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jeudi 27 février 2014

Actualités oncologiques en médecine générale : seuls les morts ne seront pas traités. Annexe au plan cancer.


(Il s'agit d'une annexe pragmatique au Plan Cancer dont nous avons parlé ICI et dont nous reparlerons LA -- pas encore de lien)

Cas onco 001 - histoire de consultation 164. Monsieur A, 85 ans, va mieux. Je me suis battu pendant un mois (le patient est en HAD) pour que l'on arrête la (lourde) et ancienne chimiothérapie carboplatine - vepeside pour cancer du poumon chez cet homme  triple ponté, hypertendu, bronchitique chronique et diabétique. Le pneumologue est têtu et l'oncologue le regarde par dessus son épaule pour s'assurer qu'il ne va pas lâcher. Il faut lâcher. Mais cela ne fait pas partie de la culture des médecins. Lâcher c'est avouer non son incompétence mais son incapacité à réaliser les rêves imposés par la société à savoir que la médecine a des pouvoirs infinis de promettre la vie éternelle. Je me suis battu car il fallait aussi convaincre la famille à qui les faiseurs de rêves avaient promis des mille et des cents, à la famille qui pensait que renoncer allait signifier pour leur mari, père, grand père, ami, que c'était fini, qu'il n'y avait plus qu'une seule issue : la mort. Et il y avait le pauvre khonnard de médecin traitant qui ne sait pas combien les chimiothérapies ont fait de progrès, combien l'onologie est une science dure qui sauve des vies, combien les essais cliniques ont montré que la survie était allongée de trois jours (p < 0,05) dans des essais contrôlés menés par des firmes philanthropiques qui pourront obtenir des prix pharamineux grâce à ces merveilleux trois jours avec, cerise sur le gâteau, un score de qualité de vie au top. Monsieur A va mieux mais il va mourir et il sait qu'il va mourir et il souhaite (ici, nous pourrions écrire une thèse de doctorat entière : "Le signifié et le signifiant chez le patient en fin de vie") mourir. Il va mieux mais il a des métastases partout. Il est conscient et il sait qu'il va mourir. Il ne souffre pas. Il passe sa vie dans un fauteuil. Et s'il voulait mourir chez lui au début de sa prise en charge, maintenant qu'il est conscient de sa mort prochaine il veut mourir à l'hôpital pour ne pas embêter sa femme. Et il change encore d'avis et décide qu'il serait mieux qu'il revoit son milieu familier avant de mourir. Mais il n'en aura pas le temps. Il meurt à l'hôpital. Sans avoir souffert.

Cas onco 002 - Histoire de consultation 165. Monsieur B, 64 ans, souffre d'une carcinose péritonéale secondaire. Comme personne ne lui avait dit qu'il avait un cancer initial mortel et qu'au contraire il allait guérir grâce à la médecine moderne qui garantit la vie éternelle, personne ne lui a pas plus dit que cela allait être la fin. Comme je suis le médecin traitant je suis au milieu des mensonges (et je suis le premier à mentir) et je suis celui qui va annoncer la mauvaise nouvelle. Facile. Difficile. Mais je connais la famille, la femme, les enfants, les petits-enfants. J'assume. Je fais une parenthèse majeure : dire la vérité au malade semble être un impératif "post moderne" (j'en ai déjà parlé LA) et il me semble que ce n'est pas une mauvaise idée en soi. Mais la façon de dire est plus importante que ce que l'on dit. Sans parler de l'arrière plan. J'ai le souvenir d'un médecin des hôpitaux annonçant à "ma" patiente et à son fils (son fils m'a dit ensuite qu'il avait été tellement sidéré, au sens paralysé par ce qu'il avait entendu, qu'il n'avait pas eu le courage de retourner dans le bureau et d'aller casser la gueule au médecin des hôpitaux pour lui apprendre la politesse et la vie, il le regrette encore) qu'il n'y avait plus d'espoir et qu'elle allait mourir. N'aurait-il pas pu entrouvrir la porte ? Laisser filtrer un brin de lumière pour que la dame âgée puisse encore croire à quelque chose ? Ainsi, je me répète, dans le temps (ma jeunesse et en France) on ne disait rien au patient par paternalisme (ne pas désespérer la vie) puis on a tout dit par libéralisme (au sens philosophique anglo-saxon) et maintenant on dit tout et on ment sur l'issue quand elle est désespérée (on voit que cette critique est contradictoire avec celle que je faisais à propos de ce professeur qui ne laissait aucun espoir) pour prescrire ! Non seulement pour prescrire mais pour expérimenter ! Pour prescrire des traitements de deuxième, troisième, voire quatrième ligne, qui vont permettre 1) de faire des essais cliniques, 2) d'obtenir des AMM au rabais et des prix insensés et justifiés par l'innovation, 3) de vendre des boîtes très chères, 4) de rapporter de l'argent aux services expérimentateurs, 5) d'arroser des oncologues avec de l'argent et des congrès au bout du monde (l'ASCO, voir LA), 6) d'écrire des articles de merdre en anglais mais répondant aux normes de la rédaction scientifique en les faisant relire (?) par leurs auteurs désignés et 7) de leur faire signer (les professeurs devenant des pontes  internationaux ou nationaux ou régionaux ou locorégionaux et, pour les premiers, KOL (Key Opinion Leaders) sans parler un mot d'anglais ou 8) par de jeunes internes et / ou chefs de clinique qui pourront étoffer leur dossier pour devenir PU-PH et, dans le même temps et par la suite, ambassadeurs de big pharma (voir LA pour l'expert mongering)... on est donc passé du paternalisme alapapa, si j'ose dire, au libéralisme anglo-saxon puis, maintenant, au business pur et dur (néolibéralisme ?).
Où en étais-je ? Comme le patient a été traité par un service parisien (et les lettres que j'ai reçues sont d'un grand professionnalisme et d'une compétence technique absolue) assez éloigné de Mantes, il n'a pas envie d'y retourner pour consulter et le médecin traitant, ma pomme, se retrouve au centre d'un imbroglio mensonger et tente de se dépatouiller comme il peut avec l'aide efficace, compétente et humaine du réseau de soins palliatifs local. Mais le service parisien n'a plus d'ambitions thérapeutiques et pour le moment le patient ne souffre pas.

