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mardi 3 septembre 2019

Immobilisation en préhospitalier : un super billet de blog qui pose beaucoup de questions.

Brancard articulé

Je lis par hasard et avec retard un billet de novembre 2017 (ICI) sur le site La Mine (LA) (1) qui est intitulé "L'immobilisation en pré-hospitalier : il est temps de tout changer" et je m'interroge.

Je m'interroge tristement car ce billet est symptomatique d'un fait qui est peu connu, négligé, caché, refoulé, car il touche au quotidien de nombre de soignants :  des pratiques médicales adoptées par tous et toutes de façon consensuelle sont  très souvent fondées sur des croyances plus que sur des preuves solides.

Je ne suis pas urgentiste, je ne sauve pas des vies, je ne suis qu'un médecin généraliste à qui il arrive de sauver des existences (2), mais ce billet est (encore) tristement symptomatique des pratiques en médecine et j'ajouterai lourdement, en santé publique : la façon dont les consensus se construisent.

Le billet illustre de façon convaincante le livre de Cifu et Prasad "Ending medical reversal" (LA) (3) dans lequel les deux auteurs rapportent combien un pourcentage important (62 %) de pratiques de soins standard ayant pignon sur rue ne sont pas fondées sur des preuves et comment des essais contrôlés bien menés ont montré qu'elles étaient erronées, combien de temps il a fallu pour revenir en arrière et comment faire pour que cela ne se reproduise pas.

La "standardisation" de soins (on parle de façon moderne de la construction des pratiques) qui seront réfutés par la suite (ou non) comporte donc 3 étapes :
  1. Une étape de validation fondée sur des données d'un faible niveau de preuves
  2. Une étape de réfutation fondée sur au moins un essai d'un meilleur niveau de preuves
  3. Une étape de remise en question des données initiales dont la durée peut être très longue en fonction de nombreux facteurs (refus de reconnaître ses erreurs ou de se remettre en question, intérêts économiques, résistance au changement, et cetera)
Pour y remédier il serait utile 
  1. De ne pas prendre de décisions hâtives sur la foi d'essais "prometteurs", "hype", "de bon sens", mais dont la méthodologie, les critères d'appréciation, la significativité statistique/clinique est peu pertinente, et cetera (4)
  2. De pratiquer des essais contrôlés dans des pathologies courantes où le consensus semble établi mais où le niveau de preuves est faible, voire très faible, afin de mettre fin à des pratiques inutiles, coûteuses, voire dangereuses.
  3. De faire preuve de réactivité quand des données solides remettent en question des pratiques infondées.


Ce billet est donc éclairant à plus d'un titre.

D'abord, il est chimiquement pur par rapport à l'industrie pharmaceutique (dans ma grande naïveté je n'ai même pas de doute sur l'industrie des matériels : y aurait-il des pressions commerciales et financières pour la vente de colliers cervicaux (5) ?)

Il pourrait être assimilé à ce qui s'est passé lorsque des lanceurs d'alerte ont réfuté la recommandation consensuelle et meurtrière de coucher les nourrissons en procubitus : voir LA. (6)

Le billet indique que la décision internationale d'immobiliser les blessés en préhospitalier s'est faite à partir d'une revue rétrospective états-unienne menée en 1979 comprenant 300 patients : le niveau de preuves était pour le moins faible mais on peut dire a posteriori (c'est donc facile) que cela reposait sur le bons sens et des chiffres qui semblaient définitifs puisqu'ils allaient dans le sens recherché (ICI).

Le billet évoque aussi les lanceurs d'alerte qui n'ont pas été écoutés (mais on peut dire aussi que l'histoire ne retient que les lanceurs d'alerte qui avaient raison et qu'on ne parle jamais de ceux qui avaient tort et qui sont sans doute beaucoup plus nombreux !) et il est clair que l'analyse rétrospective est toujours aussi démonstrative dans le sens de "Il ne faut pas avoir raison trop tôt" et "Comment se fait-il qu'on ne les ait pas écoutés ?".

