dimanche 18 juin 2023

Bilan médical du lundi 12 au dimanche 18 juin 2023 : corruption à la DGS, bureaucratie d'Etat, projet régional de santé, normo vs hypercapnie, acide tranéxamique : non, exploitation des MG par les hospitaliers, secret professionnel, MSO

par Loïc Sécheresse @loicsecheresse

212. La corruption au plus haut sommet de la santé publique.

Pr Christian Rabaud, nouveau Directeur Général de la Santé



L'article du journal Libération en dit plus : ICI


213. La bureaucratie des libéraux àlavalletoux.





Valletoux est un génie bureaucrate :


214. Eléments de langage chez les Macroniens qui s'essaient à la Santé publique

  • Territoire
  • Territoires
  • L'Institut des territoires coopératifs
  • Les coopérations et dynamiques territoriales
  • Accès aux soins 
  • Service d'accès aux soins généralisé d'ici fin 2023
  • Vrais leviers d'accès aux soins
  • Des modèles inspirants pour faire le dernier km jusqu'au patient
  • Médicobus
  • 4000 maisons de santé pluri professionnelles d'ici 2027
  • Soignants ressources
  • Dynamique des acteurs locaux
  • Dynamiques territoriales
  • Co-construction
  • Co-construction des solutions locales
  • Aller vers
  • Gradation des soins
  • Offre de soins de proximité
  • Dispositif piloté
  • Renforcer la proximité, l'agilité et la co-construction avec les acteurs de terrain
  • CPTS
  • Assistants médicaux
  • Ecosystème santé
  • Support d'expériences matures et vertueuses
  • Optimiser le temps médical
  • Délégation de tâches
  • On va vous accompagner
  • Feuille de route
  • Ad libitum

Si vous voulez connaître de l'authentique bureaucratie alliée aux éléments de langage des sociétés de conseil. C'est ICI

C'est le projet régional de santé 2023-2028 concocté, élaboré, peaufiné par l'ARS Ile-de-France. C'est du lourd, lourd.





215. C'est de la réa mais aussi Medical Reversal


Article du NEJM : LA.
A 6 mois l'hypercapnie ne donne pas de meilleurs résultats neurologiques que la normocapnie chez des patients en réa post arrêt cardiaque.

216. Encore de la réa : l'acide tranéxamique ne marche pas

Une étude vs placebo ne montre pas de bénéfice à 6 mois.

C'est dans le NEJM : LA





217. Les hospitaliers délèguent aux MG de nombreuses tâches dont une proportion significative est inappropriée.

L'article (GB) est ICI (abstract).

Conclusion :

  • C'est pas en France
  • Mais en GB
  • Partout les MG sont mal considérés
  • Mépris ou exploitation ?



218. Le risque de mort par cancer du sein diminue : dépistage ou non.

Une étude observationnelle de cohorte entre 1993 et 2015 : LA.

Niveau de preuve : moyen.

Mais.

Commentaires en français sur le site Cancer Rose : ICI.

Commentaires en anglais sur le site de Cancer Rose : LA

219. Pour la 1000 ème fois : les assureurs et les banques font du chantage pour que les médecins enfreignent le secret professionnel.

Le Conseil de l'Ordre des médecins est aux ordres (des assureurs et des banquiers).

Nous en avons parlé presque 1000 fois mais celui qui en parle le mieux, le docteur Michael Rochoy, qui vous facilite le boulot : ICI Vous pouvez le suivre sur tweeter : @mimiryudo

219. L'assurance maladie veut vous mettre sous MSO (mise sous objectifs) pour les arrêts de travail: Non !

Sur le site du syndicat MG France : comment vous défendre : LA

Un document du syndicat FMF : ICI.




samedi 17 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Le professeur Norbert Milstein. 11.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

11

Le professeur Norbert Milstein.



L’hôtesse blonde avec les cheveux tirés en chignon derrière la tête a eu le temps de leur reverser un verre de champagne.

- Quand est-ce qu’on se fait une virée à l’Art Institute ? demande Brébant.

- Lundi matin ou lundi après-midi, comme tu le sens.

- Je vais regarder. Cela va être cool.