Cas onco 003 - histoire de consultation 166. Madame C, 92 ans, est venue au cabinet me demander pourquoi on l'avait emmenée deux fois à B. en ambulance pour faire des radios bizarres. Il s'agissait après enquête du début de sa radiothérapie. Nous étions pourtant convenus avec le chirurgien qu'on enlevait la tumeur pour ne pas qu'elle nécrose la peau du sein de la patiente et qu'on la laissait tranquille (la patiente). Mais le chirurgien a passé la main à l'oncologue qui n'était pas d'accord (la réunion dite de concertation s'est bien entendu passée à l'écart du médecin traitant et de la patiente -- parenthèse encore : on comprend qu'il soit difficile de se réunir avec le médecin traitant en fin de matinée à l'hôpital, une réunion qui commence en retard et qui se termine dans le même métal,  un médecin traitant qui, contrairement aux médecins hospitaliers, ce n'est pas une critique, c'est une réalité, fait du soin et non de l'administratif ou de l'ordinateur (1)) et la patiente a commencé une radiothérapie sans le savoir ! Et sans que je le sache. J'ai envoyé un mail très poli car je ne voulais pas m'énerver au téléphone et les séances ont été interrompues. La patiente va bien mais elle m'a dit l'autre jour, ce n'était pas la première fois, elle en avait parlé alors que son fils était dans le cabinet, "Du moment que ce n'est pas un cancer..." Pensez-vous que je lui ai dit la vérité ? Elle ne supportait pas son inhibiteur de l'aromatase (nausées) et, plutôt que de lui prescrire motilium - domperidone (joke), je lui ai demandé d'arrêter. Elle revoit l'oncologue dans trois mois (je me suis fendu d'un courrier explicatif) le chirurgien dans un an.

Cas onco 004 - histoire de consultation 167. Monsieur D, 76 ans, cancer de la prostate diagnostiqué il y a 5 ans, opéré, radiothérapé, infarcté du myocarde il y a six mois, ponté, stenté, à qui on découvre une tumeur pulmonaire, lors d'un cliché pré opératoire (avant dilatation d'une sténone fémorale), tumeur non vue auparavant bien entendu, est embarqué dans une chimiothérapie lourde (ils ne savaient pas ue le médecin traitant pouvait éventuellement avoir un avis) et meurt le lendemain de la première séance faite en hôpital de jour sur le parking de ce même hôpital dans l'ambulance qui l'y ramenait au décours d'un malaise à domicile. Loin de moi l'idée que... Mais quand même.

J'espère donc avoir un de ces jours le temps de détailler enfin le plan cancer.

Note.
(1) Qu'est-ce qu'une réunion de concertation oncologique ? (plusieurs réponses possibles)
 1) Une annexe de big pharma ; 2) un tirage au sort de protocoles ; 3) une usine à fric ; 4) une conjuration des imbéciles ; 5) un déni du patient.

PS du sept mars 2013
1) Les chimiothérapies en fin de vie sont-elles bien nécessaires ? ICI pour un commentaire et LA pour l'article original
2) Un billet de Martine Bronner qui commente : LA