Là où cela devient encore plus intéressant c'est que le billet, outre une analyse des risques de l'immobilisation qui paraît pour un profane extrêmement convaincante, indique que le tournant intellectuel de la remise en question de l'immobilisation pour tous, indépendamment des différentes expériences individuelles des praticiens, se fonde sur une étude de 1998, non randomisée, non contrôlée, comparant de façon encore une fois rétrospective et post hoc de choux et de carottes, à savoir une population états-unienne et une population malaisienne (tout le monde sait combien les deux systèmes de santé sont identiques tant en termes de prise en charge, d'assistance aux blessés, de matériel et de formation des professionnels de santé...) qui comprenait 334 patient immobilisés au Etats-Unis d'Amérique et 120 non immobilisés en Malaisie (p = 0,02)

Et voilà qu'à partir, entre autres, de ces données et d'une réflexion sans doute scientifiquement fondée les recommandations norvégiennes paraissent en 2017 (LA). Je suis bien incapable de juger de leur validité, mais je remarque qu'elles ne sont pas plus fondées sur des preuves de haut niveau que celles de 1979.

L'auteur du billet parle de bon sens, de praticité, d'évidence et, manifestement, il s'enflamme avec prudence.

On espère que les Norvégiens ont raison et que cela pourra permettre de sauver des vies et d'éviter des séquelles post traumatiques.

Mais il manque toujours un essai contrôlé.

Il sera intéressant de noter la réactivité des différents systèmes de soins, d'analyser les résistances, de surveiller l'apparition de nouveaux lanceurs d'alerte et de connaître la fin de l'histoire : ces nouvelles recommandations ne seront-elles pas un jour critiquées, non parce que la science aura fait des progrès  comme le disent les optimistes, mais parce que des études convaincantes viendront "dire" la médecine en écartant ce qui avait été pris pour "scientifique".



Voici les conclusions du billet de Rhazelovitch :

  • Le collier cervical et la planche d’immobilisation ont un très mauvais pouvoir d’immobilisation.

  • Leur pose plus prolongée que le temps d’une simple extraction, expose à des complications et effets délétères, qu’on ne retrouve pas chez des patients non immobilisés.

  • L’immobilisation passive par cale-tête ou maintien manuel (MILS), ou dans certains cas en posant la tête dans un oreiller, puis le repos sur un matelas simple ou un matelas-coquille, sont des procédés qui marchent mieux et qui sont plus physiologique que les dispositifs vus plus haut.

  • L’immobilisation du rachis est, et reste, une recommandation forte des traumatisés du rachis, le problème n’est pas là, il est dans la nature des dispositifs que l’on utilise qui doivent changer, et respecter la position naturelle et les positions de confort de nos patients.

  • Rien ne doit jamais retarder la réalisation de gestes vitaux.




Notes :

(1) Où il assez malaisé de savoir qui écrit, d'où c'est écrit, même si, dans le milieu tout le monde doit savoir qui est rhazelovitch (mais pas moi et pas les lecteurs lambda). C'est dommage.
(2) Sauver des existences signifie sauver des modes de vie, ne pas médicaliser, faire de la prévention quaternaire, soigner, et cetera.
(3) Comme d'habitude je m'auto-cite, ce qui est mal, mais ce qui fait gagner du temps à tout le monde.
(4) Un article récent dans le BMJ (ICI) rapporte que plus de 50 % des produits ayant obtenu une AMM en Allemagne entre 2011 et 2017 n'apportaient aucun bénéfice. On m'objectera que ce n'est pas tout à fait la même chose de "n'apporter rien de nouveau" comme dit la Revue Prescrire et d'être délétère ou dangereux mais cela illustre, comme le rapporte l'excellent François Maisonneuve en son blog (LA) la très mauvaise régulation du marché des médicaments.
(5) Un collier cervical coûte 10,55 euros mais j'ignore combien en sont vendus chaque année.
(6) Evolution de la mort inattendue du nourrisson en France

dimanche 9 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Adam Cifu et Vinay Prasad. #16

Ce livre est un bijou. Il est écrit dans un anglais fluide et il ne fait pas seulement que poser un constat, il propose des solutions, en termes d'enseignement notamment.

Prasad Vinayak and Cifu Adam S. (2005). Ending medical reversal. Improving outcomes, saving lifes. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 264 pp.

