Je suis actuellement en train de lire le livre de Nicolas Da Silva "La bataille de la Sécu - Une histoire du système de santé", un crayon à la main, un moteur de recherche en ébullition et avec beaucoup d'intérêt. J'en ferai plus tard la recension.
Mes premières impressions sont quand même celles-ci :
- le sous-titre est mensonger à moins de donner une définition de la santé très restreinte (qui n'est à mon avis pas la bonne puisqu'elle omet le fait que les principaux déterminants de santé sont : les conditions de vie, les conditions de travail, le niveau socio-économique et éducationnel comme la définit en 1946 l'OMS : "La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité.") (a)
- le propos est hospitalo-centré (ce qui va à l'encontre de toutes les données et recherches prospectives sur la santé, l'accès aux soins, l'éducation à la santé, et cetera)
- c'est un formidable outil contre le service public (je cite : représentant de l'Etat social et non outil de La sociale)
Bref, il est temps de déclarer mes liens d'intérêts :
- médecin généraliste retraité ayant exercé 41 ans en secteur 1
- opposé de façon "gratuite" à la grève pour les 50 euros puisque ne travaillant plus (j'ai par ailleurs publié les chiffres de mon BNC (b) lors de ma dernière année d'installation comme médecin généraliste exerçant avec une associée dans un cabinet libéral et travaillant avec une secrétaire plein temps et une femme de ménage)
- partisan de réformes profondes du système de santé dont celles du contenu de la consultation et de la visite de la médecine générale et de son organisation et son articulation avec les structures médico-sociales
- défenseur des soins primaires prodigués en libéral, en PMI, en centres de médecins salariés, et cetera
- LES médecins libéraux sont un groupe hétérogène en raison de leur spécialité, de leur lieu de pratique (cabinets individuels, associations simples, maisons médicales, cliniques...), de leur type de pratique (spécialités), du fait des temps partiels et des exercices particuliers -qui n'existent plus administrativement, et cetera.
- Comme il est signalé (mais de façon partielle) des médecins salariés du service public comme des médecins libéraux "de ville" exercent une activité libérale dans le service public hospitalier.
- Il n'est pas possible de comparer les libéraux entre eux (même si, par un artifice sémantique, les médecins généralistes sont considérés comme spécialistes) : comment comparer les revenus d'un dermatologue de ville avec un cardiologue posant des stents dans une clinique ?
- Mais surtout : l'hospitalo-centrisme de NDS le fait adhérer à la non prise en compte des soins primaires en mettant sur le même plan la médecine générale et la médecine d'organe ou d'examens techniques... C'est une erreur majeure. Il faut privilégier la médecine générale, c'est à dire les soins primaires, et bien dire que nous sommes un des pays où il existe le plus de spécialistes non MG en ville.
- Je suis assez d'accord avec nombre de points rapportés dans l'article à ceci près que jamais le temps de travail, les contraintes horaires ne sont citées, les gardes, et cetera.
- Je suis très étonné qu'un auteur se réclamant de gauche écrive, je cite, "Une faible rémunération des internes compensée par leur carrière", internes pour lesquels le code du travail est bafoué (horaires, repos compensateurs, conditions d'hébergement, ...) pendant toutes leurs études. Curieux.
- Sur le même sujet des rémunérations et des conditions de travail des internes, déplorables, convenons qu'il s'agit d'un frein majeur à l'ouverture de la profession médicale à d'autres étudiants que ceux dont les parents appartiennent aux CSP + (ce que toutes les enquêtes attestent).
- La comparaison purement comptable des honoraires avec les autres pays ne tient compte ni de la charge de travail, ni du nombre de patients vus par jour, ni des conditions socio-économiques, ni des indicateurs de santé publique (la France est plutôt mal placée).
