Affichage des articles dont le libellé est EXPERT MONGERING. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est EXPERT MONGERING. Afficher tous les articles

mardi 14 décembre 2010

THESES DE MEDECINE GENERALE : PFIZER ASSUME !


J'accepte l'autre jour de recevoir l'appel d'une interne de médecine générale de l'hôpital de Mantes qui fait, a-t-elle dit à ma secrétaire, une thèse de médecine générale. Voix charmante, au demeurant, elle me pose des questions d'identité, ma date de thèse (1979), mon âge (58), le nombre de malades que je vois par jour (je ne sais pas lui répondre et je lui donne mon nombre d'actes annuels, 7000, bon an mal an, remplaçants et vacances comprises), puis me dit qu'il s'agit d'un questionnaire et que cela va durer environ dix minutes. Et elle commence : "Connaissez-vous les caractéristiques des douleurs nociceptives ?" Blanc sur la ligne. Interloqué, je réponds, ce qui est assez vrai : "Non." Deuxième question : "Connaissez-vous l'étiologie des douleurs nociceptives ?" Nouveau blanc et moi : "Je croyais, Mademoiselle, qu'il s'agissait d'une thèse de médecine générale ? - Mais c'est le cas. J'essaie de faire le point sur les connaissances des médecins généralistes dans le domaine de la douleur. " Moi, non convaincu et un peu énervé : "Je vous réponds donc non et accepte de continuer mais je vous dirai ce que je pense de tout cela." Troisième question : "Quel type de médicaments utilisez-vous en cas de douleurs nociceptives ?" Là, je bous. "Mademoiselle, j'aimerais savoir de quel type de thèse de médecine générale il s'agit ? Parce que votre questionnaire ressemble furieusement à un argumentaire pour vendre du lyrica... - Je fais cette thèse sous l'autorité du docteur F qui s'occupe du centre anti-douleurs de P. - Bon, je comprends mieux. Vous savez ce que je pense des centres anti douleurs ? - Non... - Eh bien, ce sont des annexes des laboratoires Pfizer, des endroits où les malades, après avoir attendu trois mois un rendez-vous, après qu'ils ont rempli un questionnaire de douze pages sur le poids de leur âge, le sexe de leur grand-mère ou le nombre de boîtes de paracétamol qu'ils ont avalées (carton compris) depuis les trois dernières années, sont reçus par un médecin douleurologue, soit une anesthésiste requalifiée, soit un neuropsychologue reconverti dans le somatique, sont reçus pendant quelques minutes, se voient prescrire un anti-épileptique ou un boîtier de neurostimulation, sans compter un antidépresseur imipraminique à doses anxiolytiques et le médecin traitant ne recevra une lettre que vingt ans plus tard..." Blanc sur toute la ligne. "Pourtant", reprend-elle, "vous ne pouvez pas nier que les douleurs nociceptives soient un sujet important... - Je ne nie pas. Je veux signaler combien les centres anti douleurs sont des officines dépendant directement de l'industrie pharmaceutique. - Est-ce que vous acceptez quand même de répondre aux questions suivantes ?" Il ne sera pas dit que le bon docteurdu16 sciera sur pied la statue de la médecine générale représentée par une charmante voix. J'écoute la question suivante : "Est-ce que vous seriez intéressé par une formation sur les douleurs nociceptives ? - Non. " Je vous fais grâce du reste.
J'avais oublié cet épisode navrant de l'évolution prévisible de la médecine générale quand j'ai reçu hier soir par courriel un message de Medscape Family Medicine Education (ici), revue sponsorisée mais dont il est possible d'extraire la substantifique moelle, et deux Titres (Headlines) ont attiré mon attention : What Primary Care Physicians Should Know about Fibromyalgia et Fibromyalgia: Diagnostic and Treatment Strategies for Family Physicians. Eh bien, le questionnaire évaluant ce que les médecins de premier recours doivent savoir sur la fibromyalgie ressemblait étrangement au questionnaire de l'interne de médecine générale (ici).
Ainsi, cette jeune interne de médecine générale, sous le prétexte (et je conçois qu'il ne s'agit pas pour elle d'un prétexte) de faire sa thèse, a commencé avec succès son trajet expertal (voir ici) sous les bons auspices de Pfizer Inc., et en toute innocence, de telle sorte que son sujet de thèse pourra avoir des effets multiples et variés sur sa carrière et sera un grain de sable de plus dans l'édifice pfizerien de l'éducation des masses généralistes et autres.
Car, ne nous y trompons pas, si cette jeune femme à la voix charmante a un tant soit peu de savoir faire, parle un peu l'anglais, et sait parler en public, nul doute que la déléguée hospitalière du dit laboratoire la mettra en avant, organisera pour elle des réunions de Formation Médicale Continue sponsorisée avec sa chef directrice de thèse, avec et pour des médecins généralistes qui ont répondu au questionnaire sur les douleurs nociceptives, avec des petits fours, une présentation Power Point, et un message Lyrica clair comme du jus de roche ; puis, cette thèse lui ouvrant la possibilité d'articles dans de prestigieuses revues comme Le Quotidien du Médecin, Le Généraliste ou La Revue de Médecine du Val d'Oise, et sa connaissance de l'anglais aidant lui permettant de "couvrir" le Congrès sur la douleur de Clermont-Ferrand, puis celui de Bruxelles ou de Berlin et, enfin, récompense suprême, celui de la Société Américaine d'Algologie à Chicago (Il)...
Pfizer a tout bénéfice : il "tient" le centre anti douleurs, subventionne une thèse qui permet ensuite de faire découvrir une jeune interne qui va faire des réunions de FMC pour les médecins généralistes du coin, flattés de la façon dont l'information scientifique leur arrive, va obtenir des articles gratuits dans la presse médicale, va pouvoir populariser les Congrès que le laboratoire sponsorise ici et là et aidera la jeune femme à participer à un essai clinique bidon qui sera publié, grâce à l'obligeance de sa sainteté dollar, dans des revues de langue anglaise tout aussi sponsorisées mais dont l'éloignement exotique permet de gommer les financements domestiques... Ces études permettront d'alimenter aussi les associations de patients qui, souffrant, ont droit à tous les égards pharmaceutiques, à toutes les empathies sentimentales et à toutes les subventions qui permettront à ces dits patients, en entrant dans le cabinet de leur médecin généraliste transformé par la grâce de la science toute puissante se penchant avec bienveillance sur leur cabinet de se prendre pour un algologue distingué, un fibromyalgithérapeute émérite (voir ici mon empathie pour la fibromyalgithérapie), et d'exiger qu'un anti douleur moderne leur soit prescrit (i.e. un antiépileptique).
Je n'aime pas les antiépileptiques utilisés systématiquement et sans réflexion dans les douleurs nociceptives.