Il exprime ceci : trop souvent des procédures, des traitements sont mis en place sans que nous disposions de véritables preuves que cela fonctionne. Il s'en suit que lorsque les preuves d'une efficacité contraire sont réunies (des essais contrôlés par exemple) les auteurs déplorent qu'il faille très longtemps pour que les promoteurs/utilisateurs de ces traitements reviennent en arrière (gna gna gna, entre mes mains blanches, pures et expérimentées, ça marche et, d'ailleurs, les patients en redemandent) pour des raisons multiples (ne pas se dédire, ne plus profiter de la manne financière de ces procédures, mais aussi refuser les preuves contraires à ses propres croyances fondées sur l'ego et l'aveuglement).



Ainsi, lorsque l'on abandonne certains traitements, et les deux auteurs en citent 146, cela pourrait être, comme veulent le croire les optimistes, parce que les données de la science ont changé, eh bien non, c'est que souvent il n'y avait pas de données de la science lors de leur instauration et de leur popularisation !

Les deux auteurs demandent donc qu'avant de mettre en place des procédures lourdes, coûteuses et qui touchent une population saine, comme dans le cas des dépistages, on prenne le temps de réaliser des études sérieuses sur le sujet. Voir ICI pour le dépistage.

Mais aussi pour toutes les autres indications. Ils ont analysé les procédures en cours à partir d'essais publiés dans la presse médicale sérieuse : les résultats des procédures validées est ahurissant : de 38 à 54 % des procédures courantes sont effectivement prouvées par des essais validés : voir LA.

Vinay Prasad est un activiste dans le domaine de l'hémato-oncologie, des praticiens de ce type manquent cruellement en France : voir LA. Il exerce à Portland (Oregon)

Adam S Cifu est professeur de médecine interne à l'université de Chicago.

Un dernier exemple, tiré de ce livre et de celui de Margaret McCartney (LA), The patient paradox : le conseil de faire dormir les nourrissons sur le ventre date de 1958, les chercheurs ont commencé à se poser des questions en 1970 et ont publié un article demandant que l'on ne couche plus les nourrissons sur le ventre et ce n'est qu'en 1991 que le gouvernement britannique a pris fermement position sur cette question ! Combien de sur mortalité de nourrissons depuis 1958 ?

Les auteurs :

Vinayak K. Prasad (1982 - )





Adam S Cifu (1967 -)
PS du 11 juin 2019 : en complément : 396 pratiques médicales qui ont été invalidées : ICI

vendredi 12 janvier 2018

L'histoire des gants et des blouses.


Il faut se méfier du bon sens en médecine.

Lors de la pseudo pandémie de grippe AH1N1 on avait dit, tout le monde disait, que les mesures barrières, se laver les mains, porter un masque, ne se discutaient pas. Comme la vaccination et le tamiflu. Il paraît clair que se laver les mains après avoir examiné un malade, se laver les mains avant d'examiner un patient, sont de bonne clinique. Mais il ne faut pas confondre la théorie et la pratique, c'est à dire la réalité des "vraies" circonstances de la vie avec de "vraies" gens.

Récemment la ministre de la Santé a déclaré, au nom du bon sens, que la vaccination antigrippale obligatoire, elle était pour. Elle n'a pas d'essais concluants, elle n'a que sa croyance, elle n'a que ses bonnes intentions. Les bonnes intentions ne sont pas suffisantes.


Laissez moi vous raconter une histoire récente.

Celle des gants et des blouses.

Je l'ai pêchée dans l'excellentissime livre de Cifu et Prasad, Ending Medical Reversal (ICI).
Les deux auteurs rapportent au chapitre 5 que ce ne sont pas seulement des traitements, des procédures, des tests ou des matériels qui sont administrés à des patients, des centaines de patients, voire des millions de patients alors que l'on n'est pas certains qu'ils sont efficaces, voire même que  certains sont persuadés, l'Arrogance Based Medicine, qu'ils sont certainement efficaces avant même de les avoir testés et, bien plus, qu'il n'est donc pas nécessaire (voire dangereux, une perte de chance affirment-ils) de les tester.