mardi 10 avril 2012

Certains médecins ont encore du chemin à parcourir. Histoire de consultation 115


Aujourd'hui je reçois la famille d'une malade qui est morte depuis environ six semaines. Ils m'ont apporté des certificats à remplir pour l'Assurance du prêt de la Maison. Je passe sur les propos intimes qui sont tenus entre des gens qui se connaissent depuis environ trente ans. C'est à nous.
Commençons par les hors-d'oeuvre : le médecin de l'Assurance écrit à la famille pour leur demander d'une part que le médecin traitant remplisse des papiers afin qu'elle puisse estimer bla bla bla et d'autre part que le (dernier) compte rendu d'hospitalisation lui soit fourni. L'Assurance a déjà reçu, me dit la famille, sous pli fermé, j'imagine, le certificat de décès. Fin décembre 2011 un cancer digestif avec carcinose péritonéale d'emblée a été découvert au scanner demandé par moi-même pour de (vagues) douleurs abdominales et pour un amaigrissement rapide. Le 15 février la patiente de 76 ans était morte. Comme elle était hypertendue et diabétique non id, l'assurance pose des questions sur l'éventuelle implication de ces pathologies préexistantes qui avaient été dûment mentionnées dans le dossier de prêt. Bon, je râle, mais je remplis.
Le diagnostic du scanner ne faisait aucun doute : la malade allait mourir rapidement, très rapidement, il n'y avait aucune thérapeutique possible, et, selon mon expérience, il était d'une absolue nécessité de la laisser tranquille
Mais le mari de la patiente me dit aussi : Heureusement que vous nous avez dit qu'il ne fallait pas accepter la chimiothérapie parce qu'elle n'a pratiquement pas souffert. Et le fils : Oui, mais quand même, ils ont commencé une cure mais elle l'a tellement mal supportée qu'ils ont dû arrêter. Moi : Vous aviez accepté ? Lui : Non mais ils ont dit qu'il pouvait toujours y avoir un petit espoir, alors, que voulez-vous, nous avons cédé... Le mari : Mais, vraiment, à l'hôpital, je sais que c'est comme cela que l'on fait maintenant, ils n'ont cessé de lui faire comprendre que c'était fichu, qu'elle n'allait pas s'en sortir, quatre fois ils lui ont parlé comme cela, quatre fois, vous vous rendez compte. Moi : Je me rends compte.

Je vous ai déjà parlé du problème du dire la vérité aux malades (ICI) et comment nous sommes passés du mentir à tout prix au dire la vérité à tout prix.
Voici ce que j'écrivais en février 2010 : Il n'y avait donc aucune différence entre dire à mon malade "Vous n'avez rien." et dire à mon malade "Vous allez mourir." Sauf quelques années de plus. Ces deux phrases sont l'expression d'une même angoisse du praticien qui ne cherche qu'à se préserver, à juste titre probablement, mais qui ne préserve rien chez le patient. C'est pourquoi les Anglo-Saxons se posent des questions sur la vérité à tout prix. Le "Vous allez mourir" est encore plus paternaliste que le "Vous n'avez rien." car le praticien, dans le deuxième cas, se compare à Dieu capable de prévoir qui entrera ou n'entrera pas dans le Royaume des Cieux...
Je ne suis pas certain que les hospitaliers soient conscients du fait que la moindre de leurs attitudes, le moindre de leurs gestes, la moindre de leurs paroles, et cetera, sont pris au premier degré par les patients et par leurs familles.
Je suis désolé de dénoncer encore. 
Je rapporte simplement, je rapporte le désarroi de cette famille qui a eu l'impression (il faut toujours être prudent) que les hospitaliers, les oncologues en particuliers, n'ont pas été "bien". La notion d'être bien est éminemment subjective mais cette malade a souffert de savoir qu'elle allait mourir et qu'il n'y avait AUCUN espoir. Ce n'est pas humain de dire à quelqu'un qu'il n'y a AUCUN espoir. Il y a toujours un espoir, la grotte de Lourdes est là pour le montrer et la réalité non magique, simplement matérielle, ne cesse de nous décevoir ou de nous surprendre en bien. Et j'imagine que dans ce service il y avait des gens qui n'étaient pas d'accord, des médecins comme des infirmières, des aides-soignantes comme des personnels de ménage, mais aussi des jeunes médecins qui ont cru que c'était comme cela qu'il fallait se comporter et qui se comporteront dans la même situation de la même façon, et d'autres qui se jureront de ne pas faire comme cela et, peut-être, mais ce n'est pas la tendance actuelle, que cela les fera quitter l'hôpital...
(Dessin : Philippe Geluck)

jeudi 5 mai 2011

Patrick Roy : les leçons dramatiques de la transparence.


Patrick Roy

Il fut un temps où l'on mentait aux malades en ne leur disant pas de quelle maladie grave ou mortelle ils souffraient (la période paternaliste hypocrite) et, par un tour de passe passe idéologique et moral, il est licite désormais de dire la vérité aux malades surtout quand leur maladie est grave ou mortelle (la période libérale hypocrite, libérale au sens philosophique, pas économique).
Aujourd'hui, je pense certes aux proches du député Patrick Roy qui vient de mourir d'un cancer du **** (et vous lirez ICI une analyse politique de Christian Lehman), mais moi, et j'ai hésité à écrire ce post, je l'ai fait après avoir consulté une famille de patient, je pense surtout à tous les malades qui ont actuellement un cancer du **** et qui viennent d'apprendre en direct qu'ils sont foutus. Je pense aux familles qui, telles un Etat policier, ont tenté de couper la télévision, internet ou supprimé les journaux de la maison (grève très vraisemblable des NMPP) afin que leur mari, père, fils (et la même chose dans l'autre sexe) ne perde pas définitivement l'espoir de guérir.
J'ai déjà parlé ici de la pratique barbare de dire la vérité au malade quel qu'en soit le coût moral mais je voudrais souligner ici combien la transparence et la publicité, considérées comme geste éthique fondamental vis à vis des medias, de la maladie des hommes politiques, par exemple, est une des composantes, je pèse mes mots, du totalitarisme moderne des sociétés libérales, celui de l'intrusion de la démocratie d'opinion dans la vie privée de tout un chacun.
Non, chers malades, le cancer du **** du député Patrick Roy n'est pas toujours mortel. Ayez de l'espoir.

