dimanche 12 février 2012

Vaccination anti grippale : une étude danoise qui remet en cause la stratégie officielle... par Claudina Michal-Teteilbaum (CMT)

Louis Pasteur par Nadar



Faut-il vacciner contre la grippe les patients non institutionnalisés de moins de 65 ans souffrant de pathologies chroniques graves ? 
Docteur Claudina Michal-Teteilbaum

Cette question peut paraître saugrenue en France où la vaccination des personnes à risques est une évidence pour les décideurs et pour nombre d’experts, pourtant, une étude danoise « Effectiveness of vaccine against pandemic influenza A/H1N1 among people with underlying chronic diseases: cohort study, Denmark, 2009-10 » que l’on peut consulter en accès libre sur le site du BMJ (British Medical Journal) (ICI)   se l’est posée. L’étude a été menée par une équipe du Statens Serum Institute (LA), organisme public rattaché au gouvernement danois qui joue un rôle de veille épidémiologique, de recherche, et qui fabrique également des vaccins .
L'étude
Objectif : Il s’agissait, dans une population de patients de moins de 65 ans souffrant de maladies chroniques, de mesurer l’impact de la vaccination par le Pandemrix (seul vaccin contre le virus A H1N1 utilisé au Danemark pendant la pandémie) sur la survenue de cas de grippes confirmées et sur les hospitalisations pour grippes confirmées en tenant compte à la fois du temps écoulé depuis la vaccination et du risque effectif de contracter la grippe calculé en fonction de l’évolution de l’épidémie.
Méthodes : La population étudiée était composée des 388 069 Danois âgés de moins de 65 ans pour lesquels la présence d’une pathologie chronique avait été retrouvée grâce au registre des hospitalisations effectuées pendant les cinq années précédentes. Les informations sur les hospitalisations ont été croisées avec celles sur la vaccination ou non, la date de vaccination, le diagnostic de grippe confirmé biologiquement, et sur l’éventuelle hospitalisation avec un diagnostic de grippe confirmé biologiquement. Seules les grippes confirmées biologiquement ont été retenues pour l’étude.
Ces informations ont été mises en regard de l’évolution de l’épidémie de grippe pour en déduire l’efficience du vaccin en fonction du temps écoulé depuis la vaccination. C'est-à-dire la capacité du vaccin à éviter soit une infection par le virus de la grippe H1N1, soit une hospitalisation due à cette infection, en fonction du temps écoulé depuis la vaccination de chaque individu (entre J1 et J7, entre J8 et J14, et au-delà de J14) et en tenant compte également des âges et du nombre de pathologies.
Résultats :
La population : 20,6%, soit 79 988 sujets de la population étudiée étaient vaccinés avec au moins une dose de Pandemrix. Un total de 49 435 sujets (12,7% de la population) a reçu le vaccin saisonnier, dont 29691 l’ont reçu avant le vaccin pandémique. Quelques 11 000 sujets (3% de la cohorte) ont reçu le vaccin saisonnier seul alors que 76,4 % (296342) des sujets de la population étudiée n’a reçu aucun vaccin.
Les deux critères de jugement : 799 sujets ont présenté des grippes confirmées biologiquement et 718 n’étaient pas vaccinés alors que 229 sujets de la population ont été hospitalisés pour grippe avec un diagnostic confirmé biologiquement et 188 n’étaient pas vaccinés.
Les sujets vaccinés par le vaccin pandémique avaient un risque sensiblement accru d’avoir un diagnostic de grippe confirmé ou d’être hospitalisés dans les 7 jours suivant la vaccination par rapport aux individus non vaccinés respectivement de -112% (CI95 -187% à -56%) pour le diagnostic et -258% (CI95  -464% à -127%) pour l’hospitalisation.
De J8 à j14 après la vaccination on ne retrouvait pas d’effet protecteur du vaccin ni pour la grippe ni pour l’hospitalisation pour grippe (absence de différence significative).
Au delà du quatorzième jour après la vaccination le vaccin avait une efficience de 49% (CI95 10% à 71%) pour le diagnostic de grippe mais aucune efficience pour éviter les hospitalisations pour grippe. Cette absence d’efficience était d’autant plus nette que les sujets étaient atteints d’un plus grand nombre de pathologies.
Quand seul le vaccin contre la grippe saisonnière (quelques 11 000 sujets)  était administré, le risque de diagnostic de grippe augmentait significativement, multiplié par 2,31 (CI95 1,65 à 3,25), et le risque d’hospitalisation pour grippe  était multiplié par 2,55 (CI95 1,38 à 4,70).
Enfin, l’efficience chez les sujets ayant reçu les deux vaccins était la même que celle du vaccin Pandemrix seul.


Des explications et des hypothèses pour ces résultats surprenants


Premièrement : lorsqu’on évalue l’efficacité globale du vaccin contre la grippe sans tenir compte de la relation entre le moment de la vaccination et l’évolution de l’épidémie de grippe comme cela est fait systématiquement en France, on a fortement tendance à surévaluer l’efficience du vaccin. Par exemple en France, beaucoup de personnes ont été vaccinées par le Pandemrix après le pic épidémique (plus de la moitié des vaccinés) au nom du risque supposé d’une deuxième vague. Celle-ci n’a pas eu lieu et toutes ces personnes n’ont donc aucun eu risque d’avoir contracté la grippe. Dans une vision globalisante elles seront comptabilisées parmi les personnes protégées par le vaccin.
Deuxièmement : on peut, au contraire, pour expliquer le peu d’efficacité apparente du vaccin chez les sujets les plus fragiles mais qui se vaccinent, faire l’hypothèse que les personnes qui se vaccinent ont plus facilement recours aux soins et seront donc diagnostiquées plus facilement comme présentant une grippe. La vaccination et le diagnostic de grippe seraient donc liés au comportement des personnes. D’où une sous-estimation de l’efficience du vaccin. Mais cela reste à démontrer.
Troisièmement : l’augmentation relative du risque de grippe  pendant les sept premiers jours après vaccination pourrait aussi être due à une exposition au virus plus importante dans la salle d’attente du médecin au moment de la vaccination. Si cela s’avérait vrai, cela donnerait la mesure de l’importance du risque pris par les autorités en appelant la population à se rassembler dans les centres de vaccination.
Quatrièmement : mais l’observation d’une augmentation du risque de diagnostic de grippe et de ses complications chez les personnes vaccinées de manière itérative par le vaccin trivalent saisonnier contre la grippe peut conduire à des hypothèses d’un autre ordre.  Certaines études sont mentionnées dans l’article danois lui-même, comme cette étude canadienne qui analyse quatre études observationnelles (ICI) et conclut à une augmentation significative des diagnostics de grippe et des hospitalisations lors de la pandémie de 2009 chez les personnes ayant reçu le vaccin saisonnier trivalent pendant l’épidémie  grippale de la saison précédente. Sans pouvoir toutefois éliminer les biais.

Cinquièmement : L’immunité à médiation cellulaire ou non spécifique est responsable de la protection croisée car les lymphocytes CD8 sont capables de reconnaître les structures invariables retrouvées chez toutes les souches de virus de la grippe et peuvent donc stimuler une réaction de l’organisme en présence de virus de la grippe quelle que soit la souche. Ce type d’immunité est insuffisante en elle-même pour empêcher l’infection mais dans l’enchaînement de réactions provoquées par l’infection grippale, elle est en première ligne et joue le rôle de starter. Or, le vaccin ne contient que des fragments de virus (hémagglutinines) jouant la fonction d’antigènes mais qui sont la part variable du virus d’une souche à l’autre. Une étude néerlandaise publiée dans le Journal of virology en 2011 (LA) montre que chez un groupe d’enfants vaccinés annuellement, l’immunité à médiation cellulaire n’est pas stimulée, alors qu’elle l’est chez des enfants non vaccinés. La réponse immunitaire serait donc moins efficace chez les enfants vaccinés. Les auteurs pointent donc le risque qui existe à promouvoir une vaccination généralisée des enfants. Pour en revenir à l'étude danoise on peut faire l’hypothèse qu’une diminution de l’immunité protectrice à médiation cellulaire serait responsable d’une plus grande fragilité des personnes vaccinées chaque année vis-à-vis de toute nouvelle souche de virus. Ces personnes ne disposant pas ou plus d’une immunité cellulaire donc d’une protection croisée contre de nouvelles souches de virus leur permettant de déclencher rapidement une réponse immunitaire en cas de survenue d’une telle souche. Une autre étude va dans ce sens et laisse suspecter que la présence d’anticorps non immunisants contre le virus actuel en l’absence d’une immunité à médiation cellulaire efficace  que seule l’infection virale permet de promouvoir pourrait être à l’origine de formes de grippe sévères par formation de complexes immuns non neutralisants (ICI et commenté LA).