Gers sait combien les congrès sont une décharge constante d’adrénaline, entre les réunions à préparer, les présentations à répéter, le décalage horaire, trop d’alcool, trop de nourriture et les à-côtés sexuels. Une virée au musée ne lui fera pas de mal et il est certain qu’il y aura moins de congressistes sous les cimaises que lors des virées dans les clubs de strip-tease de Chicago organisées par les labos.

Milstein s’approche de son chef de clinique en portant un masque FFP2.

- Tu penses qu’on pourra se parler un peu pendant le vol ?

- Un problème, Monsieur ?

- Non, il y a deux ou trois trucs que j’aimerais voir pour la présentation de dimanche.

- Quel genre ?

- Il faut qu’on regarde au moins une fois toutes les écrans pour que je me cale définitivement avec le texte. Je répèterai tout seul sur place puis on fera une répétition en conditions réelles… 

- OK.

- Mais, surtout, c’est le plus important, il faudrait que tu me prépares des questions casse-pieds dont les Américains ont le secret afin que je me prépare à y répondre. Ou plutôt, que tu m’écrives les réponses. Cela me rassurera.

- Bonne idée…

Brébant s’enfonce dans son siège. Il a entendu la conversation. Ce congrès ne va pas être une partie de plaisir. Il a des poulains partout, des rencontres dans tous les sens, des projets à finaliser, des patrons à rencontrer, des dîners à organiser et une direction qui le tient par les couilles. Il joue une partie difficile avec Gers car il a beaucoup misé sur lui et il faut absolument que les actions du jeune chef de clinique pendant ces cinq jours soient valorisées à son juste niveau, car l’objectif final est qu’il devienne PU-PH afin que la Firme ait un pied solide dans la place pour la poursuite de ses projets de développement en France. Sa position dans le service de Milstein est inconfortable pour des raisons ethniques et également parce qu’il ne fait pas partie de la grande famille de la famille des patrons de l’AP-HP parisienne où les entrelacs dynastiques sont nombreux et compliqués. Ensuite, Gers a aussi un gros défaut : il est brillant et il ne doit pas faire de l’ombre aux arrivistes sans talent qui n’hésiteront pas à le traîner dans la boue pour le mettre à l’écart. Brébant sait par quel bout cela va arriver et il s’est promis d’en parler à Gers pendant le séjour.



(Pour lire tout depuis le début : ICI)


vendredi 16 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Un programme très chargé. 10.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

10

Un programme très chargé.



Gers est assis tout près de Brébant. Vachon n’est pas loin. Milstein est installé en première avec Ursula. 

- Le problème de l’avion, commente Brébant, c’est la picole, tout le monde se la joue décontractée et trouve que c’est sympa de forcer un peu sur les apéritifs et les boissons. C’est comme dans les buffets, les gens ont peur de ne pas assez profiter de la gratuité.

Gers se marre.

Le personnel de bord joue au personnel de bord de la classe affaire. 

- C’est quoi, ton programme, en dehors de la présentation de vendredi ?

Gers se tourne vers Brébant : « Demain je commence à flâner un peu partout pour faire des commentaires pour Allo ASCO, le fil en ligne du congrès pour les francophones, vendredi, c’est notre présentation, mais ça, tu le sais, samedi, j’anime le matin un pro/con sur les nouveaux traitements du lymphome avec Henderson de Johns Hopkins et Lopez de Dallas…

- Jolie joute en perspective.

Ça va chauffer entre les deux gus. Mais je suis prêt, ils m’ont envoyé leurs écrans, leurs commentaires et leurs références… L’après-midi il y a un meeting sur le cancer du poumon…

- C’est P*** qui organise ? 

- Oui. Et dimanche après-midi Milstein fait son show. J’assure l’intendance et lui prépare les réponses aux questions…

- Lundi, je te rappelle, on a un board avec la division US, ils ont plein de trucs à te demander.

- Plein de trucs ? 

- Oui. On aura le temps d’en parler. Tu as rédigé combien d’abstracts avant de venir ?

- Six.

- Et le poster ?

- C’est dimanche matin aux aurores. 

- Beau programme. On va revenir tous épuisés. Surtout si tu t’envoies Vachon ?

- Pardon ?

- Tout le monde sait que tu fais partie de son agenda.

- Ah ? 