dimanche 28 mars 2010

MOURIR A LA MAISON. HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGTIEME EPISODE

Janvier 2009
Madame A m'appelle de l'hôpital. Son mari ne va pas bien et il veut rentrer à la maison.
Le pronostic n'est pas fameux. Il y a des métastases partout. Il souffre assez peu. Elle dit qu'ils veulent continuer à lui faire des examens. Elle trouve que cela ne sert à rien. "Je vais voir ce que je peux faire."
C'est une situation qui m'ennuie. Je suis même paralysé par ce genre d'affaire. Je me demande toujours si nous avons raison de céder aux pressions insistantes des malades et, ici, de la famille. Je m'explique : j'appartiens à une génération de médecins à qui les enseignants ont dit qu'il y avait toujours quelque chose à faire, qu'il y avait toujours un espoir, qu'il ne fallait pas abandonner, que la vie était pleine de surprises. Et la médecine aussi. Et, personnellement, je me suis trompé tellement de fois. D'ailleurs, dans le cas de ce patient, nous nous sommes tous trompés. Ce genre de cancer, une fois diagnostiqué, et a fortiori avec des métastases, ça dure entre trois et quatre mois. Et le diagnostic a été fait il y a plus de six mois. Et le malade est toujours vivant.
Il y a six mois la famille, la mère, les enfants, les gendres et brus, m'ont posé des questions insistantes sur la survie de cet homme. J'ai tergiversé, j'ai regardé sur internet pour savoir ce que la famille allait y apprendre, et j'y ai lu des informations catastrophiques. Je me suis dit qu'il fallait que je les rassure tout en ne leur promettant pas la lune. Et ce d'autant que je n'avais pas parlé au cancérologue que je n'apprécie guère et qui est plutôt secret avec les médecins traitants.
Je rêverais d'un monde parfait. Le cancérologue fait un courrier dans lequel il dit ce qu'il a dit au patient et à sa famille. Mais ce n'est plus possible depuis que les malades reçoivent les courriers. Ou le cancérologue téléphone au médecin traitant pour lui dire a) ce qu'il pense, b) ce qu'il a dit au patient et à sa famille. Mais les cancérologues, dans mon coin, sont débordés. Il ne leur est pas possible d'allonger le temps de leur consultation ou la durée de leur journée de travail. Et ainsi suis-je dans le flou.
Je contacte le cancérologue que je n'aime pas et qui sait que je ne l'aime pas.
"Comment peut-on faire ?" Il penche pour une hospitalisation à domicile. Je lui fais confiance car je ne connais pas la situation exacte du patient qui vient de passer quinze jours à l'hôpital. Je rappelle la femme du patient : elle n'est pas chaude mais elle finit par accepter. Je n'ai pas manqué de lui expliquer que c'étaient des professionnels, qu'il fallait leur faire confiance, qu'ils avaient l'habitude.
Quelques jours après.
Je suis appelé au domicile de mon patient. Tout va mal. Le malade a un air ironique en me regardant. "Vous les connaissez les cow-girls de l'hôpital ? - Un peu. - Je n'en veux plus. - Et pourquoi ? - Elles ont envahi notre maison. C'est un défilé incessant de personnes qui ne se présentent pas et qui veulent nous imposer plein de trucs qui n'ont ni queue ni tête. Vous devriez nous en débarrasser. - On se calme, on se calme."
Je résume : le patient et sa femme ont perçu les différents intervenants de l'hospitalisation à domicile comme des intrus. La femme : "Ils débarquaient à n'importe quelle heure, ils ne nous prévenaient pas..." Le mari : "L'infirmière, quand elle arrivait, enfin, je ne sais pas si c'était une infirmière, pas de nom, pas de prénom, pas de titre, elle ne me disait même pas bonjour mais me demandait de coter ma douleur entre zéro et dix. Je l'ai envoyée paître." Elle ajoute : "Ils voulaient m'envoyer une psychologue. Je ne suis pas folle, quand même."
"On en est où, alors ?"
En choeur : "Nous leur avons demandé de ne pas revenir demain."
L'après-midi même.
Je contacte le médecin du réseau de soins palliatifs à domicile et lui raconte l'affaire. Elle prend un air étonné mais je ne suis pas dupe. Je lui explique que je n'ai pas besoin de l'hospitalisation à domicile, l'état du patient ne le nécessitant pas (et je m'étonne par ailleurs de la "prescription" hospitalière) et que je n'ai pas, encore, besoin d'elle et de son réseau. Le patient n'en est pas à ce stade. Elle me conseille donc ce à quoi j'avais pensé, de simples toilettes à domicile pour soulager la femme du patient qui a besoin de souffler. C'est un autre réseau que je connais bien. Je téléphone à la responsable qui n'est pas là et qui doit me téléphoner le lendemain.
Le lendemain.
La responsable ne me rappelle pas et c'est moi qui finis par la contacter. Je raconte à nouveau l'affaire. "Ne s'agit-il pas de Monsieur A ? - Si. Pourquoi ? - Nous en avons entendu parler. - Et alors ? - Et alors il n'est pas correct avec le personnel. (J'imagine mon brave monsieur en train de tâter le cul des aides-soignantes...) - C'est à dire ? " Et elle me raconte qu'on lui a dit, la coordinatrice, je suppose, qu'il avait été désagréable, et que, dans ces conditions, elle n'avait pas envie que son réseau s'en occupe. Je comprends qu'il avait surtout dit qu'il n'était pas normal que l'on débarque chez lui à l'improviste, en terrain conquis, que son appartement, ce n'était pas l'hôpital, c'était à lui. C'est tout. Je demande : "Il n'a pas été grossier, il n'a pas fait d'avances sexuelles devant sa femme ? - Non. Encore heureux." Bon, pour les toilettes, cela devrait être possible dans trois semaines. Pas avant. Une visite d'évaluation est prévue.