La petite Sirène - Copenhague


Petit retour en arrière pour expliquer comment cette étude, que jamais un cerveau expertal français n’aurait eu l’idée de mener, remet en cause toute la politique française passée, présente et à venir et pourquoi personne n’en discutera jamais dans la sphère publique.

En 2009 un nouveau virus grippal H1N1 a émergé au Mexique, initiant une pandémie.
Une telle pandémie était attendue depuis plusieurs années, et l’OMS alertait les populations et les gouvernements sur son caractère inéluctable et potentiellement gravissime, même si la souche virale pressentie par l’OMS était autre que celle qui a provoqué la  pandémie de 2009, puisque c’était le virus H5N1 qui était redouté, virus mieux connu sous l’appellation de virus de la grippe aviaire.
Pendant plusieurs mois, de l’été 2009 à décembre, la population et les professionnels ont été soumis à un pilonnage médiatique et institutionnel sans précédent, qui mettait l’accent sur les risques encourus en cas d’infection, et sur l’absolue nécessité d’une vaccination généralisée pour éviter une avalanche de morts. Cette mobilisation forcée a contribué à désorganiser les services de soins et de prévention, a focalisé l’attention sur la grippe et a accaparé les soignants, mais aussi certaines administrations, provoquant sans aucun doute une perte de chance pour des personnes atteintes d’autres pathologies. Ceci alors même que les  médecins  infectiologues  hospitaliers avaient pris acte de la bénignité de la pandémie grippale dès la fin juin en France (LA).
En dépit de cela, la France est le pays qui a acheté le plus de vaccins, proportionnellement à sa population. La commande, signée définitivement en juillet 2009 en s’appuyant sur des avis d’experts,  portait sur 94 millions de doses de vaccins dont 50 millions étaient des vaccins Pandemrix, produits par GSK. Ce vaccin présentait la particularité de contenir un adjuvant, le squalène, utilisé seulement jusqu’à alors dans certains vaccins contre la grippe administrés aux personnes âgées de plus de 65 ans (Fluad, Gripguard). L’expérience de cet adjuvant et les essais cliniques chez des adultes jeunes était très limitée voire quasi inexistante chez les enfants et les adolescents, car les essais, et notamment l’évaluation des effets indésirables n’avaient porté que sur quelques dizaines de nourrissons et enfants de 6 mois à 9 ans  et sur quelques dizaines d’adolescents de 10 à 17 ans (LA). Pourtant les organismes publics n’ont pas hésité à  inciter à la vaccination de dizaines de millions de personnes dans ces groupes d’âge.
La raison invoquée pour l’introduction à la va vite de ce nouvel adjuvant non évalué dans le vaccin, était que sa présence permettait d’augmenter l’efficacité du vaccin, c'est-à-dire sa capacité à faire produire rapidement des anticorps par l’organisme en quantité suffisante contre le virus grippal A/H1N1 pandémique, avec une quantité moindre de fractions antigéniques. Or, ces antigènes sont longs à produire, mais surtout beaucoup plus chers. Alors que le squalène ne coûte rien et est disponible en grande quantité. La réduction de la dose d’antigènes dans le vaccin devait donc permettre de produire  des vaccins plus rapidement.
Le fait est que malgré une quantité 4 fois moindre d’antigène dans le Pandemrix comparé aux vaccins contre la grippe saisonnière, 3,75 µg au lieu de 15µg, le vaccin de GSK a été livré à la France après les vaccins commandés par les Etats-Unis, qui avaient, pour leur part, exigé des vaccins sans squalène, semblables dans leur composition aux vaccins saisonniers classiques. Cette exigence était motivée par des rasions historiques. En 1976, lorsqu’un nouveau virus de la grippe avait été découvert chez un soldat américain, une campagne de vaccination avec un nouveau vaccin expérimental avait provoqué la survenue d’un nombre anormal de syndrome de Guillain-Barré, syndrome neurologique invalidant d’origine auto-immune et de cause inconnue, entraînant une paralysie progressive. Des études avaient montré par la suite une augmentation du nombre de cas de Guillain-Barré chez les personnes vaccinées (LA).
Les Etats Unis ont donc reçu leurs vaccins plus tôt et ont débuté la campagne de vaccination début octobre tandis que  la France n’a pu commencer la campagne que le 20 octobre.
Dès l’été le pays entier a été tenu en haleine dans l’attente de l’arrivée des vaccins, présentés par les médias, les organismes chargés de la régulation sanitaire et le gouvernement, comme salvateurs et comme l’ unique moyen de défense contre une infection aux conséquences potentiellement mortelles pour des individus jeunes et en bonne santé.
A partir du mois de septembre, le nombre des cas de grippe relevés par le réseau de surveillance sentinelle a augmenté lentement et a franchi le seuil épidémique  en semaine 43 c'est-à-dire précisément au moment où commençait la campagne de vaccination. Le pic épidémique a été franchi en semaine 49 début décembre, puis la diminution du nombre de cas a été très rapide et l’épisode épidémique était terminé début 2010.
La confusion entre syndromes grippaux et grippe vraie a contribué à entretenir une ambiance de panique. En réalité, les prélèvements effectués par les médecins du GROG (Groupes régionaux d’observation de la grippe composé de médecins de ville volontaires), qui effectuaient des prélèvements salivaires en cas de syndrome grippal, adressés ensuite aux CNR (Centre nationaux de référence) pour confirmation biologique du diagnostic par RT-PCR, ont montré que entre moins de 5% des syndromes grippaux début septembre, et 52% seulement en semaine 49 au moment du pic, étaient dus à un virus grippal.
Cette confusion, du public mais aussi des médecins, contribuait au sentiment diffus que la grippe était partout, menaçante.
Paradoxalement, face à une grippe brandie comme potentiellement mortelle, les autorités ont opté pour une vaccination dans des centres dédiés. Ce qui veut dire que pour obtenir une couverture vaccinale élevée, les autorités ont pris le risque de rassembler un grand nombre de personnes dans des lieux confinés, ce qui est le meilleur moyen en période épidémique, de contribuer à la diffusion d’une infection contagieuse comme la grippe. Plutôt imprudent pour une épidémie grave !

