qu'il souffrait de lombalgies. Mon remplaçant avait noté dans le dossier "Il exagère..." et je pensais, un peu de même. Quoi qu'il en soit, Monsieur A, que j'appelle par son prénom, Y, est à mon goût trop souvent lombalgique. Il existe aussi, c'est mon côté "freudien", une insatisfaction au travail en raison de sa non reconnaissance professionnelle, qu'il dit, et de son salaire qu'il trouve, comme tout un chacun, insuffisant en proportion des services qu'il rend à son entreprise (c'est toujours la même chanson et vous ne serez pas étonné que l'auteur de ces lignes ait souvent le beau rôle, comme si, lui aussi, rendait des services incomparables à l'état de santé du Val Fourré).
Donc, je suis embêté avec cet homme jeune, pas bête du tout, à qui j'ai suggéré, il y a déjà longtemps, de faire tout (formation, et cetera) pour s'éloigner de la manutention. "Mais, vous comprenez, docteur, à mon âge, avec les enfants, ce n'est pas très facile...", je suis embêté car il me semble que tout ce que j'ai lu sur la gestion des lombalgies, je ne le fais pas ou, pire, je n'arrive pas à le faire en raison d'une sorte d'empathie trop forte à l'égard de cet homme jeune "que j'aime bien" : il me semble que je ne lui rend pas service.
Le scanner (je reproduis le résumé) : "Hernie discale L4L5 droite ayant migré dans l'espace foraminal avec contact probable avec la racine S1 expliquant la symptomatologie."
Bon, il y a concordance anatomo-clinique, ce n'est déjà pas mal pour un "simulateur".
Mais les spécialistes des lombalgies récidivantes ou non savent mieux que moi que le problème ne se situe pas là. Encore que... La concordance anatomo-clinique est aussi une raison de chronicisation de la douleur et de l'arrêt de travail.
"Il y a un truc que je ne comprends pas, on dirait que tu vas plus mal que l'autre fois... - Oui, j'ai horriblement mal. "
A l'examen il existe effectivement, et je suis étonné de la rapidité de l'évolution (j'ai vu le patient il y a exactement treize jours), une difficulté à marcher sur les talons et une petite atrophie du jambier antérieur (d'autant plus objectivable que le patient est droitier).
Mais enfin, rien de très inquiétant malgré tout.
Je vais prolonger le patient (eh oui, c'est mal) et je vais envisager une infiltration foraminale scanno-guidée (malgré les données divergentes de la littérature).
Mais l'histoire n'est pas finie.
Car le patient me dit, que pendant mes treize jours de vacances, il a vu le médecin du travail (j'avais écrit un courrier à ce médecin dans le cadre d'une visite de pré-reprise) qui l'a agressé : 1) Ce n'est pas la peine de faire un scanner ; 2) Il faut reprendre le plus vite possible. Disons quand même que lorsqu'il a été vu par ma consoeur il ne s'était pas "aggravé" et que les douleurs étaient lombaires et radiculaires droites modérées à moyennes. Il me montre le certificat établi par le médecin du travail indiquant "Une possible reprise du travail dans l'entreprise à un poste sans manutention et sans port de charges..."
Mais l'histoire n'est pas finie.
Pendant la consultation ma secrétaire m'indique qu'il y a un courrier qui vient d'arriver de la CPAM et qu'elle me l'apporte. Le médecin conseil stipule que l'assuré social, Monsieur A, peut être considéré comme consolidé à la date de ce jour et le médecin conseil m'engage à rédiger les papiers ad hoc.

Commentaires :
1) J'ai du mal à gérer les lombalgiques en général et j'ai tendance à les arrêter plus longtemps que nombre de mes confrères (expérience du groupe de pairs). Est-ce dû à un problème particulier de ma part tendant à culpabiliser devant les douleurs physiques dues au travail ou à culpabiliser par rapport à ce que l'on appelait, avant, la classe ouvrière ? A moi Freud, deux mots !
2) Le dogme, faire reprendre le plus tôt possible les lombalgiques, est probablement justifié par nombre d'essais et les réflexions d'Agnès et de Philippe Nicot m'ont fait énormément progresser sur la voie de la compréhension des phénomènes et notamment ICI, mais il ne doit pas être considéré comme une référence "morale" ou éthique dans les relations avec les patients.
3) Les examens complémentaires, comme le scanner ou l'IRM, ne sont pas inutiles, en sachant que la différence des coûts est minime quand on sait que des radiographies du rachis lombaire face profil sont presque toujours suivies d'un scanner et / ou d'une IRM.
4) Ce dogme peut aussi faire des ravages sur le plan social puisqu'il présuppose que le malade qui ne reprend pas est un feignant, que le médecin traitant qui prolonge est un incompétent, que les examens complémentaires sont un gâchis économique et que l'employeur est un saint.