dimanche 5 décembre 2010

EXPERT MONGERING OU LA FABRICATION DES EXPERTS


Les experts (Miami)

Introduction.
La crise de l'expertise révélée par la dernière "pandémie" grippale n'est toujours pas réglée. Les experts grippaux qui avaient fait des prévisions farfelues sur la gravité, le nombre de morts, l'utilisation des anti viraux ou la nécessité de la vaccination, sont toujours en place. Aucun n'a perdu son poste. Ils oeuvrent toujours dans les différents lieux de pouvoir et d'argent qui décident en France et à l'étranger de la politique vaccinale.
Cette immunité expertale n'est pas nouvelle et continue de faire des ravages car elle pervertit le système démocratique et le système dit méritocratique. L'inamovibilité des experts pose un problème majeur et, en France particulièrement, car elle est le stigmate du mépris des gens en place pour la nouveauté et la vérité. La cooptation des élites et l'impossibilité de la méritocratie absolue (qui signifierait qu'à chaque instant il faudrait comparer les mérites des experts) rendent compte de la paralysie de l'intelligence.
Il fut un temps où il n'y avait pas d'experts mais des "savants" dont l'autorité, à tort ou à raison, n'était pas discutée et dont les avis s'exprimaient dans des livres et des publications.
Désormais les "experts" sont exhibés dans les media et se congratulent en public ou font mine de s'écharper sous le contrôle bienveillant des Autorités qui n'hésitent pas à organiser des émissions télévisées pour faire passer leur message au nom de l'intérêt général ou de la morale publique. Si bien que le public au sens large navigue entre deux extrêmes, la déférence aveugle et la défiance généralisée.
Il existe une telle perversion du raisonnement que, par exemple, les sites spécialisés dans la dénonciation des rumeurs (ici), plutôt que de dénoncer le "complot" grippal préfèrent stigmatiser le "complot" anti vaccinal. Sous prétexte que les rumeurs anti vaccinales seraient plus graves que les rumeurs anti grippales.
Un autre aspect de la crise expertale provient des soupçons de collusion financière entre l'industrie et les dits experts. C'est ce qu'on appelle les liens d'intérêts. Là aussi le jugement navigue entre deux extrêmes : les uns prétendent qu'il est normal que les experts, en raison de leurs compétences, participent à des programmes de recherche fondamentale ou clinique en collaboration avec l'industrie qui supplée les organismes publics qui manquent de fonds et d'autres voudraient que les experts cherchent dans leur tour d'ivoire et coupent tout lien avec le pouvoir politique et économique (les fabricants).
Il est ainsi difficile d'entendre les experts qui mangent à tous les râteliers (et qui s'en vantent) et de ne pas dénoncer leur naïveté qui leur fait oublier que qui paie commande. Il est impensable de penser qu'en travaillant avec Big Pharma le matin on puisse penser autrement le soir quand on travaille dans son laboratoire ou dans son service.
Il est tout aussi difficile de prôner, à l'instar du Formindep (ici), une indépendance absolue des experts vis à vis de Big Pharma condamnant ces experts à des recherches publiques qui sont elles-aussi pleines de liens d'intérêts financiers (salariat) et académiques (promotion), quand il ne s'agit pas de liens idéologiques (syndicaux).
Nous dirons aussi un mot de l'idéologie de la transparence qui semble être très à la mode. La nécessité de déclarer ses liens d'intérêts telle que cela est défini par la Loi chaque fois qu'un expert "conseille" médiatiquement n'est pas appliquée actuellement. Nous ne nions pas qu'il faille être informé des liens mais nous ne pouvons pas penser que ces liens décrédibilisent a priori les propos de celui qui les a déclarés. Car, comme nous l'avons déjà dit ailleurs dans ce blog, les liens les plus pervers sont les liens cachés non financiers (idéologiques, académiques, amoureux, amicaux) liés, si j'ose dire, à des intérêts pervers comme l'ego, la paranoïa ou la haute estime de soi. Cette recherche absolue des liens (quelles sont les limites ?) conduit au totalitarisme car, et c'est peut-être malheureux, le secret est une donnée primaire anthropologique de l'humanité. On ne doit pas soupçonner la femme de César, certes, mais sa maîtresse ? Et qui connaît ou connaîtra la maîtresse de César : les détectives privés payés par les avocats ou les Commissaires politiques ?... La transparence "totale" est une idiotie, les êtres humains sont liés dès leur naissance : lire ou relire Lucien Malson (Les Enfants Sauvages in 10/18).
Pour terminer, je voudrais signaler un des écueils majeurs de l'expertise, c'est à dire l'hyper spécialisation. Il existe, mais nous le reverrons, des niches expertales qui permettent à un expert, à partir d'une publication de jeunesse, de rester le spécialiste de ce sujet pendant toute sa vie académique. Or l'hyper spécialisation conduit à l'hyper ignorance : on s'en aperçoit quand le spécialiste mondial du genou droit se met à parler du genou gauche par projection, extrapolation ou approximations, ce qui rend son propos peu convaincant...

