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mercredi 19 octobre 2022

Liens et conflits d'intérêts.

Les médecins ne devraient-ils pas porter des uniformeses qui identifient leurs sponsors et de qui ils reçoivent des pots-de-vin ?

Qu'est-ce qu'un lien d'intérêts ?

"Un concours de circonstances qui crée le risque qu'un jugement professionnel ou des actions relatifs à un intérêt primaire soient injustement influencés par un intérêt se condaire.

"Les intérêts primaires sont : promouvoir et protéger l'intégrité de la recherche, le bien-être des patients et la qualité de la formation médicale.

"Les intérêts secondaires peuvent inclure non seulement un gain financier mais aussi le désir d'avancement professionnel, la reconnaissance d'une réussite personnelle et des faveurs pour des amis et de la famille ou des étudiants et des collègues.

"L'IOM ajoute que les intérêts financiers sont souvent mis en avant notamment auprès de l'opinion publique mais qu'ils ne sont nécessairement pas plus graves que les autres intérêts secondaires ; ils sont en revanche plus objectivables, plus opposables, plus quantifiables et plus réglementés en pratique de façon équitable"

(Selon l'IOM (Institute Of Medicine), l'équivalent états-unien de l'Académie de médecine)).

Article L4113-13 du Code de la santé publique

Les membres des professions médicales qui ont des liens avec des entreprises et des établissements produisant ou exploitant des produits de santé ou avec des organismes de conseil intervenant sur ces produits sont tenus de faire connaître ces liens au public lorsqu'ils s'expriment sur lesdits produits lors d'une manifestation publique, d'un enseignement universitaire ou d'une action de formation continue ou d'éducation thérapeutique, dans la presse écrite ou audiovisuelle ou par toute publication écrite ou en ligne. Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d'Etat.


Les manquements aux règles mentionnées à l'alinéa ci-dessus sont punis de sanctions prononcées par l'ordre professionnel compétent.


Les intervenants médecins ou autres doivent le ou les déclarer.

  1. Quand un médecin parle en public (en France) à l'attention de professionnels de santé en général et de médecins en particulier ou devant un public profane, il est tenu de déclarer ses liens d'intérêts. 
  2. Selon le Code de la santé publique, article L4113-13.
  3. Des liens d'intérêts signifient qu'il pourrait s'exprimer en tenant compte des relations qu'il entretient avec des personnes, des institutions, des industriels dont il dépend pour sa carrière (un employeur public ou privé) et/ou dont il profite d'un point de vue financier.
  4. Les liens financiers sont les plus faciles à déterminer, ils sont déclarés d'un point de vue fiscal par les firmes qui paient et ils sont consultables sur le site Transparence Santé et sur le site Eurosfordocs.
  5. Les liens non financiers sont parfois moins évidents à mettre en évidence : liens avec une institution, un supérieur hiérarchique, une agence gouvernementale, un groupe de travail, un parti politique, un syndicat, ou liens de camaraderie, d'amitié ou d'amour.
  6. L'orateur ne déclare parfois pas des liens d'intérêts car il argue que le sujet qu'il va traiter ou pour lequel il est interrogé n'a pas de rapport avec ces liens. Nous y reviendrons car c'est discutable.
  7. Ainsi, un intervenant ne déclare pas ses conflits d'intérêts car les conflits d'intérêts sont un jugement que porte l'auditeur à l'énoncé des liens d'intérêts déclarés.

Personne ou presque ne les déclare.