- Je te rappelle que baiser Vachon ne donne pas un totem d’invincibilité mais que refuser rend plus vulnérable…

- A ce point ? Et toi, tu as des activités sexuelles prévues, reprend Gers pour se sortir de la situation ?

- Je suis intouchable en congrès.

- Un pro de chez pro.



(Pour lire depuis le début : LA)

jeudi 15 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Ursula. 9.

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

9

Ursula.



Le plaisir qu’a Gers, le plaisir idiot se fait-il la réflexion, de franchir le guichet d’embarquement en premier, de regarder la tête des autres qui le voient passer devant eux en se demandant ce qui peut bien faire qu’un voyageur paie sa place ou se fait payer sa place cinq à six fois plus cher, il tente de le cacher. Mais il le ressent. Il se dit que sa femme n’a jamais eu ce plaisir et il le regrette sincèrement. 

Edmée Vachon lui a fait du gringue dès qu’elle l’a aperçu. Il sait qu’elle va être collante pendant tout le congrès. Il ne sait pas comment faire pour s’en détacher et tout le monde a remarqué le manège de la directrice de Gustave Roussy qui fait la pluie et le beau temps dans le milieu de l’oncologie. On dit qu’elle désigne les rois et qu’elle détrône les princes, à moins que cela ne soit le contraire. Le problème de Gers, et il n’aimerait pas que cela se sache pour des raisons publiques et privées, est qu’il a déjà cédé. Un congrès à Nice, une chambre au Negresco et une soirée un peu ennuyeuse ont fait le reste. Or la professeure n’aime pas que ce ne soit pas elle qui décide quand c’est fini et quand ça commence…

Il comprend enfin pourquoi Milstein ne s’est pas montré avant : il arrive au dernier moment flanqué de sa maîtresse en titre, une visiteuse médicale d’une trentaine d’années terriblement sexy, habillée comme une visiteuse sexy accompagnant un patron pas sexy. Elle est franchement blonde, elle est montée sur des hauts talons, elle porte un jean si serré qu’on se demande si elle l’enlève pour dormir, un chemisier criard et un blouson de cuir très olé olé, sans oublier les accessoires, les boucles d’oreille, le collier et les épingles dans les cheveux, et elle répond (mais personne n’a encore osé l’appeler) au nom prédestiné, cela ne s’invente pas, d’Ursula. Tout le monde tire la langue. Milstein est un habitué du genre. Il aime bien se montrer avec des maîtresses qu’il emmène dans les congrès, sans doute pour corriger les écrans et lui faire répéter sa prestation avant les séances plénières ou pour mieux ajuster son nœud de cravate ou fixer ses boutons de manchettes avant la présentation. Il semble que l’industrie pharmaceutique ne fasse pas de détail et paie aussi le voyage des maîtresses, sans doute un budget non déclaré, tant Milstein est important. Personne n’oublie, et il n’aimerait sans doute pas qu’on l’oublie, cela rajoute à sa légende, qu’il est marié, qu’il a des enfants et que dans la vie courante on pourrait affirmer sans se tromper qu’il fait partie de la tendance politiquement conservatrice de la société.

Quoi qu’il en soit, le petit monde français du congrès de l’ASCO finit de se constituer et nous épargnerons au lecteur la fastidieuse liste des petites mains qui naviguent en classe économique. Dans d’autres aéroports européens, asiatiques ou sud-américains, se passent exactement les mêmes phénomènes.


(Pour lire depuis le début : LA)

 

mercredi 14 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : François Brébant. 8.


Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

8

François Brébant.



Un grand type dégingandé fait un amical signe de la main à Gers et lui adresse un sourire sincère. Son interlocuteur privilégié dans la Firme s’appelle François Brébant. Ancien chef de clinique à l’hôpital Bichat dont la carrière s’est vue barrée par un protégé du patron du service, il avait pourtant joué la carte de l’ultra spécialisation dans une maladie très rare, presque orpheline, il avait joué le jeu, celui de la collaboration intelligente avec les financeurs d’Etat et l’industrie pharmaceutique, il avait trouvé des gens compétents, précis, informés et malins, et, au dernier moment, le protégé lui avait pris la place de PU-PH qui lui était promise. Désespéré, il avait été remplacé par un sinistre garçon qui ne connaissait ni la maladie rare, ni vu de patients qui en souffraient, un arriviste prétentieux et vide qui avait commencé par réorganiser la petite structure que Brébant animait et qui fonctionnait de façon parfaite tant et si bien qu’en secouant l’arbre, le débile avait réussi à ce que les fruits pourris s’attachent aux branches et que les fruits de bonne qualité aillent voir ailleurs. Par une sorte d’ironie de l’histoire, les fonds tant espérés et depuis longtemps par l’ancienne petite équipe compétente avaient été débloqués au profit de la nouvelle équipe ignorante. 