Les toilettes finissent par arriver non sans de nombreux échanges téléphoniques. Le temps m'a paru long.
Deux mois après.
J'appelle le réseau de soins palliatifs. La femme du patient est réticente, l'expérience de l'hospitalisation à domicile a été difficile. C'est la première fois que je fais appel à eux. Il est nécessaire d'envisager un suivi plus fréquent. La femme du patient a besoin de soutien. Mais elle me fait promettre que jamais on ne fera hospitaliser son mari. Je promets. Sans jurer.
Tout se passe très bien lors de l'installation de la structure. Chacun est à sa place. Je ne comprends pas pourquoi le médecin responsable est si respectueuse de mon pré carré alors que je n'ai pas de pré carré : je regarde, j'écoute, je copie. Je demande avis à tout le monde pour ne pas passer ni pour un faux affranchi ni pour un crétin absolu. J'apprends vite.
Six mois après.
Le patient souffre très peu sauf au moment des mobilisations. Il est contrôlé par de faibles doses de morphiniques, des patchs et des comprimés en préventif (avant les toilettes). Mais son ventre durcit et il commence à faire des fausses routes quand il boit. Le reste est sans importance car la femme du patient semble ne pas trop souffrir.
Je réapprends à prescrire une perfusion sous-cutanée. Je demande des bilans sanguins en m'interrogeant sur leur pertinence. La coordinatrice médecin ne semble pas choquée.
Après tout, la femme du patient ne m'a pas demandé de l'achever, elle m'a demandé qu'il puisse mourir dans les meilleures conditions auprès des siens et dans son ambiance naturelle.
Je n'ai plus aucun contact avec un cancérologue.
Pas de chimiothérapie.
Pas de gestes adjuvants.
Le malade commence à avoir des pertes de mémoire. Il est parfois un peu confus. Mais il reconnaît tout le monde et même son médecin traitant quand il vient le voir à domicile.
J'ai le temps de réfléchir. Je me dis que ces gens simples et pragmatiques ont choisi la bonne solution mais qu'ils ont la chance d'avoir eu le choix entre différentes structures.
J'ai déjà eu affaire à l'hospitalisation à domicile pour d'autres patients et je ne me rappelais pas la lourdeur de l'organisation et cette façon de déplacer l'hôpital au domicile des gens avec la même confiance dans le pouvoir de l'institution. Mais il est probable que c'était le désir du malade et de sa famille : la sécurité de l'hôpital à domicile.
J'ai déjà eu affaire à des réseaux plus légers, gérés par des associations, mais, maintenant, je m'aperçois que ces réseaux avaient tellement envie de copier l'hôpital qu'ils le faisaient mal, sans ses moyens et en improvisant et, surtout, en prenant les (mauvaises) manières de l'hôpital: certitude sur tout, peu d'écoute, technicité factice.
Maintenant que je connais ce réseau d'accompagnement à domicile, je suis conquis. Personne ne parle de médecine palliative. On écoute les gens, le malade, la femme du malade, on fait participer les enfants à ce suivi personnalisé. Il ne faut pas que j'idéalise. Le médecin coordinateur n'envoie pas une psychologue : elle parle à la femme du malade.
Ces solutions laissent aussi le médecin traitant plus indépendant de la famille. Il peut venir pour renouveler une prescription de morphiniques ou regarder si des escarres ne sont pas en train d'apparaître (mais les aides-soignantes et infirmières savent cela avant lui) mais il peut aussi simplement parler avec les membres de la famille. Hors qualités ; presque.
Je suis content de travailler dans cette agglomération d'un peu moins de cent mille habitants où de telles structures existent. Ainsi les patients peuvent-ils se voir proposer des solutions ou des moyens de vivre au mieux leur fin de vie. Comme on dit.
Je plains mes confrères campagnards confrontés à de telles situations qui doivent ne pas totalement les satisfaire et être dévoreuses de temps...
Quatre mois après.
La situation s'est aggravée. Les fausses routes sont plus nombreuses, l'état de conscience est altéré mais il ne souffre pratiquement pas. Pour des raisons inexplicables. Trois jours avant son décès je passe chez lui où je rencontre une aide-soignante qui a l'air pleine de vie et ne semble pas du tout découragée par la tournure que prennent les événements. Je l'envie. La femme du malade est calme et ne semble pas résignée. Elle soupire un peu quand je lui parle mais elle garde le cap, celui qu'elle s'est imposée, qu'elle nous a imposé : une mort douce.
Le jour du décès, elle est allée se réfugier chez sa soeur. Elle ne voulait pas voir le corps mort de son mari. Elle voulait aussi qu'il disparaisse le plus vite possible de l'appartement. Comment lui en vouloir ? Comment ne pas la comprendre ? Elle a fait un boulot formidable lorsqu'il la voyait, la reconnaissait, l'appréciait, que voulez-vous qu'elle fasse de plus après sa mort ?
J'aime beaucoup cette femme.
Je ne dirai rien sur la coordinatrice médecin du réseau : elle pourrait se reconnaître et je n'aimerais pas, la prochaine fois que je la verrai, qu'elle sache combien je la trouve formidable.