On découvre chez un patient hospitalisé pour leucémie, Monsieur A, que sa peau est infectée par un entérocoque résistant à la vancomycine (et à d'autres antibiotiques). Monsieur A ne présente aucune pathologie liée à cet entérocoque qui vit sur sa peau comme un commensal, ainsi que d'autres bactéries.

Branle-bas de combat : afin de protéger les autres patients de cet hôpital et éviter la propagation de cette bactérie, mais pas pour protéger Monsieur A, les médecins et les infirmières qui le soignent doivent désormais, avant d'entrer dans sa chambre, revêtir une blouse jaune en papier et enfiler des gants.

Monsieur A est énervé par cette procédure. Pour de nombreuses raisons.

Bien qu'enfiler une blouse et des gants ne dure qu'une minute, cela a l'air d'embêter tout le monde.
Il remarque que ceux qui respectent l'esprit de la procédure se comportent différemment, soit en faisant très attention, soit en s'asseyant sur son lit au risque de contaminer leurs pantalons.

Il y en a qui oublient la procédure, qui entrent en vitesse pour régler la perfusion ou aller déposer/chercher un plateau repas ou qui s'asseyent et parlent.

Mais aussi : il suspecte que les médecins viennent moins souvent le voir et notamment cette jeune femme médecin qui avait pris l'habitude, avant de rentrer chez elle, d'aller le voir, de s'asseoir et de parler. Désormais elle lui fait un hello derrière la vitre.

Monsieur A demande un jour à un médecin combien coûtent les blouses et il lui répond "plusieurs dollars", ce qui lui paraît exagéré car ce ne sont, selon lui, que des serviettes en papier géantes.

Un soir il trouve une étude sur internet qui montre que les médecins vont moins souvent voir les patients en isolement. Cela confirme ce qu'il pensait mais il se dit qu'il peut tolérer cela puisque cela protège d'autres patients.

Monsieur A meurt de sa leucémie un an après que le diagnostic a été porté.

Par la suite deux articles sont publiés qui l'auraient mis en colère.

En 2011, des auteurs montrent que ce même type de procédure (blouse et gants) ne diminue pas la transmission d'entérocoques vancomycine résistants ou se staphylocoques dorés methicilline résistants dans des services de soins intensifs (étude contrôlés avec 3000 patients, 19 centres) : voir ICI.
Une deuxième étude d'une tout ausi grande importance montre la même chose : voir LA

Monsieur A avait donc raison d'être énervé : les mesures barrières qui ont été mises en place ne servaient à rien pour les autres malades et lui ont pourri la vie.

Cet exemple est typique des procédures systèmes qui sont implantées avant même que l'on sache si elles atteignent leurs objectifs et qui, selon une évaluation avant/après (sans études contrôlées) dans un centre, sont généralisées à un pays tout entier.

Mais le pire : malgré des preuves contraires de leur efficacité, les procédures systèmes de bon sens, ici les mesures barrières, ne sont pas abandonnées par leurs partisans parce qu'elles auraient pu marcher si elles avaient été faites différemment ou étudiées autrement. C'est un vieil argument.

Les procédures systèmes adoptées après un essai dans un seul hôpital jugé par des chiffres avant/après (sans groupe témoin) entraînent des dépenses inutiles, un gaspillage de temps et, surtout, empêchent de s'intéresser à d'autres procédures qui pourraient, elles, être efficaces (comme l'utilisation de lingettes de désinfection : voir LA)

Cele ne vous fait pas penser à plein de trucs inutiles, que l'on continue à faire, par habitude, par croyance ou pour ne pas importuner les chefs qui ne peuvent admettre leurs erreurs (sinon en les imputant à leurs subordonnés).


jeudi 4 janvier 2018

Bonne année 2018 et bilan 2017.



