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Le jeune homme qui entre dans mon bureau ressemble à nombre de jeunes gens du quartier où j'exerce. Il est venu ce mercredi pour ma consultation sans rendez-vous de l'après-midi. Je pense qu'avant d'entrer dans le bureau il a attendu deux heures et demie dans la salle d'attente (je sais, je sais, cela ne se fait pas, vous devriez prendre des rendez-vous dit l'un, c'est plus agréable pour les patients et pour vous, et l'autre : tu es un toquard, la modernité, c'est les rendez-vous, nous ne sommes pas les esclaves des malades, il faut savoir se faire respecter... Ils ont raison, vraisemblablement, mais je consulte au moins la moitié du temps sur rendez-vous et je ne m'en sens pas plus décontracté, plus serein, bien au contraire, mais c'est un problème que nous traiterons ailleurs, revenons à notre jeune homme :). Il me tend un papier chiffonné qu'il a dû rouler et dérouler dans sa main pendant qu'il attendait. "Msieur... J'ai besoin que vous me signiez cela..." J'essaie de le mettre à l'aise mais cela le laisse de marbre. Il est concentré. Il s'agit d'un papier pré imprimé que je connais bien mais il y a longtemps que je ne l'avais pas vu. C'est un certificat d'aptitude (enfin, on ne dit plus comme cela) pour exercer un Travail d'Intérêt Général (TIG, prononcez tige). Le jeune A a fait la queue et il me tend un billet de dix euro. Cela me rappelle des souvenirs.
Il y a environ dix ans je reçois dans l'après-midi un appel téléphonique du Tribunal de Grande Instance (TGI). La secrétaire me passe l'appel avec inquiétude. C'est la greffière du TGI qui parle : "Est-ce que vous connaissez Monsieur B A ? - Oui, je crois. Il est actuellement dans le bureau de Monsieur le Substitut du Procureur de la République... - Oui... - Il y a quelque chose que nous ne comprenons pas. Monsieur le Substitut s'étonne d'avoir devant les yeux un certificat signé par vous autorisant Monsieur B A à pratiquer des Travaux d'intérêt Général et ne pas avoir de feuille de maladie associée. Monsieur B A ne vous a pas payé ?" Je ne sais pas comment prendre cette réflexion. "Chère Madame, dites à Monsieur le Substitut quelle est la situation à Mantes. Les jeunes qui viennent demander ce genre de certificat ne s'attendent pas à payer, ne s'attendent pas à être examinés, ne s'attendent pas à attendre leur tour. - Ah bon... - Eh oui, c'est comme cela. Mais, désormais...- Je tenais à vous signaler, docteur, que nous, au TGI de Versailles, quand un jeune n'a pas son certificat, nous l'envoyons chez un médecin de Versailles pour se faire examiner et qu'il paie. - Vous êtes sans doute à Versailles..."
Toujours est-il que depuis cet appel téléphonique émanant du TGI, c'était il y a environ dix ans, je n'ai plus jamais revu en consultation un jeune homme désirant un certificat d'aptitude pour effectuer un TIG... Monsieur B A était dans le bureau quand la greffière m'avait parlé et il avait dû donner le mot aux copains : N'allez pas voir le docteur du 16 il va vous faire payer.
Et le jeune homme qui est en face de moi, malgré les dix ans de prescription, est venu me voir, a fait la queue comme tout le monde... et longtemps, m'a tendu son certificat pré imprimé toujours aussi chiffonné, a montré son argent et moi, le docteur du 16 qui a reçu l'appel de la greffière du TGI, je vais l'examiner, mécontent cependant du fait qu'il ne m'ait pas apporté son carnet de santé, je vais lui signer son certificat de non contre-indication à travailler dans les espaces verts et je vais recevoir, grassement, les six euro et soixante cents du tiers-payant...
La mémoire des TIG, vous dis-je.