Affichage des articles dont le libellé est DEPISTAGE. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est DEPISTAGE. Afficher tous les articles

dimanche 4 décembre 2011

Dépistage du cancer du poumon par scanner : un nouveau marché pour la santé des médecins!


Une révolution est en marche !

Que se passe-t-il ?
J'ai trouvé un article bien fait dans Medscape (ICI), revue sponsorisée d'accès gratuit après enregistrement : 

Screening for Lung Cancer Based on 'Strongest Evidence'

dont voici, entre autres, la phrase forte :
The brand-new guidelines from the National Comprehensive Cancer Network (NCCN), the first to be published by a national advisory group, strongly recommend the use of low-dose computed tomography (LDCT) screening for select individuals at high risk for the disease. For the target group of heavy smokers 55 to 74 years of age, regular annual LDCT scans are recommended
Pour ceux qui n'en croiraient pas leurs yeux, cela signifie que des Etats-Uniens recommandent fortement, c'est même une recommandation de grade 1 (ce qui est rare, le NCCN ne donnant pour la mammographie et la colonoscopie qu'une recommandation de grade 2A), de faire pratiquer annuellement un scanner faible dose dans le groupe à risque des gros fumeurs (30 paquets-années) âgés de 55 à 74 ans même s'ils ont arrêté de fumer depuis 15 ans.
Cette recommandation est liée à un essai randomisé (National Lung Screening Trial) qui a été arrêté en cours de route (voir l'article LA et des commentaires ICI) après 8 ans et qui incluait 53000 patients. Le groupe scannerisé avait un examen tous les ans pendant trois ans puis en "reprenait" pour 5 ans. L'essai arrêté montrait, selon ses auteurs, une réduction relative de la mortalité dans le groupe "dépisté" de 20 % avec une diminution de la mortalité toutes causes de 7 % alors que la mortalité par cancer du poumon représentait 25 % de l'ensemble. 
Ce qui a conduit à des déclarations fracassantes de la part des expérimentateurs et de certains commentateurs dans le genre : This is "a seminal moment" for the lung cancer community, the Lung Cancer Alliance declared in a press release. It also quoted James Mulshine, MD, from the Rush University Medical Center in Chicago, Illinois, as saying: "With this positive trial result, we have the opportunity to realize the greatest single reduction of cancer mortality in the history of the war on cancer."
Ils n'ont pas froid aux yeux ! 

Mais cette recommandation est encore théorique.  Nombre de problèmes ne sont pas encore réglés. Et pas des moindres.
D'abord, il faut savoir que des essais précédents n'avaient pas été aussi concluants. Ensuite, d'autres essais ont montré que le sur diagnostic lié à la réalisation d'un scanner comme moyen de dépistage du cancer du poumon oscillait selon les cas entre 25 et 70 % Enfin, et surtout, avant de se lancer dans le dépistage organisé il est nécessaire de savoir à quel âge il faut commencer, à partir de quelle consommation de tabac, au bout de combien de scanners il faut s'arrêter de dépister, quels sont les dangers des radiations, quid de l'observance pour les résultats, quid de la normalisation des examens, quid de la dangerosité des biopsies, quid du coût-efficience, quid des retombées économiques, et cetera.
Nul doute que les courbes bien connues d'incidence et de mortalité du cancer du poumon (ICI figure 1 page 45) vont changer avant même que le dépistage organisé ne soit mis en place : l'incidence va augmenter considérablement, la mortalité va stagner et les experts en concluront au fait que prendre à temps le cancer sauve des vies quelle que soit la non amélioration des thérapeutiques. Et le sur diagnostic pourra être envoyé à la trappe.
Car de telles annonces vont, avant même que des conséquences puissent en être tirées, avant même que l'esquisse de programmes de dépistage généralisé ne soient mis en place, engendrer un surcroît de dépistages individuels et de dépenses (rappelons qu'un scanner pulmonaire est facturé aux Etats-Unis entre 300 et 350 dollars, ce qui n'est pas le cas en France mais ce qui va entraîner des dépassements d'honoraires...) tant et si bien que les études qui suivront seront très difficiles à mener, groupe sans dépistage versus groupe avec dépistage, tant il y aura contamination des groupes théoriquement non dépistés.
Il s'agit désormais d'une course de vitesse pour imposer ce dépistage.
Les lobbies seront en première ligne : radiologues (voire scannerologues), pneumologues, oncologues, radiothérapeutes, chimiothérapeutes, fabricants de scanners, fabricants d'appareils de radiothérapie, fabricants de médicaments, fabricants de rêves. 
Ces lobbies de la prévention (et je ne confonds pas prévention et dépistage bien que les définitions de l'OMS soient suffisamment floues pour "enfumer" tout le monde) n'auront pas de mal à convaincre les politiques, les associations, voire Big Tobacco (on rappelle ici qu'une des premières grandes études testant le scanner comme moyen de dépistage du cancer du poumon était sponsorisée entre autres par les industriels du tabac : International Early Lung Cancer Action Project (I-ELCAP) reported in October 2006 in the New England Journal of Medicine (2006;355:1763-1771), de mettre le paquet.