Le vaccin Pandemrix était indiqué en France chez les personnes âgées de 10 ans et au delà et n’était pas préconisé chez les femmes enceintes.
La consultation des bulletins de pharmacovigilance de l’AFSSAPS permet de constater que à la mi-décembre 2,45 millions de doses de Pandemrix avaient été administrées. A la fin janvier on avait dépassé les 5 millions. Ce qui signifie que plus de la moitié de doses ont été administrées après le pic pandémique. Il n’est pas possible de déterminer s’il s’agissait de premières ou de deuxième dose.
Au total l’INVS retient dans son bilan (ICI)  1334 hospitalisations en soins intensifs ou réanimation qualifiés de cas graves. Cette qualification des cas est importante car elle détermine la notion de facteur de risque.  Une pathologie, ou un état, rencontrée plus fréquemment parmi les cas graves hospitalisés en Unité de Soins Intensifs ou en réanimation sera considérée comme un facteur de risque de complication car l’on présumera que cette fréquence plus importante signifie un risque plus important de présenter des complications en cas de grippe. A son tour, cette caractérisation des facteurs de risque servira de fondement aux recommandations vaccinales. Par exemple , parmi les cas graves hospitalisés (1334) il y avait 66 femmes enceintes qui représentaient environ 5% des cas hospitalisés. Or, il n’y a pas 5% de femmes enceintes dans la population générale c'est-à-dire quelques 3 millions mais environ trois fois moins. Mathématiquement, il est possible d’en déduire que les femmes enceintes ont un risque plus élevé d’avoir des complications, ce qui n’est pas faux. Risque plus élevé égale vaccination donc le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) recommande de vacciner toutes les femmes enceintes dès le deuxième trimestre (LA).  
Mais il y a quatre objections à ce raisonnement.
Le premier c’est que les chiffres de l’INVS pour l’estimation des cas graves mélangent les cas confirmés et probables. Quand il s’agit de cas probables le diagnostic n’est pas certain (c’est une lapalissade), et on a vu que parmi les syndromes grippaux la grippe est minoritaire, même en pleine épidémie. La classification comme cas de grippe se fonde sur l’appréciation des médecins hospitaliers. Ceux-ci ont subi une pression médiatique et hiérarchique considérable et avaient probablement tendance à surestimer les cas de grippe parmi les syndromes grippaux.
Le deuxième est un autre biais de comportement des médecins. Dès lors qu’il s’agit d’une évaluation des facteurs de risque d’après une étude non randomisée l’on s’expose à ce type de biais. Dans nos sociétés occidentales les femmes enceintes et les nourrissons sont particulièrement protégés. Les médecins auront donc tendance à les hospitaliser plus facilement. Et il a pu y avoir, de manière générale, un biais de surhospitalisation des cas de grippe, comme l’a confirmé la baisse brutale de la proportion des cas admis en réanimation lors de la saison épidémique 2010/2011, de 14,0 pour 100 000 alors qu’elle était de 21,7 pour 100 000 pendant la saison 2009/2010. Notons au passage qu’il s’agit du nombre d’hospitalisations en réanimation par rapport au nombre de cas et non par rapport à la population générale.
Le troisième est qu’il s’agit d’une évaluation sur la base du risque relatif c'est-à-dire de l’augmentation supposée du risque pour la femme enceinte. Or, cela n’est vraiment pas pertinent pour apprécier le risque absolu, c'est-à-dire le risque réel pour une femme enceinte d’être hospitalisée en réanimation en cas de grippe. Si on estime approximativement le nombre de femmes enceinte au moment de l’épidémie de grippe à un million, le risque d’admission en soins intensifs pour une femme enceinte dans la population générale serait de 6,6 pour 100 000.
Le quatrième est que les supposés facteurs de risque sont pris de manière isolée. Ce que rien ne justifie car si les femmes enceinte hospitalisées présentent, pour une proportion importante d’entre elles, au moins un autre facteur de risque, il faut en conclure qu’elles ne sont pas forcément représentatives de la population des femmes enceinte dans leur ensemble. Donc qu’on ne peut pas tirer des conclusions, à partir de cette population, pour la vaccination de l’ensemble des femmes enceinte.
La décision de recommander la vaccination de toutes les femmes enceinte ne repose donc sur rien de tangible, néglige totalement les rapports bénéfice/risque et coût/bénéfice de la vaccination.

On peut tenir le même raisonnement pour les asthmatiques.
Pour ceux-ci, se pose aussi la question des bénéfices de la vaccination. Deux études sérieuses sont en faveur d’une aggravation de l’asthme chez les enfants asthmatiques vaccinés de manière itérative (ICI et LA). Cette dernière étude montre que la fréquence des visites chez le médecin est presque trois fois plus grande pour les enfants asthmatiques vaccinés et qu’ils se rendent aux urgences deux fois plus souvent.

La gravité de la pandémie.
De même l’INVS évoque 312 décès dus à la grippe, mais seulement 280 (84%) étaient confirmés par la biologie. De 7,7 à 14,7 millions de personnes auraient été infectées par le virus de la grippe A H1N1 pour l’INVS en tenant compte des personnes qui n’ont pas eu recours aux soins et des nombreuses formes inapparentes, c'est-à-dire sans aucun symptôme. Notons au passage que la fréquence des formes inapparentes est bien le propre des maladies bénignes.
En février 2011, l’agence suédoise de surveillance sanitaire, confirme que le vaccin Pandemrix augmente  le risque de narcolepsie chez les enfants et adolescents. L’étude suédoise montrait une augmentation très importante, d’un facteur 11 pour le risque relatif, de formes particulièrement graves de narcolepsie dans les trois mois suivant la vaccination (LA).  L’agence européenne du médicament décide donc de le contre-indiquer chez les enfants et adolescents de moins de 20 ans (ICI). Le vaccin Pandemrix n’est plus commercialisé en France mais il n’est pas exclu qu’un autre vaccin contenant le même adjuvant soit introduit chez les adultes de moins de 65 ans.
Malgré tous ces impairs et ces approximations  l’INVS persiste dans une démarche d’autojustification. Pour cet organisme, la sévérité de la grippe serait attestée par le  nombre d’hospitalisations élevé. Comme nous l’avons vu, ce n’est pas un argument recevable dans le contexte d’affolement institutionnel et médiatique qui prévalait au moment de la pandémie. En l’absence de confirmation biologique les chiffres d’hospitalisation n’ont aucune valeur pour l’évaluation de la sévérité de l’épidémie de grippe.


Pour conclure
Il est donc probable que cette immense gabegie qu’a été le plan de lutte contre la pandémie n’ait été contrebalancée par aucun bénéfice et que les millions de personnes vaccinées par le Pandemrix en France en aient retiré plus d’inconvénients que d’avantages en raison à la fois de la vaccination tardive, puisque celle-ci  a eu lieu dans la majorité des cas après le pic pandémique, et de la faible efficience du vaccin sur les complications de la grippe chez les individus à risque.
Loin de se remettre en question les organismes de veille sanitaire et le gouvernement s’interrogent sans fin sur les raisons du défaut  d’adhésion de la population à la campagne de vaccination. Il se serait agi en fait d’une répétition générale en vue de la prochaine grande crise sanitaire orchestrée par les services marketing des laboratoires pharmaceutiques de plus en plus impliqués dans la détermination des priorités au sein de l’OMS.
Alors que la grippe reste une maladie bénigne, que le virus de la grippe est un virus parmi tant d’autres, et qu’il n’est pas responsable de la majorité des syndromes grippaux, le HCSP persiste à élargir les indications de vaccination contre la grippe en dépit du bon sens, en tirant des conclusions extrapolées à partir d’arguments pour le moins peu convaincants.
Des études sérieuses suggèrent, de manière cohérente, que la vaccination généralisée et itérative contre la grippe, en particulier la vaccination des enfants, pourrait générer une augmentation des cas de grippe et de leur gravité.

CMT

vendredi 3 février 2012

Quant aux chimiothérapies, il vaut mieux en faire un peu trop que pas assez ! affirme le docteur Legmann, Président du CNOM.


La remise en cause du dépistage du cancer du sein par mammographie commence à ne plus être, en France, un sujet tabou.
Mais le chemin à parcourir est encore long pour qu'enfin les arguments soient discutés de façon sereine et non plus envoyés à la figure des uns par les autres et des autres par les uns.
Ce blog a rendu compte d'un certain nombre de faits et de débats : ICI.