Voici ce que l'on aurait pu retenir de l'année 2017 :

  1. Il n'est plus possible de nier l'effarant sur diagnostic du cancer du sein et ses conséquences désastreuses, le sur traitement des femmes (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie), et le chiffre de 50 % rapporté par une récente étude néerlandaise (voir LA), pour abasourdissant qu'il soit, confirme ce qu'a toujours affirmé (à partir de données solides) Peter Goetzsche de la Nordic Cochrane (LA, par exemple). Il est urgent de reconsidérer le dépistage organisé du cancer du sein chez les femmes de 50 à 74 ans. Comme site spécialisé le site Cancer Rose est une référence en français, voir ICI.
  2. Agnès Buzyn est définitivement la représentante de ce que j'appelle le complexe santeo-industriel et la propagatrice de ce que Marc Girard nomme, à la suite encore de Peter Goetzsche (Gøetzche Peter. 2013, Deadly Medicines and Organised Crime: How Big Pharma has Corrupted Healthcare. Radcliffe.), la criminalité médico-pharmaceutique. Toutes les actions de la ministre sont en outre marquées par le sceau du mandarinat arrogant et sans réplique et de l'entre soi parigo-parisien de l'AP-HP et du septième arrondissement réunis. Elle défend l'hôpital contre les soins premiers, elle soutient l'industrie pharmaceutique avec une indécence inouïe (allant jusqu'à refuser le déremboursement de médicaments inefficaces et dangereux comme les pseudo anti Alzheimer), elle est au centre de la calamiteuse décision de la onze-vaccination obligatoire des nourrissons en utilisant des arguments fallacieux et en travestissant une conférence dite citoyenne, elle nie les effets indésirables du dépistage organisé du cancer du sein (voir le point 1.), elle nomme des copains et des coquins aux postes de responsabilité, elle valorise les liens et conflits d'intérêts. Ce qu'elle entreprend est pire que ce que nous avions anticipé (ICI). Mais nous aurons l'occasion d'y revenir.
  3. La dérive de l'oncologie, telle que ses pratiques sont organisées à partir des autorisations de mise sur le marché de produits anti cancéreux aux Etats-Unis d'Amérique, prend une tournure mafieuse : des produits qui n'améliorent pas l'espérance de vie (ou de 3 mois en moyenne) sont commercialisés à des prix étourdissants sur des critères de substitution dont le plus fameux est le Progression Free Survival à la base d'essais cliniques de non infériorité ou d'essais pratiqués dans des pays en développement avec un bras placebo indigne ; des produits autorisés sans essais contrôlés, des produits autorisés sur la base de bio marqueurs et non sur l'histologie... Ainsi des oncologues peuvent-ils prescrire des médicaments inefficaces en promettant de l'espoir (on peut se demander si les oncologues sont encore des soignants) et en entraînant des souffrances atroces et des effets indésirables indignes, sans demander l'avis des patients. (Progression Free Survival : c'est une nouvelle notion, mais surtout un nouveau critère d'essai clinique, qui signifie que le patient a survécu et que la tumeur n'a pas progressé -- la progression étant définie par une augmentation de 20 % de la taille de la tumeur mesurée au scanner : il y a PFS si le patient est vivant avec une augmentation de 19 % ou une réduction de 16 % ! Le problème vient de ce que le PFS ne prédit pas une augmentation globale de survie.)
  4. L'affaire Levothyrox est une métaphore fantastique sur l'état de délabrement des esprits de ceux qui pratiquent le système de santé français : les experts pharmacologues qui n'ont jamais vu un malade, les experts cliniciens qui n'ont jamais écouté un malade, les agences gouvernementales qui savent a priori ce qu'est un malade et comment il ne va pas réagir (ou réagir), les cliniciens qui prennent ce qu'ils ne comprennent pas pour de la khonnerie émanant d'un malade a priori "chiant" ou dérangé, les TSHologues qui cultivent la politique des critères de substitution (si la TSH est bonne, la patiente n'a qu'à fermer sa goule, c'est qui le chef ?) comme les psychiatres qui jugeraient de l'état d'un.e patient.e sur un simple taux de sérotonine, les journalistes qui chassent le scoop, les associations de patient.e.s qui se tirent dans les pattes et qui n'ont donc pas, par la grâce empoisonnée d'être malade, la vérité révélée, les politiques qui n'écoutent que le bruissement