Si j'ai un conseil à vous donner : investissez dans les fabricants de scanners, investissez dans les SEL de radiologie, dans les cliniques de radiothérapie, et cetera.

J'imagine que les lobbies sont en train de préparer le terrain en France. Je leur propose le plan d'action suivant : 
  1. Arroser les key opinions leaders (KOL) américains à l'origine de l'essai
  2. Faire rencontrer les KOL américains et européens avec les futurs key opinions leaders français choisis par Big Pharma parmi les experts les plus compétents et les plus compliants de la pneumologie française, de la radiologie, de l'oncologie, de la radiothérapie, de la thoracologie...
  3. Animer un groupe d'étude réunissant tous les acteurs du secteur
  4. Informer les parlementaires sur le manque de scanners en France
  5. Réunir dans des dîners en ville des membres de la DGS, de l'INCa, du HCSP, afin de préparer l'opinion
  6. Prévenir les ARS que le nouveau monde allait arriver : faire de l'annonce, de l'annonce, de l'annonce.
  7. Convaincre des journalistes influents d'inviter le professeur Khayat au Téléphone Sonne sur France Inter ou le professeur Even au Monde de la Santé ; des papiers dans Le Figaro ou dans Le Monde seraient les bienvenus. Bien entendu des "nègres" écriraient des dossiers de presse prêts à l'emploi ; les journalistes médicaux de la presse sponsorisée "écriraient" également des papiers
  8. Mettre sur le coup l'INVS qui produirait des données ad hoc justifiant de la future politique
  9. Fabriquer une lettre Infopoumon sur le modèle d'Infovac pour "guider" les futurs dépisteurs
  10. Commencer des essais cliniques en arrosant les meilleurs services de l'hexagone avec des promesses de publication en anglais dans les meilleures revues internationales ou en français dans des feuilles de choux impressionnant le Rotary ou le Lion's Club
  11. Préparer des diaporamas power point pour les différents médecins qui interviendront au palais des Congrès de Paris ou à celui de Romorantin...
  12. Editer des plaquettes d'information à destination des médecins généralistes, piliers du système de santé
  13. Faire entrer le nombre de patients fumeurs ou ex fumeurs ayant un médecin traitant dans les objectifs de la Nouvelle Convention capéifiée
  14. Surveiller la vente des quatre-quatre aux alentours des cliniques de radiothérapie ou des cabinets de scanneropulmonodépistage.  

Le veau d'or (Nicolas Poussin en illustration) du dépistage est en marche.
Une nouvelle sous-spécialité va être identifiée (elle existe déjà mais à faible échelle) : la nodulologie pulmonaire. Et cela va générer du chiffre !
 S'agit-il d'une prophétie ou d'une réalité déjà en marche ?

NB : Je vous propose de lire le commentaire de CMT à la suite de cet article. Il montre combien la réalité dépasse la fiction. Le texte, rapporté par CMT, est particulièrement éclairant (ICI) et illustre le point 2 de "mon" plan d'action. Merci également de citer le travail de Bernard Junod qui, décidément, est un empêcheur de penser en rond.


mardi 1 novembre 2011

"No mammo ?" de Rachel Campergue : un livre de référence sur le dépistage du cancer du sein.


