Le 29 avril dernier j'écris et je publie un post sur la bronchiolite avec un titre que je crois provocant "Que faire ? Rien." (ICI).
Quelques jours après, je reçois, à 14 heures un enfant de 9 mois qui a du mal à respirer, qui était fébrile la veille au soir et qui ne l'est plus en ce début d'après-midi.
Je l'examine et je conclus à une bronchiolite (malgré la période de l'année), premier épisode chez un enfant dont la fratrie est exempte de tels phénomènes et chez qui les ascendants ne présentent pas d'asthme. Je donne de bons conseils (hydratation, alimentation régulière, position de couchage, ne pas trop le manipuler) et je conseille des désinfections rhinopharyngées répétées et du doliprane à la demande.
Je suis content de moi (cela ne saurait étonner personne) car je me suis retrouvé devant un cas pratique peu après avoir fait des recherches de littérature pour écrire mon post, je suis dans le cas d'une expérience externe confrontée à une expérience interne (j'ai expliqué le 29 avril quels avaient pu être les modifications de mon attitude au cours de mes 32 années d'exercice) et la maman de l'enfant, attentive, sérieuse, et lisant occasionnellement mon blog, est une femme à qui on peut expliquer les choses (les doutes, j'essaie de ne pas les faire partager) et les raisons de ma façon de procéder.
Aujourd'hui, c'est à dire cinq jours après, je me rends à ma réunion de pairs, bien décidé à parler de cette histoire malgré le fait qu'il ne s'agisse pas de mon troisième malade (cela nous arrive quelque fois et personne ne s'en émeut). Nul n'étant prophète en son pays, aucun de mes pairs n'a lu mon post du 9 avril.
"J'ai reçu mardi dernier un enfant de 9 mois avec des difficultés respiratoires. En voyant et en entendant l'enfant on se rend compte qu'il a le nez bouché ; il avait de la fièvre le soir d'avant et il est apyrétique ce matin ; j'entends des sibilants dans les deux champs, la fréquence respiratoire est de 30 et il n'y a pas de tirage sternal. Je rassure la maman, je donne les conseils habituels, je ne fais pas d'ordonnance car elle a déjà du sérum physiologique à la maison ainsi que du doliprane sirop pédiatrique. Et basta. Le lendemain matin la maman a repris rendez-vous. Vers 21 heures, me dit-elle, le petit Z s'est mis à respirer plus mal. Toujours pas de fièvre. Au premier coup d'oeil je me rends compte que l'enfant n'est plus le même : il respire bruyamment, sa fréquence respiratoire est à 60, il y a un tirage sternal et elle a eu du mal à l'alimenter. Tout cela, pour moi, ce sont des arguments à le faire hospitaliser. Je rédige un courrier tapuscrit pour les urgences et je demande à la maman de m'appeler de là-bas pour me donner le résultat des courses. A onze heures, coup de fil de la maman : "Nous sortons des urgences ; Z va bien. Il a très bien réagi à la ventoline, ils ont conclu à une crise d'asthme, pas à une bronchiolite, et il a une ordonnance de ventoline et de célestène"" Mon commentaire devant mes pairs : "Il y a des moments où le diagnostic n'est pas possible au cabinet. Je n'ai pas encore reçu le courrier des urgences... Je suis quand même surpris de la posologie de la ventoline au baby haler : 6 pulvérisations 6 fois par jour pendant 2 jours puis 5, et cetera..."
Mes pairs : "Moi, dès le premier jour j'aurais fait de la ventoline et du célestène. Un autre : Pareil. Un autre : Oui, mais il faut faire une démonstration avant de les laisser partir. Un autre : La kiné, je la prescris systématiquement. Un autre : Oui, mais pas le premier jour, c'est sec. Suivent des discussions sur les posologies du célestène, sur le moment de la kinésithérapie... Tu as bien fait, avec une fréquence pareille de le faire hospitaliser... Un oxymètre, ça pourrait nous servir ?... Très bonne idée de faire appeler la mère des urgences... Tu as pu faire cela parce que la mère était cortiquée..."