des sondages, les pharmacie.nnes qui donnent des leçons de médecine derrière leurs comptoirs protégés pour ne pas lever le secret médical, les docteur.e.s qui n'arrivaient rien compris à la bio-équivalence ou qui, après avoir compris ou fait semblant de comprendre, ne comprennent toujours pas que c'est une notion bidon, les autres médecin.e.s qui parlent de marge thérapeutique étroite alors qu'il s'agit sans doute d'une maladie à fluctuation évolutive large ou, mieux, d'une maladie pour laquelle la zone de corrélation clinico-hormonale normale est très imprécise (et qui ne s'en étaient pas formalisés avant), les commentateur.e.s qui ne se sont pas rendu compte qu'il y avait à la fois un sur diagnostic, un sur traitement, et une réponse différente au traitement selon que les patient.e.s n'en avaient pas besoin, souffraient d'un cancer de la thyroïde opéré, irradié ou non, d'un Basedow après traitement éradicateur ou d'une thyroïdectomie (ou d'une hémithyroïdectomie) pratique pour des raisons bizarres ou imprévues ou inconnues, mais surtout :  il y avait des praticien.nes qui ignoraient ce qu'était l'effet nocebo ou un nocebo (ce n'est pas pareil) et qui en profitent désormais pour acculer les patient.e.s dans les cordes à cause de ce phénomène universel tout comme les patient.e.s expert.e.s refusent qu'on en parle pour ne pas se faire traiter de crétin.e.s parce que certain.e.s malades pourraient être accusé.e.s d'y avoir succombé et que cela ruinerait leurs théories sur les excipients cliniquement actifs ou sur le dogme de la corrélation TSHémie/humeur... Enfin, l'affaire Levothyrox, mais il faudrait développer, espérons que nous aurons l'année 2018 pour développer, enfonce le clou de la catastrophique aventure des génériques pour les patients, les pharmaciens et les médecins (l'écriture inclusive vient d'en prendre un coup).
  5. La santé publique est entrée définitivement dans le monde de la grande distribution. On ne pourra plus revenir en arrière. Les lobbys industriels et politiques verrouillent la question. Ils placent leurs pions aux postes clés de l'Etat et surtout dans les agences gouvernementales (avec la bonne vieille pratique du pantouflage : ICI). Ils arrosent. Ils organisent les hôpitaux (et les cliniques) comme des entreprises, imposant un manageriat industriel, une culture du rendement, une politique des indices, à base de flux tendu, de reporting, de sous-effectifs, de salaires de misère pour les "apprentis" (i.e. les internes), d'utilisation de travailleurs étrangers pour boucher les trous (et y compris les médecins)... Ils organisent l'industrialisation des cliniques appelées désormais hôpitaux privés et contrôlées par de grands groupes financiers. Ils favorisent la multiplication des examens complémentaires qui conduisent au sur diagnostic, au sur traitement, à l'incidentalome, en implantant des scanners, des IRM, des pet-scans... Ils organisent les conférences de consensus à l'origine de recommandations (guide-lines) toujours autant prescriptrices et dévoreuses de ressources. Ils financent les associations de patients pour pouvoir disposer d'un levier sentimental sur les pouvoirs publics. Ils détruisent consciencieusement la médecine libérale et la médecine générale en particulier, ce qui aura d'incalculables conséquences sur la santé publique... Le regroupement des médecins dans des maisons de santé situées en périphérie rappelle tant ce qu'est devenu le commerce mondialisé...  Les lobbys favorisent les mutuelles qui, initialement solidaires deviennent assurancielles, et cela va entraîner la faillite complète du système et/ou l'impossibilité pour certains types de populations de se faire pratiquer des examens inutiles et coûteux. Je m'arrête là pour ne pas lasser l'auditoire.