- L'interprétation des raisons pour lesquelles le numerus clausus a été institué puis modifié est très partiale : il n'y avait pas que "la frange la plus conservatrice des médecins qui étaient pour". (NDS n'a pas cité, pas plus dans son livre, tous les auteurs de commentaires contradictoires à ce sujet dont un billet ICI de Dupagne D et un chapitre de livre de Got C "Imprévoyance - La mauvaise gestion de la démographie médicale au cours des trente dernières années -- pp 31-40 In Comment tuer l'Etat - Précis de malfaçons et de malfaisances, Paris, Bayard, 2005 )
- La rémunération sur objectifs de santé : NDS omet de dire que la ROSP est la mesure la plus libérale (au sens économique et managérial) instituée par la CNAM, il s'agit d'un incentive bien classique dans le managériat entrepreneurial (dont j'ai analysé ailleurs les tenants et les aboutissants), sur des objectifs parfois purement économiques, sans véritable valeur ajoutée médicale (manque de preuves), incentive qui a fait la preuve de son inefficacité en termes de santé publique tant en Grande-Bretagne qu'aux États-Unis d'Amérique et :
- qu'elle n'est pas seulement contestée par les patients comme il est écrit mais surtout par les médecins et pour des raisons souvent contradictoires : les "purs" libéraux qui ne souhaitent avoir aucune contrainte de prescriptions, les partisans de la médecine par les preuves qui contestent la valeur des données et les comptables qui pensent qu'il s'agit d'une forfaitisation cachée.
Mais surtout, attardons-nous sur les 3 derniers paragraphes qui sont, passez-moi l'expression non académique, gratinés.
- Qu'un économiste de gauche cite Brigitte Dormont, économiste ultra libérale ayant travaillé avec Claude le Pen, et cetera, dans le cadre d'un Think Tank du même acabit (CHAM), pour écrire, et là le clavier m'en tombe, je cite exactement "... n'est-il pas temps que l'inflation des dépenses en médecine de ville ne soit plus la cause de l'austérité à l'hôpital ?" Les dépenses hospitalières françaises comparées à celles des autres membres de l'OCDE sont considérables (nous sommes seconds voire premiers pour les soins courants (c)), l'ONDAM indique au contraire la faible part du poids des médecins généralistes dans le budget global (3 % environ)...
- Ecrire que, je cite encore, "... un hôpital pauvre et sous-dimensionné, avec une médecine de ville riche et mal organisée." Il était possible d'écrire que l'hôpital n'est pas si pauvre que cela (voir les chiffres de l'OCDE et ceux de la DREES), qu'il est mal organisé, qu'il maltraite ses salariés, qu'il n'est pas réparti équitablement sur le territoire, que les médecins hospitaliers sont les moins à même de proposer des réformes ("Donnez-nous l'argent, on fait le reste") et qu'il ne sait ni sélectionner ni former les futurs médecins aux nouveaux enjeux de la santé publique. La médecine de ville doit être centrée sur les soins primaires, je me répète, et, effectivement, s'organiser autour de pôles médico-sociaux.
- Réorganiser la médecine de ville est nécessaire. La suppression du paiement à l'acte (auquel, vous l'avez compris, je ne suis pas opposé) ne change rien à la non-attractivité de la médecine générale (c'est le cas dans tous les pays développés quels que soit le mode de rémunération, libérale non, mixte ou non...) car l'hospitalo-centrisme de l'enseignement, de la hiérarchie, du complexe santéo-industriel, du mépris des soins primaires, des politiques qui veut organiser les soins primaires sans les acteurs des soins primaires sera un échec.
PS 1 : Je n'ai indiqué aucune référence parce que je ne voulais pas m'auto-citer et parce que le fait de "cueillir des cerises" en ne citant que ce qui va dans le sens de mes convictions ne rend pas pertinent.
PS 2 : NDS m'a appris énormément de choses dans son livre (j'en suis à la page 208)
PS 3 : Je rajoute les références le 12 décembre 2022 en modifiant le texte avec des portions en italique grasseyé et souligné.
PS4 : Je complète le 01/01/2023 avec des références en rouge.