Tout
médecin généraliste est confronté chaque jour à la lutte contre la survenue de
complications dans le cadre de la prise en charge des maladies chroniques.
Cette
lutte quotidienne est basée sur un traitement adapté et son suivi sur le long
terme.
L'adhésion
des patients à leur traitement conditionne l'observance de ceux-ci aux
traitements prescrits.
Depuis
quelque temps l'attitude des médecins dans cette prise en charge des
pathologies chroniques a été étudiée et le concept d'inertie clinique défini.
L'inertie
clinique peut être définie (http://www.cnrtl.fr/lexicographie/inertie) comme une immobilité
dans la relation thérapeutique médecin/patient, ou, pour le dire autrement,
comme le fait de ne rien changer au fil du temps dans le traitement d'un
patient.
Un article de mai 2011 dans Consensus cardio pour le praticien écrit par
le Professeur Serge Halimi a attiré mon attention (http://www.consensus-online.fr/IMG/pdf/p34-36).
En médecine, il est important de se questionner en
permanence.
Préoccupé
comme beaucoup par la prise en charge optimale de mes patients atteints de
pathologies chroniques je me suis dit que j'allais apprendre quelque chose pour
l'amélioration de ma pratique.
Première remarque sur l'auteur : le Professeur Serge
Halimi, diabétologue, a déjà pas mal fait parler de lui pour ses liens avec
l'industrie pharmaceutique.
Ainsi,
en 2009 UFC Que Choisir avait porté plainte contre lui (et 8 autres
professeurs). (http://www.atoute.org/n/breve30.html), http://www.mypharma-editions.com/industrie-pharmaceutique-lufc-que-choisir-depose-une-plainte-contre-neuf-medecins-pour-conflit-d%E2%80%99interet) pour conflit
d’intérêts.
Mais
ne faisons pas de procès d'intention, ne condamnons pas avant même d'avoir pris
connaissance de ce qu'il écrit.
L'accroche est d'emblée intéressante :" un
concept émergent."
C'est
en effet une notion récente qui augure donc des informations prometteuses.
"Cette incitation à
l’atteinte des objectifs « durs » et précis est un concept assez récent. Il
découle nécessairement de l’établissement préalable de recommandations, de leur
rédaction, de leur diffusion et disponibilité, de leur connaissance et
appropriation par les praticiens."
Ce concept
d'inertie clinique n'est donc pour l'auteur rien d'autre que l'attitude
consistant à ne pas atteindre les objectifs fixés dans les recommandations .
J'avoue être déçu car c'est être très partial dans son approche.
"Ces études
aboutissent ainsi à des «preuves » suffisamment robustes pour que l’on parle
d’Evidence Based Medicine (EBM) ou médecine basée sur les preuves. Sont ainsi
établies des « Recommandations » ou « Guidelines » qui devraient être connues
de tout praticien.
Ces recommandations c'est EBM
(http://fr.wikipedia.org/wiki/Evidence_Based_Medicine), je suis rassuré car qui
peut être en désaccord avec cette notion ?
Cependant j'ai souvenir que l'atteinte
des objectifs « durs » a été évalué et que justement cette attitude
était délétère c'est à dire qu'elle faisait plus de mal que de bien. (ICI : http://docteurdu16.blogspot.com/2009/03/diabete-le-mieux-est-lennemi-du-bien.html et LA : http://qualitysafety.bmj.com/content/16/1/6.abstract)
Alors, où sont-elles ces « preuves suffisamment
robustes » ?
Est-ce bien EBM comme annoncé ?
Aucun renvoi dans le texte sur une référence, j'aurais pourtant
apprécié.
La définition de l'inertie clinique est donc : « non-suivi
des recommandations par le médecin »
Quelles en sont les causes ?
"Il n’est pas rare de
voir des spécialistes attribuer cette attitude prioritairement aux médecins
généralistes, les considérant insuffisamment motivés et actifs face à des
résultats n’atteignant pas les objectifs recommandés, alors qu’ils sont
informés de la teneur des recommandations publiées et disponibles."
Mais tout de
même:
"Mais
les médecins généralistes ne sont pas seuls concernés. Dans le domaine du
diabète ou de l’hypertension artérielle, des études montrent que certains
spécialistes s’avèrent aussi insuffisamment actifs"
J'avoue
que pointer ainsi du doigt une partie de la profession médicale n'est pas
« sain », mais c'est, il me semble un « sport national » (
ref http://www.atoute.org/n/article257.html).
Cependant,
hors de toute polémique, il aurait été intéressant que l'auteur s'interroge sur
le pourquoi de l'attitude peu motivée et peu active des médecins qu'il dénonce.
"Les limites du
concept : vraie et fausse inertie
. Cette attitude peut aussi résulter d’un choix
plus délibéré du praticien pour diverses raisons."
A bon quand même !!!!!Mais c'est un peu « court »
"La faute aux recommandations ?"
Enfin elles vont être étudiées avec un regard critique et peut
être même remises en cause ?