La fabrication des experts ou expert mongering (cette idée m'a été suggérée par des conversations avec Marc Girard).
Tout cela est bien beau, me direz-vous, mais quid de l'expert ? S'il est expert, Madame Michu, c'est qu'il a des compétences... et des talents.
Les experts bio médicaux sortent tous du milieu universitaire et académique.
Ces experts ont donc été nommés, comme on dit, sur leurs Titres et Travaux.
Prenons deux ou trois exemples d'experts qui parlent à la télé et à la radio.
Exemple numéro 1 : le professeur P1 a suivi la filière classique de l'université française, il est Professeur des universités et chef de service dans un CHU. Il est membre de la Société Française de Pédiatrie, membre de la Société Internationale de Pédiatrie, expert auprès de l'OMS, membre de la HAS (Haute Autorité de Santé), membre du HCSP (Haut Conseil de la Santé Publique) et expert auprès des Tribunaux. Sans compter son élection à l'Académie de Médecine. Quand, entre ses apparitions à C dans l'air ou ses participations au Téléphone sonne, peut-il examiner des malades ? Et qui oserait lui demander, avant de parler au journal de TF1, et selon l'Article L.4113-13 du Code de la Santé Publique, quels sont ses liens d'intérêt ?
Exemple numéro 2 : Madame P2 est chef de service à l'AFSSAPS, elle a publié une thèse intitulée La Recherche biomédicale, un enjeu économique pour la France, elle a d'abord travaillé à la DGS (Direction Générale de la Santé) puis elle a été Maître de Conférences à Sciences Po Paris avant d'intégrer l'agence gouvernementale. Sa thèse a été largement facilitée par Big Pharma et, ayant acquis une expertise expertale grâce à Big Pharma, elle est allée se "blanchir" dans l'Administration où, sans nul doute, elle a oublié ce qu'elle devait à Big Pharma.
Exemple numéro 3 : le professeur P3 est chercheur dans un organisme semi public, ses fonds de recherche dépendent à plus de 50 % du privé et ses recherches débouchent parfois sur la mise au point de médicaments. On l'interroge à la télévision sur sa spécialité et nul doute que lorsqu'il mange chez lui, il coupe sa viande avec un couteau indépendant de l'industrie et met la viande à sa bouche avec une fourchette d'Etat.
Exemple numéro 4 : le professeur P4 et comment il est devenu expert. Une visiteuse médicale hospitalière l'a remarqué quand il était jeune Chef de Clinique Assistant à l'Assistance Publique de Paris pour ses qualités d'orateur et sa façon d'animer des réunions (et de parler des nouveaux produits). Le laboratoire a donc commencé par le rémunérer pour ses interventions, le promener en France à droite et à gauche, lui demander d'écrire des articles pour des revues de pacotille, l'intégrer dans des programmes d'essais cliniques (sous l'autorité de son patron) puis l'aider à publier (ghost writers) pour des revues de bonne qualité nationale, lui permettre de se rendre dans des congrès nationaux et surtout internationaux tous frais payés, d'abord comme touriste puis comme intervenant (le laboratoire fabriquant les textes, les diapositives, la traduction en anglais... puis en fournissant l'ordinateur, la présentation Power Point quand l'ère de l'informatique est arrivée...). Les articles en français puis en anglais signés en premier (avec le nom de son patron en dernière position) et publiés, grâce à la force de frappe du Laboratoire dans de bonnes puis de très bonnes revues internationales (ce qui ne pouvait manquer de flatter le patron tout juste capable de prononcer trois mots dans la langue de Pfizer), sont devenus la substance de ses Titres et Travaux qui le conduiront à l'agrégation... Bien entendu le futur professeur P4 est devenu incontournable pour les sociétés savantes de sa spécialité, il a également compris qu'il ne devait pas seulement travailler pour le laboratoire L1 et accepter d'autres participations pour ne pas passer aux yeux de ses collègues et de ses supérieurs qui voteront un jour pour sa nomination à l'agrégation, pour l'expert exclusif du laboratoire L1, il est ainsi devenu indispensable pour les think tanks des autres laboratoires (L2, L3 et L4) et intégrés dans d'autres essais cliniques... Tant et si bien que le futur professeur P4 a acquis non seulement une stature nationale mais aussi internationale et que, son niveau en anglais augmentant, il s'est vu confier des participations à des Comités Scientifiques Internationaux, il a animé des débats Pro / Cons, et cetera. Une fois nommé professeur, il s'es imposé dans les Agences Gouvernementales, dans les Société Savantes internationales, et on a commencé à le voir un peu partout dans les médias... Il s'est imposé, on l'a imposé, comme expert et ses nombreux jetons de présence, loin de le disqualifier, l'ont rendu, bien au contraire, encore plus raisonnable et écoutable.
Exemple numéro 5 : Madame P dirige la pharmacovigilance à l'AFSSAPS. A ce titre elle publie des articles collectifs à partir des données recueillies par les Centres régionaux de Pharmacovigilance et à partir des essais initiés par l'Agence dans le cadre du suivi des molécules post commercialisation, soit dans le cadre des Agences gouvernementales. On peut retrouver ses publications dans Pub Med. Ce qui est intéressant c'est que sa compétence, elle l'a acquise APRES sa nomination, Pub Med ne montre en effet rien de très probant avant cette nomination... Il est probable que ce sont ses fonctions gouvernementales et non sa compétence expertale antérieure qui lui ont permis, ENSUITE, de publier dans de bonnes revues.