Brébant aurait pu se décider à déprimer et à devenir un traîne-patin dans le service, à se cacher derrière son ordinateur, à lire la littérature sur son écran et à la garder pour lui, à bouder en quelque sorte, à prendre des notes pour lui-même pour ne pas se gripper, à ne plus intervenir dans les staffs et à laisser les nullos parler pour ne rien dire, tout en exerçant pourtant une activité clinique tout à fait normale, c’était quand même ce qui l’intéressait, mais en évacuant les parlotes, les commentaires et les réflexions personnelles sur le cul des infirmières… Il aurait aussi pu se confier à la paroxétine et au clobazam ou consulter un collègue psychiatre mais il croyait encore moins à la psychiatrie que les psychiatres eux-mêmes, ce qui n’est pas peu dire. Au lieu de cela il se concentra sur ses priorités personnelles et, au moment où l’intérêt de celles-ci commencèrent à s’épuiser, il reçut chez lui comme par enchantement, cinq à six semaines environ après sa rétrogradation ou sa placardisation, c’est selon, un appel d’un chasseur de têtes qui lui demanda s’il acceptait un rendez-vous.

Brébant avait tout raconté à Gers au fur et à mesure de leur collaboration sur les essais, sans doute pour lui signifier qu’il n’était pas seulement le chef de la division médecine interne Europe de La firme étatsunienne M*** mais aussi un universitaire qui savait comment travailler… Leur entente avait été immédiate. Comme on dit chez les managers et chez les faiseurs, c’était du win-win, en réalité c’était une amitié profonde qui s’était installée et qui résista à tout, sauf au temps.


(Lire depuis le début : ICI)

 

mardi 13 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Le marketing mix de l'oncologie. 7.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

7

Le marketing mix de l'oncologie.



L’ASCO est une vitrine internationale formidable.

C’est un lieu privilégié pour faire du marketing pur, pour faire de la promotion sans limites, pour s’affirmer, pour faire le malin, pour préparer des campagnes de pub, pour se mettre dans la poche des patrons inapprochables à Paris, à Marseille ou à Lyon. C’est un lieu d’échanges entre praticiens, un lieu de conflits entre les firmes, un lieu de négociations en coulisse, un lieu de plaisirs, un lieu de corruption.

Tout ce qui compte en cancérologie est là : les industriels du médicament, les marchands de matériel et de diagnostic, les marketeurs, les membres des agences gouvernementales, les chefs de service comme les jeunes internes prometteurs, les oncologues de province, des centres hospitaliers universitaires ou non, les cancérologues de cliniques, les journalistes de la presse scientifique comme de la presse grand public… Des cinq continents.

Gers est encore jeune, il n’a pas encore saisi toute l’étendue du système, il est naïf et pense encore que l’industrie pharmaceutique, ne dites pas big pharma, c’est considéré comme complotiste, est la seule capable d’entraîner des progrès thérapeutiques en médecine. En revanche, et c’est malheureusement vrai, refuser son argent signifie ne plus faire de recherche clinique, ne plus faire de recherche fondamentale, ne plus voyager dans les congrès mondiaux et n’y pas rencontrer des collègues prestigieux, ne pas participer à la stratégie des essais cliniques depuis leur conception jusqu’à leur publication en passant par l’analyse des données et leur interprétation. Gers, naïf, croit sincèrement qu’il est possible, en ouvrant les yeux, de rester droit, pur, de ne pas céder aux sirènes des influenceurs et de rester indépendant.