  1. Lors d'interventions à la radio, à la télévision ou sur les réseaux sociaux, il est exceptionnel que l'intervenant, le commentateur, le blogueur se conforme au Code de la santé publique.
  2. Les médias concernés ne s'en préoccupent pratiquement jamais lorsqu'ils invitent une personne à parler.
  3. Il n'est pas d'exemples à ma connaissance où le défaut de déclaration ait conduit à des poursuites (mon oreillette me dit que oui, le Conseil de l'ordre est exceptionnellement intervenu).
  4. Lors de congrès ou de réunions de formation médicale continue les orateurs doivent préciser au début de leur intervention quels sont leurs liens d'intérêts. Ils le font de plus en plus (mais je n'ai pas de statistiques sur la question). Et je ne parle pas des orateurs qui ne déclarent pas de liens d'intérêts en utilisant des écrans où apparaissent en bas à droite le logo d'un laboratoire !
  5. Le livre "La santé en bande organisée" de Jouan et Riché a confirmé combien les liens non financiers et/ou affectifs (i.e. sexuels) sont importants dans les prises de décision : épouse de, mari de, maîtresse de, amant de. Il est clair qu'il est difficile, je veux dire impossible, que le directeur de l'agence du médicament, avant de parler sur CNews, commence son intervention par "Je déclare être l'amant de Madame X, directrice de la communication du laboratoire Y dont je vais parler de l'une des molécules"
  6. Le fait de ne pas déclarer un lien d'intérêts parce qu'il n'a pas de rapport avec le sujet abordé pose plusieurs questions : a) parce que si vous parlez de la molécule M1 commercialisé par le laboratoire L1 et que vous recevez de l'argent du laboratoire L1 pour la molécule M2 qui appartient à une autre classe thérapeutique, on peut imaginer quand même que vous allez préserver votre source de revenus ; b) parce que dire du bien de la molécule M3 du laboratoire L3 dans un domaine thérapeutique ou pour une classe pharmacologique, c'est signifier que vous êtes ouvert pour recevoir de l'argent du laboratoire L4 qui commercialise une molécule M4 dans le même périmètre (imaginez l'inverse) ; c) le milieu pharmaceutique étant étroit, il vaut mieux pour un laboratoire lambda embaucher un chercheur/orateur favorable a priori à l'industrie pharmaceutique et qui ne dérapera pas dans les congrès.

Peut-on échapper aux liens d'intérêts ?

  1. Monsieur Bruno Lina et Madame Agnès Buzyn ont indiqué que le fait d'avoir des liens financiers avec les industriels est un gage que les médecins font partie de l'excellence.
  2. C'est faux et c'est vrai.
  3. C'est faux dans de nombreux cas : l'industrie préfère compter sur des médecins compliants, qu'elle  a parfois fabriqués elle-même (expert mongering), qui sont aussi bons orateurs, bons rédacteurs, ou qui occupent des postes décisionnaires importants et qu'ils savent se coucher quand il faut rajouter une phrase dans un article ou changer de test statistique pour obtenir le graal, c'est à dire la significativité statistique, plutôt que des experts en recherche clinique qui pourraient être trop regardants ou qui ne renverraient pas l'ascenseur. Elle préfère des médecins à l'échine souple.
  4. C'est vrai aussi car pour faire de la recherche clinique en France, sauf exceptions, il est nécessaire de travailler avec les industriels du médicament. Des personnes intègres, si elles veulent travailler, si elles veulent publier, si elles veulent faire carrière, doivent accepter l'argent de l'industrie. Jusqu'à quel point ? Jusqu'à quel poste ?
  5. Enfin, dans les contributions financières des laboratoires il existe aussi un poste qui s'appelle "Frais de congrès", c'est à dire qu'un orateur est invité à Chicago (ASCO) pour faire une communication, participer à un board, et on lui paie les frais d'inscription, le gîte et le couvert. Convenons qu'il est assez difficile de faire autrement tant les prix sont exorbitants, même pour un PU-PH. En revanche, l'invitation du professeur lambda (qui vient avec son épouse, sa maîtresse...) à Chicago, et qui n'a rien à y faire de scientifique sinon s'informer (quand il parle anglais), c'est du pur marketing, c'est du relationnel dans le but d'obtenir un retour d'ascenseur... Accessoirement on peut s'interroger sur l'intérêt scientifique d'un congrès international en présentiel à l'heure des facilités du distanciel. L'intérêt est surtout promotionnel.

En conclusion :

  1. Faire appliquer la loi ne semble pas encore à l'ordre du jour.
  2. La corruption a encore de beaux jours devant elle.