jeudi 6 octobre 2011

Le professeur Bégaud publie dans Sciences et Avenir.


Le professeur Bégaud en avait assez de ronronner dans son bureau. Il a voulu faire un coup. Avant même que son article ne soit publié il a donné les bonnes feuilles à Sciences et Avenir (ICI) qui, est-ce étonnant ?, a fait son travail de journalisme, c'est à dire interpréter les faits et en fournir la substantifique sensationnalité. Le professeur Bégaud est naïf : il croyait encore vivre dans une autre époque, celle où l'information circulait mal, où l'information pouvait être donnée sans que personne ne s'en empare, mais, vous me direz, et vous pouvez le dire, les choses ont peu changé quand on voit comment a été menée l'affaire A/H1N1 et comment est menée l'affaire Mediator.
Quoi qu'il en soit le professeur Bégaud a été imprudent. Il a dû, dare dare, faire machine arrière et indiquer dans un communiqué repentant qu'il n'y avait pas de causalité démontrée entre l'Alzheimer et les benzodiazépines... Voir ICI.

"Il n'y a pas de lien de causalité directe démontré", a-t-il dit sur France Info. "Il n'a jamais été démontré qu'ils entraînaient directement Alzheimer."

Le Pr Bégaud a critiqué jeudi la présentation de Sciences et Avenir - qui titre "Ces médicaments qui favorisent Alzheimer" - en soulignant que ces projections étaient à mettre au conditionnel.

Le professeur Bégaud est un des pontes, experts, papes, références, et indéboulonnables, de la pharmacovigilance française, et je dirais même plus, de la pharmacovigilance à la française. Il a tout vu, tout entendu et il n'a rien dit.
Il n'est pas étonnant d'ailleurs que les nouveaux parangons de la vertu, c'est à dire le professeur Maraninchi (de l'AFSSAPS) et le professeur Even (ex de l'AFSSAPS), aient salué son étude comme remarquable dans l'émission C dans l'Air (ICI). L'ont-ils lue ? J'en doute. Ils l'ont saluée car cela va dans le sens de l'histoire de la mystification, c'est à dire faire peser sur les médicaments les failles de notre système. Comme le souligne Marc Girard sur son blog (LA), les moyens de régler la question du Mediator et d'autres produits existaient depuis belle lurette sur le plan réglementaire, mais le nouveau Maraninchi (qui, durant l'émission n'a cessé de taper sur l'industrie pharmaceutique, c'est à la mode, il a dû se convertir violemment derrière un pilier de la Basilique de Saint-Denis) dit qu'avec de nouvelles lois, nouvelles circulaires, nouveaux décrets, et cetera, et cetera, cela sera possible.
Je voudrais rappeler aux naïfs que le professeur Bégaud a signé en 1996 avec le professeur Abenhaim (devenu ensuite directeur de la DGS pour qu'il continue de se taire) un article dans le New England Journal of Medicine (LA), cet article montrant clairement la responsabilité des fenfluoramines dans la survenue d'atteintes valvulaires cardiaques (voir l'analyse remarquable de Marc Girard).


Appetite-Suppressant Drugs and the Risk of Primary Pulmonary Hypertension

Lucien Abenhaim, M.D., Yola Moride, Ph.D., François Brenot, M.D., Stuart Rich, M.D., Jacques Benichou, M.D., Xavier Kurz, M.D., Tim Higenbottam, M.D., Celia Oakley, M.D., Emil Wouters, M.D., Michel Aubier, M.D., Gérald Simonneau, M.D., and Bernard Bégaud, M.D. for the International Primary Pulmonary Hypertension Study Group

