(Ce billet m'a été suggéré par un tweet de @cl_lazarus que je cite à l'insu de son plein gré)
Tout est cul par dessus tête.
Nous retrouvons les nouveaux Modernes.
Qui sont-ils ?
Ce sont donc les tenants de la Modernité contre l'Archaïsme. Ce sont les nouveaux médecins, les nouveaux scientifiques, les nouveaux gourous, ceux qui se moquent des preuves ou qui les anticipent, certains de la vérité de leur point de vue avant même que les études ne soient parues. Ils ont raison donc ils font les malins.
L'affaire e-cigarette est encore plus drôle que celle du baclofène car elle associe de façon incroyable : experts profanes, mensonges, conflits d'intérêts, copinage, anti Etatisme, anti hygiénisme...
(Je suis contraint d'ouvrir une parenthèse : je ne suis pas contre l'e-cig et encore moins pour sa médicalisation)
L'addiction au tabac est un problème complexe, vous me direz, pas plus complexe que l'addiction à l'alcool, si, plus complexe car il n'existe pas de tradition française. Dans le cas de l'alcool il existe une excellence française, les vins français sont les meilleurs du monde (c'est encore vrai), des faits curieux (ce ne sont pas dans les régions viticoles que l'alcoolisme fait le plus de ravages), et une tradition économique, culturelle, voire anthropologique.
Dans le cas du tabac l'addiction est quasi immédiate, d'autant plus forte que l'âge de début est bas, et il existe une organisation mondiale, qui existait bien avant la mondialisation, que l'on appelle Big Tobacco, qui a un pouvoir considérable. Last but not least, le tabac est vendu chez les buralistes (qui cumulent en un seul lieu les addictions à l'alcool, au tabac et au jeu) qui sont une corporation, si j'ose dire, au sommet du corporatiste (et d'extrême-droite), aux pouvoirs semble-t-il importants.
Dans le cas du tabac, les tabacologues ont réussi à imposer leur spécialité (?), en mélangeant pneumologues, psychiatres, médecins généralistes, psychologues et autres addictologues.
Je passe sur les critiques très fortes à l'encontre des tabacologues émises par Robert Molimard, pneumologue, repenti de Big Tobacco, et fondateur de l'alter-tabacologie. Vous pouvez lire ses écrits, que j'ai souvent critiqués (pour des raisons que je ne peux développer ici mais cela viendra à son bon moment), sur le site du Formindep qui l'héberge (
ICI en bas à droite). Robert Molimard doute de l'addiction à la nicotine et doute ainsi de l'efficacité des traitements qui pourraient entraîner son arrêt (
LA)
(1) et c'est pourquoi il a toujours écrit, dans la période récente, que les tabacologues étaient de simples employés de Big Pharma commercialisant des thérapeutiques peu efficaces, coûteuses dont certaines partiellement remboursées par la sécurité sociale.
Robert Molimard a donné le LA aux partisans de la e-cigarette après avoir publié
le 23 mai 2013 un article très documenté et a priori d'un bon degré de validité vantant l'innocuité du produit (
ICI). Cet article a marqué un tournant car la tabacologie traditionnelle, infiltrée dans les différentes associations anti cancer, a été contrainte de réfléchir. Il existe des enjeux majeurs au centre de la tabacologie : Big Tobaco, Big Pharma, la TVA, et l'entrée sur le marché du vapotage (dans lequel Big Tobaco est en train d'investir massivement).
Puis les suiveurs suivent.
Le 6 juillet 2013 le site Atoute reprend à son compte les propos de Robert Molimard (
LA) en publiant "
La cigarette électronique est utile et n'est pas dangereuse", puis l'article est actualisé après la sortie
le 24 août 2013 d'un dossier dans la revue
60 millions de consommateurs (
LA) qui affirme que "
la cigarette électronique n'est pas si inoffensive que cela". Dominique Dupagne, l'administrateur et auteur de l'article, écrit, entre autres, ceci : "
Certes, la cigarette électronique n’est pas une panacée, elle ne fonctionne pas chez tout le monde, mais le progrès qu’elle apporte dans la lutte contre le tabagisme dépasse tout ce que nous connaissions jusqu’ici. Une publication récente le démontre solidement... " Bon, je clique sur le lien et je me rends compte que l'étude contrôlée (
LA) citée par l'administrateur du site comprend trois groupes de patients vapoteurs non désireux d'arrêter la cigarette traités pendant 12 semaines : groupe A (nicotine 7,2 mg), groupe B (7,2 puis 5,4 mg) et groupe C (pas de nicotine). Les résultats sont les suivants (je traduis) : "
La diminution de l'utilisation journalière de cigarettes et des niveaux de CO exhalés a été constatée dans les 3 groupes à chaque visite (p inf 0,001 par rapport au début) mais il n'a pas été constaté de différences entre les groupes."
Je ne crois donc pas qu'il s'agit d'une démonstration solide. En tous les cas il semble que le fait de mettre de la nicotine dans les e-cigarettes soit d'un intérêt médiocre. J'ajoute qu'un des auteurs de l'article (RP ou Riccardo Polosa) a des liens d'intérêts majeurs
(2) et qu'il a changé de sponsors avec le vent. J'ai également retenu le commentaire d'Alain Braillon sur le site d'Atoute qui me semble d'une grande pertinence et qui indique de façon démonstrative que l'intérêt pour la e-cigarette ne doit pas nous faire perdre notre sens critique
(3).