Avant d'entrer dans le vif du sujet je vais vous raconter une anecdote qui illustre l'état des préjugés. Dans le groupe de pairs que je fréquente, je parle, il y a un ou deux mois, du problème du sur diagnostic du cancer du sein et j'avance, prudemment, l'hypothèse de Bernard Junod selon laquelle il pourrait s'élever à 50 % (je dis prudemment car je suis moi-même étonné par ce chiffre et je ne voudrais pas qu'il fût ensuite infirmé). Je rappelle qu'un sur diagnostic signifie faire le diagnostic d'un cancer alors qu'il ne deviendra jamais méchant. Un de mes collègues, très remonté, me dit de façon péremptoire : "Je n'y crois pas, je ne veux pas y croire, il faut me montrer les publications, mais, de toute façon, je n'y crois pas !" Que lui répondre ? Je tente de l'apaiser en lui disant qu'il faut cesser de croire à l'inéluctabilité de la croissance cancéreuse, qu'il y a des cancers non méchants et des cancers ultra méchants, comme d'ailleurs dans le cas de la prostate, et cetera, et cetera, que le mythe de la découverte précoce est très ancré mais faux, que même des cancers invasifs peuvent régresser, bon, je lui sers la sauce habituelle (et je ne développe pas tout ce que je sais grâce au livre de Rachel Campergue : ICI et j'en reproduis la substantifique moelle à la fin de ce post pour les feignants qui ne veulent pas cliquer). Je dois dire ici, et je ne l'ai pas dit ce jour là, que j'ai eu du mal, en partant de mon idéologie de la prévention (juvénile et pré médicale puis médicale durant mes études, puis médicale lors de mon installation et de ma longue pratique), à accepter toutes ces informations sur le cancer du sein alors que je sais depuis des lustres, la fin des années 80, que le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA est une horreur (peut-être parce que mon statut masculin me fait envisager de façon claire les conséquences du sur diagnostic). Mais mon collègue n'est pas convaincu et nous passons à autre chose, dans cette fameuse réunion de pairs. Puis, une demi-heure après, mon collègue me dit ceci : "Cela me fait penser que l'on a découvert il y a trois ans deux nodules pulmonaires chez ma mère de 83 ans, que j'en ai discuté avec le pneumologue et que nous avons décidé, vu l'âge et les pathologies associées, de ne rien faire, pas de chimiothérapie, pas de radiothérapie... et deux ans après les nodules avaient disparu." Sans commentaires. 

Et donc, le débat sur le dépistage du cancer du sein par mammographie commence à se faire jour dans les médias français.
Et voilà que je lis un article dans le Bulletin d'information de l'Ordre des Médecins (n° 21 de janvier-février 2012) (LA), un article qui s'appelle "Dépistage organisé du cancer du sein : vraiment utile !" On demande à trois médecins de répondre à des questions concernant le dépistage : le Professeur Agnès Buzyn, présidente de l'INCa (Institut National du Cancer), le docteur Michel Legmann, président du CNOM (Conseil National de l'Ordre des Médecins), radiologue et responsable de la campagne de dépistage organisé du cancer du sein dans les Hauts-de-Seine (92) et le docteur Philippe Autier, vice-président de l'IPRI de Lyon (Institut International de Recherche et de Prévention). Je vous laisse lire l'article à la page 10 du Bulletin. Il ne s'agit pas d'un vrai débat et la propagande officielle s'étale au mépris de toutes les données sérieuses : baisse de la mortalité, faible taux de sur diagnostics (5 %), et cetera. Le docteur Autier arrive à placer deux ou trois trucs mais le temps de parole n'est pas vraiment respecté... Mais là où cela devient grave c'est quand je lis, de la bouche de Michel Legmann, la phrase suivante qui rend toute discussion difficile, dans la même eau que ce que j'entend parfois ici ou là (il faut tout faire pour sauver une vie, ce qui revient au même que on ne peut faire d'omelettes sans casser des oeufs) : Quant aux chimiothérapies, il vaut mieux en faire un peu trop que pas assez! Là, je me demande qui vient de parler : Roselyne Bachelot bonimentant sur les estrades de la pandémie virale, un marchand d'élixir de longue vie vantant le bonheur éternel, non, le président du Conseil National de l'Ordre des Médecins ! Cette phrase est choquante, méprisante, moralement méprisable, éthiquement inadmissible. Mais de quel droit peut-il dire des choses pareilles ? Même dans le secret de son cabinet de radiologue cela serait indigne. C'est le Président du Conseil National de l'Ordre des Médecins qui cause... Ouah... Mais, Monsieur le Président, vous êtes à côté de la plaque : la mammographie entraîne beaucoup de faux positifs (sur 2000 femmes invitées au diagnostic pendant dix ans, 200 seront victimes d'un faux positif) mais également 20 % des cancers ne seront pas diagnostiqués par la mammographie non pas en raison de faux négatifs mais en raison de l'impossibilité de faire le diagnostic par la mammographie !
Je comprends, cher Président, que soyez intoxiqué par les faux chiffres ressassés, par l'idéologie de la prévention, par l'idéologie de la mammographie, par l'idéologie du bonheur, mais, de grâce, ne prononcez pas des phrases pareilles !