jeudi 25 mars 2010

PATIENTS OU MALADES : DEMANDER A VOTRE MEDECIN TRAITANT S'IL EST OU NON SIGNATAIRE DU CAPI !

Patients, malades.
Nous avons déjà parlé ici des CAPI (contrats d'amélioration des pratiques individuelles) et nous les avons critiqués d'un point de vue scientifique (les critères retenus sont peu validés et nous avons pris des exemples concernant le diabète sucré), politiques (les choix de ces indicateurs sont ceux de l'Assurance maladie), économiques (les critères retenus touchent des domaines peu coûteux pour les remboursements) et syndicaux (qu'est-ce qui se cache derrière ce début de forfaitisation des honoraires médicales ?).
Aujourd'hui nous allons en parler de façon éthique, politique et sociétale.
Car ces CAPI s'inscrivent dans un cadre ronflant auquel le libéralisme et son appendice, le néolibéralisme, sont très attachés : celui de l'excellence et de la performance. Ces "valeurs", on le verra, ne sont cependant pas l'apanage du libéralisme, elles ont traversé toute la société française depuis très longtemps, sans parler du stakhanovisme communiste, et se sont installées, formellement, en France depuis 1983 et le deuxième gouvernement Mauroy. L'excellence et la performance ne sont pas des mots creux mais ils renvoient, selon la façon dont on les remplit, à la méritocratie, à l'éducation, au progrès individuel et général, et, last but not least, à la culture de l'entreprise.
Car voici le noeud de l'affaire : l'Etat ne doit plus être l'Etat Providence mais s'assimiler à une entreprise. La Loi Organique Relative aux Lois de Finance (LOLF) de 2001, votée à l'unanimité par les deux chambres sous une législature de gauche, a consacré, je cite Michaël Foessel (in Esprit 2010;363:12-23), "le transfert aux administrations de la budgetisation par la performance en les soumettant à des objectifs presque exclusivement gestionnaires." La pensée de l'action de l'Etat est décalquée, pour les élites transpartisanes de droite et de gauche, des impératifs concurrentiels à l'oeuvre sur le marché. Ainsi l'Assurance maladie est-elle ni plus ni moins assimilée à un agent économique comme un autre avec de gros doutes sur les fins poursuivies. La mise en oeuvre s'est poursuivie avec la fameuse RGPP de 2007, Révision Générale des politiques Publiques.
Et le coeur du débat : les moyens, comme le dit MF, sont, selon la science économique, séparables en droit des fins. Et ainsi, ni vu ni connu : qui pourrait s'opposer à des pratiques d'amélioration ? D'où pourraient venir les réticences ? La bonne gouvernance est devenue une donnée universelle, un impératif moral, mais hors sol, le managériat, valeur capitale s'il en est, fera le reste. Ceux qui s'opposent aux CAPI sont, c'est selon, des nuls (ils n'ont pas intégré la bonne gouvernance de "leurs" patients), des feignants (qui ne veulent pas se plier aux "normes"), des ignorants (qui ne croient pas à la vérité révélée des bons principes de la Haute Autorité de Santé, organisme contesté et contestable), des mauvais médecins (qui n'ont pas compris l'intérêt général de la santé Publique).
Dans cette affaire des CAPIS, il y a un chef, Frédéric Van Roekeghem, dans le manageriat cool (et sarkozyen) on dit un patron, qui permet de réconcilier les Français avec l'entreprise (Laurent Fabius, 1990) et des carottes pour les médecins (incentive en "science du management") qu'ils soient généralistes ou conseils. Il y a aussi des opposants industriels (Big Pharma) ce qui permet aux hypocrites d'adhérer aux Capis, puisque Big Pharma est contre.
Donc, cher patient, cher malade, il faut demander à votre médecin s'il a signé car, en signant, il a adhéré à l'idéologie entrepreneuriale de la santé (il vaut mieux le savoir), il vous fera pratiquer (car il en aura un bénéfice monétaire) des examens qui, parfois, ne servent à rien, il vous fera pratiquer des examens dangereux sans vous prévenir qu'ils le sont, et il prescrira des médicaments dont la seule preuve d'efficacité résidera dans leur ancienneté. Est-ce que vous recherchez cela chez votre médecin traitant ? Ne préférez-vous pas un médecin traitant qui s'occupe de vous et prend en compte vos valeurs, vos préférences, vos agissements et votre mode de vie ?