Il ne me restait plus qu'à téléphoner au médecin conseil (ou plutôt à la plate-forme de la CPAM des Yvelines) afin de lui indiquer que les nouvelles données de la science (glup !) me faisaient proposer un nouveau projet thérapeutique (sic).

lundi 18 avril 2011

RETOUR DE VACANCES


Agra (Inde) : L'entrée du Taj Mahal - avril 2011 - (photographie docteurdu16)

A mon retour de ces vacances pratiquement sans internet (en Inde je me suis assez peu branché sur les wifi locaux) et après une première journée de travail où je me suis dit que les vacances étaient un médicament sans AMM, non remboursé par l'Assurance Maladie et avec un effet placebo notable (pour l'effet nocebo, je n'ai encore rien constaté), j'ai lu les nombreux mèls qui se sont déposés en couches dans ma boîte à lettre et j'ai eu le sentiment de l'infini : je n'étais pas là, mon nom n'apparaissait pas et les mêmes continuaient de discuter et les commentaires que j'aurais pu faire et qui, dans le feu de l'action, m'auraient paru urgents, devenaient, à force de ne pas les avoir écrits, déjà obsolètes. Ainsi le monde continue-t-il de tourner quand on n'ouvre pas (ou peu) son ordinateur.

J'ai réfléchi aux commentaires de mon anonyme favorite (CMT) et je me suis dit qu'il faudrait quand même que je réponde à Elena Copyright Pasca. Mais pas sur Pharmacritique, site valeureux mais qui ressemble de plus en plus à un autel au pied duquel viennent s'agenouiller les croyants et les adorateurs de la philosophe de Francfort, car il ne m'est pas possible de penser que mon message, selon qu'il plaira ou non à sa gouroute, sa Mère puisque je reviens d'Inde, sera ou non publié : j'y verrais une sorte d'instrumentalisation de ma pensée. Je répondrai donc, mais avec lenteur.

J'ai lu en diagonale les deux derniers numéros du British Medical Journal que je n'avais pas encore regardés et je me suis encore rendu compte que c'était la meilleure revue de médecine que je connaissais, celle du moins que je lisais avec le plus de plaisir, bien que le New England ne soit pas loin en qualité, mais un peu plus loin de mes préoccupations (légitimes) de médecin généraliste.
J'ai appris, entre autres, dans ces deux numéros que Big Pharma avait voulu censurer des articles à paraître dans Gastroenterology concernant Januvia et Byetta indiquant des risques de pancréatites et de cancers : ICI.
J'ai appris que les décès après chirurgie pour cancer du colon étaient, chez les Britishs, plus élevés que prévus, soit 5,8 % dans les 30 jours post op : ICI.
J'ai lu que le traitement de la bronchiolite était toujours aussi décevant : des données indiquent pourtant que l'adrénaline inhalée pouvait être intéressante chez les patients à domicile mais que chez les enfants hospitalisés, rien n'était concluant : ICI.
J'ai lu, à partir d'entretiens avec des médecins et des infirmières en oncologie, que les chimiothérapies terminales étaient, bien que considérées comme inutiles, proposées pour ne pas abandonner : ICI.

Je me suis dit que le blog de Borée était un vrai blog de médecin généraliste et que le niveau allait décourager son auteur.

J'ai encore réfléchi à la transparence à propos de commentaires, encore une fois sur Pharmacritique, mais aussi en reprenant des articles du site Formindep et je me suis dit qu'il fallait que j'écrive l'Article sur la question avec comme titre idiot : "Idéologie de la transparence et transparence de l'idéologie". J'ai remarqué sur le site du Formindep (et c'est repris sur Atoute) que le livre de Marc Rodwinn "Conflicts of Interest and the Future of Medicine" est vanté par un texte sorti d'Amazon, ce qui est quand même un conflit d'intérêt majeur quand on connaît les liens d'intérêt de cette firme avec la censure et son rôle majeur dans la disparition des petits libraires en France (c'est mon côté plus formindepien que moi, tu meurs).

Je n'ai pas eu le temps de commenter l'article de Sandblom sur le suivi pendant 20 ans de patients dépistés ou non pour le cancer de la prostate, article qui indique que cela ne sert à rien (ce qui va dans le sens de ce que j'ai toujours pensé). Je ne l'ai pas fait car je n'avais pas tout compris. Je vous propose de lire l'article en accès libre (ICI) et les commentaires, dont ceux du Formindep (ce qui m'a fait doucement rigoler car il s'agit d'un commentaire signé par 5 auteurs dont certains sont manifestement incapables de l'avoir écrit -- cela s'appelle comment quand c'est Big Pharma qui le fait ?), les autres commentaires sont très critiques et inspirés par le lobby urologique mais ne laissent pas d'être dérangeants.

Je n'ai pas encore eu le temps, non plus de commenter un article de Martin Winckler / Marc Zaffran sur son projet d'Ecole des Soignants (ICI), tellement décevant, tellement intellectuellement parigoparisien malgré l'éloignement canadien, tellement peu au courant de Carol Gilligan et de Joan Trento.