Milstein, son patron, a une attitude plus simple : il accepte l’argent de tout le monde car il prétend que le nombre de ses sponsors lui permet d’oublier quelle molécule l’a soutenu et ainsi ne peut-il être accusé d’avoir été influencé. Il part pour Chicago en tant qu’investigateur principal Europe d’une étude prestigieuse et ses écrans de présentation, il ne les a pas réalisés lui-même, c’est la firme qui les a conçus à partir de documents internes qui serviront plus tard pour le service après-vente, tout comme le texte de son intervention. Il les a certes corrigés, modifiés, initiés ou plutôt il l’a un peu fait mais c’est Pierre Gers qui s’est collé le boulot en collaboration avec le médecin produit de la firme, un type charmant mais insistant.

La recherche du nom Milstein Norbert sur la base de données Eurosfordocs consultable en ligne permet cependant de constater que malgré les interférences du Covid, le bon Milstein a signé en dix ans deux-cent-cinquante-deux contrats et qu’il a touché (sans compter les sommes non déclarées par des artifices comptables connus des professionnels) la somme rondelette de cinq-cent-trente-trois mille euros, ce qui ferait rêver quelques soignants de son service.

lundi 12 juin 2023

Un congrès à Chicago (ASCO ou American Society of Clinical Oncology) : Quelques journalistes influenceurs et influencés. 6.

 

Un congrès à Chicago (ASCO 2023)

6

Quelques journalistes influenceurs et influencés.


Gers aperçoit avec surprise Sylvie Bouloux, la chroniqueuse médicale du Monde, une femme d’une quarantaine d’années, ancienne maîtresse de l’ancien directeur de l’Agence du médicament, pharmacienne de profession, qui écrit des articles sous la dictée des grands patrons de l’Assistance Publique de Paris en choisissant à chaque fois le plus avenant et dont la lecture de la littérature scientifique se résume aux communiqués de presse de l’industrie. Gers la connaît de vue, elle l’a plusieurs fois appelé sur les conseils de Milstein pour obtenir des détails sur un nouveau médicament anti cancéreux dont elle fera l’éloge dans son journal. C’est elle qui s’approche de lui. Qui paye la classe affaires ?

« Bonjour, vous faites combien de présentations ? - Une, mais j’ai un poster, un pro/con et des réunions multiples. - Comme d’habitude. Un brillant garçon comme vous. On peut convenir que je vous interrogerai une fois sur place ? - Avec plaisir. »

Bouloux fait du journalisme de complaisance, c’est-à-dire qu’elle reproduit avec sincérité les propos des gens qu’elle interroge, parfois en commettant des erreurs, sans jamais émettre la moindre critique, elle en serait d’ailleurs bien incapable, mais ce n’est pas le but de ce genre de journalisme, le but est, en faisant croire comme argent comptant les propos des professeurs ou, ici, d’une jeune pousse désignée par Milstein, de donner de l’espoir aux lecteurs du journal, de faire de la science et de glorifier le modèle économique qui permet tant de progrès vitaux pour l’humanité. Le pire de tout, et Gers l’apprendra plus tard : elle pense réellement qu’elle est devenue spécialiste en oncologie, sans examiner de malades, sans voir de patients, sans avoir lu un scanner, une IRM ou un pet-scan de sa vie, par le simple fait d’avoir écouté la bonne parole des grands docteurs. 

Gers reconnaît aussi Durand, un journaliste de la télévision publique française et se demande qui paie son déplacement : les impôts des Français ou l’argent de l’industrie. Il va aller le saluer bien qu’il le déteste cordialement. Pour Gers, il s’agit d’un suceur de roue comme on dit dans les courses cyclistes. Et un vantard. Un vantard arrogant qui réussit à toujours être sur le devant de la scène en travaillant peu. Il ne le supporte pas. C’est aussi un groom, celui qui renvoie les ascenseurs avec servilité et intérêt réciproque. Un groom qui présente une émission médicale tous les matins depuis cent ans. Il s’entoure de nullités journalistiques qui font la promotion à longueur d’antenne de la naturopathie, de l’homéopathie, de l’auriculothérapie, des cures thermales et autres fadaises tout en affirmant que c’est lui, la science, la science des molécules innovantes de l’ASCO. Gers espère qu’un jour quelqu’un lui rentrera dans le lard pour le seul plaisir de démasquer un imposteur mais l’histoire montrera qu’il se désignera tout seul. Comme un grand.