La substantifique moelle du livre de Rachel Campergue pour les lecteurs pressés ou pour ceux qui veulent réviser (avec, en sus, un post de la même paru après la publication de ce post : ICI) :
  1. Il n'existe pas un mais des cancers du sein : des cancers qui grossissent rapidement (parmi eux les fameux cancers de l'intervalle, ceux qui apparaissent entre deux mammographies et qui sont déjà métastasés lorsqu'ils sont découverts), des cancers qui progressent lentement, des cancers qui ne grossissent pas du tout, des cancers qui sont si lents à progresser qu'ils ne donneront jamais de symptômes et des cancers qui régressent spontanément (ces deux dernières catégories pouvant être considérées comme des pseudo-cancers).
  2. La mammographie ne permet pas un diagnostic précoce car elle découvre des cancers qui étaient en moyenne présents depuis 8 ans !
  3. Les cancers de l'intervalle ne sont, par définition, pas découverts par la mammographie lors du dépistage et ce sont les plus rapides à se développer et les plus mortels. ATTENTION, CORRECTION (faite le 6 février 2014) : les cancers de l'intervalle d'après des données plus récentes n'ont pas de caractéristiques particulières.
  4. La mammographie peut se tromper et passer à côté de 20 % des cancers du sein et ce pourcentage est encore plus fort chez les femmes plus jeunes (25 % entre 40 et 50 ans), ce sont les faux négatifs.
  5. La mammographie peut se tromper et annoncer un cancer alors qu'il n'en est rien : ce sont les faux positifs. On imagine l'angoisse des femmes que l'on "rappelle" après la mammographie pour leur demander de passer d'autres examens et pour leur dire ensuite, heureusement, qu'elles n'ont pas de cancer... Voici des données terrifiantes : Après avoir subi une dizaine de mammographies, une femme a une chance sur deux (49 % exactement) d'être victime d'un faux positif et une chance sur 5 (19 % exactement) de devoir se soumettre inutilement à une biopsie du fait d'un faux positif.
  6. La seconde lecture de la mammographie par un autre radiologue ne se fait qu'en cas de résultat normal, pas en cas de résultat anormal : on ne recherche que les faux négatifs, pas les faux positifs (ceux qui conduisent aux examens complémentaires anxiogènes dont la biopsie qui peut être dangereuse)
  7. La mammographie est d'interprétation d'autant plus difficileque la femme est jeune (importance du tissu glandulaire) et qu'elle prend des estrogènes qui sont un facteur de risque du cancer du sein et d'autant plus difficile que la femme est ménopausée prenant des traitements hormonaux substitutifs (heureusement arrêtés aujourd'hui)
  8. On ne lit pas une mammographie, on l'interprète et il faut se rappeler que la variabilité inter radiologue peut atteindre (dans la lecture d'une radiographie du poumon, ce qui est a priori plus facile) 20 % et que la variation intra individuelle (on demande à un radiologue de relire des clichés qu'il a déjà interprétés) de 5 à 10 %
  9. L'interprétation erronée d'une mammographie dans le cas d'un faux positif (cf. le point 5) conduit les femmes à être "rappelées" (pour biopsie) : le taux de rappel peut varier, chez les "meilleurs" radiologues, de 2 à 3 % et atteindre 20 % chez les autres ! Certains estiment que le taux "idéal" de rappel serait de 4 à 5 % alors qu'il est de 10 à 11 % en pratique : sur 2000 femmes invitées à la mammographie pendant dix ans 200 feront face à un faux positif ! Anecdotiquement (mais pas tant que cela) le taux de rappel augmente quand le radiologue a déjà eu un procès.
  10. Quant à la lecture (i.e. l'interprétation) des biopsies elle laisse encore une fois rêveur : Un essai a montré que la lecture de 24 spécimens de cancers du sein par 6 anatomo-pathologistes différents a entraîné un désaccord pour 8 spécimens (33 %). Quand on connaît les conséquences d'une biopsie positive...
  11. La biopsie positive ne fait pas la différence entre ce qui n'évoluera jamais et ce qui évoluera de façon défavorable (sauf dans les rares cas de cancers indifférenciés) et c'est cette définition statique qui est source d'erreurs fatales... Et encore n'avons-nous pas encore parlé des fameux cancers canalaires in situ...
  12. Sans compter que nombre de cancers REGRESSENT spontanément comme cela a été montré dans la fameuse étude de Zahl de 2008 : une comparaison entre femmes dépistées et non dépistées montre que les femmes suivies régulièrement pendant 5 ans ont 22 % de cancers invasifs de plus que celles qui ne l'avaient pas été... Et encore les cancers canalaires in situ n'avaient-ils pas été pris en compte...
  13. L'exposition des seins aux rayons X n'est pas anodine.L'historique de l'utilisation des rayons X en médecine laisse pantois (pp 331-382). Mais je choisis un exemple décapant : dans les familles à cancers du sein (mutation des gènes BRCA1 et BRCA2) une étude montre que le suivi mammographique depuis l'âge de 24 - 29 ans de ces femmes à risque entraînait 26 cas de cancers supplémentaires (radio induits) pour 100 000 ; ce chiffre n'était plus (!) que de 20 / 100 000 et de 13 / 100 000 si le dépistage était commencé respectivement entre 30 et 34 ans et entre 35 et 39 ans !
  14. Il n'y a pas de sein standard pour les doses de rayon administrés par examen ! Ou plutôt si, cette dose a été définie ainsi : pour un sein constitué à parts égales de tissu glandulaire et de tissu graisseux et pour une épaisseur comprimée (sic) de 4,2 cm. Je laisse aux femmes le soin de vérifier...
  15. Terminons enfin, à trop vouloir prouver on finit par lasser, même si nous n'avons pas rapporté la question des biopsies disséminatrices de cellules et de l'écrasement des seins lors des mammographies répétées, sur le problème des carcinomes in situ qui "n'existaient pas auparavant" et qui sont devenus les vedettes de la mammographie de dépistage (environ 50 % des cancers diagnostiqués). Une enquête rétrospective a montré que sur tous les carcinomes in situ manqués seuls 11 % étaient devenus de véritables cancers du sein alors que la règle actuelle est de proposer mastectomie ou tumorectomie + radiothérapie... Sans compter les erreurs diagnostiques : un anatomo-pathologiste américain a revu entre 2007 et 2008 597 spécimens de cancers du sein et fut en désaccord avec la première interprétation pour 147 d'entre eux dont 27 diagnostics de carcinome in situ.

(Le Dr Michel Legmann a été élu président du Conseil national de l’Ordre des médecins le 28 juin 2007. Electroradiologiste libéral en cabinet et dans une clinique chirurgicale à La Défense, le Dr Michel Legmann est vice-président du Cnom depuis 1997 et maire-adjoint de Neuilly-sur-Seine. A ce titre, il passe pour être un proche de Nicolas Sarkozy, ancien maire de Neuilly-sur-Seine. )

jeudi 2 février 2012

Faut-il et comment dénoncer des confrères et faut-il et comment les défendre ?


Dénoncer des confrères ?
Que faire quand on sait qu'un praticien (confrère, consoeur) ne pratique pas selon les Règles de l'Art ? 
Cette question, nous nous la posons fréquemment, et nous ne savons pas comment y répondre.
La première chose que nous faisons tous est de ne plus adresser de patients aux confrères que nous soupçonnons de mauvaises pratiques. Mais, à l'évidence, ce n'est pas aussi simple que cela. D'une part, parce que l'offre de soins n'est pas extensible et qu'exercer dans une petite ville ou dans une zone rurale limitent les choix. D'autre part, parce que les patients ont des préférences et qu'il est difficile, de but en blanc, de s'y opposer. Enfin, parce que, dans l'esprit des patients, il existe, notamment quand il s'agit de spécialistes, 'une croyance  en l'interchangeabilité des médecins (consulter un spécialiste en DCI)  et que cette croyance est plutôt favorable à la profession.
Mais, vous l'avez deviné, cela ne suffit pas. Le vrai problème n'est-il pas d'agir pour empêcher ce médecin ou cette structure de nuire ? 
Le premier écueil est celui-ci : quels sont nos critères ? Pourquoi, et sur quels éléments nous fondons-nous pour juger ? Ne sommes-nous pas subjectifs ? Notre impression est-elle partagée par d'autres ? N'en faisons-nous pas une affaire personnelle ? La pratique des groupes de pairs et l'échange pendant ces réunions est une donnée fondamentale d'appréciation.
Le second écueil, nous semble-t-il, est de savoir si une dénonciation ne va pas entraîner une cascade de conséquences dont le jugement de notre propre activité et un déchaînement de règlements de compte, finalement défavorable pour la profession tout entière ?
Mais, plaçons-nous dans une perspective morale qui serait que notre devoir nous impose de parler sur la place publique de pratiques que nous considérons comme défavorables à "nos" patients.
Comment procéder ?
Il est possible de recenser un certain nombre de moyens : téléphoner au collègue ; lui écrire de façon confraternelle ; ou le menacer ; ou le dénoncer au Conseil de l'Ordre ; ou à la CPAM ; ou à des associations de consommateurs ; ou à la presse médicale ou grand public.
Je ne l'ai jamais fait.
Ai-je eu tort ?
Si quelqu'un a des avis sur la question.
Mais il n'existe pas que des problèmes médicaux, il existe aussi des problèmes administratifs où, à l'évidence, un collègue ou un établissement de soins facture mal ou sur facture. Ce qui équivaut à un vol des deniers publics.
Ne parlons pas non plus des dépassements excessifs ou des dépassement tout simples, mais sous le manteau.
Faut-il envoyer le service de la répression des fraudes ?

Défendre un collègue ?
Une affaire récente qui s'est produite dans mon département et, même, sur mon territoire de garde, me paraît exemplaire des limites de la défense confraternelle.
En gros, voici des faits : un collègue surfacture et mobilise le ban et l'arrière-ban de l'establishment local pour le soutenir : politiques, syndicats, associations. Et tout le monde de monter sur ses grands chevaux pour défendre le confrère. Je me suis posé la question, simple, du rôle des syndicats médicaux : pourquoi défendent-ils quelqu'un qui, à l'évidence, a manqué à ses obligations administratives ? 
Je comprends que l'on doive défendre un collègue, il a, comme tout le monde le droit d'être défendu, mais est-ce le rôle des syndicats médicaux de prendre parti ? Que les syndicats lui offrent toutes les possibilités de se défendre, certes, qu'ils lui ouvrent toutes les portes, certes, mais qu'ils se lancent dans une surenchère qui conduit, vu de l'intérieur de la profession, à justifier des faits qui paraissent condamnables a priori, j'en suis moins sûr.