Le sentiment que j'ai ressenti lors de la lecture du livre de Rachel Campergue fut la honte. La honte que ce soit un non médecin qui ait pu écrire un livre pareil avec autant de pertinence, de légèreté et sans presque la moindre acrimonie. Puis je me suis dit que c'était la fraîcheur intellectuelle de cette femme, que je n'ai jamais vue (mais que l'on peut voir sur Facebook) ni entendue, qui a permis l'écriture de ce livre informé et pertinent qui s'adresse tout autant aux médecins qu'au grand public.
Je crains pourtant que ce ne soit le grand public qui profite le plus de sa lecture dans la mesure où l'irrationnel qui sous tend les préjugés du corps médical à l'égard de la prévention et du dépistage est ancré dans les esprits de mes confrères...
Encore une fois, et mon post précédent avait évoqué la chose (ICI), je suis abasourdi par l'absence de discussions argumentées dans la médico-sphère française alors que le débat est aussi développé ailleurs. Seuls des francs-tireurs tentent de faire entendre leurs voix, des Bernard Junod, des Marc Girard, des Alain Braillon, des Dominique Dupagne, mais ils sont tous hors-jeu de l'université ou de l'expertise spécialisée. La chape de plomb du lobby politico-administrativo-académico-industriel étouffe toute parole dissidente. Notre pays est cadenassé et souffre à l'évidence en ce domaine d'un manque cruel de démocratie. La Revue Prescrire a publié un dossier en 2007 (Rev Prescrire 2007;27(288):758-62) qui n'était pas tendre pour le dépistage organisé, voire même totalement opposé, mais son impact a été faible dans le débat public.

Mais revenons au livre de Rachel Campergue (RC).

Je n'ai pas de statistiques mais ne doutons pas un seul instant qu'au bas pourcentage 95 % des médecins français sont favorables à la mammographie comme outil parfait de dépistage et de diagnostic du cancer du sein avec une pointe à 98 % chez les gynécologues et à 99 % chez les radiologues. Chez les oncologues l'enthousiasme doit être du même tonneau. Quant aux médecins généralistes, je suis certain à 99 % (statistique personnelle non publiée) qu'ils prescrivent ou qu'ils laissent prescrire la mammographie sans délivrer une information éclairée aux femmes qui fréquentent leurs cabinets avant qu'elles ne se rendent dans un cabinet de radiologie. Mais on le verra, délivrer une information éclairée n'est pas simple, dévoreur de temps et, surtout, difficile à formaliser tant les points de vue, les peurs, les croyances, les sous-entendus, les impératifs, les avis d'autorité et la lassitude de de voir toujours, face à la puissance de feu des medias grand public, ramer à contre-courant et passer parfois pour rétrograde et hors du courant dominant de la morale sentimentale qui est, je cite, "Rien n'est trop pour sauver une vie" et son versant pécuniaire "la santé n'a pas de prix".

Petit questionnaire à l'usage des médecins français (voir p 431 du livre) que j'ai adapté de celui qui avait été mis en place dans 4 pays européens pour savoir "Comment les femmes perçoivent les bénéfices de la mammographie de dépistage" et dont le résultat attestait des sur promesses officielles et des attentes irréalistes des femmes. Intitulons-le "Comment les médecins perçoivent les bénéfices de la mammographie de dépistage ?" Je vous propose de répondre.
  1. Pensez-vous que le dépistage puisse prévenir le cancer du sein ?
  2. D'après vous, chez les femmes de plus de 50 ans, quelle réduction de mortalité permet le dépistage ?
  3. A combien estimez-vous le nombre de décès par cancers du sein évités pour mille femmes dépistées régulièrement pendant dix ans ?
Je vous donnerai les réponses tout à l'heure.

No mammo ?