Conclusion (provisoire) :
La fabrication des experts ne se fait pas seulement à coups d'accointances politiques (la nomination des professeurs agrégés et des chefs de service obéit aussi à une logique de bloc UMP / PS), d'argent de Big Pharma qui finance tout depuis le portable Mac jusqu'à un dîner chez Gallagher à New-York City, de postes gouvernementaux à vie (je passe de l'administration A à l'administration B ou j'obtiens un droit de sortie pour gagner plus d'argent chez Big Pharma avant de faire un retour remarqué dans une Agence Internationale, OMS, UNESCO ou ONU) ou de petits services rendus entre copains, elle se fait aussi en fonction de la belle gueule ou du bon bagout (un bon client) pour les émissions médiatiques. Ce qui fait que tel expert autoproclamé ou élu par les médias qui ne pourrait pas faire un exposé devant ses pairs tant il serait moqué et critiqué, se permet de faire le malin à TF1 ou sur France 5 en toute impunité.



Cette fabrication des experts peut aboutir à des résultats scientifiques corrects mais rien n'est moins sûr. Des solutions ? Une meilleure divulgation des liens d'intérêt n'est pas suffisante mais elle est un début car elle permettrait déjà de calmer l'arrogance des experts. Etablir une distance statutaire à l'égard des organismes publics dirigés directement par le pouvoir politique ne serait pas inutile. Organiser de vrais débats contradictoires, pouvoir obtenir un droit de suite, et cetera...

La discussion est ouverte.

PS du 25 février 2013 : magnifique article sur les cadeaux aux étudiants en médecine US : le curriculum caché. ICI