Cette femme de 36 ans est une patiente de mon associée.
Elle a pris rendez-vous avec moi parce mon associée n'était pas disponible.
Elle vient accompagnée de sa fille de sept ans.
"J'ai des boutons partout et j'ai voulu prendre un rendez-vous chez le dermatologue. La secrétaire de l'hôpital a dit qu'il fallait une lettre..." Pour l'instant tout va à peu près bien." Moi : "Je peux voir les boutons ?" Elle est aussi étonnée que si son analyste lui avait dit qu'un conflit in utero avait pu entraîner ses lésions cutanées. Bon, elle se déshabille, un peu, et à regrets. C'est un pityriasis rosé de Gibert. Enfin, cela doit être cela, je ne suis pas dermatologue, que diable ! Je lui dis donc que je ne vais pas faire de lettre. Elle est d'abord étonnée puis mécontente et elle ne sait pas encore que je ne vais pas lui donner de traitement. Ou si peu... "C'est parce que j'ai l'aèmeheu ? - Comment ?" Je la regarde avec ma tête des mauvais jours, celle que je m'étonne de pouvoir produire avec tant de spontanéité. Celle qui fait un peu peur (même à son propriétaire). Puis je reprends mon calme et tente d'endosser la physionomie du médecin qui en a vu d'autres et qui sait comment faire quand il est confronté à ce genre de situation casse-pied. "Vous pensez que je ne reçois pas les malades qui ont l'AME ? - Non mais j'ai voulu prendre rendez-vous chez un dermatologue du centre ville et la secrétaire m'a dit qu'il ne prenait pas les aèmeheu..." Je change de comportement : cela m'intéresse un peu plus de savoir qui refuse les AME dans ma ville. Elle ne sait pas me dire où elle a téléphoné. J'ai déjà entendu parler de cela dans d'autres spécialités et je fais toujours ma petite enquête car les patients sont comme les médecins, il leur arrive d'affabuler.
Bon, je reprends : " Vous n'avez donc pas besoin d'aller voir un dermatologue puisque j'ai fait le diagnostic et d'autre part vos lésions cutanées vont disparaître toutes seules. Je vais vous prescrire un émollient au cas où. Je viens de lui assener deux déceptions : primo son pityriasis ne mérite pas un dermatologue et deuxio sa maladie ne mérite pas de traitement. Je crois qu'elle ne me croit pas. Qu'y puis-je ?
Mais l'affaire n'est pas terminée car sa fille est malade (je me doutais un peu qu'il y avait anguille sous roche en voyant la tête de la petite). "Mais vous n'avez pris qu'un rendez-vous" je dis bravement. "Oui, mais elle a 39 de fièvre, donc je suis venue avec elle... - Ce n'est pas comme cela que je fonctionne, je vais prendre du retard, il y a des gens derrière vous et d'ailleurs, pourquoi ne pas m'en avoir parlé en début de consultation ? - C'était moi qui avais le rendez-vous..." Imparable.
Vous savez ce que j'ai fait ? J'ai examiné la gamine qui avait une rhino-pharyngite banale et pour laquelle, sous les protestations de l'assistance, je n'ai pas prescrit d'antibiotiques. J'ai eu droit à la phrase rituelle : "Mais sans antibiotiques, chez elle, ça ne guérit pas..."
Cette banale situation de consultation appelle de nombreuses remarques et pourrait constituer l'ébauche d'une thèse de doctorat (nul doute qu'un professeur de médecine générale ou qu'un maître de stage est sur le point d'étudier toutes les erreurs que j'ai commises durant cette consultation, qu'il les détaille à son étudiant et qu'avant même qu'une recherche Google soit mise en route le dit étudiant est en train de peaufiner les remerciements de début de thèse "A mon maître... A ma soeur... A mes parents...")
Sans rire.
Une enquête d'une association de consommateurs conduirait sur un cas à un refus de soins (100 %) de la part du dermatologue qui n'accepterait pas les Aides Médicales d'Etat et un urgentiste à l'esquisse d'un refus de prise en charge une petite fille de 7 ans avec une rhino-pharyngite.
Mais la matinée n'est pas terminée : Monsieur A m'apprend par téléphone que le chirurgien à qui le centre de rééducation l'a adressé (épicondylite évoluant depuis deux ans chez un charpentier et considérée par la CPAM comme une Maladie Professionnelle) lui demande 500 euro de dépassement plus 160 pour l'anesthésiste (des petits bras par rapport aux "vrais" spécialistes de ces questions) pour l'intervention... Ce ne sera pas un refus de soins puisque le patient a décidé de payer...