Le livre permet dans une première partie de se rendre compte de ce qui nous attend en France en analysant la situation américaine : des campagnes de sensibilisation pour la mammographie organisées avec des fonds provenant de compagnies soit intéressées dans la vente de mammographes ou de tamoxifène, soit polluant l'environnement avec des pesticides ou des modificateurs hormonaux pouvant entraîner des cancers du sein, soit ne s'intéressant qu'à l'augmentation de leur chiffre d'affaires. Des campagnes de sensibilisation ignorant la différence entre prévention et dépistage, des campagnes de sensibilisation ne parlant jamais des méfaits du dépistage (sur diagnostics), des campagnes de sensibilisation affirmant que la mammographie sauve à coup sûr, des campagnes de sensibilisation ne parlant que de la diminution du risque relatif et jamais de celle du risque absolu, des campagnes de sensibilisation qui récoltent des fonds non pour la recherche mais pour acheter des mammographies qui permettront de faire passer plus de mammographies.
RC montre également combien les campagnes Octobre Rose de l'Institut National du Cancer (INCa) utilisent des mensonges pour "sensibiliser" et des contre-vérités scientifiques pour que les femmes se fassent mammographier.
Le livre analyse également la genèse de la contestation nord-américaine à l'égard des campagnes de dépistage aveugle en montrant combien des "usagères" de la mammographie et du cancer ont refusé l'infantilisation et comment elles ont pu trouver avec difficulté des relais dans le corps médical américain.

Mais surtout RC démystifie toutes ces campagnes, tous ces arguments commerciaux, tout cet excès de sentimentalité qui ont été et sont utilisés pour convaincre les femmes de suivre les programmes de dépistage et, d'autre part, de culpabiliser les autres, celles qui refusent (l'INCa dit même dans ses documents promotionnels que les femmes qui refusent la mammographie ne croient pas en la prévention (sic) : l'INCa, la plus haute instance du cancer en France, confond prévention, c'est à dire faire en sorte que quelque chose n'arrive pas, et dépistage, découvrir quelque chose qui existe déjà : de l'incompétence ou de la filouterie ? Voir ICI pour ceux qui n'y croient pas : un document rose de chez rose).