Du pain sur la planche.

samedi 2 avril 2011

UN NOUVEAU MALADE ET UN ANCIEN MEDECIN - HISTOIRES DE CONSULTATIONS 76 ET 77

Les Arcs (Savoie) - Février 2010 - (Photo Docteurdu16)
76
Monsieur A, 51 ans, a pris pour la première fois rendez-vous au cabinet. Son médecin est parti à la retraite et il a donné mon nom comme médecin pouvant lui succéder.
Quel honneur !
Le patient n'a pas encore récupéré son ancien dossier. Il n'y avait pas pensé et l'ancien médecin traitant non plus. Enfin, c'est la version que l'on me donne.
Il me montre un bilan sanguin daté de décembre 2010 avant même que je n'aie cherché à l'interroger sur ses antécédents.
Tout va bien jusqu'à ce que j'arrive au chapitre PSA. Le PSA est à 5,8 (pour une normale inférieure à 4). Le malade me sort alors un autre dosage (de mars) avec un PSA à 4,5 et avec un rapport PSA libre / PSA total égal à 0,15 (les spécialistes apprécieront). Monsieur A ajoute : "Il faut refaire un dosage pour voir si le PSA diminue encore depuis que je prends le traitement du docteur B." Il me montre alors la dernière ordonnance de son médecin traitant, écrite à la main, qui indique : "Permixon, 2 cp par jour et Tamsulosine LP, un comprimé par jour, pendant six mois."
Je suis dans le rouge.
Je me retrouve avec un patient péèssaïsé et un dosage douteux. Quid ? J'ai le doigt dans l'engrenage. Et ce, d'autant, que le brave garçon ajoute : "Le docteur B m'a dit d'aller consulter un urologue." Ce n'est plus mon doigt mais ma main qui est coincée dans l'engrenage.
Je temporise. Je l'interroge sur sa symptomatologie urinaire. Rien de terrible. La pollakiurie nocturne est passée de 2 à 1 sous phytothérapie / alpha-bloquants. J'aurais aimé qu'il se lève douze fois la nuit et qu'il soit impérieux le jour, je me serais dit, une banale hypertrophie de prostate. Et basta.
Je prescris donc quelque chose d'inutile : une échographie de prostate pour connaître le volume de la prostate (et bien que je sache que la symptomatologie urinaire n'a aucun rapport avec le volume prostatique) et sa structure (et bien que je sache que c'est un mauvais examen et que le cancer est indépendant de toute symptomatologie).
Mais la consultation n'est pas finie.
Il me dit aussi qu'il aimerait bien repasser un hemoccult. Je l'interroge, blablabla, et il me dit que cela fait deux ans qu'il ne l'a pas fait, certes, je lui demande s'il a reçu la convocation, oui, nous convenons qu'il la rapporte lors de la prochaine consultation. Je lui demande également s'il y a des antécédents dans sa famille, et il me fait cette réflexion stupéfiante : "On m'a déjà enlevé deux polypes." Oups ! Moi : Il y a combien de temps ? Lui : Environ 5 ans. oui, c'est cela, c'était le docteur C. - Je le connais. - C'est pourquoi le docteur B me faisait refaire un hemoccult tous les deux ans..."
Ouaf ! Glups !
Je lui dis avec prudence que la coloscopie est l'examen de choix au décours de la résection de polypes coliques, fussent-ils bénins. Il a l'air surpris. Moi aussi.
Donc Monsieur A n'est pas un cadeau : son ex médecin traitant pratiquait le dosage du PSA par principe et organisait le suivi de la résection de polypes coliques avec l'hemoccult...
(Je mets en lien un article plutôt bien fait --mais pas exact à 100 %-- sur le sujet du dépistage colorectal ICI, quant au PSA, je vous renvoie au blog LA et LA)

77
Monsieur A, 45 ans, a eu un très grave accident de voiture il y a environ 20 ans et son handicap porte essentiellement sur ses deux membres inférieurs (fractures ouvertes compliquées ayant nécessité plus d'un an d'hospitalisation entre les réinterventions, les sepsis et autres fadaises, douleurs multiples et variées et syndrome dépressif secondaire avec perte de l'estime de soi, incapacité à reprendre une vie normale dans la société, haine de son handicap, haine de ses jambes, et cetera...). Quoi qu'il en soit, cela fait des années qu'il consulte, cela fait des années qu'il refuse de voir un psychiatre, cela fait des années qu'il vit dans son handicap en vase clos et cela fait des années que son médecin traitant, moi-même, ne le "voit" plus, ne l'examine plus, discute de choses et d'autres, essaie bien difficilement de le persuader de reprendre une vie relationnelle et sociale et lui represcrit "ses" médicaments auxquels il tient absolument. Depuis environ un an je tente, avec succès, de supprimer tous les antalgiques et autres neuroleptiques qu'il prenait plus par addiction aux antalgiques que pour cause de douleurs. La liste récente des 77 médicaments n'a eu que peu d'effets.
Je m'imagine ainsi, "récupérant" le patient après que le docteurdu16 eut pris sa retraite, que ne dirais-je pas sur ce médecin ? Voyons ce qui reste sur l'ordonnance que, depuis quelques mois, j'ai essayé de simplifier : efferalgan codéine x 6 / jour ; rivotril XXXV gouttes par jour ; betaxolol x 1 ; noctran x 2. Il y a au moins deux médicaments (rivotril et noctran) qui sont considérés comme "dangereux" et ce, d'autant plus, qu'ils sont associés à la codéine. J'en ai parlé au patient qui m'a demandé ce qu'il risquait. Je lui ai répondu. Il m'a dit qu'il ne voulait pas changer. Que devais-je faire ? Le menacer ? Lui dire qu'il devait changer de médecin ? Renoncer à 20 ans de coopération entre lui et moi ? Il est possible que nous nous soyons assoupis dans une relation faite d'habitudes, d'empathie et de bons sentiments. Et que je n'ai pas assez insisté sur sa "réinsertion" sociale : il ne sort que très peu, il vit avec son ordinateur, la télévision et... sa mère, sa soeur et sa grand mère dans une grande maison agréable. N'est-ce pas son choix ?
Enfin, l'ordonnance que je renouvelle tous les mois ou presque, à cause du noctran, n'est pas "montrable". Elle ferait se dresser sur la tête les cheveux des bons docteurs qui lisent Prescrire (comme moi) ou d'autres revues indépendantes. Nous sommes en plein questionnement EBM : les agissements du médecin sont en conformité avec les désirs du patient et opposés aux preuves externes.
La médecine n'est pas simple et surtout les relations inter humaines et surtout les va et vient entre le savoir et la connaissance et entre la bonne et la mauvaise conscience.

