Première partie : Une histoire simple (ou presque).
Monsieur A, 59 ans, dont la pathologie principale est un infarctus du myocarde double stenté, revient me voir au décours d'une consultation chez le spécialiste en pneumologie. Il y a trois jours j'ai reçu une lettre du dit spécialiste qui me reprochait d'avoir arrêté le traitement par spiriva/tiotropium (voir ICI et LA des informations sur ce produit). La lettre est moyennement aimable et me place devant mes responsabilités arguant du fait que l'arrêt de ce médicament serait préjudiciable à la santé du patient.
Ce qu'il ne sait pas, le spécialiste en question, c'est que l'arrêt du dit médicament a été négocié entre le patient et moi (le fameux médecin traitant) il y a environ six mois car le patient ne ressentait aucune amélioration en le prenant. En réalité, le patient m'avait dit qu'il avait arrêté le produit de lui-même depuis environ 3 mois et que son état était inchangé (Pour les curieux, ils peuvent consulter le dossier de la commission de transparence (LA) et notamment sa conclusion : ce médicament a une efficacité symptomatique modeste et ne modifie pas le cours évolutif de la maladie.)
J'en discute ici et là.
J'en discute ici et là.
- Je me fais engueuler par le docteur A. "Ce n'est pas une façon de se conduire." D'abord, il me dit "que je n'aurais pas dû arrêter le traitement sans prévenir le spécialiste en pneumologie. Qu'un appel téléphonique eût été plus fair. Que ce n'est pas non plus une façon de se conduire avec le patient que, il y a longtemps, j'avais adressé au spécialiste en pneumologie en question. Que peut-il et que doit-il penser de la médecine en général ?" Je ne suis pas d'accord. D'une part en raison de mes relations anciennes (et tumultueuses) avec ce spécialiste en pneumologie à qui, désormais, je n'adresse plus de nouveaux patients : communiquer ma décision eût conduit à une fin de non recevoir. D'autre part nous sommes convenus de cela avec le patient qui ne se trouvait pas amélioré par le spiriva, ce n'est donc pas une décision irréfléchie. En gros, le docteur A me reproche : "Si tu veux changer quelque chose il faut t'expliquer avec le spé, sinon vous vous traiterez de crétins jusqu'à la fin des temps... Vous vous mépriserez l'un l'autre... et rien ne changera."
- Je suis soutenu par le docteur B. "T'as eu bien raison. Nous devons préserver l'intérêt de 'nos' patients. Nous devons également tenir compte de leur avis. Cela fait partie de l'éducation thérapeutique bien comprise : gérer sa maladie, le malade a pris sa décision et tu n'avais pas d'arguments très forts pour le convaincre de continuer." Il ajoute : "Tu crois que le spé te prévient quand il change un traitement par convenance personnelle ?"
- Je suis ramené aux dures réalités. Un collègue pneumologue, le docteur C : "Es-tu bien certain que ce patient était obstructif ?" Je vérifie le dernier courrier adressé (le pas aimable) : le patient est vraiment très peu obstructif (stade 2 modéré de la classification, LA). J'ai donc commis une erreur fatale : j'ai lu d'un regard distrait le courrier du spécialiste des poumons et j'ai "renouvelé" le traitement sans me poser de questions. C'est moi qui suis en tort.
Cette histoire pourrait s'arrêter là mais les khonneries ne sont pas finies.
Deuxième partie. Je connais mal mes patients.
Pour écrire ce billet je consulte le dossier papier du patient (le dossier électronique remonte à 11 ans).
Et je me rend compte que le patient, étiqueté BPCO dans mon dossier (ancien fumeur, petit cracheur hivernal, quelques poussées de bronchites sifflantes), n'avait pas vu de spécialiste en pneumologie depuis plus de 6 ans et que c'est moi, un jour où je rêvais, le lendemain ou le surlendemain de la visite du laboratoire Boehringer à mon cabinet (j'ai très très longtemps reçu la visite médicale, disons entre 1979 et 2005, je sais, je devrais faire mon mea culpa, du moins une confession publique ou encore me fouetter le corps, que sais-je ?), qui ai prescrit spiriva à mon patient.
Je rassure tout le monde : le malade va bien.
Ainsi, le médecin généraliste lambda (c'est moi) prescrit du spiriva sur une vague impression clinique (mais le patient était déjà catalogué BPCO par un spécialiste en pneumologie) en suivant sans doute les recommandations d'un ou d'une visiteuse médicale, et, sans le savoir les recommandations de GOLD (voir ICI pour les commentaires) et je suis soutenu par le spécialiste en pneumologie qui aurait dû se poser des questions (tout comme moi, mais, après tout, je ne suis pas spécialiste en médecine générale) sur le diagnostic : ce patient n'a probablement pas de BPCO.