  6. L'arrogance de la médecine, celle qui pouvait prétendre contre toute raison (et notamment contre les travaux des épidémiologistes non à la botte des autorités académiques), que nous vivions dans les pays "développés" un âge d'or de la santé publique grâce aux progrès de la médecine, en prend un coup : l'espérance de vie à la naissance est en train de stagner, voire de reculer (aux Etats-Unis d'Amérique depuis deux ans consécutifs : " “And the key driver of that is the increase in drug overdose mortality.”") dans certains sous-groupes populationnels ; quant à l'espérance de vie en bonne santé, son déclin est amorcé dans tous les pays développés. Cette arrogance de la médecine est un phénomène bien connu des marketeurs, cela s'appelle la sur promesse. Et cette sur promesse va conduire au point suivant : puisque les médecins ne peuvent ou ne veulent assumer les désirs de la société (immortalité, indolence, scanners à répétition) les non médecins, les gestionnaires, les apprentis sorciers, les citoyens vont dire aux médecins ce qu'il doivent faire, "j'ai envie de", et, à la fois se tourner vers des techniques ou des traitements non éprouvés ou insuffisamment évalués, tester la médecine non officielle, et cetera. Pour assouvir ses désirs.
  7. Une médecine sans médecins. Le rêve grandiose du complexe santeo-industriel est de pouvoir à terme se passer des médecins en tant que décisionnaires. Les financiers auront toujours besoin de médecins conseillers des princes et des industriels pour donner des idées, pour borner les discours, pour fournir des éléments de langage, pour endormir les consommateurs, pour publier des articles allant dans le sens des politiques pré définies par les accumulateurs de profits. Nous ne nions pas que les médecins aient creusé leur tombe tout seuls et qu'ils continuent de se tirer des balles dans le pied en embrassant l'intelligence artificielle, les robots opérateurs, la onze-vaccination obligatoire, la gestion des maisons médicales de soins par les mairies, les préfets ou l'ARS  ou la télé médecine, nous n'ignorons pas que la gestion des hôpitaux et des cliniques par les médecins n'était pas irréprochable (mais c'était la médecine alapapa) mais nous sommes certains que la gestion de ces mêmes hôpitaux et cliniques par les gestionnaires (qui, auparavant, travaillaient dans les yaourts ou dans l'industrie automobile) est calamiteuse.
  8. L'inintérêt de certaines pratiques médicales et de standards de soin largement pratiqués (non démonstration de leur efficacité voire démonstration de leur nuisance) a été montrée par Cifu et Prasad (Ending medical reversal, 2005, pp 83-87)  dans 46 % des cas à partir  d'essais cliniques contrôlés publiés. Et quand le faisceau de preuves est suffisant pour les invalider, rien ne change : voir point 1.) mais aussi : LA. Il est grand temps a) de ne pas généraliser des pratiques sans qu'elles aient été démontrées IRL ; b) de remettre en cause  celles qui ont fait la preuve de leur inefficacité et/ou de leurs nuisances.
  9. Les associations de patients sont une autre face du consumérisme de la santé publique. Donner la parole publique aux patients est indispensable quand on sait avec quel mépris condescendant on les a laissés pendant des décennies. On ne les informait pas par ignorance et on a continué à ne pas les informer par arrogance. Mais il s'avère, au delà des polémiques sur les associations de patients et leur financement, au delà des controverses sur la parole médiatisée des patients (cf. point 4) et leur utilisation compassionnelle ou non, qu'il n'est pas possible de ne pas écouter et comprendre. Les soignants devraient réfléchir à cette situation : quand ils deviennent malades, quand ils souffrent d'une maladie qu'ils connaissent pour l'avoir traitée chez des patients, leur regard change, ils se rendent compte de faits, de détails, de sensations qu'ils ne pouvaient qu'ignorer, et ils regardent les patients avec un autre regard. Et ils changent leur pratique sauf si leur pratique est uniquement fondée sur des intérêts pécuniaires.
  10. Le pouvoir inégalé de l'Eglise de Dépistologie. Cette Eglise a un pouvoir considérable de nuisance dans la société. Son credo bienveillant, s'attaquer à la maladie avant qu'elle n'apparaisse (et il arrive que l'Eglise de Dépistologie ne soit pas d'accord avec l'Eglise de Préventologie) s'accompagne de pratiques non bienfaisantes, voire franchement malfaisantes. Rappelons notre athéisme dépistologique militant : un test de dépistage en cancérologie doit atteindre 3 objectifs : 1) il doit détecter des cancers précocément ; 2) il doit diminuer la mortalité liée au cancer qu'il recherche ; 3) il doit améliorer la survie globale c'est à dire diminuer la mortalité quelle qu'en soit la cause. Sinon... il faut l'abandonner. Je rappelle qu'à ce jour aucun test de dépistage de cancer n'a atteint les 3 objectifs.

 Gardons courage.

Bonne année 2018.