jeudi 31 mars 2011

UN COMMUNIQUE (IMAGINAIRE) DU PROFESSEUR DANIEL FLORET

Squale (haine) - Grand requin blanc (inoffensif).

Le professeur Daniel Floret, Président du Comité Technique des Vaccinations, vient de réagir par uncommuniqué relayé par L'Agence Infovac Presse (AIP) à l'annonce par l'Agence Médicale Suédoise (Läkemedelsverket) de la suspension de la vaccination des personnes de moins de 20 ans par le vaccin pandemrix à la suite d'un essai de cohorte indiquant un risque 4 fois supérieur de faire une narcolepsie dans cette tranche d'âge par rapport à des personnes du même âge non vaccinées. Vous pouvez consulter le communiqué ICI.
(Cette étude vient à la suite des narcolepsies finlandaises post pandemrixiennes, 60 enfants et adolescents entre 4 et 19 ans, dont je vous avais parlé LA).
Voici le communiqué (imaginaire) : "Le vaccin Pandemrix est un vaccin sûr. Les données dont nous disposons en France indiquent que la narcolepsie n'a pas franchi les frontières, qu'elle est restée cantonnée en Finlande, en Suède et en Islande. La narcolepsie ne passera pas, pas plus qu'une éventuelle toxicité adjuvante squalénique ne peut contaminer notre pays. Le dossier d'AMM de Pandemrix est limpide. La pharmacovigilance française, que le monde entier nous envie, n'a pas constaté de phénomènes similaires. Pas d'inquiétudes à avoir : les virus sont bien gardés."

lundi 28 mars 2011

DIABETE : LA TECHNOCRATIE MEDIATIQUE EN MARCHE

Préambule : Voici le cheminement de ce post :
Je reçois la lettre d'information du docteur H Raybaud que vous pouvez consulter ICI. Parmi les têtes de chapitres, je trouve un commentaire sur le diabète qui me renvoie à un site qui s'appelle ESCULAPEPRO.COM que vous pouvez consulter ICI et dont le titre, pompeux, est Sept propositions pour faire face à l'épidémie du (sic) diabète. Article qui est lui aussi le commentaire d'un livre, Le Livre Blanc du Diabète, écrit par Alain Coulomb (ancien président de l'ANAES), Serge Halimi (endocrinologue hospitalier grenoblois) et Igor Chaskilevitch (directeur d'Edinews, une boîte de communication). Je n'ai donc pas lu le livre en question. Je commente l'article qui commente le livre. Ce n'est pas bien mais cela me suffit.

Introduction : Les technocrates à la tête des Agences Régionales de Santé (ARS) ont décidé d'appliquer les méthodes "modernes" de management à la Santé Publique. Comme ce sont des technocrates, des hauts (?) fonctionnaires et, plus fréquemment des fonctionnaires qui n'ont jamais mis les pieds dans le privé, qui ne connaissent du management que sa théorie et surtout pas sa pratique et dont l'emploi est une placardisation dorée de leur incompétence antérieure, ils osent tout et son contraire. Ils sont entrés dans une croisade néo libérale mais surtout ils s'emploient à plein temps à se médiatiser eux-mêmes et à médiatiser leurs actions sans penser une seconde qu'ils touchent à la Santé Publique qui est une structure fragile faite d'hommes et de matériels, les hommes ayant une valeur et les matériels un prix. Ces ARS sont des machins bureaucratiques dont la fonction régionale est de valoriser leurs chefs, potentats locaux qui ne risquent pas de voir arriver les forces de la coalition jusque dans son repère, mais qui sont les cache-sexe du pouvoir politique et de son bras armé dans le domaine de la Santé, à savoir la Direction Générale de la Santé de sinistre mémoire grippale. Vous remarquerez que cette fameuse DGS est épargnée par le "scandale" du Mediator, le ministre Bertrand tirant tous azimuts sauf dans sa direction et dans celle de Didier Houssin, le chirurgien aux mains nues.