L'objection du docteur A, ne pas faire avancer le schmilblic en ne prévenant pas le spécialiste en pneumologie, était tout à fait justifiée mais je n'ai toujours pas écrit de courrier pour éclaircir les choses. Sans doute mon côté je râle et je n'arrive pas à faire changer les choses.
L'approbation du docteur B me convient mais convient surtout à mon laisser-faire (voir objection précédente).
La réflexion du docteur C est plus inquiétante sur l'état de la médecine : de la médecine générale pépère qui prescrit dans le probabilisme irresponsable et de la médecine de spécialité prescriptrice sur de vagues arguments. Il arrive donc que des patients soient traités pour une maladie, voire des symptômes, qu'ils n'ont pas. Et pendant de longues années.
Conclusion (peu conclusive).
Nous avons tous, les uns et les autres, des consultations chargées, des consultations de routine, des consultations de renouvellement, des consultations d'alerte, des consultations d'ennui, nous avons tous des dossiers surchargés (liés au suivi longitudinal pendant de nombreuses années) où les informations essentielles finissent par être enfouies, des patients qui ont oublié jusqu'aux pathologies qu'ils ont présentées, les effets indésirables qu'ils ont ressentis, des patients pressés ou inquiets, et cetera.
Quand un patient revient chroniquement au cabinet et quand la médecine se fait envahir par la conversation, il faut se mettre en alerte, il faut relire les anciens courriers de spécialistes comme les anciens courriers que l'on a adressés aux spécialistes...
Bon, pour les esprits critiques, on voit donc que j'ai été léger sans conséquences sur ce coup là (pour toutes les fois où j'ai pu être lourd et éventuellement dangereux).
(Traduction du dessin : On n'a rien trouvé chez vous donc on va vous traiter pour Trouble d'Absence de Symptômes.)
Deuxième partie. Je connais mal mes patients.
Pour écrire ce billet je consulte le dossier papier du patient (le dossier électronique remonte à 11 ans).
Et je me rend compte que le patient, étiqueté BPCO dans mon dossier (ancien fumeur, petit cracheur hivernal, quelques poussées de bronchites sifflantes), n'avait pas vu de spécialiste en pneumologie depuis plus de 6 ans et que c'est moi, un jour où je rêvais, le lendemain ou le surlendemain de la visite du laboratoire Boehringer à mon cabinet (j'ai très très longtemps reçu la visite médicale, disons entre 1979 et 2005, je sais, je devrais faire mon mea culpa, du moins une confession publique ou encore me fouetter le corps, que sais-je ?), qui ai prescrit spiriva à mon patient.
Je rassure tout le monde : le malade va bien.
Ainsi, le médecin généraliste lambda (c'est moi) prescrit du spiriva sur une vague impression clinique (mais le patient était déjà catalogué BPCO par un spécialiste en pneumologie) en suivant sans doute les recommandations d'un ou d'une visiteuse médicale, et, sans le savoir les recommandations de GOLD (voir ICI pour les commentaires) et je suis soutenu par le spécialiste en pneumologie qui aurait dû se poser des questions (tout comme moi, mais, après tout, je ne suis pas spécialiste en médecine générale) sur le diagnostic : ce patient n'a probablement pas de BPCO.
L'objection du docteur A, ne pas faire avancer le schmilblic en ne prévenant pas le spécialiste en pneumologie, était tout à fait justifiée mais je n'ai toujours pas écrit de courrier pour éclaircir les choses. Sans doute mon côté je râle et je n'arrive pas à faire changer les choses.
L'approbation du docteur B me convient mais convient surtout à mon laisser-faire (voir objection précédente).
La réflexion du docteur C est plus inquiétante sur l'état de la médecine : de la médecine générale pépère qui prescrit dans le probabilisme irresponsable et de la médecine de spécialité prescriptrice sur de vagues arguments. Il arrive donc que des patients soient traités pour une maladie, voire des symptômes, qu'ils n'ont pas. Et pendant de longues années.
Conclusion (peu conclusive).
Nous avons tous, les uns et les autres, des consultations chargées, des consultations de routine, des consultations de renouvellement, des consultations d'alerte, des consultations d'ennui, nous avons tous des dossiers surchargés (liés au suivi longitudinal pendant de nombreuses années) où les informations essentielles finissent par être enfouies, des patients qui ont oublié jusqu'aux pathologies qu'ils ont présentées, les effets indésirables qu'ils ont ressentis, des patients pressés ou inquiets, et cetera.
Quand un patient revient chroniquement au cabinet et quand la médecine se fait envahir par la conversation, il faut se mettre en alerte, il faut relire les anciens courriers de spécialistes comme les anciens courriers que l'on a adressés aux spécialistes...
Bon, pour les esprits critiques, on voit donc que j'ai été léger sans conséquences sur ce coup là (pour toutes les fois où j'ai pu être lourd et éventuellement dangereux).
(Traduction du dessin : On n'a rien trouvé chez vous donc on va vous traiter pour Trouble d'Absence de Symptômes.)