N Engl J Med 1996; 335:609-616August 29, 1996


Or, ensuite et depuis : rien.
Le 26 août 1999 le professeur Abenhaim a été nommé Directeur Général de la Santé et j'imagine qu'à ce poste prestigieux où ses compétences ont été mondialement reconnues (voir la notice Wikipedia en anglais qui a dû être écrite par un de ses amis où l'on retrouve cette perle : He is recognised as one of the greatest French General Director of Health (Surgeon General).), il ne pouvait rien faire, il ne pouvait pas (il devait manquer de circulaires administratives, de décrets d'applications et autres) demander l'interdiction du Mediator... alors qu'il s'agissait du frère jumeau de l'Isoméride...
Quant au professeur Bégaud, qu'a-t-il fait de plus ?
On le voit, dans le reportage de C dans l'Air parader dans un bureau au côté d'une secrétaire avec, dans le fond, une bibliothèque quasiment vide, allégorie évidente sur son manque d'intentions dans l'affaire Mediator.
Nous attendons donc avec impatience la publication dans une revue avec Comité de Lecture et comme annoncé.

Quelques remarques maintenant concernant l'Alzheimer et les benzodiazépines :
  1. L'apparition et la propagation fulgurantes de la maladie posent des questions. S'agit-il d'un simple effet du disease mongering ? Nous n'y croyons pas. S'agit-il d'un simple effet du vieillissement de la population ? Pas plus. Existe-t-il des facteurs environnementaux ? Pourquoi pas ? S'agit-il d'un effet des psychotropes en général ? L'hypothèse est séduisante. S'agit-il d'un virus ? Probablement exclu. Vers où aller ?
  2. Les benzodiazépines, mais pas seulement, entraînent des troubles de la mémoire : tous les psychotropes au sens large, dont les antalgiques opioïdes (tramadol), peuvent être impliqués : pourquoi se focaliser uniquement sur les benzodiazépines ?
  3. Le problème central est l'excès de prescriptions chez les personnes âgées. Et pas seulement les psychotropes. Tout le monde sait, même les non experts, que les personnes âgées ont un rein et un foie qui fonctionnent moins bien, qui métabolisent moins bien, qui filtrent moins bien et que leurs autres organes sont de même, vieillis, tout le monde sait aussi que les médicaments sont co-prescrits aux personnes âgées symptôme par symptôme par le médecin généraliste, spécialiste par spécialiste et que le généraliste est souvent mis devant le fait accompli par lui et par les autres. Et ainsi les consultations de médecine générale, les visites de médecins généralistes, les consultations spécialisées, les foyers-logements non médicalisés ou partiellement médicalisés, les EHPAD, les établissement de moyen séjour, les établissements de long séjour, sont remplis de symptômes traités les uns après les autres, et les symptômes traités dépendent des "compétences" des médecins généralistes, des médecins spécialistes et des médecins coordonateurs quand il y en a et que ce mille-feuilles, ce patchwork thérapeutique est inextricable, difficile à démêler et difficile à interrompre (bien qu'il y ait des ouvertures comme nous l'avons vu ICI).
  4. L'hypothèse de Bégaud pourrait avoir un semblant de validité si les patients atteints d'Alzheimer étaient plus nombreux en France que dans les pays où l'on prescrit, dit-on, moins de psychotropes, et en proportion de cette surprescription. Que disent les chiffres ?
  5. La critique des prescripteurs est fondée mais facile. Les recommandations des spécialistes des agences pour arrêter les somnifères tiennent du délire : faire du vélo, faire l'amour, avoir une vie saine. les recommandations concernant l'arrêt des anxiolytique tiennent du bon sens mais on sait depuis longtemps que le bon sens est le plus mal partagé du monde et qu'il n'est ni bon conseiller ni synonyme de vérité. Les prescripteurs, que nous ne voulons surtout pas exonérer de leurs responsabilités, sont dans un système social qui broie les individus. Au lieu de se poser des questions sur le pourquoi du comment des prescriptions (qui est responsable : big pharma ou les prescripteurs et vice versa), il faudrait se poser des questions sur la société qui entraîne ces troubles. Il faudrait comme le dit Jean-Pierre Dupuy (Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain. Paris. Le Seuil 2002) analyser pourquoi "La médecine est devenue l'alibi d'une société pathogène."