Ainsi la machine bureaucratique est-elle en marche avec ses seniors, Philippe Even et Bernard Debré, ses liquidateurs, Jean-Luc Harousseau pour la HAS et Dominique Maraninchi pour l'AFSSAPS, ses contrôleurs, Frédéric Van Roekeghem et Hubert Allemand, créateurs du CAPI et de SOPHIA, ses larbins, les directeurs des ARS, ses journalistes croupions (voir La Lettre de Galilée) et ses lampistes, les anciens employés des DDAS... qui font la loi à l'hôpital comme en ville. L'hôpital, comme nous le verrons, ou plutôt les hospitaliers disent la super loi et les médecins généralistes sont encore une fois considérés comme la dernière roue du carrosse : de quoi pourraient-ils se plaindre, ils vont disparaître ?

Envisageons les 7 propositions de ce livre dont les trois auteurs résument très bien la politique de Santé Publique française : le technocrate, le patron hospitalier et le communicant.

1. Inventer pour réduire l'impact du diabète. La première phrase est assez gratinée : Il est primordial d'inventer une nouvelle offre de soins pour les 2,5 millions de patients pour lesquels l'hôpital n'est pas un passage obligé.
Le trio part donc du principe que tout diabétique doit, devra ou a dû fréquenter un hôpital ! Cela commence mal ! Et ensuite, dans une envolée sarkozyenne du plus mauvais aloi, ils parlent de façon dithyrambique des ARS, comme c'est bizarre, dont la seule fonction est de couper dans les coûts et de rationnaliser la médecine parle haut. Les ARS, grâce aux connaissances et aux expériences de terrain des professionnels de santé spécialisés dans le diabète... Qui sont-ils ? Ah oui : les diabétologues.
2. Médiatiser le diabète pour mieux le prévenir. Nous sommes en plein dans la communication pro domo. Le représentant de l'Agence de Com fait son marché ou, comme on dit, son marketing mix, en proposant des actions médiatiques qu'il facturera au prix fort en remettant une couche d'ARS et en alignant les voeux pieux comme "agir auprès des professionnels de l'agro-alimentaire". Il est possible que la médiatisation du diabète passe aussi par les publicités pour les aliments sucrés pour enfants aux heures où les enfants regardent la télévision...
3. Centrer l'organisation sur le malade et non pas sur la maladie. On touche au sublime. Après avoir convoqué les spécialistes du diabète (c'est à dire les prétendus spécialistes d'une maladie qui serait en phase épidémique, ils doivent se prendre pour l'OMS), on parle de "Projet de vie, milieu social, capacité à être autonomes, souhaits, désirs d'ordre culturels..."
Ainsi les auteurs inventent-ils le communautarisme médical : les diabétiques n'ont pas les mêmes goûts que les non diabétiques, ne lisent pas les mêmes livres, n'écoutent pas la même musique, ne regardent pas les mêmes expositions, ne zappent pas de la même façon devant leur poste de télévision... Notre trio vient d'inventer les gender studies pour diabétiques. Ouaf !
4. Améliorer la qualité de vie des malades.
Certes, comment ne pas être d'accord ? Pourquoi ne pas enfiler les perles du médicalement correct ? Et vous savez comment on améliore la qualité de vie des malades (diabétiques) ? Grâce à la télémédecine ! Je cite :"Elle devient pour le diabète un outil formidable pour prévenir l'hospitalisation." C'est tout ? C'est tout ! C'est tout pour la qualité de vie. Les auteurs ont séché. Je pourrais cependant leur souffler des idées. Ou des images. Des diabétiques en train de courir les bras en l'air dans un champ inondé de soleil en marchant sur des betteraves à sucre.
5. Orchestrer les synergies et mises en réseau des professionnels pour assurer une meilleure prise en charge des patients. Onze professionnels de santé sont cités (dont un coach sportif) et qui arrive en onzième position ? Le médecin généraliste. Vous avez envie de continuer ?
Je sens que non mais je continue quand même : pour y parvenir nos auteurs avisés proposent d'une part de renforcer les points forts de l'hôpital et d'autre part de permettre au diabétologue hospitalier ou libéral d'être au centre de l'organisation du système de soins... Et tout le reste est l'avenant.
6. Mieux former les professionnels de santé à l'éducation thérapeutique (ETP). La reconnaissance de l'ETP est une des grandes victoires des diabétologues ! Il n'y a qu'eux qui le savent. ET là, je ne peux m'empêcher, avec malice, de citer la phrase suivante qui fera plaisir aux signataires du CAPI considéré comme une avancée vers la médecine au forfait : A la ville le paiement au forfait mériterait d'être expérimenté pour les professionnels de santé qui souhaitent s'impliquer dans des actions d'ETP (après avoir été formés par les diabétologues pionniers).
7. Innover vers une recherche translationnelle et transversale commune à la majorité des maladies chroniques et explorer de nouvelles voies. Et dans ce chapitre jargonnant les auteurs arrivent à placer, comme dans un exercice de style, les mots translationnel, proximité, sciences cognitives... Pour terminer par : Les diabétologues pourraient faire des sciences cognitives leur nouveau cheval de bataille après celui de l'éducation thérapeutique.
On rêve.