Les Britanniques abordent le problème de la dénonciation pour les professionnels de santé travaillant en institution et précisent dans un document datant de 2009 (ICI) à la fois ce qu'est le whistleblowing (lancement d'alerte) et ce que sont les sujets et les types de préoccupations qui doivent alerter et conduire aux signalements. Le champ en est vaste depuis la fraude dans les essais cliniques jusqu'à l'alcoolisme d'un professionnel de santé... Sur le site du BMA (British Medical Association) il existe une rubrique Défendre les Médecins (Standing up for doctors) où l'on trouve une rubrique Défendre les Malades (Speaking up for patients) (LA).

J'ai eu l'exemple récent d'une "nouvelle" patiente qui m'a été adressée par sa soeur (dont je suis le médecin traitant) et dont le cas, suivi par l'hôpital de Plouc-City, m'a effaré. Cette jeune femme de 21 ans a subi quatre coelioscopies avec un diagnostic erroné d'abord d'endométriose puis de Stein-Lowenthal, et l'obstétricienne d'un (grand) service parisien (où, malgré tout, on continue de prescrire des pilules non remboursées, à préconiser des mammographies avant la date légale) à qui je l'ai adressée dans un deuxième temps, est tombée par terre et a dit à la malade qu'il ne fallait plus qu'elle mette les pieds dans le service de Plouc-City. J'ai envoyé les compte rendus au premier obstétricien de Plouc City qui ne s'est pas manifesté... Que dois-je faire ?

Et l'exemple récent d'un pneumologue qui continue de prescrire respimat (tiotropium solution) malgré les dangers qu'une méta-analyse a soulignés : ICI.

Ces deux médecins, aurait-on aussi envie de les défendre ? 

(La Sibylle de Delphes, fresque de Michel-Ange (15081512))

PS (5 février 2012)
Actualités états-uniennes : des cardiologues accusés de frauder Medicare en pratiquant des opérations inutiles : ICI

dimanche 29 janvier 2012

Des douleurs complexes . Histoire de consultation 113.


Mademoiselle A, 17 ans, est venue me voir pour une série de faits qui l'inquiètent. Je suis son médecin traitant mais il n'y avait pas de places pour consulter en rendez-vous avant samedi matin. Elle se plaint de douleurs abdominales et de diarrhée après qu'elle eut souffert de douleurs dentaires, de nausées et de fièvre depuis le début de la semaine.
Voici l'anamnèse (il est clair que les faits tels que je les retranscris ne sont pas tout à fait ceux que les différents intervenants ont découverts au fur et à mesure de l'histoire... puisque je connais la fin).
  1. Dimanche : Mademoiselle A souffre de (violentes) douleurs dentaires.
  2. Lundi : elle consulte son dentiste en urgence (ce qui est exceptionnel) qui lui prescris amoxicilline et doliprane.
  3. Mardi : cela ne va pas mieux, elle souffre toujours autant, elle commence à avoir mal au ventre, elle a des nausées, et elle a du mal à ouvrir la mâchoire (trismus ?), elle revoit son dentiste qui prescrit coamoxiclav et antiinflammatoires non stéroïdiens.
  4. Jeudi : la situation a empiré selon la patiente et, jour de congé du médecin traitant, elle consulte un médecin généraliste qui a) l'examine, b) lui fout la trouille, c) lui dit qu'elle psychote et qu'elle devrait voir un psy ; d) prescrit une prise de sang "complète" y compris des beta hcg plasmatiques.
  5. Samedi : Mademoiselle A consulte "son" médecin traitant (cf. supra pour les symptômes). Elle n'a plus mal aux dents.
L'interrogatoire est difficile pour démêler le vrai du faux et, surtout, la chronologie des faits. Le médecin traitant n'est pas un démiurge, le médecin traitant n'est pas un petit malin qui a raison tout le temps, le médecin traitant a eu le temps et le recul et a bénéficié des erreurs accumulées. Le médecin traitant est (aussi) débordé et n'a pu recevoir la patiente avant samedi sur rendez-vous (il y avait des consultations "libres" auparavant mais l'attente est comprise entre un et deux heures, parfois plus)... Donc, tous les problèmes ne viennent pas des autres. La nouvelle chronologie est bien entendu plus facile à établir puisque je connais la fin de l'histoire.
  1. Les douleurs dentaires étaient liées à la poussée d'une "dent de sagesse".
  2. Les nausées préexistaient avant les douleurs dentaires.
  3. Le bilan demandé par le médecin généraliste était strictement normal : nfs, crp, sgot, sgpt, glycémie, urée (?), sodium, potassium, créatininémie, betahcg plasmatiques.
  4. Le ventre est souple, avec un peu de météorisme et des "gargouillis" en FID (le médecin généraliste avait dit qu'elle psychotait parce qu'elle avait l'impression que des bulles "éclataient" dans son ventre !)
  5. Le test de grossesse a été demandé sans interroger la patiente sur une quelconque contraception... et elle prenait la pilule (mais il ne faut jamais croire une patiente que l'on n'a jamais vue)
  6. La patiente est sortie de mon cabinet sans médicaments et avec des simples conseils hygiénodiététiques
Quelques réflexions : 
  1. Les nausées étaient présentes avant le dimanche dentaire et leur apparition a coïncidé avec l'introduction par la gynécologue (qui ne m'a évidemment pas prévenu) d'une nouvelle pilule (holgyeme, générique de Diane) en remplacement de minidril "parce que", selon elle, "Mademoiselle A avait des boutons sur le visage" et alors que la patiente ne demandait rien, pilule prescrite hors AMM, entre parenthèses, pilule non remboursée, évidemment, et cetera, et cetera. J'ai expliqué à Mademoiselle A comment repasser de holgyeme à minidril.
  2. Le remplacement de l'amoxicilline par de la coamoxiclav a entraîné l'apparition d'une diarrhée, ce qui est d'une désespérante banalité.
  3. Prendre Mademoiselle A pour une conne sans l'interroger sur son statut par rapport à la contraception, dire que c'est une psychotique parce qu'elle décrit un signe abdominal non décrit dans les livres, et l'envoyer faire une psychothérapie, me rend songeur...
  4. L'excès de malades dans les cabinets conduit à une succession de gags. Il faut que j'essaie de mieux recevoir mes patients...




jeudi 26 janvier 2012

Zéro douleur. L'antalgie aux EU et le patient cancéreux. Histoire de consultation 112.


