Un congrès à Chicago (ASCO 2023)
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Cloison nasale.
Le professeur Mathieu Barambert est un grand ORL. Il a bâti sa réputation sur son habileté d’opérateur et sur son empathie extraordinaire à l’égard des patients. C’est sa plus grande fierté : ses malades l’aiment. Tout le monde connaît sa façon de les recevoir, de les mettre à l’aise, de les flatter, il flatte d’ailleurs tout le monde et tout le monde le flatte, il a droit à des pages en couleur dans Paris-Match, l’émission Télématin le reçoit régulièrement pour qu’il puisse y délivrer la bonne parole, le directeur de l’AP-HP (les hôpitaux de Paris) est un de ses bons amis, ils se reçoivent et la légende dit que leurs femmes sont copines. Il ne se prive pas de faire savoir partout qu’on le reçoit à l’Élysée avec les honneurs dus à son rang. Il est aussi décomplexé, il dit qu’il ne déteste pas l’argent, ses consultations privées à l’Hôpital public ont un prix qui oscille entre cinq cents et six cents euros la séance et si l’on consulte l’argent qu’il a reçu de l’industrie pharmaceutique sur le site Eurosfordocs on est un peu ébahis. « C’est le prix de la notoriété et de la compétence » dit-il avec un grand sourire. Mais, demandent les profanes, pourquoi se rend-il à l’ASCO ? Parce qu’il est spécialisé, entre autres, dans la chirurgie cancérologique en ORL. Ses collègues, dont la jalousie n’a d’égale que son ego démesuré, le trouvent pourtant « bon ».
Barambert a aussi un surnom : on l’appelle Cloison nasale.
Outre ses grandes qualités de chirurgien, sa remarquable habileté, tout le monde le dit et lui aussi, il est connu pour avoir opéré le Tout Paris de sa cloison nasale. Ce n’est pas un chirurgien esthétique, il laisse à regret cela à ses collègues des cliniques privées du seizième arrondissement et de Neuilly, il fait quand même quelques oreilles décollées pour de riches fortunés débarquant dans le service en jet privé du Moyen-Orient, mais sa spécialité ce sont les cloisons nasales. Alors qu’il était jeune chef de clinique il avait commencé à persuader ses patients, ceux qui venaient pour un rhume, une allergie, une sinusite banale unilatérale ou pour une pan sinusite impressionnante, un mouchage postérieur, que cela venait de l’irritation produite par leur cloison nasale mal positionnée. Qui pouvait résister à cet enthousiaste jeune homme, beau garçon, le sourire aux lèvres, le teint hâlé, les plaisanteries légères au bout de la langue, les allusions sexuelles à peine esquissées, personne ?
Et ce qui surprenait tout le monde c’est que cette activité inlassable, obsessionnelle, hors de proportion, personne ne s’en inquiétait. Ni ses chefs, ni ses collègues, ni l’administration : il séduisait et le service florissait. Quoi qu’il en soit notre ami ORL voyage en classe Affaire, est invité partout et produit des séries chirurgicales dans tous les congrès, pas ici à Chicago, il devait être fatigué, ou alors ses collaborateurs avaient demandé une pause, ces séries ouvertes où les bons résultats avoisinent les quatre-vingt-quinze pour cent…
(Pour lire depuis le début : LA)
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