Nous avons évoqué ICI et LA combien nous vivions dans une société où l'objectif affiché était l'absence de douleurs comme si la douleur n'était pas une donnée physiologique ou anthropologique mais une donnée "construite", c'est à dire sociologique, voire politique, qu'il était nécessaire d'éliminer. Je ne me fais pas dire ce que je ne veux pas dire : je ne suis pas en train d'affirmer que la douleur est nécessaire, qu'elle est formatrice, qu'elle est éducative, qu'elle est une émotion nécessaire pour accepter notre humaine condition, voire qu'elle se justifie pour expier nos péchés supposés ou réels ou une épreuve que tout humain se doit de surmonter tout seul ou avec une aide extérieure. Je veux simplement dire que cet objectif est, pour l'instant, inatteignable.
Ainsi, aux Etats-Unis d'Amérique, nous avons appris ICI que 116 millions d'Américains souffraient de douleurs chroniques, que cela représentait environ 600 milliards de dollars de dépenses annuelles, et que les Etats-uniens n'étaient pas soulagés de leurs douleurs avec, en sus, environ 1000 morts par an liés aux opiacés (LA).
On marche sur la tête.
Les patients qui consultent dans les cabinets de médecine générale désirent le plus souvent (même si l'approche est indirecte, je parle de ça et c'est de ceci que je voulais parler) être soulagés d'un état ou d'une condition qui leur semblent nécessiter l'intervention d'un médecin généraliste.
Le médecin généraliste tente de soulager le patient de sa condition pour des raisons professionnelles (on lui a appris en théorie ce qu'il devait faire), sociétales (il a intégré le fait que c'était ce que la société attendait de lui), voire éthiques (soulager le pauvre monde de ses souffrances).
Dans le cas des maladies ou pseudo maladies chroniques ou dans le cas de souffrances aiguës la proximité entre le patient et le médecin généraliste rend la souffrance persistante intolérable pour les deux protagonistes : le patient qui n'est pas soulagé et qui, dans le contexte du consensus sociétal "Zéro douleur", en veut à son médecin qui ne peut le "guérir" ("Donnez moi quelque chose de plus fort."), lui reproche son inaction ou son incompétence, voire son mépris ("Serrez les dents, mon vieux, c'est l'humaine condition.") ou son impuissance ("Alors à ceux qui souffrent devant l'impuissance de leur médecin... LA), voire les quatre ; le médecin qui, malgré tout ce qu'on lui a appris en théorie, tout ce qu'il sait et ne sait pas en pratique, tout ce que la bien-pensance lui renvoie sur l'ardente obligation de tuer la douleur. Le médecin traitant revoit un patient qui continue de souffrir et, compte tenu des pré requis que nous avons évoqués, il ne peut s'en suivre qu'une augmentation des plaintes et qu'une aggravation de la culpabilité.
Mais il reste les centres anti douleurs. Les fameux centres anti douleurs.
Les centres anti douleurs sont nés dans les années quatre-vingts en France, à l'instar de ce qui se passait dans les pays anglo-saxons et selon l'affirmation, jamais démentie, qu'en France on ne prend pas en charge la douleur. Originellement, c'est un anesthésiste, John Bonica, qui s'est intéressé à ce problème et a créé la première clinique anti douleur en 1961 à Tacoma dans l'Etat de Washington, en collaboration, c'est important, avec un psychologue et un neurochirurgien. Un article québécois recense les "bienfaits" de ces centres anti douleurs (LA) et souligne la multidisciplinarité avec, au minimum, un anesthésiste, un physiatre et un psychiatre et, au mieux, médecins (sic), psychologues, infirmières, physiothérapeutes, ergothérapeutes, travailleurs sociaux.
Quand on fait une recherche "Centres anti douleurs" sur Google on a droit, selon les moments, à 12 300 000 occurences. Sur la première page, dix occurrences : les deux premières émanent du même site et donnent la liste, pour le premier, de tous les centres anti-douleurs français, la deuxième des centres parisiens (c'est dû à ma localisation google) ; on y trouve la définition d'un centre anti-douleur (1) et des publicités pour des thérapies algologiques : fasciathérapie, mésothérapie, chiropractie, sophrologie, étiopathie, acupuncture, hypnothérapie, réflexologie... (ICI) ; la troisième occurrence émane de l'Institut UPSA de la douleur (LA) qui propose une autre définition (2) et des liens institutionnels gouvernementaux ; la quatrième émane d'une association de victimes et donne des listes de centres dans la région parisienne (ICI) ; la cinquième émane du Journal des Femmes (LA) qui insiste sur la Consultation pluridisciplinaire ; la sixième est un blog de patiente consacré à la fibromyalgie (ICI) ; et cetera, et cetera.
Ainsi, constatant la carence des médecins traitants et des structures hospitalières, des anesthésistes, les spécialistes de la douleur, des psychiatres, les spécialistes de la perception de la douleur, et les physiatres (le mot existe en québécois, pas en français gaulois), les spécialistes de la manipulation des corps, ont recréé ce qui existait déjà, à savoir le spécialiste de la médecine globale, le médecin généraliste et des centres multidisciplinaires qui ne sont en fait que des mini hôpitaux.
