Art Pepper est un saxophoniste dont je reconnais le phrasé à la première note. J'exagère un peu. Il m'est déjà arrivé de le confondre, en aveugle, avec Paul Desmond. Son style me fait flancher dans une sorte de sentimentalisme incontrôlable.
Il ne fait pas partie, cependant, de la première division des saxophonistes, cette fameuse première division qui est universelle, au delà des influences régionales et des appartenances stylistiques. Cette première division existe aussi pour le roman (Conrad, Kundera, Musil, Proust pour les contemporains car, dans la nuit des temps, il y en aurait d'autres) comme pour la musique (je ne cite rien : trop compliqué).
Disons, pour situer mon point de vue que la première division des saxophonistes comprend John Coltrane, Eric Dolphy, Charlie Parker ou Sonny Rollins, mais ce n'est pas exhaustif, et que dans la deuxième division il y a, par exemple, Paul Gonsalves ou Johnny Hodges et Cannonball Aderley... et Archie Shepp.
Bon, si je vous disais pourquoi j'ai écrit ce post...
Art Pepper est cité par Wikipedia en français : ICI. Quatorze lignes de biographie parmi lesquelles six sont consacrées à la drogue. Wikipedia en anglais est encore plus mince sur sa carrière mais il existe une discographie plus nourrie : ICI. Nous avons le droit à une phrase qui n'est pas piquée des hannetons : Remarkably, his substance abuse and legal travails did not affect the quality of his recordings, which maintained a high level of musicianship until his death from a brain hemorrhage.
Bon, je jette un oeil dans le Dictionnaire du Jazz (Laffont Bouquins) : une colonne un quart. C'est la description d'aller et de retours entre la musique la drogue et les "démêlés sentimentaux". Mais, heureusement, il y a le dernier paragraphe : "... Son exceptionnelle maîtrise du saxophone alto en fait l'un des plus remarquables stylistes de l'instrument. Totalement original, son jeu conjugue une exemplaire mise en place rythmique et une invention mélodique quasi illimitée... Car si, chez Art Pepper, la phrase chante, elle bouleverse aussi, tant l'émotion qui la sous-tend, pour contenue qu'elle demeure, y signe en permanencela fêlure d'un destin tragique mais sincère."
Art Pepper, on le sent, est un malade, pas un délinquant, un toxicomane, et il semble que cette maladie, selon les textes que j'ai lus, influe sur son style de jeu. Sainte-Beuve a encore gagné contre Proust ! Tout autant que la critique sociologique. Ou d'obédience freudienne.
J'aimais écouter Art Pepper avant même de savoir qu'il était toxicomane (je ne sais plus, voirICI, si écrire une telle chose, Art Pepper est toxicomane, est médicalement faux, sociologiquement idiot, moralement inapproprié, politiquement incorrect ; être à la mode est une entreprise impossible).
Il est probable, comme on dit, que s'il l'avait moins été, toxicomane, il aurait fait plus de tournées, enregistré plus d'albums, eu plus de célébrité.
Je n'ai pas lu, ni sur Wiki, ni ailleurs, que c'est grâce à la drogue que son style "inimitable" s'est affirmé. Nous l'avons échappé belle !
Il ne vous reste plus qu'à écouter Art Pepper : LA.
Toujours est-il que j'ai perçu son style "déchirant" ou "tragique" avant même de savoir qu'il en prenait, de la drogue.
Donc, je suis content : j'ai apprécié Art Pepper sans savoir qu'il était toxicomane et, maintenant que je le sais, cela ne change rien à mon jugement (juste un peu...).
Je me ballade sur le net pour en savoir plus et je tombe sur un passage de son livre "Straight Life" qu'il a écrit avec sa femme, Laurie. Cela me rappelle des trucs que j'ai déjà lus, sur la drogue, sur les jazzmen, sur la dèche à Los Angeles ou à San Francisco, sur John Fante, Kerouac et autres, beat generation ou pas, les jazzmen à la recherche de leur dope, de leur alcool, de leur voie, Charles Mingus ("Beneath the underdog"), Dizzy, Chet...
Je lis ce texte ICI et je me rends compte que j'avais des idées préconçues sur Art Pepper : quand on écrit des choses pareilles, il n'est pas possible, désolé Marcel (Proust), qu'il n'y ait pas d'influences entre les deux Moi, le Moi intime et le Moi de l'artiste, les "biographes" d'Art Pepper avaient donc raison de parler de sa toxicomanie, cela a dû le modifier...
Enfin, je n'en sais rien, après tout.
Il est aussi possible qu'Art Pepper, avec l'aide de sa femme, ait, aussi, voulu justifier sa carrière inaboutie, ses solos gâchés, ses engagements dans des boîtes minables, en écrivant ce livre : conscient de ses limites, il a alimenté sa propre légende.
J'aurais dû continuer d'écouter Art Pepper en dilettante, en instinctif, ne pas me mêler de lui en écrivant ce post, sûrement pour me mettre en avant, pour me faire passer pour un mélomane émérite, un médecin généraliste qui écoute du jazz ne peut pas être franchement mauvais... J'en sais désormais trop sur lui pour m'arrêter en si bon chemin.
Et je découvre aussi un auteur dont je n'avais jamais entendu parler et dont je n'avais donc jamais lu un quelconque écrit : Marc Villard, c'est sur son site que j'ai trouvé l'extrait .
Intéressant. Allez y jeter un oeil.
Je n'ai toujours pas résolu le problème de bien-pensance suivant : l'addiction est-elle une maladie quand il s'agit de l'héroïne, de l'alcool, mais pas du tabac. Ai-je bien compris ? Ou alors : tout dépend des bonnes intentions de chacun et des miennes en particulier. Suis-je obligé de donner des gages ?