Premier acte.
Un de mes amis (médecin), 69 ans, m'appelle immédiatement après qu'il a ressenti un malaise en faisant de la course à pied. Un malaise qui ne l'a pas empêché de finir de courir à petites foulées (mais tout le monde sait que les médecins sont de mauvais médecins pour eux-mêmes et ont beaucoup de mal à apprécier ce qu'ils ressentent).
Je l'interroge au téléphone.
Depuis environ deux ans il est essoufflé en montant trois étages. Il dit, je rapporte ses propos à peu près dans l'ordre où il m'en a parlé, c'est à dire, sans ordre, que le fait de porter un masque FFP2 dans les escaliers n'a pas arrangé les choses. Et le fait d'attraper le covid en mars alors qu'il était trivacciné.
(Pardon pour ce commentaire prématuré : je me rends compte très rapidement, et cette sensation va s'accentuer encore lorsque nous nous verrons en chair et en os, que nous continuerons à parler de ce qui lui est arrivé, pendant le trajet qui nous conduira dans un service d'urgence cardiologique, qu'il raconte une histoire, son histoire, et que cette histoire est fausse, non pas parce qu'il ment sciemment, mais parce qu'il hiérarchise d'emblée les faits qui lui sont arrivés, qu'il les interprète au lieu de les exposer de façon neutre, mais y a-t-il une façon neutre de raconter un malaise d'origine probablement cardiologique quand on est médecin ?... Il raconte une histoire, son histoire, et moi je l'écoute de façon non neutre, il m'a déjà raconté ce qui n'allait pas, en hiérarchisant mon écoute, en n'écoutant que ce qui m'intéresse, que ce qui va aller dans le sens de ce que j'ai déjà conclu...)
Voici mon propre résumé. Mon ami a ressenti en courant, c'était un jour où il n'était pas, selon lui, en forme, des douleurs dans les deux trapèzes et dans les deux portions basses des sternocléïdomastoïdiens, sans sensation de striction, sans douleurs dans la poitrine, mais avec un grand essoufflement. Ces douleurs des trapèzes, il les a déjà ressenties sans faire d'efforts, parfois lors de changements de position, et là, elles ont mis un certain temps à disparaître après avoir arrêté de courir. A son arrivée chez lui il s'est mesuré la pression artérielle qui était en moyenne aux alentours de 100/70 pour une PA habituelle sous sartan de 145/90 Quant à la fréquence cardiaque elle était banalement à 100 L'hypothèse d'un malaise vagal se précise. Selon lui et selon moi.
Aux urgences de la clinique cardiologique il n'y a personne. Enfin, deux personnes attendent.
C'est le mois d'août.
Le docteur D prend un numéro dans un distributeur.
On appelle son numéro au bout de dix petits minutes.
Il me raconte.
Je m'installe sur un siège. On me demande de me mettre torse nu. Il y a une jeune femme vêtue d'une blouse blanche qui se tient derrière un ordinateur et qui me pose des questions : "Qu'est-ce qui vous arrive ?... Comment vous vous appelez ?... Quelle est votre personne de confiance ?..."
Une autre jeune femme en blouse blanche me pose des électrodes..." On va vous faire un ECG..."
La première jeune femme : "Ça vous est arrivé quand ? - Ce matin vers 11 heures... - Et vous avez attendu tout ce temps ?" Je refais engueuler. "Je suis médecin...- Et, en plus, vous êtes médecin..."
Mon ECG est beau comme un ECG de jeune homme qui ne ferait pas d'infarctus.
L'ECG sort de la pièce et revient signé par l'urgentiste. "Normal."
"On" me prescrit une prise de sang et une radio pulmonaire.
La prise de sang sera faite dans le couloir. Et la radio pulmonaire au service radiologie.
Retour dans la salle d'attente.
Nous entendons dire qu'il faudra une heure pour le résultat du troponime.
Bon.
L'heure se passe en discutant.
Une jeune femme en blanc vient le chercher : la cardiologue va vous examiner.
Le docteur D raconte :
On me transfère dans un box, on m'allonge, torse nu et entre un cardiologue masqué qui semble jeune. "On me dit que vous êtes médecin ?..."
Je lui tends les radiographies pulmonaires qui sont normales de chez normales.
Il me commente la prise de sang : "Vous avez des troponimes à 14. Il va falloir refaire un dosage.