C'est ce qui s'est passé à propos de l'Alzheimer où des Cliniques de la mémoire ont été créées par des neurologues et des néo spécialistes, les gériatres, dont la fonction est, aussi, de diagnostiquer, d'évaluer et, surtout, de prescrire des anti Alzheimer pour la plus grande gloire de Big Pharma (n'oublions pas que la neurologie a longtemps été négligée par Big Pharma en raison du faible nombre de molécules "efficaces" chères ; mais l'explosion des anti-épileptiques de ixième génération, dont gabapentine et prégabaline, sans compter ceux que l'on utilise dans la migraine (topiramate) avec des résultats dramatiques. On a vu récemment que la prise en charge des patients dits Alzheimer par les cliniques de la mémoire n'était pas meilleure que la prise en charge par des médecins généralistes, en France (ICI) comme aux Pays-Bas (LA), ce qui donne à réfléchir sur la disparition programmée de la médecine générale, les centres anti douleurs comme les Cliniques de mémoire coûtant une fortune par rapport aux prises en charge en médecine générale.
En gros, quand un médecin généraliste est confronté à des douleurs chroniques, quand il a tout essayé, il adresse le patient à un centre anti-douleurs où il est pris en charge et il ressort de là avec du Lyrica de chez Pfizer qui, dans l'immense majorité des cas a déjà été prescrit par le médecin traitant, mais mal, je présume.
Car le Lyrica est un vedette de l'algologie, pas seulement des douleurs neuropathiques, de l'algologie en général : pourquoi ne pas l'essayer ?
Si vous recherchez prégabaline ou pregabalin sur Google et sans préciser respectivement fraude ou fraud, vous aurez du mal à trouver des informations sur la fraude académique massive qui a conduit à l'établissement des traitements de pfizer, gabapentine et prégabaline dans la trousse des médecins.
Si vous voulez vous faire une idée précise de cette fraude qui a été révélée à propos des essais cliniques menés par Scott Reuben pour Pfizer, le meilleur article en français sur la question se trouve sur Pharmacritiques (ICI). Il est révélateur.
Pour résumer notre propos : douleurs chroniques suivies par le médecin traitant ; courrier pour un centre anti douleur ; trois mois pour obtenir un rendez-vous ; trois-quart d'heure de consultation dans les bons cas ; du Lyrica prescrit. Et retour à l'envoyeur. Je ne vous ai pas parlé du stimulateur externe.
Ah, j'ai oublié de vous parler des effets indésirables du Lyrica. Vous lirez ce qu'en racontent les Canadiens : LA.
Donc, les médecins et autres professionnels de santé qui travaillent dans les centres anti douleur, sont des personnes admirables. Comment dire autrement de gens qui se penchent sur la douleur que tous les autres, le vulgum pecus, ne savent pas appréhender ? Mais ils devraient se rendre compte qu'ils sont au fond d'une nasse et que c'est Pfizer et autres qui les y maintiennent.
Post scriptum : Je ne dis surtout pas qu'il faille respecter la douleur, qu'il ne faut pas la combattre, qu'il ne faut pas prendre en charge les patients qui souffrent, je dis simplement que le marché de la douleur n'est pas un vain mot, qu'il représente beaucoup d'argent, beaucoup d'effets indésirables, notamment pour les opiacés qui tuent plus aux Etats-Unis que les drogues illicites, en France on ne sait pas, en France on ne sait jamais, et que certains produits, plus chers que d'autres, n'ont pas vraiment fait la preuve de leur efficacité et, dans certains cas, au prix de fraudes massives sur les essais cliniques. Pour combattre la douleur, cause mondiale, on réinvente l'eau chaude mais à des prix défiant toute concurrence.
Définitions
(1) Le centre anti douleur est un établissement médical où sont reçu les patients souffrants de douleur chronique. Ces établissement ont pour objectif d'évaluer et de mettre en place des traitements antalgiques spécialisés et d'autres protocoles pour diminuer la douleur ressentie par le patient. Ces centres anti douleur ont l'avantage de proposer des consultations pluridisciplinaires pour une prise en charge globale du patient et de sa douleur. Ces consultations anti-douleur se trouvent en général dans les hopitaux et sont réalisées par des médecins algologues (spécialiste du traitement de la douleur).
(2) Leur vocation est d’évaluer et de traiter des patients souffrant de douleur chronique, mais aussi de faire de la recherche et de diffuser les nouvelles connaissances sur la douleur. Les centres anti-douleur sont par définitions pluridisciplinaires et comportent de nombreux spécialistes et professionnels : neurologues, neuro-chirurgiens, anesthésistes, rhumatologues, psychologues, psychiatres, infirmières, kinésithérapeutes, assistantes sociales... Les malades relevant des consultations anti-douleur souffrent de douleurs persistantes rebelles aux traitements habituels et sont adressés sur demande médicale.