Mon éditorialiste favori du British Medical Journal, Des Spence, tient une chronique qui s'appelle Bad Medicine.
C'est un médecin généraliste écossais qui exerce à Glasgow.
Sa dernière chronique s'appelle Bad medicine: general practice. Elle est décoiffante. Je vous mets le lien mais vous ne lirez rien : il faut être abonné.
En 2004 un plan en mille points (QOF ) - dont je vous ai parlé ici- a été introduit en fanfare chez les médecins généralistes d'Angleterre, du Pays de Galles et d'Ecosse. Cette initiative a été mise en place pour remplacer la pauvre qualité et la pauvre coordination des soins qui était perçue par la Médecine par les Preuves (Evidence Based Medicine) - ici- faisant passer la recherche de la théorie à la pratique. C'était coûteux (un milliard de livres) mais l'amélioration de la santé serait rapide et bénéfique. Est-ce que cela a marché ? demande Des Spence.
Si nous nous sommes félicités du fait que les critères de substitution comme l'HbA1C, la Pression artérielle et le cholestérol aient baissé dans les dossiers en revanche les véritables critères de morbi-mortalité ne se sont pas modifiés pour autant : nombre d'AVC, nombre d'événements cardiovasculaires, nombre d'arrêts du tabac. Durant cette période le nombre d'admissions aux urgences est devenu ingérable... La seule conclusion : l'hypothèse de départ était fausse. Mais, surtout, insiste Spence, le gaspillage d'argent n'a pas profité à d'autres secteurs de la santé. Il dit ainsi : la relation médecin malade a été corrompue car la qualité des soins n'est pas liée à l'algèbre mais à l'attitude.
Il ajoute : les domaines qui ont été choisis comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, la santé mentale et les affections respiratoires sont dominées par les médicaments. Depuis le début du contrat les prescriptions ont globalement augmenté : 40 % de plus dans le diabète (240 millions d'euro en plus) ; + 90 % pour les inhibiteurs de l'angiotensine 2 (+ 68 millions de livres) ; tiotropium : + 100 % (+ 30 M livres) ; ezetimibe (+ 400 %, + 15 M livres). La prescription des statines a doublé bien que l'on sache leur inefficacité en prévention primaire.
Et enfin : les MG sont payés pour suivre l'insuffisance rénale chronique qui est un facteur de risque cardiovasculaire non modifiable. Ils reçoivent six fois plus d'argent pour cette activité que pour les soins palliatifs. Il en conclut : les médecins devraient-ils seulement intervenir parce qu'on les paie ?
Il est clair que la situation en Ecosse est différente de celle de la France.
Que les partisans du CAPI peuvent prétendre que les objectifs retenus sont, en théorie, plutôt déflationnistes (prescrire des produits génériqués par exemple dans l'HTA ou dans les dyslipidémies) qu'inflationnistes sur le plan des coûts. Mais les adversaires du CAPI pourraient tout autant souligner que prescrire des statines génériquées à des patients qui n'ont pas besoin de statines est quand même qualitativement douteux. Les adversaires du CAPI pourraient dire que mettre l'accent sur la mesure de l'HbA1C (3 à 4 fois par an et sans preuves d'efficacité) revient à privilégier l'intensification du traitement médicamenteux et à l'aide de nouvelles molécules non éprouvées, beaucoup plus chères, potentiellement plus dangereuses (cf. les glitazones) et sans garantie sur la morbi-mortalité.
Cela dit, cet éditorial souligne à mon avis qu'il est toujours sentimentalement facile d'engager des plans pour améliorer la santé mais qu'il faut juger cela à l'aune des résultats obtenus. Et qu'il faut se donner les moyens de pouvoir les juger. Plus important encore, avant de juger des résultats, il est nécessaire de faire des études d'impact afin de savoir à partir de quel niveau d'effort, à partir de quel niveau financier (et à quel prix car il ne sera pas possible de tout faire en d'autres domaines), les lignes sont susceptibles de bouger.
Dans le diabète, par exemple, les campagnes de Santé Publique sont manifestement des échecs : la junk food pour enfants ne cesse de se développer et les industriels sont soutenus par des lobbies politiques puissants.
Quand j'étais jeune, en 1968, les gauchistes disaient que les médecins étaient là pour faire marcher le capitalisme en réparant les ouvriers pour qu'ils puissent retourner travailler plus rapidement.
Aujourd'hui je dirais que le rôle dévolu au médecin généraliste, l'éducation diététique de ses patients et le reste de la prévention dans le diabète par exemple, est celui de montrer son incompétence vis à vis du capitalisme McDo et de prescrire beaucoup de médicaments à ses victimes en faisant plaisir à Big Pharma.