Voici quelques éléments que j'ai pêchés ici et là dans le livre de RC, éléments que les femmes ne trouveront pas dans les brochures incitant à pratiquer une mammographie tous les deux ans à partir de l'âge de 50 ans et jusqu'à l'âge de 74 ans :
  1. Il n'existe pas un mais des cancers du sein : des cancers qui grossissent rapidement (parmi eux les fameux cancers de l'intervalle, ceux qui apparaissent entre deux mammographies et qui sont déjà métastasés lorsqu'ils sont découverts), des cancers qui progressent lentement, des cancers qui ne grossissent pas du tout, des cancers qui sont si lents à progresser qu'ils ne donneront jamais de symptômes et des cancers qui régressent spontanément (ces deux dernières catégories pouvant être considérées comme des pseudo-cancers).
  2. La mammographie ne permet pas un diagnostic précoce car elle découvre des cancers qui étaient en moyenne présents depuis 8 ans !
  3. Les cancers de l'intervalle ne sont, par définition, pas découverts par la mammographie lors du dépistage et ce sont les plus rapides à se développer et les plus mortels. Attention (je rajoute cela le trois octobre 2013) : un essai récent sur une population norvégienne dit le contraire (ICI)
  4. La mammographie peut se tromper et passer à côté de 20 % des cancers du sein et ce pourcentage est encore plus fort chez les femmes plus jeunes (25 % entre 40 et 50 ans), ce sont les faux négatifs.
  5. La mammographie peut se tromper et annoncer un cancer alors qu'il n'en est rien : ce sont les faux positifs. On imagine l'angoisse des femmes que l'on "rappelle" après la mammographie pour leur demander de passer d'autres examens et pour leur dire ensuite, heureusement, qu'elles n'ont pas de cancer... Voici des données terrifiantes : Après avoir subi une dizaine de mammographies, une femme a une chance sur deux (49 % exactement) d'être victime d'un faux positif et une chance sur 5 (19 % exactement) de devoir se soumettre inutilement à une biopsie du fait d'un faux positif.
  6. La seconde lecture de la mammographie par un autre radiologue ne se fait qu'en cas de résultat normal, pas en cas de résultat anormal : on ne recherche que les faux négatifs, pas les faux positifs (ceux qui conduisent aux examens complémentaires anxiogènes dont la biopsie qui peut être dangereuse)
  7. La mammographie est d'interprétation d'autant plus difficile que la femme est jeune (importance du tissu glandulaire) et qu'elle prend des estrogènes qui sont un facteur de risque du cancer du sein et d'autant plus difficile que la femme est ménopausée prenant des traitements hormonaux substitutifs (heureusement arrêtés aujourd'hui)
  8. On ne lit pas une mammographie, on l'interprète et il faut se rappeler que la variabilité inter radiologue peut atteindre (dans la lecture d'une radiographie du poumon, ce qui est a priori plus facile) 20 % et que la variation intra individuelle (on demande à un radiologue de relire des clichés qu'il a déjà interprétés) de 5 à 10 %
  9. L'interprétation erronée d'une mammographie dans le cas d'un faux positif (cf. le point 5) conduit les femmes à être "rappelées" (pour biopsie) : le taux de rappel peut varier, chez les "meilleurs" radiologues, de 2 à 3 % et atteindre 20 % chez les autres ! Certains estiment que le taux "idéal" de rappel serait de 4 à 5 % alors qu'il est de 10 à 11 % en pratique : sur 2000 femmes invitées à la mammographie pendant dix ans 200 feront face à un faux positif ! Anecdotiquement (mais pas tant que cela) le taux de rappel augmente quand le radiologue a déjà eu un procès.
  10. Quant à la lecture (i.e. l'interprétation) des biopsies elle laisse encore une fois rêveur : Un essai a montré que la lecture de 24 spécimens de cancers du sein par 6 anatomo-pathologistes différents a entraîné un désaccord pour 8 spécimens (33 %). Quand on connaît les conséquences d'une biopsie positive...
  11. La biopsie positive ne fait pas la différence entre ce qui n'évoluera jamais et ce qui évoluera de façon défavorable (sauf dans les rares cas de cancers indifférenciés) et c'est cette définition statique qui est source d'erreurs fatales... Et encore n'avons-nous pas encore parlé des fameux cancers canalaires in situ...
  12. Sans compter que nombre de cancers REGRESSENT spontanément comme cela a été montré dans la fameuse étude de Zahl de 2008 : une comparaison entre femmes dépistées et non dépistées montre que les femmes suivies régulièrement pendant 5 ans ont 22 % de cancers invasifs de plus que celles qui ne l'avaient pas été... Et encore les cancers canalaires in situ n'avaient-ils pas été pris en compte...
  13. L'exposition des seins aux rayons X n'est pas anodine. L'historique de l'utilisation des rayons X en médecine laisse pantois (pp 331-382). Mais je choisis un exemple décapant : dans les familles à cancers du sein (mutation des gènes BRCA1 et BRCA2) une étude montre que le suivi mammographique depuis l'âge de 24 - 29 ans de ces femmes à risque entraînait 26 cas de cancers supplémentaires (radio induits) pour 100 000 ; ce chiffre n'était plus (!) que de 20 / 100 000 et de 13 / 100 000 si le dépistage était commencé respectivement entre 30 et 34 ans et entre 35 et 39 ans !
  14. Il n'y a pas de sein standard pour les doses de rayon administrés par examen ! Ou plutôt si, cette dose a été définie ainsi : pour un sein constitué à parts égales de tissu glandulaire et de tissu graisseux et pour une épaisseur comprimée (sic) de 4,2 cm. Je laisse aux femmes le soin de vérifier...
  15. Terminons enfin, à trop vouloir prouver on finit par lasser, même si nous n'avons pas rapporté la question des biopsies disséminatrices de cellules et de l'écrasement des seins lors des mammographies répétées, sur le problème des carcinomes in situ qui "n'existaient pas auparavant" et qui sont devenus les vedettes de la mammographie de dépistage (environ 50 % des cancers diagnostiqués). Une enquête rétrospective a montré que sur tous les carcinomes in situ manqués seuls 11 % étaient devenus de véritables cancers du sein alors que la règle actuelle est de proposer mastectomie ou tumorectomie + radiothérapie... Sans compter les erreurs diagnostiques : un anatomo-pathologiste américain a revu entre 2007 et 2008 597 spécimens de cancers du sein et fut en désaccord avec la première interprétation pour 147 d'entre eux dont 27 diagnostics de carcinome in situ.
Je m'arrête là pour que vous ayez encore envie de lire ce livre qui aborde tellement d'autres sujets passionnants dont, surtout, les mensonges avérés de l'INCa pour promouvoir le dépistage. Mais surtout ce livre est agréable à lire, aborde nombre de sujets divertissants et désolants... Lisez.