vendredi 12 février 2010

COMMENT PARLER AUX MALADES. HISTOIRES DE CONSULTATION : DIX-SEPTIEME EPISODE

Monsieur T a la tête des mauvais jours. Il revient me montrer un scanner abdomino-pelvien que j'ai demandé pour explorer des douleurs abdominales difficiles à cerner. Il me dépose la pochette sur le bureau comme s'il voulait s'en débarrasser.
Je connais Monsieur T depuis maintenant trente ans. Je connais son ex femme, je connais ses enfants, je connais ses petits-enfants. J'ai connu ses nombreuses maîtresses qu'il me présentait comme un trophée. Je sais beaucoup de choses le concernant, du moins ce qu'il a laissé paraître et ce que j'ai glané ici et là (des demi vérités comme des mensonges, voire des ragots).
J'essaie, en lisant le compte rendu, d'être neutre. Mais ce que j'y vois n'est pas fameux : il y a des pêches partout et notamment au niveau du foie. Mais mon non verbal ne devait pas être aussi neutre que cela : il me connaît aussi et jusqu'à présent je ne lui ai jamais annoncé de "vraie" mauvaise nouvelle. Une hypertension, une bronchiolite chez un de ses enfants, un début de diabète chez une de ses "amies". Là, il comprend tout de suite que je ne suis pas content qu'il ait dérogé à la bénignité habituelle de ses pathologies et il se demande pourquoi je ne garde pas mon habituelle dérision.
"Bon, il va falloir faire quelque chose... - J'ai lu qu'il y avait un kyste... - Oui, oui, un kyste. Il faut que l'on sache s'il est gentil ou méchant. - Et sur le foie, le rapport dit... - Sur le foie, oui, il y a des images bizarres. Faut vérifier. Je vais m'occuper de cela. Mais ce n'est pas fameux fameux."
Je rédige un courrier pour mon oncologue préféré et un autre pour mon chirurgien oncologue préféré (qui ne travaillent pas toujours ensemble). Ma secrétaire, dans l'entrefaite, a pris des rendez-vous accélérés avec les deux médecins (elle connaît parfaitement les secrétaires respectives et je profite de leurs relations de pairs...).
Monsieur T a lu le compte rendu de scanner où est écrite une expression savoureuse : "...néoformation néokystique...". Que dire de plus ?
Je lui explique donc qu'il va devoir faire un bilan complet, un autre scanner, des prises de sang et qu'il est probable qu'un chirurgien, à un moment ou à un autre, devra s'occuper de lui...
(Il est clair, comme dirait l'autre, que je suis mal à l'aise et, pour tout dire, passablement ennuyé : faut-il, ne sachant pas d'où viennent exactement les images hépatiques, le poumon est douteux, lui envoyer dans la figure qu'il a un cancer avec des métastases et que le pronostic est aussi agréable qu'un coucher de soleil sur une raffinerie ukrainienne ?)
Je dois donc avoir un visage lugubre, ce qui n'est pas dans mes habitudes et je tente bien un ou deux sourires mais ils passent mal... Pourtant, à la fin de la consultation, mon non verbal ne devait pas être si évident que cela, Monsieur T, 63 ans, me demande, presque en s'excusant : "Ce n'est quand même pas un cancer, docteur ?".

Commentaires personnels : En me relisant je vois combien je me suis senti gêné en parlant à ce patient. Gêné parce qu'il a probablement une saloperie dont il ne va pas se sortir, gêné parce qu'il va falloir que j'assume et qu'éventuellement il assume un pronostic réservé, gêné parce que je le connais depuis trente ans, gêné parce que je connais ses enfants, gêné parce que je connais ses petits-enfants, gêné parce que je ne m'attendais pas à ce qu'il ait un cancer, gêné parce que ce n'est pas aisé de se rendre compte qu'un "vieux" malade va nous laisser "tomber"...