  6. Un petit détour par Ivan illich serait le bienvenu. Un court détour... Rappelons ici la critique essentielle d'Illich (que l'on peut retrouver dans le livre Némésis médicale. L'expropriation de la santé. Paris. Le Seuil 1965) est, selon lui, la contre-productivité sociale de la médecine : "Avec l'industrialisation du désir, l'Hybris est devenue collective et la société est la réalisation matérielle du cauchemar. (...) Anonyme, insaisissable dans le langage de l'ordinateur, Némésis s'est annexé la scolarisation universelle, l'agriculture, les transports en commun, le salariat industriel et la médicalisation de la santé." Cette médicalisation de la santé a été intériorisée et a aussi permis l'intériorisation de l'aliénation fondamentale : les citoyens, devenus patients ou malades, anxieux, dépressifs, mal dans leur peau, sont devenus incapables d'analyser la situation comme un dysfonctionnement de la société et leur anxiété / dépression comme la conséquence de leur refus de s'adapter à ces situations parfois insoutenables ; les citoyens, quand ils vont mal, acceptent la contre-productivité sociale et recherchent en eux ce qui ne va pas. Et ainsi la prescription de psychotropes, par exemple, n'est qu'un effet de la surmédicalisation et fait croire à tout le monde, soignants comme soignés, qu'il faut encore plus de médecine pour y arriver, ce qui est bien entendu le contraire (voir pour cette partie Jean-Pierre Dupuy, livre cité pp 54 - 55).
  7. Et ainsi la boucle se boucle-t-elle : l'inflation médicale, la surmédicalisation de la santé, aboutissent non seulement à ce que l'on recherche des causes de l'Alzheimer, qui est quand même une démence, liées à des médicaments prescrits à des patients qui vont mal par des médecins qui sont désemparés, mais à ce que l'on prescrive aussi des médicaments inefficaces et eux-aussi psychotropes, les anti Alzheimer, et, là, pour le coup, potentiellement dangereux, tandis que l'on promeut des techniques non médicamenteuses mais éminemment médicales qui n'ont pas non plus fait la preuve de leur efficacité et pas moins la preuve de leur innocuité. Quant aux placements des personnes âgées dépendantes dans des maisons anxiogènes et dépressogènes, il ne faut pas s'étonner non plus qu'il conduise au fait que les personnes aillent plus mal...
  8. A ceci près, et il s'agit de mon expérience interne, que le traitement de la dépression et / ou de l'anxiété chez les personnes âgées devrait être prescrit à bon escient (comme dans de nombreuses pathologies, dont le cholestérol par exemple, trop de malades sont traités à tort et trop de malades qui devraient être traités le sont mal et / ou pas assez) et éviter que l'on parle d'Alzheimer devant une désorientation iatrogène...
  9. A ceci près que les tableaux confus et / ou anxiodépressifs ont tendant à être étiquetés Alzheimer contre toute évidence clinique, c'est à la mode et c'est plus facile que de dé-prescrire et, a fortiori, de dé-médicaliser, ce qui reviendrait à critiquer ce qui a été fait auparavant au nom de la douleur zéro, de la souffrance zéro, de la vie indolente et immortelle.
Nous sommes loin du professeur Bégaud qui publie désormais dans Sciences et Avenir.
Mais s'il avait raison...

(Je rajoute ce jour deux posts parus sur la blogosphère médicale : Atoute et Flaysakier).

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Encore un post très juste et incisif comme d'habitude.

Ha-Vinh a dit…

N'y aurait-il pas pu avoir un biais d'indication( confounding by indication bias comme disent les anglos saxons) voici un lien vers un interessant article à ce sujet:
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11941379

Ce ne serait pas alors le médicament qui entraînerait l'effet indésirable mais la maladie pour laquelle il est donné (enc cas l'anxiété). Je n'ai pas lu l'article ceci n'est qu'une supposition.

JC GRANGE a dit…

Ben oui, tout est possible.
Rappelons cependant que le professeur Bégaud est un expert, ce serait une faute de débutant.

Anonyme a dit…

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