Ce que je pense de cela ? Non, non et non !
Les ARS hospitalocentrisent, les ARS, spécialocentrisent, les ARS veulent recréer des réseaux qui n'ont jamais fonctionné, des réseaux hiérarchiques dirigés par l'hôpital et par les spécialistes, les ARS, forts du rapport de l'IGAS de 2006 (Améliorer la prise en charge des maladies chroniques : ICI), veulent associer l'Education Thérapeutique du Patient et le Disease Management (qui est aussi le cheval de Troie de Big Pharma) en omettant le médecin traitant (comme le rapporte fort justement et, selon moi, très maladroitement, un article de F Baudier et G Leboube : ICI). Les ARS mentent et font mentir.
Voilà une nouvelle sauce à laquelle nous allons être mangés.
celle concoctée par les diabétologues, ces diabétologues qui n'ont rien vu venir avec les glitazones, ces diabétologues qui prescrivent à tout va de nouvelles spécialités non validées, de nouvelles drogues dont le seul bénéfice est de faire maigrir les patients en baissant anecdotiquement l'HbA1C et, de toute façon, sans agir sur la morbi-mortalité.

vendredi 25 mars 2011

DIABETE : LES MYTHES SPECIALISES. HISTOIRE DE CONSULTATION 75

Kees Van Dongen - La femme lippue (1909)

Madame A, 84 ans, je ne la vois qu'à domicile, en visite. Je ne pense pas qu'elle soit venue une seule fois au cabinet. Je la connais depuis tente-deux ans, depuis l'époque où je m'occupais de sa mère, une vieille dame qui avait, à l'époque, 78 ans, et qui vivait avec sa fille dans la grande maison où je me rends aujourd'hui. J'ai donc suivi la mère qui était hypertendue et qui est morte, âgée, d'une insuffisance cardiaque aiguë, dans une clinique de notre ville, une clinique qui n'existe plus. Désormais je suis le médecin traitant de la fille qui est aussi devenue une vieille dame.
Je suis installé en zone sensible et ces deux femmes n'ont jamais voulu venir dans mon quartier et je n'ai pas insisté : trop dangereux, disaient-elles.
Pourquoi je vous dis cela ?
Parce que je fais des visites, de moins en moins de visites, presque dix fois moins que dans les années quatre-vingt, et que, pourtant, je fais encore des visites compassionnelles chez les personnes âgées. Compassionnelles, car certaines de ces patientes pourraient se déplacer, elles se déplacent bien chez le cardiologue ou... l'ophtalmologue. Mais quelques personnes âgées se déplacent aussi en consultation bien qu'elles soient vraiment très âgées : une question d'habitude.
Mais Madame A ne conduit pas. Le domicile de Madame A n'est pas proche d'une ligne d'autobus qui passe près de son domicile et de mon cabinet. Je vais donc la voir chez elle, quatre fois par an. Parfois une fois de plus quand Madame A a de la fièvre ou autre chose qui cloche.
Madame A prend trois médicaments : metformine, captopril et pravastatine. Son HbA1C, le critère principal de suivi d'un patient diabétique, est à 7,2 %, ce qui est correct selon le consensus actuel, la pression artérielle est bonne (130/80) et le mauvais cholestérol est dosé à 1,04. Elle présente pourtant des lésions rétiniennes qui l'ont conduite à subir (ou à bénéficier) de (s) séances de laser.
Chez Madame A je m'asseois, toujours sur la même chaise, j'ai ma chaise, et, chez d'autres patients, j'ai mon fauteuil, et elle me montre un courrier qu'elle a reçu de la sécurité sociale. "Qu'est-ce que je dois faire de cela ?" Elle n'est pas inquiète mais préoccupée. Je prends la grande enveloppe, l'ouvre et je comprends : il s'agit des documents que l'Assurance Maladie adresse à certains patients, dont des diabétiques, en leur faisant des recommandations et en leur donnant un tableau cartonné, haut en couleur, on dirait un prospectus pour un médicament, où tout ce que l'HAS a dit qu'il fallait faire en cette occasion est signalé et les performances du médecin sont indiquées : nombre de dosages de l'HbA1C, de la micro albuminurie, nombre de visites chez l'ophtalmologue, et cetera.
Je rassure la patiente qui pensait qu'elle devait répondre à cette injonction et regarde le carton coloré d'un regard distrait. Deux choses me frappent : il est indiqué qu'elle n'a pas vu d'ophtalmologiste depuis un an (c'est une "recommandation" de l'HAS), que l'HbA1C a été dosée deux fois (l'HAS et le CAPI conseillent trois à quatre fois par an) et qu'elle n'a pas vu de pédicure podologue.