L'avant-dernier numéro du NEJM traite du soulagement de la douleur aux Etats-Unis d'Amérique (ICI). J'y apprends des choses étonnantes. D'après cet article 116 millions d'Américains souffrent de façon chronique (de quelques semaines à quelques années) sans compter les enfants, les adultes en institution, en prison ou à l'armée. Les dépenses sont assumées à 560 à 635 milliards de dollars par an, soit plus que toutes les dépenses consacrées au cancer, aux maladies cardiovasculaires et au diabète réunies ! Les auteurs, qui ne déclarent pas de conflits d'intérêt, appartiennent à l'IOM qui vient de publier un rapport sur la question (Institute of Medicine. Relieving pain in America: a blueprint for transforming prevention, care, education, and research. Washington, DC: The National Academies Press, 2011.) Et la conclusion de ces auteurs est que le problème de la douleur est négligé aux EU !
Je répète toujours la même chose : en médecine, les malades les moins graves sont le plus souvent traités par excès et de façon inadaptée (HTA, cholestérol) et les malades les plus à risques sont sur traités ou sous traités de façon inadéquate (dans la maladie asthmatique, c'en est caricatural).
Le propos des auteurs de l'article est ambigu : ils citent les extrêmes, les médecins qui négligent la douleur parce qu'ils ont peur d'utiliser des produits potentiellement addictogènes ou qui pourraient conduire à enfreindre la loi, et les médecins qui délivrent des opiacés larga manu... ; ils font le bla bla habituel sur la non éducation des étudiants, la non formation continue des médecins, la nécessaire éducation thérapeutique de la population ; mais aussi ils diffusent les 9 principes qui ont guidé le Comité dont ils sont les co présidents, les 9 bons principes, évidemment.
Je vous rappelle qu'Une Société Sans Douleur est devenue un des leitmotivs de la norme officielle sociétale. J'en ai déjà parlé LA et LA en parlant du paradigme d'un monde indolent et anhédonique. Personne ne doit plus souffrir. Depuis les foetus (avec une dissociation cognitive ou une division de la conscience sur la question de l'IVG) jusqu'aux mourants dans les Unités de Soins Palliatif. Je ne ferai pas de détour par Illich comme ICI qui soulignait la valeur anthropologique de la douleur et de la souffrance, et de la mort.
Et ainsi l'idéologie du bien être éternel en ce bas monde se complaît-elle avec celle de la médicalisation et de la marchandisation du corps humain qui va de pair avec les profits industriels. On note dans cet article "moral" que la cible privilégiée des débusqueurs de la douleur, ce sont les personnes âgées. Mon expérience interne est celle-ci : chez les personnes âgées le rapport bénéfices / risques des antalgiques est souvent rapidement négatif en raison des effets indésirables neuropsychiques (somnolence, désorientation, coprescriptions dangereuses) mais la pression de la famille est souvent très forte car la persistance des douleurs signe l'incompétence du médecin dans l'esprit des gens qui regardent les émissions sur la santé à la télévision... 
Je tire de cet article un effarement non forcé et, encore une fois, de la béatitude devant le triomphe des bons sentiments : la douleur peut être soulagée en utilisant les bons médicaments et les bonnes procédures (nursing, kinésithérapie, habitat, ...) prescrits ou pratiquées par de bons médecins et de bons professionnels de santé (ceux qui savent parler aux malades) qui ont été bien formés par de bons pédagogues, pour des malades éduqués et au courant et dans une société apaisée par l'éducation des masses...

Monsieur A, 79 ans, il s'agit de l'histoire de consultation 112, a un cancer métastasé qui le fait, finalement, peu souffrir jusqu'à présent mais en prenant des antalgiques désormais de palier 3. Je le vois hier chez lui et il est tout content de me dire qu'il a été reçu par son oncologue et par le spécialiste de la douleur (l'hôpital devient humain...). Dialogue : "Vous avez mal ? demande l'algologue - J'ai encore quelques douleurs mais c'est supportable. - Mais ce n'est pas bien, mon objectif est que vous n'ayez plus mal du tout !" 
Le patient me raconte qu'il a été surpris : il ne demandait rien de plus. Cela lui suffisait. 
Je pensais en moi-même que l'algologue ne serait pas là quand Monsieur A sera en fin de vie à domicile et que son médecin traitant ne pourra enlever de la tête du malade et de celles des membres de sa familles qu'il est possible de ne pas souffrir du tout...

mardi 24 janvier 2012

Les pédagogues aux gogues. Un enfant qui a mal au ventre. Histoire de consultation 111.


José Lupin, quand il était professeur de français latin grec au lycée Lakanal à Sceaux, nous avait dit, lui dont le style châtié était la marque de fabrique, dans un élan de provocation qu'il réservait au grandes occasions, et après une longue période qui fustigeait les nouvelles tendances de l'Education Nationale (nous étions, sauf erreur, dans l'année scolaire 1965 1966) et l'abandon des Humanités, il nous avait dit dans une sorte de cri : "Les pédagogues aux gogues !" Enfant de 13 ans, je ne comprenais pas tout, mais je me rappelle encore cette phrase prophétique et de multiples autres (pour en savoir plus, lire le livre de Mathurin Maugarlonne A la rencontre des disparus publié en 2004 chez Grasset et plus particulièrement le chapitre Allée d'honneur où l'auteur raconte à la fois son admiration pour Lupin et sa détestation, c'était un grand antisémite à l'ancienne). Lupin, à un autre moment, citait, en se moquant, une phrase qu'il avait lue : "La constitution psycho-affective de l'enfant lui fait privilégier le comportement ludique par rapport à l'activité d'étude." (Rapporté par Mathurin Maugarlone)
Toujours est-il, comme dirait l'autre, que A, 11 ans, vient consulter avec son père et sa mère, parce qu'il a mal au ventre depuis septembre. Je l'interroge et, en quelques secondes, ce n'est pas de la vantardise, la médecine est ainsi faite que le diagnostic est le plus souvent fait en trente secondes ou qu'il n'est jamais fait, je sais de quoi souffre A.
A souffre de maux de ventre. Je l'interroge en faisant un peu de docte cinéma (je joue au docteur qui fait semblant de ne pas déjà connaître le diagnostic, ce serait trop facile, il n'en aurait pas pour l'argent de ses parents, mais aussi : il arrive que l'on se trompe, que la première impression ne soit pas la bonne, donc je pose les questions qui font la réputation des bons docteurs, je m'intéresse au cas, au cas où A me cacherait quelque chose, au cas où mon diagnostic express ne serait que le fait de mes préjugés et qu'il finirait par être démenti par l'épreuve des faits, cela arrive aussi et je suis passé maître dans l'exercice d'équilibriste qui me permet de retourner ma veste en restant souriant et... compétent), je tente de l'interroger car les parents interviennent pour mettre leur grain de sel (soit les parents parlent tout le temps et l'enfant, passif, laisse dire ou se renfrogne, soit les parents le laissent parler, soit pour faire les parents modernes, soit pour enfin entendre parler leur enfant, et donc, c'est selon, avec l'air extatique des bons parents ou l'air adversif et renfrogné des mêmes bons parents, soit les parents n'arrivent pas à choisir la bonne attitude pêchée dans leur inconscient personnel ou dans le fameux livre Françoise Dolto expliquée aux parents par la rédaction du Figaro-Magazine ou du Monde Magazine), l'interrogatoire des enfants en présence des parents est une source inépuisable de renseignements sur l'état de la famille, sur les relations enfants parents, sur les relations entre parents vis à vis de l'enfant, les frustrations apparaissent au grand jour, les faux-semblants s'épaississent ou s'éclairent, les rapports de force polluent la consultation ou la rendent pertinente, les non-dits sont dits, les déjà dits se transforment, les vérités et les contre-vérités se promènent comme des intrus ou des visiteurs qui étaient jusque là ignorés, tout est possible, tout est interprétable, vous y rajoutez les présupposés du médecin et vous pouvez en conclure que tout est dans tout et réciproquement, une source inépuisable de renseignements sur l'état de la société, comment la société voit ou comprend comment on doit se comporter en famille en face d'un étranger ou d'un médecin qui ne serait pas un étranger, un véritable ami de la famille, comment le surmoi sociétal envisage les choses, sans comporter l'irruption des sentiments et du ça accumulé depuis des lustres dans cette même famille... (Le petit père Freud se régale.)
Où en étais-je ?
A s'allonge sur la table d'examen (j'ai la chance d'avoir de la place et une pièce séparée pour examiner mes patients : les parents n'ont pas suivi), je lui palpe l'abdomen pour faire docteur et pour ne pas me reprocher de ne pas faire les gestes qui me sont demandés dans le manuel normatif du bon médecin généraliste, du bon médecin de famille, selon la famille ou les autorités (académiques, celles qui donnent des injonctions sans cesse changeantes sur la façon de mener une consultation en présence d'un enfant, administratives, celles qui fixent des règles et qui donnent des points de bonus dans le cadre de la Nouvelle Convention), selon les syndicats, les associations de patients, d'usagers, ou l'association des petits garçons qui ont mal au ventre (jaimalauventre.org)...
Et pendant que je lui palpe le ventre, pendant que je discours sur ceci et cela, j'interroge encore et encore et je fais de la pédagogie, de la pédagogo, je joue au coiffeur qui parle de tout et de rien pendant qu'il vous coupe les cheveux.
Donc, chers lecteurs, patients, confrères et consoeurs, cet enfant a mal au ventre parce que les toilettes du collège sont sales, horriblement sales, parce que les portes des toilettes ne ferment plus, parce qu'il y a rarement du papier, parce que ça pue. Parce que A se retient toute la journée et il se retient tellement qu'il est devenu constipé, qu'il ne va plus aux toilettes (chez lui) qu'une fois tous les deux ou trois jours (les filles ne sont pas surprises mais les garçons sont effarés), qu'il a à la fois les selles dures et liquides, et cetera.
Les parents n'y croient pas mais A y croit.
Quelques conseils sur la régularité des selles avant de partir le matin pour le collège et le tour sera joué.
"Vous ne lui donnez pas de médicaments ? - Non."
C'était une autre version de la souffrance scolaire : Les pédagogues aux gogues. 

jeudi 19 janvier 2012

Tamiflu : Tom Jefferson et Cochrane persistent. Les preuves d'efficacité manquent.