Je raconte mon affaire : "Je cours seize à dix-huit kilomètres par semaine, plutôt à 9 km/h, sans problèmes particuliers, mais il m'arrive d'être essoufflé en montant trois étages... (Je n'ose pas parler du port du masque de peur de me faire traiter d'imbécile, j'ai entendu dire, comme tu le sais, me précise-t-il, que ceux qui ont du mal à respirer avec des masques sont des crétins complotistes...)"
Le jeune cardiologue me pose des questions sur les conditions de survenue et je réponds en bon élève tout en ne disant pas tout à fait ce que je voudrais dire, je n'arrive pas à ordonner ma pensée, j'insiste sur des faits mineurs et n'arrive pas à expliquer la nature réelle de mes douleurs trapéziennes, je n'arrive pas à les définir, ni comment elles sont vraiment apparues ni comment elles ont disparu.
Le fait que j'ai attrapé le covid en mars, nous sommes en août, ne semble pas l'intéresser du tout (on parle tant de complications cardiaques du covid ici et là).
Le cardiologue me refait un ECG et me dit qu'il serait utile, vu la façon dont c'est arrivé, de réaliser une scintigraphie d'effort et qu'il pourra la superviser après demain. "Vous allez prendre de l'aspirine d'ici-là." Il me prescrit 75 mg de kardegic.
Le cardiologue me parle de son genou et de l'IRM qu'il a faite.
Re prise de sang dans le couloir.
Salle d'attente.
Le docteur D est d'accord pour faire une épreuve d'effort mais n'en voit pas l'utilité.
Je lui dis que "Puisqu'il est là et qu'on lui propose un rendez-vous rapide..." Sa femme lui a dit pareil.
Entre temps j'ai envoyé un sms à un de mes copains cardiologues qui est en vacances et qui m'a rappelé dans les dix minutes. "Scintigraphie d'effort..." Le docteur D a lui-aussi contacté un copain cardiologue hospitalier qui lui a dit "Coroscan"
On rappelle mon ami.
Il est reçu par l'urgentiste, entre quarante et quarante-cinq ans, dans un petit bureau sans fenêtre et sans masque.
Mon ami, le docteur D, semble rassuré. Il me dit qu'il n'y a jamais cru, à l'infarctus...
Je le raccompagne chez lui.
Deuxième acte.
Troisième acte
Nous discutons avec mon ami.
Le lendemain de la scintigraphie.
2 commentaires:
J'aime beaucoup tes histoires médicales sans consultation.
Elles disent le réel.
Et rien que pour cela elles se suffisent à elles même.
Pas besoin de rajouter de commentaires, d'explications etc.
Même si je viens de faire un commentaire ;-)
En tant que patient je plussoie sur l'aspect froid, plein de solitude, et peu informatif dans ce monde là.
Le niveau de repère quand on est dans ce type de circuits est très aléatoire.
Et encore de mon côté c'est pour du suivi (DT1 depuis l'âge de 10 ans en 1980), pas après un évènement cardio flippant.
Les gens peuvent être très sympas mais il est vite difficile d'y voir clair ; on est encore plus laissés seuls en tant que patient lambda, sauf quand des internes ont le temps de venir faire un point.
Quand chaque intervenant est pressé, il y a des réflexes à la noix qui se mettent en place. Typiquement, un cardio qui arrive dans ma chambre en lisant mon dossier, me regarde à peine, me pose des questions, dont savoir si je suis facilement essouflé, par ex. la dernière fois que j'ai monté un escalier. "Oui j'ai eu un peu mal à tenir mon souffle à la fin tout à l'heure dans l'escalier". Là il s'inquiète, parle de la durée de mon Dt1, me parle de pleins de tests à faire. Je ne suis pas hypocondriaque en temps normal, là je le devins illico.
Je continue en // ma discussion soucieux de donner des détails pour l'orienter. J'étais essouflé en montant les 7 étages en courant, à partir du 5ème, qu'après j'ai du ralentir. Là il rigole et dit que pour lui "essouflé dans les escaliers" c'est un signal possible dans les 3 premiers étages en marchant normalement. C'est trois fois rien mais ça fait partie des 1000 mini yoyos émotionnels quand on est patient, qq fois épuisants au terme d'une journée de suivi.
Je précise que tout ça c'était avant que je me lance dans des discussions de batailleur contre certains des termes ou examens proposés, juste qq uns, pas tous, mais c'est une autre histoire.
j'espère que votre ami va mieux depuis.
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