Voici quelques commentaires sur le parcours de soins non respecté par les spécialistes hospitaliers, sur l'Assurance Maladie qui fait le forcing sur le diabète et sur d'autres pathologies auprès des patients (à l'instar du programme SOPHIA) et auprès des médecins (le programme CAPI).
  1. Madame A est suivie par un ophtalmologiste de l'hôpital qui a entrepris des séances de laser pour des lésions rétiniennes, il y a eu (j'ai vérifié) au moins deux séances cette année et à moins que le laser soit effectué par un cardiologue ou par un brancardier... L'Assurance Maladie n'a donc pas pris en compte ces séances de laser (la cotation doit être telle qu'elle n'a pas été "rapprochée" du chapitre Consultation en ophtalmologie, ce qui montre, vous pouvez choisir : a) les problèmes de saisie dans la base de l'Assurance Maladie ; b) les problèmes de cotation de la dite base). Je me souviens d'autant plus de cela que j'ai eu un "léger" accrochage avec l'ophtalmologiste en question. Les faits : il y a deux ans Madame A est allée, avec sa nièce, chez le spécialiste des yeux qui a trouvé des lésions au fond d'oeil, qui a programmé une angiographie rétinienne qui montrera ultérieurement des lésions lasérisables, selon lui, qui a dit que son diabète n'était pas bien équilibré et qui a conseillé fortement à la patiente de consulter un diabétologue... Donc, la nièce en question m'a engueulé par sa tante interposée, je n'avais pas fait mon travail, le diabète n'était pas bien équilibré et patati et patata. Je n'étais pas content. J'ai mis un certain temps à appeler le spécialiste des yeux car l'expérience m'a indiqué que ce genre d'appel ne servait généralement à rien : chacun restait sur ses positions. Voici, en substance ce que nous nous sommes dit. Moi : Je suis le médecin traitant de Madame A, il m'a été dit que vous aviez dit à la patiente et à sa nièce que son diabète était mal équilibré, ce qui, pour une personne de 84 ans avec une HbA1C à 7, me paraît bien difficile à soutenir. Lui : Elle a des lésions rétiniennes qui montrent que son diabète est mal équilibré. Moi : Certes, mais des études indiquent que faire baisser l'HbA1C en dessous de 7 entraîne une sur mortalité. Lui : Vous pensez vraiment que l'équilibre glycémique n'a aucun rapport avec l'état de la rétine ? Moi (énervé) : Non, mais je pense aussi que chez une femme de 84 ans il paraît illusoire, voire dangereux de faire baisser encore plus l'HbA1C, comme le montre l'étude ACCOR... Lui : Je ne connais pas cette étude. Moi : Dernier point : au lieu de demander à la patiente de consulter un diabétologue, vous feriez mieux de prévenir d'abord le médecin traitant, moi-même en l'occurrence. Lui : J'ai fait comme nous avons l'habitude de faire dans le service. Moi : C'est nul. Au revoir.
  2. Les statistiques de l'Assurance Maladie concernant cette patiente sont fausses. C'est peut-être une erreur isolée. Mais cela devrait inciter les signataires du CAPI (voir ici) à vérifier les chiffres qui leur sont communiqués. Avant de s'y lancer et après que les résultats leur sont communiqués. Autres points : a) cette patiente n'a eu que deux dosages d'HbA1C dans l'année et ses chiffres sont "parfaits" ; b) il est pointé par l'Assurance Maladie que les pieds de Madame A n'ont pas été examinés par un podologue, eh bien, mon expérience personnelle est que les podologues, chez les diabétiques, provoquent souvent des lésions qu'il n'aurait jamais eues s'ils n'étaient pas allés les voir ; c) le spécialiste de l'oeil ne lit pas les études sur le diabète et ne croient pas qu'un médecin généraliste puisse s'occuper d'une patiente diabétique.
Ainsi, dans cette affaire, on ne cesse de voir que la disparition de la médecine générale est, comme on dit, actée par l'Assurance Maladie. La disparition programmée de la médecine générale est une tendance lourde qui remonte à loin (1971 et 1979) et qui est liée essentiellement à la volonté de la spécialocentrie. L'Assurance Maladie constate et met en place des procédures pour contrôler l'activité des médecins généralistes (le CAPI) et pour contrôler la sincérité des malades (SOPHIA). L'Assurance Maladie obéit au pouvoir politique qui est conseillé par des experts issus de la spécialocentrie et de l'hospitalocentrie qui demeurent la base de toutes les politiques publiques de santé. Le pouvoir politique ne comprend rien à la médecine et voit la Santé Publique avec les yeux des grands patrons et des experts qui s'auto-entretiennent, s'auto-louent et s'auto-encensent. Mais ils creusent la tombe de tout le monde : l'hôpital se meurt et l'accès au soin va s'effondrer.

Madame A, 84 ans, va bien. Mais sa nièce croit qu'elle est mal soignée. Et l'Assurance Maladie aussi. Pas son médecin traitant (conflit d'intérêt majeur) qui essaie de la laisser tranquille.