Commentaires plus généraux : Quand j'ai quitté la faculté de médecine, en 1979, personne ne nous avait appris ce que signifiait ne pas dire la vérité au malade, ce qui était la règle à l'époque ; je m'étais rendu compte, notamment en neurologie où j'étais interne, que l'habitude était de mentir au malade et de dire la vérité à la famille, sans raisons théoriques expliquées ; sinon pour se moquer des Anglo-Saxons qui faisaient le contraire : des crétins, disaient-on ; j'ai appris ensuite, au gré des consultations de couloir, que si les Anglo-Saxons faisaient cela, c'était pour des raisons juridiques ; et j'y ai cru. Ce n'est que bien plus tard que j'ai réalisé qu'il existait, grossièrement, deux conceptions de la relation médecin malade : la relation théoriquement symétrique du système libéral (au sens philosophique : le corps du malade appartient au malade) et la relation théoriquement hiérarchique du système paternaliste (le médecin sait et le malade ferme sa gueule) ; puis les choses ont commencé à changer et, brusquement, les médecins français se sont mis à la mode du 'Je dis tout.' sans s'interroger sur les nouvelles raisons de cette attitude (pas plus qu'ils ne s'étaient interrogés sur l'attitude contraire). On dira que la société a évolué, que les mentalités également, que nous sommes entrés dans la période des droits et que celle des devoirs est devenue plus restreinte, mais, quoi, où étais-je face à ce malade ? En regardant les autres (c'est toujours plus facile) j'ai compris que les médecins étaient passés du silence à l'extraversion mais que cela ne changeait en rien leur peur ou leur dégoût du malade (au sens du dégoût de la mort de l'autre comme métaphore de la sienne propre). Il n'y avait donc aucune différence entre dire à mon malade "Vous n'avez rien." et dire à mon malade"Vous allez mourir." Sauf quelques années de plus. Ces deux phrases sont l'expression d'une même angoisse du praticien qui ne cherche qu'à se préserver, à juste titre probablement, mais qui ne préserve rien chez le patient. C'est pourquoi les Anglo-Saxons se posent des questions sur la vérité à tout prix. Le "Vous allez mourir" est encore plus paternaliste que le "Vous n'avez rien." car le praticien, dans le deuxième cas, se compare à Dieu capable de prévoir qui entrera ou n'entrera pas dans le Royaume des Cieux...

Retour sur moi-même : Avec les années j'ai compris que le plus important n'était pas la vérité mais l'espoir. Il fallait bien entendu ne pas complètement mentir mais il fallait, par la même occasion, ne pas complètement dire la vérité. Le malade que l'on savait aller vers la mort avait toujours la possibilité de déjouer (pas seulement en se rendant à Lourdes mais dans un service hospitalier ou à son domicile) en ne mettant pas ses pas dans ceux de l'expérience des médecins et en s'en sortant ou en vivant dans de bonnes conditions beaucoup plus longtemps que cela n'était écrit dans Cancer ou dans The Journal of Oncology. Il n'est pas possible, c'est mon point de vue, qu'un malade sorte d'un cabinet en sachant à cent pour cent qu'il va mourir. Il doit être convaincu (même à la marge), soit par le non verbal (le regard empathique du médecin, pas trop empathique car cela pourrait avoir un effet inverse tellement les malades sont peu habitués aux médecins aimants), soit par une histoire d'Allan (un mensonge ou un pseudo mensonge en forme de parabole ou de conte ou d'histoire ou de métaphore) qu'il est déjà arrivé que des malades s'en sortent.

Le malade : Les médecins paternalistes savent et le répètent à l'envi que les malades sont des malins et qu'il ne faut pas les croire sur parole. Ils ont raison. Mais ils en profitent trop pour leur mentir encore plus. Il ne faut jamais croire un citoyen bien portant dont vous êtes pourtant le médecin traitant quand il vous dit : "Le jour où je serai malade, docteur, enfin, vous comprenez, vraiment malade, il faudra me dire la vérité." Le patient citoyen ne ment pas, il est persuadé que dans la situation où il sera vraiment malade il se comportera de cette façon. Mais personne n'en sait rien et pas plus lui que son médecin traitant. Quant au médecin en bonne santé, il n'a aucun rapport avec le médecin malade qui se comporte plus en malade qu'en médecin : question de statut. Les médecins "libéraux", au sens rawlesien du terme, à condition qu'ils soient jusqu'au boutistes, ne devraient pas plus faire confiance au citoyen en bonne santé que les autres.

Les soins palliatifs. Je ne suis pas là pour enfoncer une porte ouverte ni pour mettre le désordre. Mais les services de soins palliatifs me font horreur. Ils sont nés, convenons-en, de l'incapacité qu'a toujours eu l'hôpital à gérer la souffrance, la déchéance et, finalement, ce qui précédait la mort. Le travail que font les personnels soignants dans ces services est forcément admirable mais pense-t-on à ces malades qui entrent dans un service hospitalier pour mourir ou pour ne pas souffrir avant de mourir ? Pense-t-on à ces malades qui entrent dans un mouroir aseptisé et dans quel état d'esprit ils doivent se trouver dans ces antres de la modernité qui tentent de cacher qu'ils sont en train de naviguer sur le Styx entourés de seringues électriques, de perfuseurs indolores et de saints modernes et laïques qui leur administrent l'extrême-onction de la médecine moderne ?