Répondons enfin aux interrogations du début.
  1. Pensez-vous que le dépistage puisse prévenir le cancer du sein ? Réponse : Non. Il ne faut pas confondre dépistage et prévention (par exemple la suppression du Traitement Hormonal de la Ménopause est un geste de prévention du cancer du sein...)
  2. D'après vous, chez les femmes de plus de 50 ans, quelle réduction de mortalité permet le dépistage ? Réponse : 15 % selon Gotzsche et Nielsen, ce qui correspond à une vie sauvée pour 2000 femmes examinées pendant 10 ans. Mais surtout : pas d'effet sur la mortalité globale ! Il n'est pas prouvé que les femmes qui suivent le dépistage vivent plus longtemps que celles qui ne le suivent pas.
  3. A combien estimez-vous le nombre de décès par cancers du sein évités pour mille femmes dépistées régulièrement pendant dix ans ? Réponse : 0,5.
Il ne vous reste plus qu'à lire le livre de Rachel Campergue pour connaître l'origine de ces chiffres, pour apprendre quelle a été l'histoire des pionniers du doute et pourquoi l'INCa ment.

Bonne lecture.

jeudi 29 septembre 2011

David Elia n'est pas un sein.




J'écoute hier matin David Elia sur Europe 1, il est consultant de la station, et il fait l'apologie de la mammographie à l'occasion de l'opération (que le terme est bien choisi) Octobre Rose qui est annoncée ainsi sur Doctissimo.




Je suis effondré : est-ce que David Elia a un cerveau ?




Après donc une apologie sans nuances de la mammographie notre gynécologue émérite évoque les contre-arguments qu'il entend dans son cabinet de la part des femmes qui viennent consulter. Il les résume ainsi : A quoi bon ? La mammographie fait mal, Je n'ai pas envie de savoir la vérité. Et notre bon Samaritain de les rassurer, de leur dire que la mammographie permet de détecter des cancers dès les plus petites cellules (double mensonge), et d'affirmer que 75 % des cancers du sein sont désormais guéris avec des traitements de moins en moins invasifs...




A ce stade de l'écoute, je me demande si David Elia, conscient du surdiagnostic, ne se dit pas en son for intérieur qu'il a peu de temps pour communiquer et qu'il ne vaut mieux pas semer le doute dans les esprits, que le dépistage, selon lui et après avoir pesé le pour et le contre, vaut mieux que pas de dépistage du tout et que, donc, soyons positifs.




Je ne me le demande pas longtemps.




Je ne veux pas faire un procès en sorcellerie mais il faut rappeler qui est David Elia, quels sont ses antécédents et quels sont ses risques de récidive.




David Elia, gynécologue mondain, est membre de l'AFEM (l'Association Française d'Etude de la Menopause), de la SFG (Société Française de Gynécologie), et l'on trouve sur le site Carevox une DPI (Déclaration Personnelle d'intérêt) indiquant ceci : Il assure, ou a assuré par le passé, des actions d’expertise, d’assistance et de conseil pour la plupart des laboratoires pharmaceutiques impliqués dans le domaine gynécologique : Aventis, Arkopharma, Besins International, CCD, Codepharma, Ethicon, Fournier, GlaxoSmithKline, Innothera, Janssen Cilag, Lilly, Novo Nordisk, Organon, Orion, Parke Davis, Proteika Nestlé, Procter & Gamble, Pierre Fabre Santé, Roussel Uclaff, Sanofi Pasteur, Schering SA, Servier, Solvay Pharma, Theramex, Wyeth, Zambon.