Je passe les détails.
Je reviens à l'EBM : je me suis posé des questions en fonction de mon expérience externe (toute neuve, liée à la rédaction de mon post, c'est ce qui a pu fausser mon jugement), de mon expérience interne (faite de présupposés de 32 ans d'erreurs ou d'à peu près ou de vérités dissimulées derrière le paravent du bon sens) et de la maman cortiquée(le petit Z n'en pouvait mais).
Vivent les goupes de pairs, fussent-ils sauvages comme le nôtre !
2 commentaires:
Je trouve que cette note pose plus de questions qu’elle ne donne de réponses et qu’elle n’invalide en tous cas pas les données de l’EBM.
D’abord, il est vrai que les posologies de Ventoline dans les protocoles des pneumo-allergologues pédiatriques en cas de crise d’asthme ont explosé en quelques années. On est passé de 2 bouffées tous les ¼ d’heures à 6 voire même 8 toutes les 10 voire parfois 5 mn. J’ose espérer que cela correspond à des études bien menées. Il semble qu’il en soit de même pour les bronchiolites.
D’autre part, je ne vois vraiment pas en quoi ce cas peut contredire les éléments d’EBM.
Pour penser que ce cas remet en cause les éléments d’EBM il faut avoir plusieurs présupposés :
N°1 il faut présupposer que le fait de prescrire de la Ventoline dès le départ aurait modifié l’évolution de la bronchiolite. Rien ne permet de l’affirmer.
N°2 il faut présupposer que pour un nourrisson alpha, sans facteur de risque particulier, présentant une dyspnée sifflante dans un contexte de bronchiolite le rapport bénéfice risque de la Ventoline est significativement positif
N°3 il faut supposer que le diagnostic d’asthme pour un nourrisson de 9 mois peut être affirmé dans ce cas.
Du point 3 il faudrait conclure que tout épisode de dyspnée sifflante chez un nourrisson amélioré ou semblant amélioré par la Ventoline est une crise d’asthme. Ce qui élargit encore la définition de l’asthme du nourrisson qui ne se ferait plus sur la durée (3 épisodes de dyspnée sifflante) mais instantanément lors de tout épisode de dyspnée sifflante, ouvrant la porte à des traitements de fond chez tout nourrisson présentant une dyspnée sifflante semblant améliorée par la Ventoline.
Je crois surtout qu’un médecin se sentira toujours coupable s’il n’a pas agi en cas d’aggravation d’un problème quelconque que s’il a agi, quelque soit l’efficacité voire la contre-productivité de son action sur l’évolution du problème. Et que symétriquement le patient aura toujours plus tendance à lui reprocher de ne pas avoir agi.
C’est pourquoi, lorsqu’il n’y a pas d’études probantes qui tranchent de manière claire en faveur de telle ou telle attitude, on est bien obligé de se fonder sur des études statistiques aussi rigoureuses et irréprochable que possible pour faire au mieux.
Quant aux hospitalisations en France elles seraient de 1 à 2% d’après l’INVS, et selon divers critères dont plusieurs sont indépendants de la sévérité de la dyspnée mais dépendants du terrain (âge du nourrisson, prématurité, pathologies malformatives…)
http://www.respir.com/doc/abonne/base/BronchioliteAigueCriteresHospitalisation.asp
CMT
Je suis assez d'accord avec ces commentaires.
Le post n'était pas fait pour régler un problème mais pour souligner nos légitimes interrogations.
Ce que j'ai décrit ne fait pas autorité : il s'agissait pour moi d'indiquer que l'expérience externe n'est pas suffisante, pas plus que l'expérience interne, pas plus que la volonté des parents et que le groupe de pairs m'a permis de comprendre que mes pairs qui n'avaient pas "fait la littérature" avaient une expérience interne intéressante, contradictoire et incertaine. Et encore n'ai-je pas parlé de nos conversations amicales sur la kinésithérapie respiratoire, une passion française, sert-elle à quelque chose, à quel moment la faire, et cetera...
Je suis d'accord avec vous : la prochaine "bronchiolite" va être compliquée pour moi.
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