Eh bien
non, juste la forme est critiquée,
pas le fond:
"En somme, nombre de recommandations sont trop complexes ou à
l’inverse trop générales pour être applicables au plus grand nombre ou laissent
de côté nombre de situations particulières, quoique non rares, qui ne sont pas
abordées, du moins pas suffisamment détaillées."
Cela
aurait été surprenant car il est à noter que le Pr Halimi faisait parti du
collège d'expert de l'HAS responsable des recommandations pour le traitement du
diabète de type 2, recommandations qui ont été abrogées par le Conseil d'état
(le 27 avril 2011) sur plainte du Formindep pour cause de conflits d’intérêts.
Cependant
il aurait été intéressant que l'auteur s'interroge sur le fond des
recommandations qui n'étant pas conformes aux dernières données de la science,
pourraient expliquer au moins en partie la faible motivation d'une partie des
médecins à ne pas les appliquer.
Quelles solutions propose
donc le Pr Halimi pour réduire l'inertie clinique et donc améliorer le suivi
des recommandations pourtant pour le moins problématiques ?
"Des solutions concrètes à l’inertie clinique ?"
1) " Les recommandations :..... la participation à leur rédaction des omnipraticiens (voire de paramédicaux) aux côtés d’experts de spécialité est indispensable."
Pourquoi faire une telle différence entre les professionnels de santé. Le système des « experts » qui prévalait jusqu'à présent est donc perfectible ? Ou est-ce « démagogique » ? Je laisse chacun se faire son opinion.
2) " La FMC : on reste, en France, dans l’attente d’une FMC organisée
et financée par des fonds publics, si l’on tient à s’affranchir de l’influence
supposée « perverse » des firmes pharmaceutiques. Pour ma part, diffuser un
message sain dans le cadre d’une réunion sponsorisée par une firme
pharmaceutique ne m’a jamais posé le moindre problème."
J'adore cette phrase. A elle seule , elle résume bien l'état
d'esprit de l'auteur.
3) "L’organisation des soins est certainement en mesure de
pallier, pour partie, cette difficulté d’appropriation des bonnes pratiques
grâce à un travail en groupe sur des situations cliniques spécifiques. Ce
travail « en réseau » (formation, coordination) est sûrement un facteur de
réussite." Là
je renvoie au billet du docteurdu16 qui fait parfaitement le point sur cette
problématique http://docteurdu16.blogspot.com/2012/06/les-reseaux-une-mode-qui-mennuie.html
4) " Les innovations thérapeutiques : n’en sous-estimons pas les
contributions"
La aussi , les choses sont claires: l'auteur n'oublie pas ses
« chers partenaires de l'industrie pharmaceutique ».
5)" Enfin, l’impact des paramédicaux est de plus en plus
évalué."
Je
vous fais grâce de la conclusion.
En
tout cas la mienne est qu'un article comme celui là est symptomatique de l'état
catastrophique de notre système de santé.
Le
pire, je crois, est qu'un Professeur de médecine puisse écrire de telle chose
en affirmant qu'il n'a aucun état d'âme, alors que justement il devrait en
avoir en tant que médecin et par la fonction d'enseignant qu'il occupe.
Cet article est par ailleurs particulièrement problématique sur le fond
car au lieu d'inciter les médecins à s'interroger sur leurs pratiques, à
remettre en question en permanence leurs connaissances pour les actualiser, il
incite à une seule chose : suivre des recommandations élaborées par les
« experts ».
Quand
on sait l'influence de l'industrie pharmaceutique à tous les niveaux de
responsabilité de notre système de santé, développer de telles positions dans
cet article, ne cherche qu'à
renforcer ce qui se faisait jusqu'à présent.
Or
l'affaire récente du Médiator nous a montré de façon criante qu'il est urgent
que les médecins ne se laissent
plus dicter leurs conduites thérapeutiques par ces experts manipulés par
l'industrie pharmaceutique.
Cependant,
on ne s'étonnera donc pas des propos rapportés récemment sur un forum de
réflexion de nos pratiques , par une consœur au sortir d'une réunion :
"...aucun des médecins présents ne savait que l'HAS ne recommande
pas de dépistage (dosage des PSA ) !!!! pour tous, la question de
l'intérêt du dépistage ne se pose pas.
La première (et seule) réaction qu'ils ont eu quand je les ai informés
de la position de l'HAS c'est "ce n'est pas normal, ça a du être truqué,
la CPAM ne veut probablement pas payer pour le dépistage, les salauds" …
Ainsi, même quand la HAS prend des positions conformes aux données de la science (ce
qui n'est pas le cas pour toutes les recommandations comme nous l'avons vu plus
haut), beaucoup de médecins restant sous influence n'ont plus la capacité de
faire la part entre « le bon grain et l’ivraie »
Docteur MG
Illustration : Sur l'image du haut on voit une bille s'éloigner en ligne droite depuis le centre d'un disque en rotation vers la bordure, c'est le point de vue d'un observateur extérieur. Sur celle du bas, on note la trajectoire parcourue par cette même bille sur le disque, c'est le point de vue du repère en rotation.