mardi 22 mars 2011

LOURDEUR DU CARTABLE ET EDUCATION : HISTOIRE DE CONSULTATION 74


Préambule : Que les enseignants ou enseignantes, femmes ou maris d'enseignants, maîtresses ou amants d'enseignants ou d'enseignantes, fils ou filles d'enseignants, petits-fils ou petites-filles d'enseignants se dispensent de lire ce post. Que les pourfendeurs de la démagogie ambiante se dispensent de lire ce post. Que les tenants d'une école centrée sur l'élève se dispensent... Que les défenseurs des vaches sacrées et autres religieux de tous poils se dispensent...
Le jeune B, 11 ans, est venu hier me voir avec sa maman pour que je lui refasse un certificat indiquant qu'il était nécessaire qu'il pût disposer d'un casier dans son collège pour pouvoir ranger ses livres et ne pas avoir à les transporter tous les jours sur son dos.
Depuis 20 ans, mais probablement plus, je n'ai pas fait de recherches précises, il existe un marronnier annuel qui est de se plaindre du poids des cartables. Et tous les ans depuis 20 ans, que le ministre de l'Education Nationale soit de gauche ou de droite, que les syndicats de l'Education Nationale soient de gauche ou d'extrême-gauche, que les professeurs appartiennent à n'importe quelle tendance de la "pédagogie" moderne dont celle du trop fameux Philippe Meirieu (son site) désormais membre d'Europe Ecologie, mon professeur de français latin grec, un certain José Lupin, disait dans son langage châtié de normalien : "les pédagogues aux gogues", eh bien, tous ces braves gens font des déclarations enflammées sur le fait que c'est intolérable et que cela va changer. Et rien ne change.
Il existe un pouvoir d'inertie qui, loin de se prélasser dans les cours de physique chimie, prend un malin plaisir à se répandre sur le rachis de nos charmantes têtes blondes (erreur : la HALDE va me tomber sur le dos, dans le collège de Mantes-La-Jolie il n'y a pas que des charmantes têtes blondes mais de charmantes têtes non blondes issues de la diversité)... Cela dit, B, issu de la diversité de ses parents, est un blondinet berbère charmant et timide.
Quoi qu'il en soit, notre ami B est un enfant plutôt chétif et l'examen de son rachis retrouve une simple attitude scoliotique avec une petite cyphose dorsale, des omoplates décollées et un attrait pour les activités physiques tenant vers le zéro pointé (zut, on ne donne plus de notes, cela stigmatise les mauvais élèves et cela pourrait entraîner les meilleurs à continuer de l'être). Un peu de natation, quelques conseils sur des exercices à pratiquer tout seul chez lui (je m'y emploie), lui éviter d'aller chez un kinésithérapeute qui finirait par lui faire croire que l'hétéronomie est meilleure que son inverse (l'autonomie) et qu'il faudrait porter des semelles et le tour sera joué : il est possible que notre ami B ne soit jamais un "sportif" ou qu'il le devienne, allez savoir, mais cela ne me regarde absolument pas (autre vache sacrée : le sport comme nécessité de l'homme et de la femme moderne).
Bon, venons-on au fait : B pèse 31 kilogrammes et son cartable dix et demi. Sachant, chers amis, que je pèse, les bons jours, 75 kilogrammes, je m'imagine arrivant au cabinet, faisant mes visites, avec une sacoche de docteur pesant 25 kilogrammes !
Il y a bien entendu de bonnes raisons pour que le cartable de B pèse 10,5 kilogrammes. Je n'en doute pas. D'ailleurs, ses parents n'ont qu'à lui acheter un cartable à roulettes...
Je rédige donc un certificat à la con qui ne servira pas à grand chose car, dans ce collège, il n'y a pas autant de casiers que d'élèves... Embouchons les trompettes de la renommée : vous voyez que les problèmes de l'Education Nationale sont liés essentiellement au manque de moyens...

Le poids des cartables est révélateur, à mon sens, de la crise de l'enseignement et de la démocratie.
Le matériel pédagogique, comme on dit, est plus important que la pédagogie elle-même.
Le rachis de cet enfant est moins important que les couleurs des classeurs et celles des intercalaires.
Les livres scolaires sont une industrie juteuse dont le poids ne rend pas compte de la valeur.
Chaque enfant de ce collège a eu droit, en CM1, à un ordinateur portable qui ne sert pas à se "cultiver" (quel mot horrible) mais à jouer sur internet ou à visionner You Tube, et donc, pas de fracture numérique (mon oeil !), mais un rachis souffrant.
Le médecin généraliste n'a aucun pouvoir sur le rachis est là pour rédiger des certificats.
L'enfant est au centre de la pédagogie sauf quand cela va à l'encontre de l'intérêt de l'administration.
Je me rappelle, enfant insouciant sur le chemin du lycée (les collèges étaient réservés aux élèves qui ne faisaient pas d'études "longues"), lançant mon cartable en l'air ou m'en servant pour donner des coups à mes camarades, un cartable léger comme mon insouciance, comme mon esprit léger...
Je me rappelle mon grand-père haut-savoyard me racontant ses longues chevauchées pour arriver à l'école, le cartable lourd comme une plume et tenu à bout de main.
Je me rappelle ma grand-mère, institutrice à Taninges, Haute-Savoie, m'apprenant à lire avec un tableau noir et une craie, sans matériel pédagogo mais avec pédagogie et se moquant de moi en CM2 parce que j'étais obligé de "poser" une règle de trois.
Nos cartables étaient légers comme l'air mais ce n'était pas l'époque moderne, celle où l'enfant est plus important que le savoir lire et le savoir compter, c'était l'époque utilitariste où le certificat d'études primaires avait une fonction sociale...
Que l'on me pardonne cette envolée sur les temps anciens où tout était mieux qu'avant, où les cartables étaient légers, les enfants dyslexiques rares et les enfants hyperactifs turbulents.