David Elia a été un fort propagandiste du traitement hormonal de la ménopause (THS) et, à la suite de la publication de la Women Health Initiative Study, a fait un sec virage sur l'aile alors que les données étaient connues depuis belle lurette (ICI).




Puis il s'est lancé à corps perdu dans la défense des phyto-estrogènes (avec un livre : 50 ans au naturel. La vérité sur la révolution des phyto-estrogènes), dans la visite médicale pour la tibolone (ICI dans Doctissimo) et, plus généralement, il n'est qu'à aller le voir sur les sites féminins et sur les sites de ventes de livres sur Internet, il n'a cessé d'écrire des livres sur le bonheur de la femme après 50 ans.








Au moment où de nombreuses interrogations se font jour dans des pays démocratiques sur la pertinence du dépistage du cancer du sein (voir l'avis de Iona Heath, présidente du Royal College of General Practitioners, qui refuse le dépistage pour elle-même : ICI), dans des pays civilisés où il est possible de discuter médecine, santé publique et science (pardon du gros mot) et d'évoquer le surdiagnostic des cancers du sein et ses conséquences, sur les problèmes aigus de la prise en charge des cancers in situ, Monsieur le docteur David Elia ne se pose aucune question.




Droit dans ses étriers de gynécologue, lui qui favorisait le THS qui entraîne un surcroît de cancer du sein, il favorise désormais le surdiagnostic des cancers du sein.




Monsieur David Elia n'a pas d'états d'âme.




Il n'a pas lu la littérature.




Il ne connaît pas les controverses anglosaxonnes.




Il ne sait pas ce qu'est la collaboration Cochrane.




Il ne lit pas la Revue Prescrire.




Ou, pire : il n'y croit pas.




Monsieur David Elia est pourtant un grand écrivain qui aime les femmes, nous l'avons vu. Mais dans le cas précis il ne les aime pas assez pour les prévenir des éventuelles conséquences néfastes des excès de la mammographie.




L'entend-on parler de surdiagnostics ?




L'entend-on parler de tumorectomies inutiles ?




L'entend-on parler d'amputations de sein inutiles ?




L'entend-on parler de radiothérapie inutile ?




L'entend-on parler de chimiothérapie inutile ?




Non, cet amoureux des femmes ne dit rien de tout cela. Je rappelle ici les données actuelles concernant le dépistage du cancer du sein chez les femmes entre 50 et 65 ans :




"Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire."




Que faut-il encore faire pour que David Elia apprenne à lire ?




Mais il est possible qu'il ne faille pas désespérer les oncologues.




Car, sur la même station, Europe 1, le président de la Société Française de sénologie et de pathologie mammaire, un certain Richard Villet, dont on ne trouve pas la DPI sur le site (ou j'ai mal cherché), interrogé par un journaliste un peu plus incisif, esquive, ne répond pas, répond à côté et on finit par comprendre que les tumeurs méchantes, il vaut mieux les opérer... Le journaliste parle de bénéfices / risques, il balaie et il termine en proposant la comparaison suivante : les controverses sur le cancer du sein c'est comme pour le cancer de la prostate. Fin de partie.




Mes amis, il y a encore du boulot : du boulot pour informer sur les liens d'intérêt (il n'y a pas une loi pour cela ?), pour que les experts médiatiques apprennent à lire, pour que les grands media comprennent que le journalisme est autre chose que la répétition d'âneries...

Informations supplémentaires du premier octobre 2011 :
Voici un lien vers un exposé vidéo de Bernard Junod sur le surdiagnostic des cancers en général : ICI.
Voici un lien vers un article de Bernard Junod sur le même thème : LA.
Voici enfin un article sur Les Illusions du Dépistage du Cancer du Sein : LA.


(Photographie : David Elia - Crédit : rmc.fr)

PS du 13 novembre 2013 : une video "alarmante" de David Elia ; ce type a un gros problème. ICI

lundi 15 août 2011

J'aime bien le blog de Richard Lehman et je commente un de ses commentaires sur le dépistage du cancer du colon chez les personnes âgées.