Atoute cite également le docteur Farsalinos qui a publié de façon précipitée un article
le 27 août 2013 sur le site Absolut Vapor (
LA) (qui, en d'autres lieux, vend du matériel de vapotage), contredisant certaines données du dossier de
60 Millions. Pour les liens d'intérêt de Farsalinos, voir la note
(3). Nonobstant la note
(3) il semble convaincant. En consultant PubMed (
LA) on se rend pourtant compte qu'il a en tout et pour tout publié 4 articles sans intérêt clinique dans des revues corporatistes.
Les associations de vapoteurs s'en remêlent et l'une d'entre elles écrit
le 28 août 2013, par l'intermédiaire de Brice Lepoutre, Président de AIDUCE, une lettre ouverte à
60 Millions (
LA) où l'on apprend que le premier expert scientifique cité pour ses qualités de chercheur pour contrer le dossier de
60 Millions est Dominique Dupagne (le bon docteur Farsalinos est lui aussi cité en bonne place). L'association AIDUCE (Association indépendante Des Utilisateurs de Cigarettes Electroniques (
LA) ne mentionne aucun financement extérieur. En revanche, on apprend sur tweeter que
60 Millions est subventionné en partie par l'Etat, ce qui induit pour l'auteur du tweet que le dossier a été piloté par Bercy. Vous me suivez ?
Le complot de l'Etat est dénoncé : l'Etat est un dealer de tabac qui ramasse de l'argent grâce à la manne tabagique ; il laisse commercialiser des produits anti nicotine inefficaces (qui obtiennent cependant l'AMM et une partie de remboursement) ; il subventionne des tabacologues pour prescrire des produits inefficaces ; et il s'oppose au vapotage pour ne pas perdre d'argent ; et il aimerait bien que la e-cigarette soit vendue chez les buralistes et / ou chez les pharmaciens ; et l'Etat ne comprend pas que c'est l'ère de la Médecine 2.0 qui arrive avec son intelligence coopérative ; mais aussi le e-business.
Mais le bon docteur Farsalinos est, lui, un pur.
Et voilà qu'arrivent les démonstrations définitives qui vont clore le bec à tous ces blancs-becs. Je lis un tweet qui affirme que les anti e-cigarette sont comme les anti ceintures de sécurité dans les années 80 : des retardataires. Il ne sert à rien de réfléchir puisque la messe est dite.
Eh oui, la messe est dite.
Antoine Flahault, l'homme des millions de morts A/H1N1, twitte le 5 septembre 2013 :
Disagree. .. ” I know. I think you focus on the wrong cause. You should support the right one. Millions of lives in stake!. Il recommence et il utilise les mêmes arguments que les baclofénistes (il est d'ailleurs pour).
C'est la publication du
Lancet. Avec, pour pimenter le tout, une histoire d'embargo sur l'article (je signale aux ignorants qu'il n'existe pas de Comité de lecture au
Lancet qui a été au centre de nombre de scandales éditoriaux ces dernières années) qui permet de claironner pour certains (
le 7 septembre 2013) (
LA) et de donner dans le sensationnel (
LA). Puis la présentation de l'étude elle-même. Ne parlons pas de la façon dont les journalistes présentent les résultats (
ICI de façon neutre dans Le Point, et
LA de façon erronée dans Le Monde) parlons de ce que dit l'auteur principal (cela me fait penser irrésistiblement à un billet de JM Vailloud (
ICI) sur la façon de présenter fallacieusement des données).
L'auteur : "
"Nos résultats ne montrent pas de différence très nette entre e-cigarettes et patchs pour l'arrêt, mais il semble bien que les cigarettes électroniques soient plus efficaces pour aider les fumeurs à réduire leur consommation", explique le professeur Bullen dans un communiqué de The Lancet."
Vous voulez le texte complet ?
Vous trouverez l'abstract
ICI et, en cherchant un peu sur le web (trois secondes) le texte complet (quand le Lancet lâche un article c'est qu'il y a de l'argent derrière et un promoteur.
LA). Pour les résultats en anglais
(5) et pour le commentaire de l'article en anglais
(6).
Voici en français les résultats dans leur éminente crudité :
A 6 mois le nombre d'abstinents était de 7,3 %, de 5,8 % et de 4,1 % dans respectivement les groupes e-cig nicotine, patchs nicotine et e-cig sans nicotine. Pas de différence significative inter groupe. La e-cig est donc au moins aussi "efficace" que les patchs. D'après les données que nous avons rapportées dans la note
(1) on peut considérer que les patchs à la nicotine peuvent être raisonnablement considérés comme des placebos (notamment IRL - In real Life, c'est à dire hors essais). Chris Bullen a donc démontré que la e-cig était au moins aussi efficace qu'un placebo mais que c'était le placebo préféré des patients. Certains tenants de l'e-cigarette, du moins sur le site Atoute, "croient" à l'e-cigarette qui contient de la nicotine pour lutter contre le tabagisme tout en "croyant" aux écrits de Robert Molimard qui nie l'addiction à la nicotine.
Des études supplémentaires sont donc nécessaires.
Fermez le ban.
(Le sujet est loin d'être épuisé)