Les controverses concernant le rapport bénéfices / risques des neuraminidases (et du Tamiflu (oseltamivir) en particulier) sont un paradigme des contradictions, pour ne pas dire plus, de la Santé Publique à l'échelle mondiale. Tous les partenaires sont là : l'industriel (Roche), les Agences Gouvernementales françaises (AFSSAPS) ou internationales (OMS), les chercheurs dépendants, les chercheurs indépendants, les Key Opinion Leaders (KOL), les auteurs fantômes, les "nègres",  les "professeurs" qui commentent sur des données qu'ils n'ont pas consultées ou qui commentent à partir de données rapportées par d'autres professeurs qui n'ont pas eux-mêmes vérifié les données sources, les revues de commentaires, les journaux médicaux de commentaires, les journaux grand public, les citoyens et les prescripteurs qui ne savent plus à quel saint se vouer. Il y a aussi une vedette, Tom Jefferson, une organisation prestigieuse, la Collaboration Cochrane, et le sentiment moutonnier que jamais rien ne changera.
Un nouveau rapport (payant) vient de paraître (LA) et vous trouverez ICI des auto commentaires puisque la Collaboration Cochrane assure elle-même son service après vente, ce qui, après tout, est normal. On conçoit que l'énormité du travail effectué, à savoir analyser les données sources (raw data), tenter de récupérer celles des études non publiées, de nouveau meta analyser à partir de la première publication, demande du temps, de l'argent et du personnel mais il n'en est pas moins paradoxal que les publications sont payantes alors que cet essai a été aidé par un organisme public britannique.

Revenons aux faits (et nous passerons ensuite aux controverses) :
  1. Les auteurs indiquent à partir des données dont ils disposaient (ils n'ont pu obtenir que 25 des 67 études qu'ils avaient identifiées --38 %-- comme pouvant contribuer à alimenter l'analyse) que le Tamiflu réduit les symptômes de la grippe de 21 heures mais qu'il ne diminue pas le taux d'admissions à l'hôpital et qu'il n'a pas été possible, en raison de la qualité des données, de donner des informations sur le fait qu'il puisse ou non réduire le taux des complications
  2. Les auteurs se posent également des questions sur le mode d'action de l'oseltamivir et notent que dans les groupes traités le taux d'anticorps anti virus était plus bas contrairement à  ce qui était avancé, à savoir que la molécule n'agirait pas sur le taux d'anticorps. Ce qui pose évidemment le problème de la sensibilité aux infections dans les années à venir. Cochrane pose la question suivante : “How is it possible that oseltamivir prevents cases of influenza when part of the definition of prevented cases in oseltamivir trials was based on absence of antibody response?”.
  3. Ainsi, contrairement à tout ce que les experts nous serinent, contrairement à tout ce que la DGS nous envoie comme communiqués, il n'y a aucune preuve tangible de l'efficacité du tamiflu dans la prévention des complication graves de la grippe.
  4. Aucune étude convaincante n'existe pour étayer le fait que le tamiflu diminuerait la circulation du virus mais cela n'empêche pas l'OMS de le proclamer. Quant à la DGS française elle a montré combien la lecture des articles comme l'AMM des produits lui importaient peu pour promouvoir la prescription de Tamiflu aux sujets contacts.
  5. La gestion des effets indésirables par Roche et par l'un des investigateurs principaux (Professeur Fred Hayden) est pour le moins surprenante : pas d'analyse des données concernant les sorties d'essai...

Les controverses et les questions se situent à plusieurs niveaux :
  1. La rétention d'information de la part de la firme Roche sur les données sources. Un échange de courriers parus dans le BMJ entre Tom Jefferson et Roche ne manque pas de piment (LA) : Roche a fini par adresser des résumés d'articles, considérant que c'était suffisant pour l'analyse de la Collaboration Cochrane
  2. L'impossibilité de consulter les données des études non publiées. A ce sujet il est évident que le choix de Roche est un choix industriel et que la censure de ces données doit être considéré comme  anormal mais... humain. Il ne faudrait pas croire non plus que les études censurées soient forcément des études de bonne qualité méthodologique : elles pourraient être tout à fait ininterprétables et leur censure pourrait venir aussi du fait que Roche n'aimerait pas que l'incompétence des concepteurs d'études éclate au grand jour, non seulement les cadres de l'entreprise mais les investigateurs fantômes, c'est à dire les experts qui ont signé mais n'ont rien compris à l'affaire.
  3. Le poids des Agences gouvernementales. Deborah Cohen rapporte dans le BMJ (ICI) la saga de la recherche des preuves. Elle souligne en particulier le contenu d'un communiqué paru en janvier 2011 et signé du CDC d'Atlanta (Chimioprophylaxie de la grippe) qui rapporte telles quelles les données de Roche affirmant que le tamiflu entraîne un risque de pneumonie :   50% less than among those receiving placebo and 34% lower for those at risk of complications . Données que la FDA ne confirme pas sur la base des mêmes publications. Le CDC affirme une baisse de 50 % des hospitalisations sous tamiflu (mais ce n'est pas significatif). Le CDC continue également de citer des articles publiés dans le Lancet ou le JAMA qui n'ont pas été écrits par leurs auteurs comme Roche l'a avoué (Cohen D. Complications: tracking down the data on oseltamivir. BMJ2009;339:b538.). 
  4. Le poids des experts sans données sources. Tom Jefferson analyse très bien ce problème : (LA). Cela commence par la publication d'articles dans des revues prestigieuses, articles écrits par les experts internes des industriels, signés par des porte-voix, KOL, puis par des citations de ces articles par d'autres professeurs qui "oublient" les liens de sponsorisation des articles dits princeps en les prenant pour argent comptant et en feignant qu'il s'agit de données qui émanent d'eux-mêmes.
  5. Les liens et conflits d'intérêt : nous avons déjà vu les investigateurs fantômes, les auteurs fantômes mais, dans le cas du tamiflu il y a aussi le passage de Roche à l'OMS et retour avec des experts qui, non contents d'être aveugles ou sourds, n'oublient pas de monnayer leur KOL ego. Arnold Monto et surtout Fred Hayden qui est à la fois Conseiller au département de la Santé (américain), KOL à l'OMS et... coordinateur du Welcome Trust pour la grippe... (ICI)
On le voit, les faits et controverses sont têtus, et les "recommandations" de la DGS, soutenues en cela par les publications de l'InVS, et relayées par le Haut Conseil de Santé Publique (voir ICI sur ce blog) sont toujours aussi claires : tamiflu, tamiflu, tamiflu. Les Autorités françaises ne savent pas lire, ne savent pas raisonner, restent dans leur bulle de certitudes. Affligeant.

Jefferson T, Jones MA, Doshi P, Del Mar CB, Heneghan CJ, Hama R, Thompson MJ. Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in healthy adults and children - a review of clinical study reports. Cochrane Database of Systematic Reviews 2012; Issue 1. Art. No.: CD008965. DOI: 10.1002/14651858.CD008965.pub2.