Richard Lehman est boulimique. Voici qu'il publie le 15 août 2011 de nombreux commentaires (qu'il faudrait commenter en détail et qu'il ne faut surtout pas prendre pour argent comptant : l'ami Richard a le droit de se tromper, a le droit d'avoir des avis, a le droit d'avoir des a priori, a le droit d'être aveugle ou hémiplégique ou des préférences, ce serait quand même casse-pied un type froid qui serait abstinent, et cetera, et cetera...) à propos de 15 articles qu'il a lus dans différentes revues de bonne qualité (ICI).
Je ne le connais ni des lèvres ni des dents, je ne sais pas quel est le poids de son âge, je n'ai même pas essayé de connaître ses liens ou ses conflits d'intérêt, j'aime bien le lire, un point c'est tout.
Comme je suis encore en vacances, je commenterai peu ce qu'il a écrit et qui concerne pêle-mêle : les antibiotiques, la ménopause, l'insuffisance rénale, la poésie, l'apnée du sommeil, le rivaroxaban, le sida, les laxatifs, les hépatites, le tabac, la mélatonine, les conflits d'intérêt, les adolescents fébriles, et la plante du jour.
Ouf !
Vous lirez donc.
Je ne vous parlerai donc que du dépistage du cancer du colon par recherche de sang dans les selles.
C'est une étude américaine dont vous trouverez l'abstract (LA). Aux US le taux de coloscopie est faible après test positif chez les personnes âgées, ce qui est lié à un manque de suivi, notamment chez les Veterans.
212 patients de plus de 70 ans dont le test de recherche de sang dans les selles était positif ont été suivis pendant 7 ans. Ils ont été classés en 3 catégories d'espérance de vie (EV) : bonne, moyenne et mauvaise en fonction des pathologies coexistantes.
56 % des patients (118 sur 212) ont subi une coloscopie avec pour résultat la découverte de 34 adénomes significatifs et de 6 cancers. 10 % de ces patients (12 sur 118) ont eu une complication sévère due à la coloscopie ou au traitement du cancer.
46 % des patients qui n'ont pas subi de coloscopie (43 sur 94) sont morts pour une autre cause que digestive dans les 5 ans contre 3 qui sont morts de cancer du colon dans la même période.
87 % des patients classés dans le groupe "mauvaise EV" (26 sur 30) contre 70 % des patients du groupe "moyenne EV" (92 sur 131) et 65 % des patients du groupe "mauvaise EV" (35 sur 51) n'ont pas tiré bénéfice de la coloscopie (p = 0,48).
Les auteurs en concluent que le dépistage du cancer du colon doit être plus volontiers centré sur les patients âgés en bonne santé.
Et notre ami Richard Lehman commente : "Je ne sais pas ce que l'on peut en tirer pour le système anglais mais cela souligne le fait... (je résume) qu'un système robuste de suivi est nécessaire pour ne pas manquer des cancers et que cela confirme mes sentiments que la recherche de sang fécal est une façon infecte (lousy) de dépister le cancer du colon en mobilisant des ressources diagnostiques importantes et en faisant plus de mal que de bien."
Je rappelle ici : 1) que je fais pratiquer l'hemoccult à mes patients convoqués par la CNAM par l'intermédiaire de l'ADMY ; 2) que le dépistage du cancer du colon par hemoccult est organisé en France pour les personnes âgées de 50 à 74 ans ; 3) que la prévention est un art difficile qui exige de la réflexion sur les moyens à mettre en place, sur la façon de suivre les patients, sur la pondération du rapport bénéfices / risques et sur les moyens d'apprécier l'impact de ces actions sur la Santé publique.

Je vous parlerai un autre jour, à propos de ce blog, de l'insuffisance rénale chronique et de sa détection en médecine générale.

PS - Un article de Welch publié le 4 mai 2016 dans le New England Journal of Medicine : LA.

(Richard Lehman - Crédit photographique : BMJ Group).